Filmen or not filmen…

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Critique de Festen, de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov, dans une adaptation théâtrale de Bo Hr. Hansen, vu le 17 décembre 2017 aux Ateliers Berthiers
Avec Estelle André, Vincent Berger, Hervé Blanc, Sandy Boizard ou Marion Pellissier, Sophie Cattani, Bénédicte Guilbert, Mathias Labelle, Danièle Léon, Xavier Maly, Lou Martin-Fernet, Ludovic Molière, Catherine Morlot, Anthony Paliotti, Pierre Timaitre, Gérald Weingand et la participation de Laureline Le Bris-Cep, dans une mise en scène de Cyril Teste

Je suis un peu un mouton. Je suis un mouton parce que même si je n’ai pas aimé du tout les deux premiers spectacles que j’ai vus à l’Odéon cette saison, je continue de prendre mes places pour les spectacles qui suivent. J’ai donc réservé Festen, puis j’irai voir Macbeth et Ithaque. Avant de revenir sur le spectacle que je viens de voir, je dois reconnaître que le théâtre de l’Odéon propose de nouvelles formes théâtrales qui, si elles ne m’ont pas convenues jusqu’ici, m’ont quand même dérangée et fait beaucoup réfléchir sur ma conception de cet art, sur ma relation au spectacle vivant et sur son évolution, et, pour ça, je lui en suis reconnaissante.

Festen, c’est donc l’adaptation du film de Thomas Vinterberg – que je n’ai pas vu – sorti en 1998. C’est l’anniversaire du patriarche, Helge : famille et amis sont invités à se réunir dans un hôtel pour fêter ensemble ses soixante ans. On comprend vite que cet anniversaire succède de peu à l’enterrement de Linda, fille de Helge, soeur de Christian, Hélène, et Michaël, également présents ce soir. Seulement, la soirée ne se déroulera pas comme prévu puisqu’elle sera entachée de révélations de secrets de famille sombres et bien enfouis jusqu’alors : Christian annoncera en effet l’inceste dont lui et sa soeur jumelle Linda ont été victimes lorsqu’ils étaient jeunes.

Pour l’occasion, c’est encore une nouvelle forme qui nous est présentée sur la scène de l’Atelier Berthier. Cyril Teste a en effet fait appel à l’image vidéo pour raconter l’histoire de ce jugement, ce tribunal mené par Christian contre son propre père. Non seulement l’usage est pour moi justifié car il permet de mieux confronter les différents partis et de donner la parole à chacun spécifiquement, mais il faut également souligner la grande réussite scénique, visuelle – peut-être un peu moins dramatique – de la pièce.

Ce spectacle est beau et d’une fluidité parfaite. Les décors sont imposants et permettent de nombreux points de vue dans la maison, l’atmosphère se tend au fil de la pièce et tout l’accompagne, tant les lumières que les ambiances sonores, et la froideur scandinave s’installe sans problème sur la scène. Plus encore, il faut bien reconnaître que, contrairement aux Damnés ou à La Règle du Jeu, le metteur en scène a vraiment recherché un certain art de l’image et le film qui est diffusé sur l’écran est une réussite visuellement parlant. Ajoutons à cela une distribution sans faille, et on peut conclure que c’est un très beau travail. Et c’est en cela même que ça me pose un problème : on sent trop le travail qu’il y a derrière.

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C’est évidemment lié aussi au dispositif en lui-même : probablement trop complexe, il fait tellement appel à nos sens « cérébraux » qu’il laisse fatalement de côté des réactions plus émotionnelles. Tout est tellement contrôlé et minutieusement rythmé pour que le rendu soit cohérent – et il l’est – que cela laisse finalement très peu de liberté aux comédiens : ce doit être de ces spectacles qui se ressemblent beaucoup d’une représentation à l’autre. En vérité, les acteurs ne peuvent s’écarter de leur partition et sont coincés dans cette précision absolue des déplacements, ce qui donne un résultat glacé – et totalement en accord avec la froideur générale du spectacle, évidemment. Mais qui me laisse aussi de côté. Ce spectacle a quelque chose de trop parfait, et là où je recherche la véracité de la vie, je me cogne à l’austérité de ce qui ressemble trop à une mise en scène issue d’un cerveau humain où tout serait trop clair et finalement, exempt de tout mystère.

Alors évidemment s’insinue en moi cette éternelle question : puis-je accepter de voir ce spectacle en tant que pièce de théâtre et puis-je aimer ce que je vois en ce moment en le nommant spectacle vivant ? Au fond, on s’en fiche un peu des noms des choses et tout cela n’est que pure convention, mais il faut être tolérant et comprendre mon irrépressible besoin de définir ce que je vois et, quelque part, cela remet à plat ma propre notion du théâtre. Et c’est absolument fascinant !

Je suis complètement tiraillée et une guerre s’établit en moi car je ne peux pas dire que je n’ai pas aimé. Je n’ai pas été prise dans l’histoire et c’est quelque chose qui a tendance à me gêner au théâtre. Or ici, c’est probablement voulu puisque tout, de la scénographie jusqu’au propos en lui-même, nous invite à prendre de la distance par rapport à ce qu’il se passe sur scène. Alors forcément, je reste à côté et ça m’énerve. Une fois ce premier caprice passé, la question plus fondamentale que mon propre rapport à la pièce s’impose : qu’est-ce que le spectacle vivant, et quelles sont ses limites ?

Évidemment, ce qui est filmé est en direct donc les comédiens n’ont pas le droit à l’erreur donc je ne suis pas au cinéma. Mais d’un autre côté, les cameraman m’empêchent de suivre correctement ce qui se passe sur scène et me voilà contrainte, prise en otage par ce film qu’on m’impose. D’autre part, si les gros plans sur les comédiens m’offrent une vision incroyable sur leurs visages et expressions, ils refroidissent également l’ensemble car ils sont éloignés de moi par cet écran. L’image a malgré tout quelque chose d’artificel alors que le spectacle vivant offre une vérité à nulle autre pareille.

Ce n’était sans doute pas le but premier de ce spectacle, mais il m’aide à avancer dans ma vision du théâtre et je l’en remercie. J’ai passé un très bon moment, tout en étant consciente que j’étais au théâtre, devant des images d’une rare qualité. Je continue de préférer le spectacle vivant sans trop de caméra, mais je dois reconnaître que le dispositif, plus qu’intéressant, était vraiment réussi. Et que ce paragraphe, qui devait constituer ma conclusion, est encore trop long. Je n’ajouterai donc que quelques mots :

… that is the question. ♥ 

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