Faustirer

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Critique de Faust, de Goethe, vu le 24 mars 2018 à la Comédie-Française
Avec Véronique Vella, Laurent Natrella, Christian Hecq, Elliot Jenicot, Benjamin Lavernhe, Anna Cervinka, Yoann Gasiorowski, Marco Bataille-Testu, Thierry Desvignes, dans une mise en scène de Valentine Losseau et Raphaël Navarro

L’annonce de ce spectacle crée un vent d’enthousiasme chez les théâtreux. Et en effet, il y a de quoi saliver : le texte de Goethe, rarement monté, dans une mise en scène qui fera intervenir de la magie et des marionnettes, donne des étoiles dans les yeux des spectateurs qui se rappellent avec ravissement le merveilleux Vingt mille lieux sous les mers. Conséquence immédiate : le spectacle affiche complet. Encore une belle promesse de la Comédie-Française. Une promesse… qui tombe à l’eau.

J’aurais du mal à vous résumer l’histoire tant je suis passée à côté. Il faut dire que la mise en scène n’aide pas vraiment à se concentrer sur l’histoire et peine à faire passer les réels enjeux. De ce que j’ai compris, Faust est un médecin qui au début de la pièce semble las des sciences et décide plutôt de se mettre à la magie (on ne comprend pas trop pourquoi d’ailleurs, il aurait pu tout aussi bien se mettre à la cuisine mais bon). Devant son échec à invoquer un esprit, il tente de mettre fin à ses jours. Alors arrive le diable avec qui il fait le pacte suivant : s’il l’initie aux jouissances de sa vie terrestre, il sera son serviteur éternel dans l’autre monde (là non plus je n’ai pas compris pourquoi il faisait ce pacte, on est d’accord que c’est pas du tout intéressant comme marché ?!). La jouissance, il va la découvrir à travers la boisson, à travers l’amour, et le plaisir charnel, avec Marguerite qui tombera enceinte et sera condamnée à mort pour infanticide. Enfin bon, vous voyez, il se passe plein de choses, et on reste à l’entracte (oui parce que en plus ça dure 2h50) parce qu’on a envie de connaître la fin, et puis soudainement, pouf, ça y est c’est la fin et on ne comprend même pas que c’est la fin et on reste totalement sur sa faim.

Alors certes, j’ai vu la première, et le spectacle n’était peut-être pas complètement rodé. Mais en fait, les metteurs en scène semblent s’être tellement concentrés sur la forme qu’ils en ont oublié le fond. Le problème, c’est que ce texte est extrêmement complexe et qu’on ne pouvait trouver là plus grande erreur pour essayer de le monter. Les effets visuels ne peuvent compenser une histoire qui s’enlise, ils auraient dû venir après dans la conception du spectacle : résultat, comme on ne comprend pas bien ce qu’il se passe sur scène, on a du mal à accrocher à tous les effets qui s’y trouvent, et on s’ennuie cruellement.

Et des effets, il y en a. En fait, le problème essentiel de ce spectacle réside dans ce qui justement créait l’enthousiasme : la magie. La véritable magie telle qu’on nous l’avait vendue se fait finalement assez rare dans le spectacle : quelques tours assez connus d’apparition et de disparition d’une balle en mousse sauront probablement en ravir certains ; ils m’ont laissée pour ma part assez froide. Non, les metteurs en scène ont plutôt misé sur de nombreux effets visuels pour rendre l’espèce d’enchantement intrinsèque à la pièce. Un gros échec.

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Car quoi de pire qu’un effet raté ? Dès l’ouverture du rideau, les fils qui suspendent un Christian Hecq aérien sont clairement visibles pour les spectateurs. De même, pas besoin de sortir d’une école supérieure d’optique pour deviner le support (pas tout à fait) transparent permettant de diffuser les hologrammes, par ailleurs très présents dans le spectacle. Quel dommage également de lever les yeux vers ce qui devrait simuler des feux follets et de tomber directement sur la régie qui s’active en fond de salle ! La technique et la magie sont deux choses bien différentes et ici ça ne prend pas : les sciences on quelque chose de bien trop rationnel pour coller au propos. Et même quand un effet semble réussi – je pense par exemple à une superbe scène d’ombres chinoises – quelque chose vient gâcher notre ravissement : à tout hasard, un Laurent Natrella qui commence à bouger quelques secondes avant son ombre, trahissant un effet « préenregistré » et non réalisé en direct comme on voudrait nous faire croire.

La Comédie-Française semble donc s’être perdue dans une abondance de moyens. Outre la technique, ce sont les décors qui pâtissent de cette fâcheuse richesse : très lourds et en grands nombres, ils nécessitent des changements non seulement assez longs, mais surtout multiples. Finalement, ce sont pas moins d’une dizaine de baissers de rideau qui ponctueront les scènes, et laisseront les spectateurs quelques minutes dans le noir. Pour combler cette attente, des scénettes sont parfois ajoutées (mais pas toujours, la plupart du temps il faudra quand même prendre son mal en patience). Et si elles sont parfois amusantes, comme lorsque Benjamin Lavernhe entre grimé en Éric Ruf, on se demande quand même ce qu’elles viennent faire dans ce spectacle.

Finalement, c’est une désagréable impression de fourre-tout qui monte en moi au fil de la pièce. Ce qui a trait directement au texte me semble incompréhensible, perdu dans un flot d’ajout, certes amusant pour certains, mais qui n’ont pas grand chose à faire ici. Parlerai-je de cette scène impromptue de comédie ambulante dans laquelle des hologrammes des Comédiens-Français font leur apparition ? Je tombe des nues : quel est le rapport avec la situation ?

Devant un tel spectacle, on pourrait se dire : heureusement, nous sommes à la Comédie-Française et la qualité de jeu y est phénoménale. Encore perdu. Les comédiens semblent en roue libre : Laurent Natrella, qu’on était pourtant ravis de retrouver dans un rôle à sa mesure, peine à se faire entendre depuis son fond de scène et tente le passage en force ; Christian Hecq cabotine en livrant une prestation quelque part entre Bouzin et Sosie ; Véronique Vella semble avoir été recrutée exclusivement pour ses talents de chanteuse ; Benjamin Lavernhe – outre sa remarquable composition en Éric Ruf – n’a pas su trouver ses marques dans le rôle de Valentin, frère de Marguerite ; Anna Cervinka est assez fade – mais je reconnais qu’elle n’est pas aidée par des projections qui buguent à plusieurs reprises. Seul Elliot Jenicot s’en tire avec les honneurs, incarnant une sorcière absolument succulente.

Cette saison au Français commence à être lassante… pouce-en-bas

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3 réflexions sur “Faustirer

  1. Effectivement je pense que vous êtes passé à côté.En ce qui me concerne j’ai trouvé cette pièce merveilleuse dans cette présentation très réussie. Je l’ai vue le 27. Les acteurs sont extraordinaires, notamment Christian Hecq. De belles trouvailles visuelles. Le texte est très beau dans cette traduction de Gérard De Nerval. Bien sûr il y a eu des raccourcis car la pièce est beaucoup plus longue, mais l’esprit a été parfaitement conservé.
    En ce qui me concerne je ne suis pas du tout déçu par le programme de cette saison.
    La Tempête et la Résistible ascension d’Oscar Ui sont très réussies.

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  2. Pour ma part, je ne trouve pas que l’autrice/auteure/auteur (rayez les mentions inutiles) soit passé à côté du spectacle. J’étais dans la salle au moment où le spectacle était déjà bien « rodé » (vers les dernières représentations), et c’était désastreux! Aucune trouvaille visuelle, des numéros de magie vieux comme le monde (des apparitions/disparitions de balles en mousse, un doigt qui « ramasse » une flamme…) et une overdose d’hologrammes, censés définir ce qu’ils appellent de la « magie nouvelle » (une fumisterie destinée à séduire les donneurs de subventions incultes, j’imagine)! Pour le reste, une imitation (très bien faite au demeurant) d’Eric Ruf n’ayant aucun rapport avec l’oeuvre de Goethe (il y est bien question d’un directeur de théâtre, mais le texte a été entièrement remanié!) et diverses improvisations des membres de la troupe (là encore, le texte est joyeusement égratigné) qui ont probablement dû gérer eux-mêmes la direction d’acteur (effectivement, Christian Hecq nous fait du « Bouzin »), une scénographie peu cohérente; et comme il est dit dans cette critique, la fin était incompréhensible! Dans un silence de mort, j’ai entendu un comédien souffler à son comparse: « on y va? », les lumières se sont rallumées et après quelques secondes d’hésitations, les spectateurs ont finalement applaudi (plus par politesse que par enthousiasme). Pourtant, le spectacle semblait bien parti, le public était conquis d’avance… mais il fut perdu en cours de route!
    En lisant le programme, on s’aperçoit que Valentine Losseau, la metteuse en scène, est anthropologue (qu’a-t-elle publié?)… Aucun rapport en somme avec le théâtre ou la magie, cette précision servant probablement à compenser un C.V. bien maigre (ce qui a beaucoup amusé les critiques du Masque et la plume, au passage). Quant au gourou Raphaël Navarro, il n’est ni magicien, ni metteur en scène, et certainement pas artiste… plutôt une sorte de producteur arriviste et mégalomane (j’ai mené mon enquête sur ce monsieur et c’est le deuxième spectacle que je vois de lui. On ne m’y reprendra plus). Bref, un arsenal de gadgets et de concepts creux crées par des gens prétentieux, destiné à masquer la vacuité d’une mise en scène qui ne plaira qu’aux snobes. A la sortie, en tendant l’oreille, je pu constater combien le public était déçu. Goethe a été oublié et la Comédie française, humiliée (avec La Tempête, cela commence à faire beaucoup). En discutant avec les comédiens, mes amis et moi sentions d’ailleurs combien leur gêne était palpable. Eux aussi ont dû avoir la sensation d’être floués. Effectivement, il « faustirer »! Je ne concède qu’une chose à la personne ayant réagi à ce billet, le texte de Nerval est très beau…
    Bravo à l’auteure/autrice/auteur de ce blog. C’est bien écrit, clair, et authentiquement passionné! Je vous suivrai avec fidélité.

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