Un cornard à voir

Critique du Montespan, de Jean Teulé, vu le 12 mai 2022 au Théâtre de la Huchette
Avec Salomé Villiers, Simon Larvaron et Michaël Hirsch, mis en scène par Etienne Launay

Ça fait maintenant plusieurs années que je suis Michaël Hirsch dans ses seuls en scène, et lorsque j’ai appris qu’il troquait son costume d’humoriste pour un costume d’époque, j’ai été à la fois surprise et curieuse. Je n’étais pas retournée à la Huchette depuis des années et ce Montespan semblait le spectacle rêvé pour renouer avec la salle.

« Le cocu le plus célèbre de France », j’avoue que je ne le connaissais pas. Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan, rencontre Françoise de Rochechouart au début de la pièce. C’est le coup de foudre, ils se marient et font des enfants. Mais ils ne vivent pas heureux comme dans un conte, car les dettes du Montespan s’accumulent et il part faire la guerre pour tenter d’y remédier, laissant sa femme seule au logis. Fascinée par la cour, elle finit pas y être introduite mais plus avant que ce qui était prévu, et la voilà devenu favorite du Roi Louis XIV, faisant de son mari, un cocu tristement célèbre. Mais ce dernier ne s’avoue pas vaincu et tentera tout ce qui est en son pouvoir pour récupérer celle qu’il aime.

J’avais presque oublié ce que c’est que de jouer à la Huchette. Monter une pièce est une succession de contraintes, mais créer un spectacle dans ce lieu en rajoute une supplémentaire. C’est un exercice à part entière, qui ne permet aucune espèce de triche. On est si près de la scène, si près des coulisses, que la moindre erreur se ressent jusque dans le fond de la salle. Et, au contraire, devant un spectacle maîtrisé comme celui-ci, on rentre dans le spectacle à la vitesse de la lumière et on vit l’histoire au côté des personnages. C’est un bel écrin pour un joli conte comme le Montespan.

© Fabienne Rappeneau

Etienne Launay a joué avec les règles du lieu et il a tout gagné. Sa mise en scène est très soignée, utilisant intelligemment le petit espace qui lui est offert. Le décor, très élégant, fait de dessins entremêlés permettant l’apparition de différentes images selon la lumière, joue un grand rôle dans l’évolution des atmosphères. L’adaptation de Salomé Villiers est une grande réussite, parfaitement dosée, parvenant à conserver le caractère littéraire de l’oeuvre de Teulé tout en assumant une belle théâtralité.

Adaptation très réussie également dans l’équilibre des personnages, permettant aux trois comédiens d’évoluer chacun dans de chouettes terrains de jeux. Simon Larvaron est un Montespan charismatique, envoutant le public de sa belle voix qui résonne avec beaucoup de profondeur dans cette petite salle. Son cocu est authentique, toujours digne, et la foi inébranlable qu’il porte en son amour parvient à faire espérer une issue heureuse pendant tout le spectacle. De leur côté, Salomé Villiers et Michaël Hirsch campent plusieurs personnages. Elle passe d’une Montespan délicate et enjouée à une servante aux accents de la Ginette des Visiteurs, dévoilant une jolie palette de jeu entre douceur et gaillardise. Lui est l’homme aux mille visages, portant le maquillage blanc comme il porterait un masque de théâtre. Tantôt conteur tantôt bouffon, jonglant avec ses multiples caractères avec une facilité déconcertante, il est un contrepoint comique parfaitement dosé pour relancer l’histoire lorsqu’elle risquerait de s’enliser. On saluerait bien son numéro de comédien, de transformisme, de clown, mais ce serait un peu déplacé face à celui qui jamais ne tire la couverture à lui. On se contentera donc d’un grand bravo.

Notre chance de cocu, dans l’histoire, c’est que le spectacle sera à retrouver à la Condition des Soies lors du Festival OFF d’Avignon cet été ! Ne le manquez pas ! ♥ ♥ ♥

© Laurencine Lot

#OFF21 – L’homme qui dormait sous mon lit

Critique de L’homme qui dormait sous mon lit, de Pierre Notte, vu le 15 juillet au Théâtre des Halles (21h30)
Avec Muriel Gaudin, Silvie Laguna et Clyde Yeguete, dans une mise en scène de Pierre Notte

L’homme qui dormait sous mon lit, c’est assez simple : j’écoutais la présentation de saison du Théâtre du Rond-Point, j’ai entendu le pitch, j’ai trouvé ça génial et j’ai tout de suite voulu y aller. J’ai vu que c’était programmé à Avignon avant d’être au Rond-Point, j’ai trouvé ça encore plus génial de ne pas avoir à attendre et j’ai tout de suite réservé. Pierre Notte est un habitué du Théâtre des Halles, je suis une habituée de Pierre Notte et j’avais vraiment hâte de découvrir ce qu’il nous proposait cette fois-là.

Le pitch est simple et je le connais par coeur pour l’avoir relu, revu, expliqué ou rappelé à de nombreuses personnes autour de moi. On se retrouve dans une dystopie où l’accueil d’un réfugié chez soi peut permettre de toucher des allocations. Mieux encore (enfin, tout est une question de point de vue) : si vous poussez le-dit réfugié jusqu’au suicide, vous touchez une prime. Pierre Notte transforme en situation dramatique nos contradictions politiques autour de la question des réfugiés.

J’ai vraiment trouvé ce pitch génial, atrocement cynique, diablement original. Mais je reconnais aussi que devant mon enthousiasme j’ai eu peur que Pierre Notte ne transforme pas l’essai. Et malheureusement ma peur était fondée. C’est simple : de l’histoire de base, il ne reste plus grand chose. C’est à peine si on comprend de quoi il s’agit avant qu’un personnage de médiatrice – dont l’utilité est par ailleurs bien discutable – ne nous rappelle les règles stipulées par la loi quant à cet accueil de réfugié, avec les petites notes au contrat et tout et tout.

En fait, j’ai commencé par ne rien comprendre à ce qui se déroulait sur scène. Le dialogue et la stylisation des personnages me passaient complètement au-dessus. J’ai fini par saisir quelques passages lorsque j’ai compris que la conversation n’était pas à prendre au sens littéral mais peut-être davantage au sens symbolique. Mais globalement, je dois reconnaître que j’ai trouvé le spectacle assez incompréhensible. C’est une accumulation des défauts de Pierre Notte : une loghorrée, un texte qui revient en permanence sur ses traces et qui se commente lui-même, des tics d’écriture, une fin niaise… C’est terrible car c’est un texte qui parle de la langue et donc qui, fatalement, attire l’attention sur la manière dont il est lui-même écrit !

Il faut s’imaginer la chose : les deux personnages principaux, l’hôte et le réfugié, se déplaçant sur scène tels des astronautes – on m’expliquera après que leurs stylisations sont en fait opposées, elle ressemblant davantage à une danseuse pour représenter sa propriété, lui mimant sans cesse la gêne d’être la pièce rapportée – échangeant des propos très conceptuels, répétitifs, qui manquent de matière. Il n’y a pas d’histoire, il y a juste cette situation qui reste longtemps énigmatique ; il n’y a pas de personnages à proprement parler, il n’y a que des concepts. Et quand la médiatrice arrive – c’est le pendant comique de la pièce – on comprend surtout que le rôle est là pour renouveler « l’action », si je puis dire. Mention spéciale à Silvie Laguna d’ailleurs qui fait tout ce qu’elle peut pour donner un peu de rythme à ce spectacle qui s’enlise dans son propos.

Un spectacle qui m’a laissée totalement de marbre.

#OFF21 – Sosies

Critique de Sosies, de Rémi de Vos, vu le 15 juillet au Théâtre des Halles (19h30)
Avec John Arnold, Victoire Goupil, Xavier Guelfi, Christine Pignet, David Sighicelli, dans une mise en scène de Alain Timar

Sosies, c’est un peu du hasard. Au départ, quand j’ai entendu le titre de la pièce, je croyais que c’était autour du personnage de serviteur dans l’Amphitryon de Molière et allez savoir pourquoi je trouvais ça rigolo de creuser un peu autour de lui. Après, je me suis rendue compte que le titre était au pluriel, j’ai lu le résumé, j’ai compris que c’était pas du tout ce que je pensais mais je trouvais toujours ça rigolo donc c’était plutôt bon signe. Mieux : je trouvais ça chouette de dénicher, dans le programme du OFF, au théâtre des Halles qui plus est – qui n’est pas vraiment réputé pour ses comédies -, un spectacle qui me semblait à la fois drôle et de qualité. Bref, j’ai signé.

Dans Sosies, il est question de… sosies. On débarque dans la vie de John et Guinz, respectivement sosies de Johnny Hallyday et Serge Gainsbourg. Le premier a plus de succès que l’autre qui commence à se poser des questions de reconversion : changer de sosie, se réinventer, ou carrément essayer de lui piquer la vedette et devenir lui aussi un sosie de Johnny – après tout, c’est ce qui semble fonctionner… Il y a aussi Kate, une jeune fille un peu paumée à qui John conseille de devenir le sosie de France Gall, et Jean Jean, le fils de Guinz, qui la rencontre grâce à une agence matrimoniale et cherche immédiatement à l’épouser pour se libérer de la pression familiale…

Ça commence super bien. Le texte de De Vos est percutant dès la première scène et nous entraîne dans un rire quasi-immédiat. On est au milieu de la famille composée de Guinz, Biche, et Jean Jean, les répliques s’enchaînent comme des bons coups au tennis, renvoyant la balle toujours là où on ne s’y attend pas. C’est rythmé, c’est maîtrisé, c’est explosif, et jamais en force. Je suis vraiment prête à me poiler toute la soirée.

Les choses se compliquent un peu pour la deuxième scène. Cette fois-ci, on est en plein dans notre sujet de sosies. On fait un peu connaissance avec les personnages, mais le rire retombe pour ne revenir qu’à de rares moments dans la pièce, principalement lorsqu’on retrouve la famille de Jean Jean. En fait, les deux histoires, celle de la famille et celle des sosies, sont très différentes dans ce qu’elles racontent et dans le ton qui est employé. Et si j’ai l’impression de plutôt saisir l’humour de la première, je ne comprends pas bien l’intérêt de la seconde.

Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Au milieu de mes découvertes du OFF, Sosies est une proposition de qualité. Les comédiens sont tous excellents et nous accompagnent du mieux qu’ils peuvent à travers le texte de Rémi de Vos. Mais, si je les ai suivis, je n’ai pas toujours compris où on allait. Il manque un petit quelque chose au texte pour le faire réellement décoller. La question de l’identité, qui est apparemment celle que l’auteur a voulu soulever, n’est pas toujours perceptible à l’écoute. Mais c’est la première fois que le texte est joué devant un public, et on peut espérer qu’il sera retravaillé afin d’aligner l’ensemble du spectacle au brio de la scène d’ouverture.

Le travail, la rigueur et la qualité sont au rendez-vous, le reste devrait suivre.

#OFF21 – Les Fourberies de Scapin

Critique des Fourberies de Scapin, de Molière, vues le 15 juillet au Théâtre de la Condition des Soies (15h25)
Avec Deniz Türkmen, Benoit Gruel, Manuel Le Velly, Schemci Lauth, Emmanuel Besnault, dans une mise en scène de Emmanuel Besnault

C’est rigolo comme les choses se font. Cela fait des années que je suis de loin le travail d’Emmanuel Besnault, d’abord avec son Petit Poucet puis ses Fourberies, des années que je pense que c’est un théâtre pour moi et pourtant je n’avais encore jamais réussi à le voir. Et puis là, je découvre son Ivanov au Mois Molière, comme prévu c’est du théâtre comme je l’aime, et du coup le rendez-vous est pris pour Avignon avec ses deux mises en scène : Les Fourberies de Scapin et Dépôt de bilan. Et si, comme je le pense, elles me plaisent, je compte bien ne plus rien laisser passer !

La première chose que je me demande, quand le spectacle commence, c’est comment ils vont faire. Dans mon souvenir, si on peut couper des personnages très secondaires dans Scapin, il faut au moins garder deux fils, deux pères, deux femmes, un valet, et Scapin, c’est-à-dire huit rôles. Et ils sont cinq comédiens. Je m’étonne un peu, je me dis qu’il a peut-être réussi à ne conserver que la moitié des rôles, mais non c’est impossible enfin, bon, je vais bien voir, un peu de patience. Il faut que je fasse davantage confiance à Emmanuel Besnault, car je commence à comprendre qu’il sait y faire.

Il sait y faire, ça veut dire qu’avant même le début du spectacle, il a déjà surchauffé la salle et l’ambiance est plus que chaleureuse, c’est limite si on est pas déjà conquis. Il sait y faire, c’est qu’avec son théâtre de tréteaux hyper ingénieux il crée beaucoup avec très peu. Il transforme les changements de décor ou de costumes en moments ultra-dynamiques à tel point qu’on en voudrait encore, il sait jouer avec son public et pour son public sans jamais oublier que le texte est à la base du spectacle. On entend Molière, on le voit, et on joue vraiment avec.

Ses Fourberies ont quelque chose de cartoonesque avec des inventions scéniques qui se multiplient toujours dans le but de faire rire et d’accentuer le comique de Molière. Il emprunte à la commedia dell’arte une gestuelle très codifiée et des quasi jeux de masques simplement avec les visages. J’ai déjà un certain nombre de Scapin à mon actif mais ça ne m’a pas empêchée de rire à ces blagues que je connais par coeur, comme quand Géronte remet les cinq cents écus dans sa poche au lieu de les donner à Scapin. Et je salue bien bas l’inventivité et le point de vue adopté pour la scène des coups de bâtons, surprenante et géniale. Tout est fait avec authenticité et intelligence, réglé au millimètre, et on se régale franchement.

Mais attention à ne pas trop savoir y faire non plus. Très rapidement, lorsque Silvestre se déguise en spadassin, je me suis dit qu’on était au bord du « trop ». Même si on prend un immense plaisir à découvrir les trouvailles de mise en scène qu’il propose, il arrive un moment de la pièce où on est peut-être trop dans l’enchaînement des idées qui nous perdent un peu. C’est une pensée très rapide qui m’a frôlée, mais ce serait dommage de gâcher un si beau travail par un trop-plein d’idées. D’autant qu’Emmanuel Besnault peut faire confiance à ses excellents comédiens, découverts dans Ivanov, et qui m’ont une nouvelle fois totalement convaincue. Il propose lui-même un Scapin rieur mais calme, maître de la situation et chef d’orchestre au milieu d’une troupe qui se donne corps et âme pour notre plus grand bonheur.

C’est une perfection dans son genre, et une troupe qu’on ne lâchera plus.  ♥ ♥

#OFF21 – A ces idiots qui osent rêver

Critique de A ces idiots qui osent rêver, de Celine Devalan, vu le 14 juillet au Théâtre de la Luna (21h30)

Avec Céline Devalan et Marc Pistolesi, dans une mise en scène de Celine Devalan et René Remblier

C’est souvent comme ça dans le OFF : avant même d’éplucher le programme, je cherche le nom des comédiens qui reviennent régulièrement à Avignon et que je suis depuis plusieurs années. Un petit CTRL+F sur le programme numérique suivi du nom de Marc Pistolesi, il ne m’en faut pas plus pour réserver ma place pour A ces idiots qui osent rêver. L’affiche est kitsch à souhait mais j’aime le kitsch, j’aime les comédies romantiques qui finissent bien, j’aime rêver sur des histoires à l’eau de rose, et j’aime Marc Pistolesi : tous les ingrédients sont réunis pour que je passe une bonne soirée.

Je spoile tout de suite : je n’ai pas passé une bonne soirée. Le kitsch de l’affiche s’est invité sur la scène, mais peut-être de manière trop prononcée, trop premier degré, pour moi. Je n’ai pas passé une bonne soirée mais ce à quoi je ne m’attendais pas du tout c’est que ma mère, ma complice de toujours, celle qui m’a amenée au spectacle vivant, qui partage la majeure partie de mes soirées théâtrales, et avec qui je suis d’accord 99% du temps, elle, a passé un très bon moment devant A ces idiots qui osent rêver. Contrairement à ce qu’on peut penser de moi, je ne prends pas particulièrement de plaisir à détruire un spectacle. Je laisse donc la parole à celle qui le défendra mieux que moi et vous donnera envie, peut-être, de le découvrir.

OUI, j’ai envie de sauver ce spectacle, qui m’a fait passer une bonne soirée. J’en vois les défauts: l’histoire repose sur une série de poncifs sur les caractères de chaque sexe, sans aucun second degré, ambiance « magazine féminin ». Cela commence par la rencontre de deux êtres, en panne dans leur vie sentimentale, l’une parce qu’elle croit à la grande passion fulgurante, et préfère brûler plutôt que durer, l’autre parce qu’il refuse de s’engager (le personnage masculin étant moins bien dessiné par l’autrice). Bien entendu, ils se séduisent, sans pour autant faire de concessions, toujours à mi-chemin entre amitié amoureuse et amour, entre « bon » et « mauvais » choix. La narration, qui se veut déconstruite, n’est pas très claire, mais chaque morceau est plutôt bien écrit, offrant une partition assez variée à chaque interprète, jusqu’à une scène de claquettes. En arrière-plan, il y a des références au film Lalaland, qui m’ont échappé car je ne le connais pas. Faut-il, comme l’affirme Mordue, être prépubère ou débile pour aimer ce spectacle? Le mieux est de le prendre avec légèreté, sans trop en attendre, un moment de charme léger dans un Off qui regorge par ailleurs de thèmes anxiogènes. Je retiens la grande sincérité des interprètes, leur professionnalisme, leur présence. Marc Pistolesi est impeccable de précision, et Céline Devalan, autrice et metteuse en scène, qui a peut-être mis d’elle-même dans ce personnage de comédienne en panne de rôles, ne manque pas de charme.

Ce spectacle mérite plus de spectateurs qu’il n’en avait ce soir-là !

#OFF21 – Cyrano(s)

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Critique de Cyrano(s) d’après Edmond Rostand, vu le 14 juillet 2021 au Théâtre du Roi René (16h25)

Avec Roland Bruit, Axel Drhey, Yannick Laubin, Pauline Paolini, Bertrand Saunier, et Paola Secret dans une mise en scène des Moutons Noirs

J’ai découvert l’existence des Moutons Noirs lors du Mois Molière, le Festival Versaillais qui précède Avignon, et j’avais alors hésité à découvrir leur Titanic qui y était programmé. C’est finalement en essayant de retrouver Emmanuelle de l’Etoffe des Songes sur notre seul jour de festival commun que je me suis décidée à découvrir ce spectacle qu’elle avait sélectionné dans son programme. Cyrano et moi, c’est une grande histoire d’amour, mais pour ce qui est de Cyrano(s), je ne savais pas encore.

Les comédiens voulaient tous jouer Cyrano parce qu’on a tous un Cyrano en nous : on a tous, quelque part, un complexe qui nous empêche d’avancer. Ils nous expliquent que, si Cyrano avait pu faire une chirurgie du nez, il n’aurait probablement pas été le personnage qu’on connaît aujourd’hui. Le point de vue est intéressant, plutôt nouveau, et j’ai hâte de voir ce qu’ils ont pu faire à partir du texte de Rostand.

Peut-être que je n’ai rien compris au pitch qu’on m’en a fait, ou peut-être sont-ils passés à côté de leurs ambitions. Le fait est que, du travail autour du complexe et du « on est tous Cyrano » qu’on m’avait vendu, il ne reste pas grand chose : un échange de nez au milieu des scènes et un petit interlude parlé à chaque changement d’acte où chaque comédien se présente rapidement en nous racontant son histoire et son complexe. Et encore, seul l’un d’entre eux joue vraiment le jeu en nous dévoilant réellement quelque chose de lui, c’est Roland Bruit, quand les autres divaguent vainement sans se révéler.

Le reste, c’est bien le texte de notre cher Edmond Rostand. Le problème, c’est plutôt ce qu’ils en font. S’ils ont travaillé sur quelque chose autour du complexe, il se peut que le travail de fond sur le texte ait été oublié. En tout cas, à les écouter, c’est ce qu’on ressent. Le texte est dit à toute allure, les vers sont massacrés, l’alexandrin parfois oublié, la plus célèbre des tirades du répertoire français se retrouve inversée (« c’est un roc c’est un cap c’est un pic », j’avoue que ça fait bizarre), les tirades sont souvent hurlées, des gags un peu lourds sont rajoutés… Cerise sur le gâteau : le spectacle, annoncé pour durer 1h35, en dure finalement deux. Une erreur pas très cool en période de festival.

Il est là le vrai complexe : ce rendu bruyant et brouillon face au chef-d’oeuvre de Rostand. Ça pique.

Cyrano(s)

#OFF21 – La métamorphose des cigognes

Critique de La Métamorphose des cigognes, de Marc Arnaud, vu le 14 juillet 2021 au Théâtre du Train Bleu (13h50)

Avec Marc Arnaud, mis en scène par Benjamin Guillard

Je sais parfaitement pourquoi je suis allée voir La Métamorphose des cigognes. Il y a d’abord ce titre, un peu poétique, un peu intriguant, qui sonne vraiment bien et que, allez savoir pourquoi, je range immédiatement dans la case « titre de spectacle prometteur du Off ». C’est du flair ou de la connerie, je ne sais pas encore, mais ça marche. Il y a ensuite Benjamin Guillard, qui avait réussi un très joli coup avec son Jo inattendu il y a presque deux ans maintenant, et dont j’avais envie de retrouver le travail. Il y a enfin le tampon « Train Bleu » rassurant qui termine de me convaincre. Je sais donc parfaitement pourquoi je suis là, mais je n’ai strictement aucune idée de ce que ça peut donner.

On se retrouve dans la conscience de Marc Arnaud – comédien et personnage, donc – alors que celui-ci doit procéder à un don de sperme nécessaire à une fécondation in-vitro. Il est seul, dans une salle blanche avec un gobelet en son centre, on lui explique comment il doit procéder, par quelle étapes il doit passer, et on le laisse faire sa petite affaire. Seulement, on s’en doute, ça ne se fait pas « comme ça » et, seul face à ce gobelet blanc, il laisse ses pensées divaguer : sa première fois, son premier porno, son rendez-vous avec le médecin pour lui annoncer ses problèmes spermatiques, la salle d’attente… On le suit dans ce cheminement qui doit l’amener, finalement, à réaliser ce don.

Alors je tiens à rassurer tout de suite : ce n’est pas un spectacle dissertatif (et chiant) sur la FIV. Le sujet peut dérouter, mais clairement on est plutôt dans le seul en scène ultra dynamique, du genre qui vous prend et qui ne vous lâche pas. Dès les premières minutes, j’ai su que j’allais être emportée. Il faut dire que Marc Arnaud – est-ce parce qu’il raconte sa propre histoire ou simplement son talent de comédien – est parfait pour l’exercice. Je ne saurais expliquer, il y a des acteurs qui maîtrisent le seul en scène, et ça se sent immédiatement. Sur le plateau, un comédien mais dix personnages, tous différents, tous maîtrisés. On se plaît à les découvrir, les aimer ou les détester, les retrouver quand l’histoire avance, les juger ou les comparer. Et on s’attache à notre personnage, pauvre Marc dérouté face à son gobelet blanc.

J’adore me retrouver dans des consciences. Quand c’est bien fait, c’est toujours très plaisant. Là, on est en plein dans cette espèce de bordel créatif que peut former le cheminement de la pensée, d’autant plus drôle que notre sujet de base est propice aux digressions. Marc Arnaud maîtrise à la perfection son sujet et son personnage, il est absolument captivant, aidé dans l’exercice par la mise en scène rythmée et très visuelle de Benjamin Guillard qui contribue à créer des ambiances complètement différentes au fil des digressions.

Mais il a aussi le talent de l’écriture : pas évident de ne pas en perdre certains au passage alors qu’il passe sans cesse du coq à l’âne. Son texte est extrêmement bien ficelé : il nous prend d’abord un peu par les sentiments en se présentant, en présentant sa situation, en nous expliquant qui il est et en nous impliquant émotionnellement dans son histoire et, au fur et à mesure que sa pensée avance, il tente des digressions de plus en plus longues et « difficiles », dans ce sens où elles ne touchent pas forcément la même chose chez tous les spectateurs, mais il nous a « attrapés » depuis bien longtemps et on est tellement captivés qu’il ne nous perd pas en chemin.

Je ne pouvais rêver mieux comme lancement de festival. De l’énergie, du rythme, de l’émotion et du talent, voilà le chouette cocktail concocté par Marc Arnaud.  ♥ ♥

© Alejandro Guerrero

Des lawriers pour Bouvron

Critique de Lawrence d’Arabie, de Eric Bouvron, vu le 11 juin 2021 au Mois Molière
Avec Kévin Garnichat, Alexandre Blasy, Matias Chebel, Stefan Godin, Slimane Kacioui, Yoann Parize, Julien Saasa, Ludovic Thievon, dans une mise en scène de Eric Bouvron

Pour ce spectacle, j’avoue que j’ai un peu suivi le mouvement. Je connaissais vaguement le travail d’Eric Bouvron pour avoir vu Les Cavaliers il y a quelques années et suivi ses nouvelles créations de loin, notamment Marco Polo et Zorba qui me semblaient dans la même veine que le spectacle de Kessel auquel j’avais assisté. J’avais plutôt un bon souvenir des Cavaliers et je me suis demandé, 7 ans après, comment avait pu évoluer son travail et mon regard dessus. Verdict : c’est toujours un plaisir.

Lawrence d’Arabie, c’est l’histoire de Thomas Edward Lawrence, archéologue de formation, qui est envoyé par l’armée britannique en mission de reconnaissance dans la péninsule du Sinaï, et qui sera l’un des protagonistes de la révolte arabe menant à la fin de l’Empire Ottoman, et l’espoir de la création d’une nation Arabe unie et indépendante.

Je ne connaissais pas du tout l’histoire de Lawrence d’Arabie. Je sais, c’est un peu la honte et je devrais voir le film de David Lean, mais je suis finalement heureuse d’être arrivée vierge de toute connaissance devant ce spectacle. Comparées aux presque quatre heures que dure le film, je ressors de ces deux heures de spectacle avec un bel aperçu de ce qu’a pu être la vie de cet homme, que je ne demande qu’à approfondir en visionnant la version longue à l’écran – je serais peut-être restée un peu sur ma faim dans le cas contraire.

J’ai retrouvé l’univers de Eric Bouvron avec bonheur : cette ambiance arabisante faite de bric et de broc qu’il parvient à créer sur scène, c’est vraiment sa patte. Là où, dans Les Cavaliers, il était accompagné d’un beat boxeur, c’est ici une cantatrice, Cécilia Meltzer, qui compose, avec deux musiciens, l’atmosphère auditive du spectacle. Cet accompagnement musical est essentiel et participe pleinement à nous transporter dans cet autre pays, au milieu de tous ces personnages – d’ailleurs, je n’aurais pas dit non à davantage de moments musicaux, que j’ai trouvés très réussis.

Ce qui est chouette, c’est que par son style très imagé, Bouvron ancre vraiment l’histoire dans nos cerveaux. Son théâtre est assez spécifique, et si on peut y voir d’abord des ressemblance avec Michalik par exemple, ils se distinguent lorsqu’on creuse un peu. Il a comme lui des facilités sur la création d’ambiance mais il se positionne moins sur la théatralité et les situations que sur les tableaux qui composent une scène. Son Lawrence, en tout cas, se base davantage sur des successions d’images que sur la fluidité de l’action, ce qui peut surprendre mais qui fonctionne très bien en vérité, car les images qu’il crée sont marquantes ; je pense notamment à celle, superbe, de ces guerriers qui avancent vers l’ultime bataille.

En tant que directeur d’acteurs aussi, c’est un sans faute. C’est d’abord très particulier de voir tous ces hommes sur le plateau – accompagnés par une seule femme, Cécilia Meltzer – incarner tous les rôles, féminins comme masculins. Ça irrite un peu, on se dit que bon, il aurait peut-être pu faire jouer des comédiennes surtout pour faire jouer indifféremment des rôles des deux genres. Mais étant donné qu’on ne lui connaît pas de misogynie particulière (au contraire, il ne fait jouer que des femmes dans son spectacle Maya) ce devait être un vrai parti pris de mise en scène : cela reste une histoire d’hommes, et cela fait davantage sens dans les scènes de groupe. Passée cette surprise, donc, j’ai eu grand plaisir à découvrir tous ces comédiens jonglant entre leurs rôles avec brio. Mention spéciale à Kevin Garnichat, qui porte haut les couleurs de ce Lawrence, et incarne à merveille la probité de cet officier, investi corps et âme dans son objectif, torturé jusqu’au bout des ongles par sa trahison.

Un voyage haut en couleurs à travers l’histoire ! ♥ ♥ ♥