Allô moman bobo

Critique de Moman pourquoi les méchants sont méchants, de Jean-Claude Grumberg, vu le 22 mai 2024 à la Scala Paris
Avec Clotilde Mollet et Hervé Pierre, mis en scène par Noémie Pierre, Clotilde Mollet et Hervé Pierre

C’est déjà le troisième spectacle dans lequel joue Hervé Pierre depuis son départ de la Comédie-Française, et le deuxième en compagnie de Clotilde Mollet. Le voir dans de tels spectacles nous ferait presque regretter qu’il ne soit pas parti plus tôt. Je ne sais pas trop s’il se fait plaisir, si c’est viable, si ce sont les seuls projets qu’on lui propose depuis sa sortie du Français ou s’il profite de sa notoriété pour tenter des choses. Quelle que soit sa raison, le résultat est le même pour moi : j’en profite au maximum.

On va éviter d’en dire trop sur l’histoire pour ne pas divulgâcher. Et pour ne pas gâcher tout court, d’ailleurs. Le titre se suffit à lui-même. Il y a une mère et son fils, il y a des interrogations d’enfant et des réponses de parent. Il y a une part de délire et une part de réalité. Une part de rêve et une part de raison. Un peu la tête en l’air, un peu les pieds sur terre. Et puis il y a la vie.

Je vais à ce spectacle dans une étrange schizophrénie. Mes précédentes rencontres avec Jean-Claude Grumberg ne sont pas de bons souvenirs de théâtre. Mais je sais ce duo capable de merveilles. Alors j’attends, quelque part entre la résignation et l’impatience.

Il y a deux choses qui coexistent dans ce spectacle. Il y a d’abord l’enfance. Partout. Dans ces personnages, d’abord, qui font exister sur scène des sensations si propres à cet âge de tous les possibles : l’insouciance, évidemment, une certaine naïveté aussi, mais surtout cette impression prégnante que rien d’autre n’existe que l’instant présent. C’est peut-être le point commun ultime entre l’enfance et le théâtre. Alors les deux mêlés ensemble, c’est le combo absolu. J’ai toujours eu un besoin de nécessité au théâtre ; là, elle habite tout le plateau. Il y a un besoin vital d’obtenir une réponse à chacune des questions posées. Tout est concentré sur le moment, sur le sujet de la question, ce qui passe par la tête de l’enfant. Et tout a la même importance. C’est quelque chose que l’on a tendance à perdre un peu, avec l’âge et cette tendance à hiérarchiser et à prioriser qui efface petit à petit la spontanéité qui nous habitait jusqu’alors, et c’est beau de pouvoir la toucher à nouveau du bout du doigt.

Cette enfance existe jusque dans leur jeu. Ce sont deux clowns. Deux grands enfants. Deux complices qui jouent ensemble. Qui jouent tout ce qu’ils ont à jouer, sans jamais rien appuyer, en s’amusant juste avec cette matière qui leur est donnée. Et avec leur talent. Il faut dire qu’ils se sont bien trouvés. Et qu’ils se renvoient des balles toujours plus incroyables. Tous les deux ont des voix de théâtre fascinantes, des voix à accent, des voix qui donnent envie de jouer avec. Avec un texte pareil, le terrain de jeu paraît infini. Pour le public, en tout cas, c’est une sacrée gourmandise. Une friandise de plus qui a le goût de l’enfance.

Mais le goût ultime de la jeunesse, cette sensation que tout est possible, vient souvent avec la conviction absolue que rien ne peut nous arriver. Perdre cette insouciance, c’est déjà devenir adulte. J’aime le théâtre parce que c’est un lieu où je me sens bien. Où je me sens à ma place, et en sécurité. Mais il y a quelque chose de plus, ici, et c’est peut-être d’autant plus fort que ça a lieu dans un endroit où mon état de base est déjà comblé. Ils arrivent à reproduire sur scène ce sentiment unique que seul le cocon familial peut faire naître. Le sentiment de protection absolue face au monde. Car moman est là, et elle est une barrière face à l’extérieur. C’est tendre. C’est drôle.

Mais c’est aussi cruel. Car si moman est une barrière face à l’extérieur, c’est que l’extérieur est sombre, effrayant, sournois. La prouesse de ce spectacle, c’est sans doute d’arriver à faire coexister les deux mondes. L’insouciance, et l’angoisse. On sent la précarité. On sent la guerre. On sent la menace, partout, tout le temps. On sent le mal qui rode et qui cherche à se faire une place dans cette maison. On sent l’ombre qui tente de nous recouvrir. Mais jusqu’au bout, même quand la lumière est au bord de se tarir, c’est sa chaleur qui prendra le dessus. Et c’est très fort.

Moman pourquoi les méchants sont méchants – La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris
A partir de 21 €
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