Le duo Frot-Fau accouche d’un bel enfant

Critique de Lorsque l’enfant paraît, d’André Roussin, vu le 30 septembre 2022 au Théâtre de la Michodière
Avec Catherine Frot, Michel Fau, Agathe Bonitzer, Quentin Dolmaire, Hélène Babu, Sandra Codreanu et Maxime Lombard, mis en scène par Michel Fau

Il y a quelques années, j’adorais le travail de Michel Fau. Chacun de ses spectacles était un choc esthétique et émotionnel dont je ressortais complètement saisie. Un amour qui ne finit pas, d’André Roussin, fut de ceux-là. J’ai été beaucoup déçue depuis par les mises en scène de Michel Fau, mais j’ai envie de croire qu’avec Lorsque l’enfant paraît, le miracle André Roussin renaîtra.

Il s’en passe des choses chez les Jacquet ! Olympe Jacquet vient d’apprendre qu’elle est enceinte. Dit comme ça, ce ne serait pas dramatique, à ceci près qu’Olympe Jacquet a dépassé l’âge où on attend généralement un heureux événement… et que son époux n’est autre que le sénateur Charles Jacquet, fervent opposant à la légalisation de l’avortement. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, les époux Jacquet vont apprendre dans la foulée que leur fils attend un enfant avec la propre secrétaire de Charles – alors qu’ils ne sont évidemment pas mariés. Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises…

Que c’est bon de retrouver le Fau d’avant ! Le Fau anticonformiste, le Fau baroque, intelligent, et fin. Le Fau qui se déguste d’un bout à l’autre du spectacle, parce que Fau est un tout. Fau ne convient pas à tous les styles, Fau a besoin d’un texte, Fau a besoin d’une atmosphère pour pouvoir se déployer et ici Fau l’a. Fau retrouve André Roussin qui lui va si bien. Fau met en scène un texte original et culotté, et c’est comme ça que j’aime Fau.

© Marcel Hartmann

C’est bon de retrouver Fau, mais… Car il y a un mais, un petit mais, mais autant en parler tout de suite. J’ai quand même quelques réserves sur le spectacle, qui viennent principalement du texte. C’est un texte qui a des faiblesses de construction, avec deux beaux personnages qui effacent tous les autres, devenant essentiellement des faire-valoir de l’histoire, c’est un texte un peu lourd, avec une mise en place de l’histoire trop longue pour le temps réellement apprécié du spectacle en terme de répliques cinglantes et autres belle punchlines. Pour être vraiment éclatant, peut-être aurait-il fallu couper – mais comment couper quand tout est préparation de la scène suivante ?

D’autant que c’est une pièce vraiment intéressante historiquement parlant, qui aborde des sujets rares au théâtre, et complètement tabous à l’époque d’André Roussin. Certes, elle a pris quelques rides, certes, son audace s’est un peu émoussée, et pourtant, elle fonctionne. La satire de la bourgeoisie est là et elle fait toujours rire la salle. On en accepte alors peut-être plus facilement les quelques longueurs.

Et on peut se laisser aller à savourer le spectacle. Ces somptueux décors flashys dans lesquels les costumes se fondent à merveille. Ce rythme légèrement traînant avec lequel Michel Fau balance ses meilleures répliques. Cette bourgeoisie délicieusement incarnée par Catherine Frot qui se bat avec ses contradictions en mêlant avec beaucoup de doigté émotion et ridicule. Elle est assurément la reine de ce spectacle. On a d’ailleurs parfois l’impression que tout est fait pour la mettre en valeur, telle une Sarah Bernhardt des temps modernes. Même Fau semble s’effacer pour lui laisser davantage de lumière. Ce n’était pas la peine, elle la prend à merveille. Chacune de ses répliques est une leçon de théâtre. A déguster sans modération.

Et lorsque Frot paraît j’applaudis à grands cris… ♥ ♥

© Marcel Hartmann

N’y allez pas Mesdames

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Critique de N’écoutez pas, mesdames, de Sacha Guitry, vu le 2 octobre 2019 au Théâtre de la Michodière
Avec Michel Sardou, Nicole Croisille, Lisa Martino, Carole Richert, Patrick Raynal, Eric Laugerias, Laurent Spielvogel, Michel Dussarrat, Dorothée Deblaton, dans une mise en scène de Nicolas Briançon

Je me souviens de la réaction des twittos lorsque l’affiche de N’écoutez pas mesdames est parue : plutôt indignée. Evidemment, Michel Sardou au théâtre, ça va faire parler, mais c’était surtout de le voir seul sur l’affiche, dans cette position plutôt risible, son nom en énorme surplombant le reste de la distribution, qui en a dégoûté plus d’un. Certes, je ne trouvais pas non plus l’affiche très réussie, mais c’est la loi du marketing de mettre en valeur ses noms pour attirer le public. Et après tout, c’est aussi sur un nom que je me suis décidée à aller voir le spectacle : celui de Nicolas Briançon, metteur en scène dont je ne rate (presque) aucun spectacle, et qui m’a habituée au meilleur. On lui pardonnera bien un raté.

La pièce s’ouvre sur Daniel, seul, face au public et d’ailleurs conscient de l’être, qui explique avec la géniale plume de Guitry les différents torts des femmes à ses yeux. Puis on comprend mieux sa diatribe lorsque l’histoire commence sur le plateau : sa femme a découché pour la deuxième fois en quelques semaines, et lui sert la même excuse qu’il réfute cette fois-ci. Persuadé qu’elle le trompe, il décide donc de divorcer. Apprenant cela, son ancienne épouse revient en grande pompe chez lui pour le reconquérir, créant évidemment des situations rocambolesques.

Faisons un rêve, du même auteur, est l’une des mes pièces préférées. Briançon l’avait d’ailleurs montée avec brio il y a quelques saisons, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu lui faire confiance sur ce coup-là. Si on entend les accents incisifs de Guitry, j’ai trouvé la pièce moins bien construite que ce que je connaissais de l’auteur : elle fait moins « tout ». Les scènes semblent moins corrélées les unes aux autres, ou peut-être est-ce simplement l’histoire qui prend moins. A quelques jours du spectacle, j’aurais déjà du mal à résumer la pièce en plaçant les différentes péripéties dans le bon ordre.

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Mais la pièce aurait pu davantage me plaire avec un autre comédien dans le rôle de Daniel. Il faut bien le reconnaître : Michel Sardou est un problème dans cette distribution. Il fait le job de comédien comme le ferait un amateur : il dit son texte mais n’y insuffle pas suffisamment de vie. Le début de la pièce, par exemple, est exquis – du Guitry comme on l’aime – mais il le joue sans saveur (et avec quelques petits problèmes de dictions probablement liés au poids des ans). Il dit, sans réciter, mais sans âme non plus – c’est trop monotone pour du Guitry ! On imagine sans difficulté Briançon lui-même dire ce texte avec cette légère ironie qu’on pouvait retrouver dans Le canard à l’orange et dans son précédent Guitry. C’était un personnage pour lui. M’enfin.

Le reste de la distribution se défend plutôt bien mais comme tout tourne autour de Daniel, je suis restée sur ma faim malgré la belle prestation de Lisa Martino qui apparaît comme un diamant, éclatante à côté du jeu terne de son partenaire. Laurent Spielvogel et Eric Laugérias, qu’on croise souvent dans les spectacles de Briançon, composent des personnages au poil, dans le genre rigide pour l’un, comique pour l’autre. J’avoue avoir été un peu déçue par la proposition de Nicole Croisille, qui semblait toujours un peu forcée ce soir-là. Par contre je n’ai pas du tout adhéré à la direction de Carole Richet, qui certes interprète une ex dont le métier de « poétesse » rappelé à plusieurs reprises semble souligner la folie du personnage, mais pour qui on aurait pu trouver d’autres manières de représenter l’extravagance que par des cris répétés : il aurait peut-être fallu trouver quelque chose dans le rythme, dans le regard, dans l’attitude pour venir compléter la puissance des décibels.

Je suis déçue car les spectacles de Briançon me font habituellement l’effet d’une bouteille de champagne : ça explose de partout, c’est joyeux et savoureux et on en sort ragaillardi. Ici, de ma bouteille de champagne, je n’ai eu que le pschit. Tout ce qui d’habitude me ravit m’a semblé ici un peu terne : par exemple, je m’avoue un peu déçue aussi par le décor. Je n’ai pas compris l’utilité de cet ascenseur qui alourdit encore le tout – j’ai d’ailleurs cru qu’il avait été là parce qu’à un moment Sardou aurait besoin de monter à l’étage, ce qui n’est pas le cas. Moi qui adore les propositions du metteur en scène d’habitude, légèrement désuètes dans le cas du Canard à l’Orange par exemple, j’ai trouvé celui-ci bien compliqué avec ses deux étages.

On attendra donc le deuxième Briançon de la saison : le rendez-vous est pris en mai au Théâtre du Rond-point. pouce-en-bas

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Le Canard déchaîné

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Critique du Canard à l’Orange, de William Douglas Home, vu le 31 janvier 2019 au Théâtre de la Michodière
Avec Anne Charrier, Nicolas Briançon, François Vincentelli, Alice Dufour, et Sophie Arthur, dans une mise en scène de Nicolas Briançon

Je le sais pourtant : je peux faire confiance à Nicolas Briançon. Mais je me souviens qu’à l’annonce de ce spectacle, j’ai ronchonné. Pourquoi ressortir ce texte finalement assez peu joué en France et que j’imaginais donc poussiéreux et daté ? Mes doutes ont redoublé devant l’affiche, volontairement ringarde. J’y suis allée un jeudi soir, fatiguée, un peu malade, surprise mais heureuse de constater que la salle était pleine un soir de semaine. Je n’ai pas vu ma soirée passer, j’ai oublié la fatigue, j’ai guéri le temps du spectacle. Une nouvelle réussite à ajouter au tableau théâtral de Monsieur Briançon.

Hugh Preston, brillant homme de télé – et homme à femmes par la même occasion – est cocu. Il fait avouer à sa femme Liz qu’elle le trompe avec John, un jeune et riche belge avec qui elle compte s’enfuir en Italie d’ici deux jours, le dimanche matin. Beau joueur, il lui propose de prendre les torts à sa charge en lui soumettant le deal suivant : d’ici au dimanche, John vivra sous leur toit et lui invitera PatiPat, sa secrétaire, pour qu’ils les prennent en flagrant délit et facilitent ainsi la procédure du divorce. Voici un week-end qui s’annonce chargé en émotion – et en rires !

Il n’aura suffi que de quelques minutes. Quelques minutes et je plonge dans le spectacle dans un grand rire, rejointe par l’ensemble des spectateurs. J’aime le travail de Nicolas Briançon car il ne considère pas le boulevard comme un genre moins noble qu’un autre. Quelques années à assister à ses spectacles m’ont permis d’ôter toute once de mépris envers des spectacles populaires faits pour provoquer le rire. Mais si, vous le connaissez, ce mépris. Ce petit rictus, cette petite gêne car ce spectacle est un pur divertissement et ne va pas chercher plus loin que le détente pure et franche du spectateur. Il est un génie du genre et c’est un plaisir de le retrouver dans ce spectacle avec sa double casquette de comédien-metteur en scène.

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Mais ce n’est jamais évident de critiquer ses spectacles. Hors de question de rater la moindre réplique en prenant des notes pendant la pièce ! Me voilà donc face à mes souvenirs. Or Le Canard à l’Orange – comme la plupart des mises en scène de Briançon, c’est sa marque de fabrique – est une bouteille de champagne. Pétillant, savoureux, acidulé, explosif, on le déguste sur place et il ne nous reste plus que l’écume au sortir. Rien de négatif à cela : on sort avec une impression de plénitude et de légèreté délicieuses. Pompette, sans gueule de bois. Juste heureux.

On saluera évidemment une mise en scène éclatante, incroyablement rythmée et laissant sa place à chacun des comédiens. Rien n’est laissé au hasard : jusqu’aux saluts tout n’est que perfection, et on en vient même à se demander si les presque fou-rires qui se ressentent sur scène et qui provoquent la jubilation voire les applaudissements du public ne sont pas eux-même travaillés. J’ai été agréablement surprise par l’adaptation et la traduction, étonnamment modernes et familières pour une pièce pourtant intrinsèquement datée, dans sa forme comme dans ses personnages. Et puis, les différents clins d’oeil de Briançon à ce théâtre qu’il défend avec brio ajoutent une touche supplémentaire, entre hommage et virtuosité.

Nous voici donc dans une ambiance Au Théâtre Ce Soir très réussie, et Briançon a su s’entourer d’une belle troupe pour porter au plus haut ce spectacle. J’étais très heureuse de retrouver François Vincentelli découvert dans Hard en début de saison, irrésistible avec son accent belge, trouvant son aspect comique dans une mécanique de jeu incroyablement précise et presque codifié. Anne Charrier, que je n’avais pas vue au théâtre depuis le merveilleux Volpone du même metteur en scène, compose une Liz absolument charmante, formant avec son époux un véritable duo dont la complicité se lit dans leurs regards. Sophie Arthur est une gouvernante aussi décalée dans sa composition que dans sa partition, qui rentre dans son rôle dès son annonce – très réussie – contre les téléphones portables. Seule Alice Dufour reste un peu en-dessous de cette excellence, dévoilant certes un corps de rêve mais, dans le même temps, une présence pas très assurée. Mais après tout, la jeune femme recrutée avant tout pour sa plastique et non pour son jeu, ne serait-ce pas aussi un des codes du boulevard ?

Il en reste un que je n’ai pas mentionné. Je mentirais si je ne disais pas que c’est Nicolas Briançon qui remporte tout. Il a choisi sciemment un mode de jeu différent de ses camarades : là où ils sont plutôt dans la caricature, lui est d’un naturel éclatant. D’ailleurs, il est dans une forme olympique ; j’ai presque envie de dire que c’est son rôle comique le plus réussi. Il est absolument succulent dans son personnage de Hugh Preston, il s’amuse comme un dingue et ça se sent. On tombe d’ailleurs rapidement sous le charme de cet homme brillant et espiègle. L’oeil vif, sournois et malicieux, ses sourires précèdent ses bons mots et de manière plus générale, sa partition lui va comme un gant. Il est dans une autre dimension que le reste de la troupe, manipulant le temps qui se déroule alors à une vitesse folle : lorsqu’il est sur scène, plus d’échappatoire au rire, et, d’un sourire entendu au simple soulèvement d’un drap sur un canapé, tout est si parfait qu’il provoque l’hilarité générale.

Un Canard à consommer sans modération. ♥ ♥ ♥

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