Mi-figue, mi-phi-génie

Critique d’Iphigénie, de Racine, vue le 24 septembre 2020 aux Ateliers Berthier
Avec, en alternance, Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Suzanne Aubert, Astrid Bayiha, Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Claude Duparfait, Ada Harb, Glenn Marausse, Thierry Paret, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal, Clémentine Vignais, Thibault Vinçon

Évidemment, à l’annonce d’une Iphigénie mise en scène par Braunschweig, je ne peux qu’être ravie. Elle me permettra de retrouver un metteur en scène que j’aime beaucoup, qui m’avait déjà plus que convaincue dans la version d’un autre Racine, Britannicus, qu’il avait monté dans la Salle Richelieu de la Comédie-Française. Une version qui m’avait d’abord rebutée avec ses décors d’administration et ses costumes-cravates, mais qui m’avait finalement convaincue. Ici, rebelotte pour le costume-cravate, mais c’est surtout une mise en scène corona-compatible que nous propose Braunschweig. Ou quand un metteur en scène déjà très porté sur le texte cherche à ne s’appuyer plus que sur le texte.

On la connaît, l’histoire d’Iphigénie, même sans avoir en tête l’oeuvre de Racine. Cette jeune femme doit être sacrifiée par son père Agamemnon (« Cet ennemi barbare, injuste, sanguinaire, Songez, quoi qu’il ait fait, songez qu’il est mon père« ) comme une offrande aux dieux afin que les vents soufflent à nouveau et permettent aux bateaux grecs d’avancer vers Troie. Évidemment, pour Agamemnon, le choix est cornélien : d’un côté, son devoir en tant que roi de Mycènes lui impose ce sacrifice, de l’autre, son amour de père l’empêche de donner lieu à l’acte fatal.

Je suis un peu embêtée devant ma page quasiment blanche. Mes sentiments divergent face à cette Iphigénie et il m’est encore plus difficile d’émettre un avis en sachant que je ne sais pas ce que j’en attendais. Je connais le travail de Braunschweig et je l’apprécie : j’aime la froideur intellectuelle et la distance qu’il insuffle à ses spectacles, j’aime le dépouillement de ses mises en scènes, j’aime ses lectures quasiment dissertatives des oeuvres. Tous ces éléments, je les ai retrouvés ici. Le texte qu’il a rédigé dans la bible est brillant. Je n’accuserai donc pas sa mise en scène, simplement son choix de texte.

Je découvrais Iphigénie et jamais je ne me serais attendue à être déçue par une tragédie racinienne. Durant la pièce, je me suis demandée comment il était possible que l’intrigue me paraisse aussi emberlificotée, dans quel monde parallèle j’étais tombée pour ne pas m’extasier à chacune des répliques, pourquoi le personne d’Iphigénie me paraissait aussi tordu. Après quelques échanges avec ma voisine de ce soir-là, j’en suis arrivée à la conclusion suivante : Iphigénie est vraiment complètement tordue. Le personnage est incompréhensible, imprévisible, indéfinissable, sorte d’Antigone avant l’heure guidée par une loi qu’elle seule peut interpréter.

© Simon Gosselin

Si j’aime la froideur de Braunschweig, il est vrai que c’est nous mettre à rude épreuve que nous la proposer sur pareille pièce. Il a choisi le dépouillement extrême : décor et scénographie réduits à leur minimum – la règle de temps est symbolisée par ce paysage de mer désespérément calme sous un ciel qui s’éclaircit puis s’assombrit, seulement deux chaises et une fontaine à eau occupent la scène, la distanciation entre les comédiens est de mise – on a vraiment l’impression que c’est la direction d’acteurs qui a constitué l’essentiel de son travail.

Et il n’y a pas à dire, sur les plus belles scènes de la pièce, son travail est brillant. Sur notre barque de spectateur, tout est entièrement calme et seuls les dialogues sont les rames qui nous permettent d’avancer. Et le matériel fourni par Braunschweig est bon, les échanges sont incisifs, incarnés, puissants. En raison des agenda des comédiens mais également par souci d’offrir des possibilités au maximum d’artistes, Braunschweig a choisi une distribution en alternance où les partenaires ne sont pas fixe manière à ne pas s’asseoir dans un confort de jeu. Si je ne peux donc parler de l’ensemble de la troupe, je souhaite quand même souligner la perfection de jeu de Virginie Colemyn, sublime Clytemnestre, capable d’exploser toute en retenue et de monter crescendo sans jamais mettre un accent inutile. Une grande tragédienne.

Malheureusement, en faisant du texte son élément principal, Braunschweig accompagne aussi bien ses envolées que ses défauts. Et malgré une lecture claire de l’oeuvre de Racine, il ne parvient à échapper aux scènes tarabiscotées, moins bien écrites voire même sans grand intérêt pour l’avancée de l’action. C’est le cas malheureusement de beaucoup des scènes dans lesquelles Achille apparaît, et malgré la grande justesse du comédien ce soir-là, je me suis retrouvée perdue à plus d’une reprise. Le bateau dans lequel Braunschweig nous embarque tangue à plusieurs reprises et ce n’est ni la mer calme, ni les vents puissants qui nous accompagnent. Plutôt un mistral imprévisible, avec rafales et acalmies.

Heureuse d’avoir découvert un nouveau texte, mais peut-être à conseiller seulement une fois qu’on connaît le reste de l’oeuvre de Racine. ♥ ♥

© Simon Gosselin

Duparfait… ou pas

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© Elizabeth Carecchio

Critique de L’École des Femmes, de Molière, vu le 16 novembre 2018 au Théâtre de l’Odéon
Avec Suzanne Aubert, Laurent Caron, Claude Duparfait, Georges Favre, Glenn Marausse, Thierry Paret, Ana Rodriguez et Assane Timbo, dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig

J’étais très emballée par l’annonce d’une École des femmes par Stéphane Braunschweig. Plutôt déçue par son Macbeth à l’Odéon l’année dernière, je pensais que la pièce lui correspondrait mieux, et le voir renouer avec Molière, 10 ans après son excellent Tartuffe, était prometteur. J’ai un peu tiqué devant les premiers teasers de la pièce présentant l’histoire dans une salle de sport avec des vélos de fitness. Mais ce n’est finalement pas cela qui m’a le plus déstabilisée.

Arnolphe a choisi Agnès dès l’âge de quatre ans après l’avoir quasiment achetée à une paysanne, l’a tenue depuis toujours à l’écart du monde tout en maintenant des vues sur elle, et souhaite à présent l’épouser. C’est un homme d’âge mûr, elle est une jeune fille. Il la croit naïve, elle ne l’est peut-être pas tant que ça. C’est en tout cas ce qu’il découvre lorsqu’il apprend, à son retour d’un voyage, que la jeune femme a fréquenté un homme, Horace, durant son absence. Elle est amoureuse, et souhaite à tout prix l’épouser, ce qui n’est pas du tout conforme au plan initial d’Arnolphe…

C’est tentant de voir L’École des femmes à l’aune de l’ère #MeToo, des violences faites aux femmes et des questionnements qui en découlent. Cela transparaît d’ailleurs plutôt bien dans la mise en scène de Braunschweig, qui utilise d’ailleurs une image visuelle de l’enfermement d’Agnès en la plaçant derrière une cage de verre. Mais L’École des femmes est aussi et surtout une comédie, et c’est ce qui manque cruellement dans ce spectacle : on ne rit pas. Certaines scènes semblent alors infiniment longues, et j’étais presque constamment sur le fil de l’ennui, tombant parfois dans une lassitude certaine.

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© Simon Gosselin

En fait, je n’ai pas adhéré à sa vision d’Arnolphe, ou plutôt je ne l’ai pas comprise. Claude Duparfait compose un Arnolphe très maniéré, comme plein de tocs, mais ni inquiétant, ni repoussant. Il est d’ailleurs plutôt beau mec, c’est peut-être la raison pour laquelle il l’a affublé de ces tics comportementaux. Mais en aucun cas il ne m’alarme ; jamais son emprise sur Agnès ne me fait tiquer, et il me semble qu’elle n’a pas dû essayer bien longtemps de s’échapper d’un gardien si peu rigoureux. Voilà que j’ai perdu et l’aspect comique, et l’aspect grave de la pièce. Que me reste-t-il alors ? Pas grand chose, car même la pitié qu’il pourrait m’inspirer lorsqu’il déclare son amour à sa pupille ne produit en moi qu’un mince sentiment de moquerie.

Il me reste quand même une scène ou deux, qui m’ont captivée. Je pense notamment à la scène où Arnolphe fait lire à Agnès les différentes maximes du mariage, et dans laquelle non seulement le duo fonctionnait très bien, mais l’utilisation d’un accessoire habilement manipulé renforçait le dépit de la jeune femme. Une scène qui a su me décrocher au moins un sourire ! Si j’ai aimé l’attitude de peste qu’Agnès prenait pendant cette lecture, je ne peux pas dire que j’ai adhéré à l’ensemble du point de vue de Braunschweig sur la jeune femme.

Traitée comme une chipie pas si naïve que ça, j’ai eu du mal avec l’allusion du metteur en scène au fait que le petit chat serait mort… tué par Agnès. Si le texte le laissait entendre quelque part, pourquoi pas. Ce qui m’énerve, c’est que ce sous-entendu se fait au moyen d’une vidéo totalement gratuite. Rien dans le texte ne pourrait permettre d’arriver à cette conclusion, alors on se permet d’ajouter son petit grain de sel à Molière. Voilà qui a le don de m’irriter.

Plutôt déçue.

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© Simon Gosselin

 

Un Macbeth qui manque de shake

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Critique de Macbeth, de Shakespeare, vu le 26 janvier 2018 au Théâtre de l’Odéon
Avec Christophe Brault, David Clavel, Virginie Colemyn, Adama Diop, Boutaïna El Fekkak, Roman Jean-Elie, Glenn Marausse, Thierry Paret, Chloé Réjon, Jordan Rezgui, Alison Valence, Jean-Philippe Vidal

Pour sa deuxième mise en scène en tant que directeur du Théâtre de l’Europe, Stéphane Braunschweig a décidé de s’attaquer au géant anglais, Shakespeare. Un choix qui a étonné tout d’abord : on connaît le style du metteur en scène, plutôt carré, propre, mesuré. Cela peut donner de très belles réussites, comme son Tartuffe, monté à La Colline il y a 10 ans, ou, plus récemment, son puissant Britannicus à la Comédie-Française. Son tempérament réfléchi et modéré peut s’accorder avec ces pièces qui supportent une certaine intellectualisation. Mais face au foisonnement Shakespearien, ses limites sont évidentes.

Ha, Macbeth ! Sans doute ma pièce préférée du grand Bill. Elle retrace le parcours de Macbeth, de sa conquête innocente du titre de thane de Cawdor à celle, réfléchie et préméditée, de roi. Une attirance pour le pouvoir qui le conduira à l’acte ultime : le régicide. Poussé par sa femme et sa condition d’homme, il commettra le crime à une heure avancée de la nuit, mais le jour le remettra devant ses vérités et la culpabilité entraînera le nouveau couple royal vers une folie sans retour.

Impossible de ne pas comparer ce spectacle avec le précédent Macbeth que j’ai vu : monté par Ariane Mnouchkine, ce spectacle a été pour moi comme une révélation. Soudainement, j’ai eu l’impression de toucher du doigt Shakespeare, lui qui m’avait jusqu’alors paru très lointain à chaque représentation. Elle avait su trouver des images fortes, sans jamais dénaturer le texte ; des images qui provoquaient des échos puissants et si cohérents avec le monde d’aujourd’hui. Braunschweig n’a pas su trouver ces images. Au contraire, il a opté pour un spectacle fade et lent, qui jure avec ce texte si riche qu’il a pourtant choisi.

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L’une des principales erreurs de sa mise en scène se situe dans son décor : en choisissant de représenter deux lieux principaux, le palais de Duncan et le château de Macbeth – en tout cas ses cuisines – de manière grandiloquente, il s’impose des changements de décors d’une lourdeur inutile. Ainsi, là où Mnouchkine avait fait le choix de changements à vue, dynamisant encore un spectacle qui n’avait pas besoin de l’être, Braunschweig coupe l’infime once de tension qu’il avait pu installer en baissant le rideau noir à de nombreuses reprises.

Or il aurait été bienvenu que le spectacle ne connaisse pas une telle cassure de rythme. La traduction, retravaillée pour l’occasion par Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig, gagnait à être entendue. En grande partie du moins, puisque les ajouts contemporains évoquants le Brexit ou la BCE semblent inutiles et tombent à plat, dans une mise en scène ou rien n’évoque le monde moderne. C’est d’ailleurs étonnant que le metteur en scène, qui connaît le texte sur le bout des doigts pour l’avoir lui-même traduit, en fasse une transcription scénique si figée, si contradictoire avec l’essence-même du propos.

Peut-être n’a-t-il pas été aidé non plus par une distribution qui peine à faire éclater le discours Shakespearien. Problème de direction d’acteur ou plutôt intrinsèque au choix des comédiens ? Difficile à dire : si la mise en scène peine à prendre une direction claire, il en va de même pour les personnages. Le couple meurtrier semble tout particulièrement hors du ton : entre un Macbeth sans réelle évolution, cherchant à incarner la folie uniquement par la force de ses cris et ses continuels hochements de tête, et une Lady Macbeth un peu terne, sans réelle aura, on se demande pourquoi tant d’inquiétude agite l’Écosse médiévale. Au contraire, certains seconds rôles convainquent beaucoup plus facilement, comme Christophe Brault, roi plein d’humanité, ou David Clavel, Banquo gaillard et imposant.

Suite à ce spectacle, j’aurais tendance à dire que Shakespeare n’est pas fait pour Braunschweig. Une déception. 

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