Une idée triplement géniale

Critique de Une idée géniale, de Sébastien Castro, vu le 25 août 2022 au Théâtre Michel
Avec Sébastien Castro, José Paul, Laurence Porteil et Agnès Boury, mis en scène par José Paul et Agnès Boury

Il y a trois ans, Sébastien Castro montait son premier texte de théâtre, J’ai envie de toi. J’aimais beaucoup le comédien, mais devant le titre et l’affiche, j’avais quand même un doute. J’y suis allée en traînant un peu des pieds, j’en suis ressortie enchantée. Autant vous dire que j’ai sauté de joie en découvrant l’affiche d’Une idée géniale, et que j’y ai couru enchantée, en espérant ne pas sortir dans un état contraire… J’avais tellement confiance, j’avais tellement d’espoir, que j’avais convié toute la famille. Vous sentez mon enthousiasme et attendez la chute ? Il n’y en a aucune : la soirée fut au-delà de mes attentes.

Arnaud et Marion sont en couple depuis 7 ans, et après s’être demandés s’ils n’allaient pas déménager sur Paris, ils ont rencontré Cédric, un agent immobilier, pour parler de leur projet… Seulement voilà, dès le début de la conversation, Arnaud a senti que Marion avait un faible pour Cédric. Quelques jours après, par chance, il rencontre Thomas, sosie de Cédric, dans le métro, ce qui lui donne une idée : il va demander à Thomas de se faire passer pour Cédric auprès de Marion, en enlaidissant évidemment le personnage afin de la dégoûter de son petit coup de coeur. Vous vous doutez bien que tout ne va évidemment pas se passer comme prévu…

Sébastien Castro est bluffant. Ecrire un texte pareil au deuxième coup seulement, c’est vraiment impressionnant. J’ai relu ma précédente critique en souriant. Les réserves que j’avais se sont toutes envolées. Dans le genre, ce spectacle est une perfection. Il manie les codes les plus classiques de la comédie avec le doigté des plus grands. C’est un Feydeau ultra moderne à qui on a ajouté une touche de folie. Parce que malgré le résumé que j’ai pu faire, ce n’est pas avec un sosie qu’il a décidé de jouer, mais avec deux. Excusez du peu.

© Emilie Brouchon

La grande réussite de ce spectacle, c’est la maîtrise absolue du comique de situation. Pas de triche, pas de faire-valoir, pas d’effet poudre aux yeux, juste un sens très aiguisé de la comédie. La situation est complètement jouée sur scène, sans aucune distanciation ni aucun jeu avec le public, sans non plus chercher à passer en force du côté des comédiens, juste dans un premier degré le plus total. Ça en paraît presque simple, dit comme ça, mais c’est probablement l’un des exercices les plus difficiles qui soit.

Evidemment, pour réussir le pari, il fallait une mise en scène au cordeau. Avec José Paul et Agnès Boury aux manettes, aucune place pour un quelconque flottement. Les portes claquent, les changements de costume sont parfois de l’ordre du transformisme, le plaisir de spectateur est total. La direction d’acteurs suit cette rigueur, avec une distribution de haute volée. Le dialogue entre José Paul et Sébastien Castro, qui ouvre le spectacle, est une leçon de théâtre ; ce sont deux styles comiques qui s’affrontent, et c’est un régal absolu. Sous ses airs naïfs, Laurence Porteil est une manipulatrice accomplie, transformant le léger agacement du spectateur constatant sa tentative d’adultère en une certaine forme de complicité lorsqu’elle décide de s’amuser de la situation. Agnès Boury, enfin, excelle dans ce personnage décalé qui semble jouer dans une autre pièce. On n’en voit pas souvent, des spectacles aussi réussis, alors si en plus on a plusieurs pièces en une, que demande le peuple ?

Un troisième spectacle de Sébastien Castro, et vite ! ♥ ♥ ♥

© Emilie Brouchon

Masques et Nez, Théâtre Michel

arton467

Critique de Masques et Nez des Sans cou, vu le 26 octobre 2011 au théâtre Michel
Avec en alternance : Jeanne Arenes, Marc Arnaud, Clément Aubert, Jonathan Cohen, Romain Cottard, Florine Delobel, Laurent Ferraro, Tewfik Jallab, Paul Jeanson, Adrien Melin, Igor Mendjisky, Arnaud Pfeiffer, César Van Den Driessche, Esther Van Den Driessche, mis en scène par Igor Mendjisky

J’avais déjà critiqué cette pièce lors du festival d’Avignon. Lorsque j’ai vu qu’elle repassait à Paris, je n’ai pas hésité, et j’ai repris des places.

Igor Mendjisky conserve l’ouverture du spectacle : « Ceci n’est pas un spectacle ». Cela fait rire certains, d’autres sont étonnés. Pas de réaction spéciale pour ma part ; je m’y attendais.

Après une pointe de déception quand j’ai constaté que, dans les 4 acteurs présents sur scène (plus une actrice annoncée comme « en retard ») ne se trouvait pas Adrien Melin, un acteur que j’admire beaucoup, j’ai été heureuse de reconnaître Romain Cottard (qui jouait Hamlet dans Hamlet), qui incarnait un professeur de français (Ferdinand) en collège, prof principal de la « 6e orange ». Dans le genre un peu coincé, il faisait merveille. A côté de lui, je n’ai malheureusement pas le nom des acteurs, mais on trouvait un boxeur sortant de prison (Lucas), un Benoît qui voulait s’affirmer et vaincre sa timidité, une future (peut-être) miss France (Jessica), et une prof de danse sortant du taxi d’un ami ….

Le principe reste le même, c’est-à-dire que 4 acteurs arrivent, et 1 est en retard, ayant préparé un texte plus ou moins connu (seul ou en groupe). Leur metteur en scène, placé sur un fauteuil sur un côté de la salle, leur fait d’abord faire quelques échauffements, puis ils présentent leur travail et attendent des critiques. Ils doivent paraître le plus naturel possible, sachant qu’ils ont tous un rôle totalement composé (la voix, le maintien, les tocs, la gestuelle, le langage).

Voir plusieurs fois une même pièce peut être très intéressant. Ici, c’était le cas. Car après l’avoir vu à Avignon, je m’étais demandée si, oui ou non, c’était de la totale impro … ça me paraissait impossible que la pièce n’ait pas été répétée. Pourtant, à présent, c’est plutôt mon avis. En fait, à présent, cela me semble évident que l’on a devant les yeux une improvisation quasi-totale (car les acteurs préparent tout de même un texte connu pour le travailler sur scène). Et c’est grâce à cela qu’on se rend compte du niveau, très élevé, des comédiens … et également de la qualité de la représentation. Les acteurs ont une excellente répartie et font à plusieurs reprises rire le public par quelques bons mots. Ils ne se coupent jamais la parole. Ils semblent toujours savoir où ils vont (lorsqu’ils miment par exemple) et ne connaissent le trou que lorsqu’ils présentent leur travail au metteur en scène (le trou est n’en paraît donc que plus réel ; c’est-à-dire que, s’ils avaient été à un « vrai » cours de théâtre, sans spectateurs, et qu’ils avaient eu un trou, il aurait eu lieu au même moment … Alors que s’ils avaient un trou lorsqu’ils parlent « normalement » (une discussion entre eux par exemple), c’est un peu invraisemblable dans ce qu’on pourrait appeler « le réel »).

Enfin, la pièce nous permet de découvrir certains textes (hier, étaient présentés : un extrait du Quai des Brumes, une chanson de Renaud, et un extrait de Quai Ouest). Les acteurs et les extraits changent tous les soirs, et ça vaut donc le coup d’y retourner !

Verdict : Impératif !

masques-acteurs.jpg