Fais pas ci, fais pas ça

Critique des Règles du savoir-vivre dans la société moderne, de Jean-Luc Lagarce, vu le 20 octobre 2021 au Théâtre du Petit Saint-Martin
Avec Catherine Hiegel, dans une mise en scène de Marcial di Fonzo Bo

Cette année, j’ai fait simple : je me suis abonnée au Théâtre de la Porte Saint-Martin. La programmation est belle, exigeante, éclectique, et elle s’ouvre pour moi avec ces Règles du savoir-vivre dans la société moderne, texte de Lagarce que je ne connais pas encore et que j’ai hâte de découvrir – et pas par n’importe qui, s’il vous plaît : la queen Catherine Hiegel en personne.

Je ne connaissais pas la pièce, je suis contente de l’avoir découverte mais ce n’est probablement pas la plus grande pièce de Lagarce : elle est intéressante dans cette énonciation des principes qui devraient dicter notre comportement, de la naissance jusqu’à la mort, en passant par le parrainage, le baptême, le mariage, et tout ce qu’on peut imagine d’événements régissant une vie.

Il y a deux versions possibles à cette critique. Je vais vous soumettre les deux puisqu’elles se sont opposées en moi. Elles ont coexisté pendant tout le spectacle et je n’ai pas pu déterminer laquelle était la plus juste.

Il y a d’abord celle de la Mor(d)ue : on ne la lui fait plus, après dix ans de chronique, vous pensez ! Elle repère tout, analyse tout, enregistre tout, et juge tout à l’aune de « ce qu’on pouvait attendre d’un tel spectacle ». Quand on m’annonce un seul en scène avec Hiegel, j’attends l’effet WAOUW. Ce que je vois avec mes yeux de morue, c’est une mise en scène somme tout très simple, une comédienne qui « se contente » de lire son texte, qui peut-être ne donne pas tout ce qu’elle pourrait donner – on a connu Hiegel plus grande que ce soir-là. Elle me donne l’effet de se balader un peu, d’aller à la facilité, de « faire du Hiegel »…

Et puis il y a celle que vous livreraient mes yeux d’enfants. Le coeur qui bat quand je m’assois au premier rang, à l’idée que Catherine Hiegel va être là, si près. L’émotion de voir cette immense actrice jouer juste devant moi. L’intérêt, c’est elle, ce qu’elle fait de ce texte, ce qu’elle invente à côté et qu’elle ne dit pas. Hiegel, on la regarde autant qu’on l’écoute. Ses yeux sont des lasers, ses sourires sont au-delà de l’ironie. Elle invente un nouveau texte, où le premier degré rejoint le second. Il s’en passe des choses, sur cette figure-là. Tous les âges sont sur son visage. Elle reste fascinante, et je suis fascinée.

Ce n’est sans doute pas le spectacle de l’année, mais c’est quand même Catherine Hiegel, et Catherine Hiegel c’est déjà beaucoup. ♥ ♥

© Jean-Louis Fernandez

Nicoméo et Julias : un Shakespeare un peu trop Briançonnesque

Critique de Roméo et Juliette, de Shakespeare, vu le 22 janvier 2014 au Théâtre de la Porte St-Martin
Avec Ana Girardot, Niels Schneider, Valérie Mairesse, Bernard Malaka, Dimitri Storoge, Cédric Zimmerlin, Bryan Polach, Charles Clément, Valentine Varela, Mas Belsito, Pierre Dourlens, Pascal Elso, Adrien Guitton, Côme Lesage, Geoffrey Dahm, Eric Pucheu, Ariane Blaise, Marthe Fieschi, et Noémie Fourdan, dans une mise en scène de Nicolas Briançon.

Qui ne connaît pas l’histoire de ces deux amants, à l’amour impossible car interdit ? La haine de leurs deux maisons, Capulet et Montaigu, empêche en effet tout rapprochement des deux jeunes gens. Mais, tombés fous amoureux l’un de l’autre lors d’un bal, ils se marient en secret. Malheureusement, Roméo étant coupable d’un crime envers les Capulet, il est condamné à l’exil, et Juliette se voit obligée par son père de se marier avec Pâris. Voulant se retrouver et partir tous deux, un malentendu les réunira finalement tous deux dans la mort. La langue de Shakespeare est belle, ce n’est pas une nouveauté, tout comme la patte de Nicolas Briançon est visible. Mais sur ce spectacle, elle est peut-être trop présente, eclipsant le grand William.

Je connais bien les spectacles de Nicolas Briançon maintenant, et il n’y en a pas un que je n’ai pas aimé. Mais ici, on sent trop le metteur en scène derrière le texte. Déjà, un grand défaut de ce spectacle, c’est qu’il n’y a pas d’émotion palpable. Je n’ai rien ressenti ou presque, un petit frisson lors de la mort de Roméo. Mais sinon, n’est pas franchement ému, et c’est parfois même l’inverse qui se produit : lors de la mort de Mercutio, ami de Roméo, des rires fusent. Ces rires, qui reviennent à d’autres reprises durant le spectacle, sont le signe que quelque chose ne va pas dans la mise en scène : le tragique de la pièce s’est envolé. Cela est dû aussi à certains partis pris de Nicolas Briançon, avec lesquels d’ailleurs je ne suis pas d’accord : la manière de traiter le père de Juliette m’a déplu, puisqu’il apparaît grotesque et caricatural, et qu’on ne croit plus à son personnage, il ne provoque pas l’inquiétude qu’il devrait, on ne comprend pas pourquoi Juliette est effrayée alors qu’elle devrait presque rire devant la colère bouffone de son père. Ce lit mobile, qui traverse la scène à plusieurs reprises, le lit de Juliette, est une idée dont on aurait pu se passer. Ce n’est pas esthétique, et je n’en comprends pas la signification. Et puis, quel casting étrange ! On n’aurait pu trouver pire Juliette, d’après moi. C’est d’ailleurs très visible sur la vidéo (ci-dessous), au moment où elle parle à sa Nourrice, on entend bien qu’elle n’a pas d’intonation, qu’elle ne transmet rien ; elle a également du mal à se tenir sur scène : elle reste bras ballant, comme si elle ne savait que faire de son corps. Ana Girardot manque aussi de métier, car elle s’est pris les pieds dans son texte à plusieurs reprises, et ça pardonne difficilement, au théâtre. Elle a la jeunesse de Juliette, mais il lui manque le charme et la naïveté, l’insouciance de l’enfance. Son Roméo est plus convaincant, il a une bien meilleure maîtrise de son corps, même s’il lui reste un peu de chemin à parcourir. Il prend de l’assurance durant le spectacle et son Roméo est frais et amoureux. De même que pour sa partenaire, il faut faire attention dans la diction, car il y a certaines phrases dans lesquels il se perd : il les dit, mais il ne paraît pas les comprendre. Du coup, nous, spectateurs, nous nous perdons également, car la phrase manque d »intonation explicative.

Passé le jeune duo un peu faible, le reste de la distribution m’est apparu bien plus convaincant. A commencer par Valérie Mairesse, excellente Nourrice, un sens du rythme excellent, qui apporte cette vitalité au spectacle qui manquait aux deux jeunes. Bernard Malaka interprète un très bon Frère Laurent, prêtre de confesseur de Roméo, prêt à aider les deux jeunes gens dans leurs problèmes. Il a cette humanité, indispensable au rôle, qu’il endosse avec brio. Dimitri Storoge est un Mercutio très convaincant ; on regrette cependant quelques incompréhensions face à son personnage, peut-être liées à des coupes de texte : lors de la bataille qui conduira à sa mort, par exemple, il dit qu’il ne veut pas y participer avant, puis, d’un coup, sort un couteau et provoque son adversaire. Une scène qui m’a laissée perplexe. Le reste de la troupe n’est ni brillant ni médiocre ; ils font tous un travail correct, guidés par leur metteur en scène, Nicolas Briançon.

J’avais une vague idée du spectacle auquel j’allais assister avant d’y être, et je ne me trompais pas. Nicolas Briançon veut faire grand public, mais il faut parfois faire attention à ne pas en faire trop. Les lumières nous ravissent les yeux, les ombres des arbres sur les hauts décors sont une belle idée. Transformer les deux familles en espèce de mafieux italiens, aussi, pourquoi pas ! Et de la musique, comme toujours, de la musique car ça ravit et que ça ne peut pas faire de mal dans un spectacle… Mais c’est un peu facile tout ça. Roméo et Juliette, c’est plus profond que de la guitare et de belles ombres. Alors oui, on passe un moment agréable, mais on voit plus Briançon qu’on n’entend Shakespeare. On rit plus qu’on est ému. Faire rire, c’est bien, mais rire parce que le texte y invite, c’est mieux. Rire pour détendre, c’est une erreur, pour moi. De la triche.

C’est un bon spectacle, mais ce n’est pas un bon Shakespeare. On aurait voulu un peu moins de Briançon, un peu plus de William… 

Gagnez vos places pour Roméo et Juliette au Théâtre de la Porte Saint-Martin

Le retour de la pièce emblématique après 40 ans d’absence sur la scène privée ! Entourés d’une troupe de plus de 20 acteurs, Ana Girardot et Niels Schneider seront les héros de cette nouvelle production du Théâtre de la Porte Saint-Martin. Après la Nuit des Rois et le Songe d’une nuit d’été, Nicolas Briançon met en scène la pièce la plus célèbre du répertoire de Shakespeare, Roméo et Juliette. Retrouvez la plus belle histoire d’amour du théâtre classique dans une mise en scène prestigieuse et populaire, à partir du 16 Janvier 2014.

Grâce au Théâtre de la Porte Saint-Martin, 3*2 places sont à gagner pour la représentation du jeudi 16 janvier 2014 – la première – à 20h.

Pour gagner vos places pour la représentation, il suffit de répondre à cette question :
Comment s’appellent les deux familles ennemies de la pièce ?
Envoyez votre réponse à mordue.de.theatre@free.fr ; les plus rapides pourront assister au spectacle !

Et les gagnant(e)s sont : Marie T., Aurélie A., et Claire N. ! Bravo à elles !

Le Songe d’une Nuit d’été, Théâtre de la Porte St-Martin

vz-922a1790-dba6-4fc2-a761-ec8eca80b143Critique du Songe d’une Nuit d’été, de Shakespeare, vu le 9 février 2013 au théâtre de la Porte St-Martin
Avec Lorant Deutsch, Nicolas Briançon, Carole Richert, Eric Prat, Marie)Julie Baup, Nicolas Biaud-Mauduit, Sarah Stern, Thibault Lacour, Jean-Loup Horwitz, Dominique Daguier, Patrick Alexis, Léon Lesacq, Laurent Benoit, Thierry Lopez, Carole Mongin, Armelle Gerbault, Jessy Ugolin, Ofélie Crispin, Marlène Wirth, et Aurore Stauder, dans une mise en scène de Nicolas Briançon

Oui, oui, c’est une pièce que j’ai déjà vue. Au même théâtre, oui, avec une distribution quasi-similaire, oui. Mais j’étais mal placée : j’étais loin, et dans une zone de tousseurs récidivistes. Comme quoi, notre placement influe aussi sur notre vision du spectacle. Si la pièce ne m’avait pas énormément plu alors, j’ai changé d’avis en la revoyant hier, et j’écris donc un nouvel article.
Le Songe d’une nuit d’été, c’est plusieurs petites histoires en parallèles qui forment la pièce. Il y a d’une part Thésée et Hippolyte, futurs mariés, qui ouvrent la pièce quelques jours avant leur mariage. Thésée (Nicolas Briançon) est roi d’Athènes, et Hippolyte (Carole Richert), reine des Amazones. Entre alors Égée, père d’Hermia (Sarah Stern), et qui a des problèmes pour son mariage : il veut la marier avec un homme qu’elle n’aime pas, Démétrius, et elle désire épouser l’homme qu’il n’aime pas, Lysandre (Thibaut Lacour). Avec Héléna (Marie-Julie Baup), amoureuse de Démétrius (Nicolas Biaud-Mauduit), ils forment le quatuor des jeunes, et, avec Thésée, Hippolyte, et Égée, ils forment une première part de cette pièce : la part réelle, la part humaine. En parallèle, on va découvrir l’histoire d’Obéron (Briançon) et Titania (Richert), roi des Ombres et reine des Fées, qui se sont disputés pour un enfant, qu’Obéron désire et que Titania garde loin de lui. Ce monde est mystérieux, rempli d’esprits dont un, Puck (Lorant Deutsch), est farceur, et aime jouer des tours aux humains qu’il rencontre. Le troisième monde, rejoignant les deux premiers, est celui du théâtre. Il est à part, et la mise en scène le souligne bien : ce n’est pas le réel, puisque nos quatres acteurs incarnant des acteurs ne se mélangent pas au monde des humains. Mais ce n’est pas l’imaginaire, puisqu’ils sont humains. Et lorsque les trois mondes se mêlent, avec la merveilleuse plume de Shakespeare, et le talent de metteur en scène de Nicolas Briançon, on goûte à un mélange succulent, drôle et surtout très réussi !
J’avais un peu peur des acteurs « remplaçant », comme Carole Richert, Titania, que j’avais vu interprété par Mélanie Doutey. Mais l’actrice est à la hauteur de la première, c’est-à-dire qu’elle joue bien, sans être non plus remarquable. En revanche, c’est une bonne surprise que Nicolas Biaud-Mauduit, dépassant de loin le jeu de Davy Sardou : ici, l’acteur est investi, plein de vie, insupportable à l’égard d’Héléna, et surtout absolument excellent. La scène entre les quatre amants n’en est que meilleure : c’est une des meilleures scènes du spectacle, les deux homme devenant littéralement fous sur scène, leurs sentiments poussés au maximum, amour ou haine suivant la femme qu’ils ont devant eux, et Marie-Julie Baup composant avec talent un personnage toujours aussi drôle, pitoyable, et exaspérant ! Bonne surprise aussi que le remplacement de Yves Pignot … Enfin je dis « bonne surprise », parce qu’il me semblait impossible de remplacer Yves Pignot, acteur génial que l’on voit souvent jouer avec Nicolas Briançon. Mais celui qui a pris la relève, Eric Prat, le fait avec brio, et égale son prédecesseur. Ainsi, la scène de théâtre dans le théâtre, lors de laquelle les rires se faisaient déjà entendre dans la précédente version, est absolument hilarante : la meilleure scène de tout le spectacle, sans hésiter, et je suis sûre que tous les spectateurs seront d’accord avec moi. C’est simple, la salle rit aux éclats, et les comédiens donnent le meilleur pendant toute la scène : bra-vo ! Je reviens aussi sur le jeu de Nicolas Briançon … Il suffirait du mot « parfait » pour le décrire, mais je peux aussi ajouter une présence incroyable et une transformation sans faute … Je l’avais vu en Mosca (Volpone) il n’y a pas si longtemps, et, bien que j’ai reconnu son visage, j’étais vraiment impressionnée du changement de tonalité de l’acteur : composition impeccable.
Du côté de la mise en scène, signée Nicolas Briançon, on applaudit bien fort aussi. La pièce est comme une foumilière grouillante : elle grouille de sentiments : joie, amour, haine, désir, malice, intelligence, confiance, elle est abondante en émotions, puisque l’histoire rebondit à plusieurs reprises … Et Briançon a su donner un juste milieu à tout ça, tout est équilibré, tout est facilement compréhensible. Et bien que danseurs et ambiance année 80 n’étaient pas indispensables, ils sont utilisés à bon escient et sans exagération : les danseurs se montrent même très utiles lors des scènes dans la forêt, inquiétant en animaux étranges, cachés, impressionnant. Les décors sont idéaux : utiles à la fois pour les scènes dans la forêt, grâce aux barres de métal faisant offices d’arbres, ou pour les scènes au palais, avec cette estrade dressée en fond de scène. 

60 exceptionnelles, ce n’est pas beaucoup, pour un spectacle pareil : dépêchez-vous ! ♥ ♥ ♥