Temps fort

Critique de Contre-temps, de Samuel Sené, vu le 16 décembre 2022 à l’Artistic Théâtre
Avec Marion Préïté, en alternance avec Cloé Horry, et Marion Rybaka accompagnées au piano par Raphaël Bancou

J’ai vu Comédiens ! il y a un mois, dans ce même théâtre, et j’avais passé une chouette soirée, si bien que quand on nous a proposé de réserver pour l’autre spectacle de la même équipe artistique – à moitié prix, puisqu’on en a déjà vu un ! – j’ai sauté sur l’occasion. Je ne savais pas grand chose sur le spectacle, si ce n’est qu’il racontait l’histoire d’un chef d’orchestre français : il s’agit donc de suivre le destin de François Courdot, petit prodige de l’opérette qui veut tenter sa chance à Broadway, et le tout en musique, s’il vous plaît !

J’aurais dû me douter, après avoir vu un premier spectacle de cette équipe, que le second allait tout autant m’entraîner là où je ne m’y attendais pas ! Quelle heureuse surprise ! Déjà, de base, je le reconnais, j’ai suis vraiment bon public pour ce genre de spectacles : moi, la musique, au théâtre, c’est vraiment mon point faible… quand c’est bien fait ! Et là, c’est vraiment bien fait. Je dirais même plus : c’est de mieux en mieux fait au fil du spectacle (promis, je ne divulgâcherai rien !) !

Au début, le destin du jeune homme prend une tournure qui semble donner le la au spectacle : on va parler d’opéra, d’opérette, et moi je dois dire que ça me va déjà très bien comme ça. J’avoue que l’inspiration Fauréenne des compositions du chef d’orchestre n’est pas ce qui m’enthousiasme le plus, mais on n’entend pas que sa musique donc je peux aussi y trouver mon compte. Mais en réalité, et de manière assez inattendue, notre personnage va en fait s’intéresser à des styles de musique très différents, et à l’opérette vont venir s’ajouter des morceaux de jazz ou encore de comédie musicale… pour mon plus grand bonheur !

Je n’ai pas vraiment senti le tournant du spectacle, le moment où on passe du petit récital (attendu, mais tout de même chouette) au véritable show. C’est théâtralement bien fichu et assez malin, et scéniquement, même si tout est très simple, les quelques idées de mise en scène fonctionnent vraiment bien ! On se fait complètement balader en tant que spectateurs et je crois qu’on adore ça. Il faut dire que sur scène, les deux comédiennes-chanteuses envoient vraiment : elles tiennent complètement l’ensemble des genres musicaux proposés, et elles ont un véritable swing ! On regretterait presque l’absence d’un piano acoustique et d’une sonorisation plus importante pour que le tout prenne encore une autre ampleur : ce spectacle est un vrai numéro à lui tout seul, ça mériterait d’être poussé encore davantage !

Un spectacle qui nous emporte ailleurs, et nous fait atterrir avec un grand sourire ! ♥ ♥ ♥

Viens voir les comédiens !

Critique de Comédiens ! de Samuel Sené, vu le 18 novembre 2022 à l’Artistic Théâtre
Avec Marion Préïté, Fabian Richard, et Cyril romoli, mis en scène par Samuel Sené

Alors il faut le dire, je ne suis pas particulièrement en avance en découvrant Comédiens ! en 2022. Le spectacle a été joué il y a pas moins de quatre ans à la Huchette, et c’est donc une reprise qui s’installe à l’Artistic Théâtre. L’Artistic, c’est un petit théâtre que j’aime beaucoup, Fabian Richard est un comédien que j’aime beaucoup, et le spectacle musical est un genre que j’aime beaucoup. Si le spectacle est repris, c’est bien qu’il doit être bon, non ? Il ne m’en faut pas beaucoup plus pour réserver avec l’espoir de passer une bonne soirée.

On atterrit dans les répétitions d’une comédie musicale qui ne se passent pas comme prévu : l’un des comédiens a dû être remplacé au pied levé, les décors n’ont pas pu être livrés à temps, il s’agit donc de tout réaccorder en vitesse avant la première qui doit avoir lieu le soir-même. Sur le plateau, on joue donc des extraits du fameux spectacle en préparation, mais on assiste aussi aux échanges entre les comédiens, on découvre ce qui les unit, ce qui les fait rêver et ce qui les angoisse profondément.

Je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais, mais probablement pas à ça. C’est un spectacle qui ne s’apprécie pleinement qu’une fois la fin dévoilée. Pour ceux qui ne souhaitent pas en savoir trop, je vous conseille de vous arrêter là. Je vais forcément divulgacher un peu pour expliquer mon ressenti.

En fait, pendant tout le spectacle, j’étais un peu circonspecte. Ayant entendu beaucoup de bien de ce spectacle, j’avais quelques attentes, et finalement je me retrouve face à ce que je qualifierais d’un bon petit spectacle, mais voilà, « un petit spectacle », même « bon », c’est pas la folie non plus. C’est très bien fait, les comédiens maîtrisent complètement leur art, le texte se tient théâtralement parlant, les gags fonctionnent, mais je ne suis pas suffisamment happée pour ne pas me demander ce qui a bien pu causer la réputation de ce spectacle. Je ne m’ennuie pas, je n’ai pas la sensation de longueurs, mais quelque chose manque.

Ce qui manque, c’est la fin. Là est la clé du spectacle. C’est comme si tout prend sens. C’est étrangement fait, car il n’y a pas de montée progressive en puissance, on ne la sent pas vraiment venir. C’est un signal créneau, comme on dirait en physique : l’instant d’avant on est au niveau 0, l’instant d’après au niveau 1, et la courbe entre les deux est une pente infinie. Complètement brutal. Et ce n’est pas négatif, car le choc semble doubler l’émotion. J’essaie de ne pas trop en dire, mais souhaite quand même saluer ce morceau de bravoure. Le comédien y est déchirant et troublant de vérité. Cette scène me marquera longtemps.

Il y a peut-être un peu trop de préparation pour arriver à cette fin. Mais cette fin. Waouw. ♥ ♥

Definitely Martin Crimp

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Critique de Probablement les Bahamas, de Martin Crimp, vu le 8 mai 2018 à l’Artistic Théâtre, par Complice de MDT
Avec Catherine Salviat, Jacques Bondoux, Heidi-Éva Clavier et un acteur en alternance, dans une traduction Danielle Mérahi, et une mise en scène de Anne-Marie Lazarini

Martin Crimp est un auteur contemporain que l’on a souvent comparé à Pinter : lui aussi prise les dialogues apparemment anodins, mais mystérieux, recelant des rapports de force et une menace latente. Dans Probablement les Bahamas, un vieux couple reçoit un invité (que nous ne verrons jamais que de dos, et qui ne dira pas un mot) ; la femme, Milly (Catherine Salviat), qui détient l’essentiel de la parole, lui expose leur petite vie : elle parle de leurs habitudes, mais aussi de leur fils marié (qui vient de faire un voyage aux Bahamas, à moins que ce ne soit aux Canaries) ainsi que de la jeune fille au pair hollandaise (Marijka) qui les aide dans leur vie quotidienne. Celle-ci est le quatrième personnage, qui aura un long monologue dans la dernière partie de la pièce.

Le contenu du dialogue est répétitif : Milly revient sur les mêmes faits, en les développant avec des détails différents, sur lesquels son mari Franck n’est pas d’accord. On montre des photos à l’invité, mais l’interprétation du moment qu’elles ont fixé diffère selon Milly, Frank ou Marijka. Au fil de ces paroles apparemment erratiques et redondantes, des tensions se font jour : peut-être que le bien-être apparent, le bonheur affiché dans ce charmant cottage masquent des fustrations, des haines, voire des épisodes effroyables (ou peut-être pas…). Ces personnages si ordinaires sont (peut-être) au bord de l’explosion.

Le spectateur n’est donc pas conduit à suivre une action, mais à recomposer et interpréter certains épisodes du passé, sans aucune certitude. Le dialogue demande une grande attention, mais il est mené de façon à ce qu’on ne lâche pas prise : on a envie de comprendre le rapport entre les personnages, de trouver des pistes d’interprétation. Il est certain que l’on a ici affaire à un auteur qui compose finement son texte : la progression est presque insensible, mais elle existe, et soutient l’intérêt.

Ce texte pourrait néanmoins être fade : il demande une mise en scène très précise, et des acteurs qui sachent faire passer mille choses sous des propos insignifiants et dans des silences. De ce point de vue, le pari est vraiment gagné. Anne-Marie Lazarini a d’abord choisi un décor qui attise chez le specteteur le démon de l’interprétation, indispensable pour que le texte ait son plein effet. Le décor représente une maison entière, dont on aurait seulement enlevé les murs : le jardin planté de roses, le séjour où Milly et Franck parlent à leur invité, la chambre conjugale et celle de la jeune fille au pair, la cuisine, la salle de bains. En même temps que se déroule la conversation, nous voyons Marijka se déplacer dans la maison, parfois c’est Milly ou Franck qui vont jusqu’à la cuisine ou la chambre… Cette extension de l’espace scénique n’est pas gratuite : forcément s’opèrent des relations entre ce que l’on entend et ce que l’on voit, qui sont source d’interprétation ou de question : si Franck va à la cuisine, est-ce seulement pour rincer son verre ou parce que Milly a dit quelque chose d’insupportable ? Pourquoi Marijka va-t-elle dans le jardin ? Ainsi l’esprit du spectateur est-il toujours en alerte : c’est une des choses qui m’ont le plus séduite dans le spectacle.

Mais l’atout majeur réside dans les acteurs. Leurs expressions, leurs voix sont les vecteurs principaux de l’irritant mystère du texte. Ils auraient pu forcer la note de la satire de la petite bourgeoisie crispée sur son confort (Crimp m’a semblé plus directement satirique que Pinter) mais cela aurait été réducteur : c’est la subtilité de leur jeu qui emporte l’admiration. Catherine Salviat est époustouflante : par une inflexion, un regard, elle démultiplie la force du texte. La variété des climats qu’elle instaure sur la scène est vraiment source de jubilation silencieuse pour le spectateur. Jacques Bondoux n’est pas en reste :la bonhomie de Franck est-elle faiblesse, résignation, violence rentrée ? Son jeu tout en finesse est une très belle composition. Heidi-Éva Clavier, l’actrice très singulière qui joue Marijka, ajoute sa note à la fois juste et déconcertante, à l’image du spectacle dans son ensemble.

Un texte très intéressant, magnifié par des acteurs remarquables et une belle mise en scène. ♥ ♥ ♥

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