#OFF23 – Fourmi(s)

Critique de Fourmi(s), de Florian Pâque, vu le 23 juillet 2023 au Théâtre du Train Bleu
Avec Florian Pâque et Nicolas Schmitt, mis en scène par Florian Pâque

J’avais découvert Florian Pâque dans Etienne A. à la Scala l’année dernière. J’avais trouvé le spectacle intéressant, suffisamment pour que son nom m’interpelle dans le programme du OFF mais pas suffisamment pour qu’il trouve sa place immédiatement dans le planning. Et puis en discutant dans une file d’attente des Béliers, on m’a parlé de ce spectacle de manière à la fois élogieuse et légèrement mystérieuse. Bref, on m’a donné envie !

Quand on regarde la ville de tout là-haut, depuis le toit de cette tour immense où Antoine et Jérémy ont pris l’habitude de se poser, les habitants ont l’air de petites fourmis. Ils s’affairent, ils s’agitent, mais dans quel but, exactement ? Antoine ne veut pas être une fourmi. Il veut son indépendance, gagner beaucoup d’argent et partir en Thaïlande où la vie semble idéale. Et cette indépendance, il sait comment l’obtenir. Il va devenir chauffeur VTC pour La Plateforme. Là est son salut.

Je tiens à saluer tout particulièrement ce qui a été pour moi la plus jolie scénographie du festival. La plus jolie, la plus utile, la plus intelligente, la plus efficace. Elle a quelque chose d’envoutant, et même si on a la voit de notre place de spectateurs, on comprend l’effet de rêve sur notre personnage.

Ce spectacle est une fable poétique, politique et sociale, parfaitement équilibrée. Il y a une vraie place pour la fiction, pour le dessin des personnages, pour leurs émotions et leurs rêves. Mais il y a aussi de la place pour un propos, là, en filigrane, cette critique en creux de l’ubérisation de la société et des rêves qu’elle tente de combler. C’est étonnamment construit, parce qu’on sent un étau qui se resserre petit à petit, mais pas par des moyens qu’on connaît. Le rythme n’accélère pas particulièrement. C’est indicible. C’est là, quelque part dans le texte et sur le visage des personnages.

C’est un grand plaisir de retrouver Nicolas Schmitt sur scène. Il apporte quelque chose de particulier à ce personnage. Son Antoine est touchant, désarmé, désarmant. Il a le sourire de ceux qui ne savent pas réellement où est leur place, et le regard fuyant de ceux qui n’osent pas poser leurs yeux sur les choses. Comme un peu gênés d’être là. Le personnage, je ne sais pas, mais le comédien, lui, est vraiment à la bonne place.

#OFF23 – Iphigénie à Splott

Critique d’Iphigénie à Splott, de Gary Owen, vu le 16 juillet 2022 au 11 Avignon
Avec Gwendoline Gauthier accompagnée de Pierre Constant et Julien Lemonnier, mis en scène par Georges Lini

C’est pour ce titre intriguant que j’ai d’abord choisi Iphigénie à Splott. Je ne savais rien du spectacle, mais j’ai plutôt confiance dans la programmation du 11. Et puis Avignon a commencé et j’ai entendu de plus en plus de rumeurs sur ce spectacle. Que c’était LE truc à voir cette année. La pépite. Le coup de coeur. Je me méfie des bruits qui courent un peu trop dans le OFF – je me suis déjà fait avoir – alors je n’ai rien lu et je suis arrivée comme ça, comme quand j’ai choisi ce spectacle, juste curieuse. Et j’ai pris une petite claque.

La comédienne entre en scène. Elle balance une phrase au public. Et ça commence. Et ça ne s’arrêtera pas. Ce personnage a la rage. Elle a quelque chose dans le ventre qui va sortir dans un long monologue dans lequel elle racontera son histoire. Celle d’Effie, une jeune fille de ces quartiers pauvres de Cardiff, où tout n’est que misère. Celle d’une vie où le désespoir semble avoir tout contaminé. Et où soudain, une lumière a pointé le bout de son nez.

On aurait envie de dire que c’est un ring, mais ce n’est pas tout à fait ça. C’est un combat perdu d’avance, un combat injuste, un combat trop lourd à mener. Effie a un genou à terre mais elle continue à donner des coups. Elle donne l’impression que rien ni personne ne l’arrêtera.

On aurait envie de dire que c’est mené tambour battant, mais ce n’est pas tout à fait ça. C’est mené voix battante. Voix guitare basse violon synthé battants. C’est ce rythme effréné qui donne cette impression de flot inarrêtable. Ce déferlement de détresse, on se le prend dans la gueule. Littéralement.

Je dois reconnaître qu’au bout d’un moment, j’ai cherché un endroit où m’échapper. C’est tellement de rage, tellement de violence, tellement de malheur. Elle ne se laisse aucun répit, donc elle ne nous laisse aucun répit. Si elle prend, on prend. On est en apnée devant sa performance. Elle est constamment à la limite du supportable. Elle pose des petits orteils dessus mais ne la franchit jamais. Elle sait tenir son public en haleine, portée par les musiciens et les lumières. Elle sait manier les changements de rythme. Elle fait faire naître l’espoir. Elle sait utiliser cette lumière. Elle sait. Bravo.

#OFF23 – Les Michel’s

Critique des Michel’s, conçu par Sophie Jolis, vu le 21 juillet 2023 à l’Arrache-Coeur
Avec Sophie Jolis, Guillaume Nocture, Michel Goubin, mis en scène par Hélène Darche

Les Michel’s, c’est un spectacle qui m’a fait de l’oeil toute l’année à Paris, mais les contraintes de la vie réelle ont fait que je n’ai jamais réussi à le caser. Oui mais voilà, Avignon ce n’est pas la vie réelle, l’agenda devient presque extensible et à force de tetris on arrive à faire rentrer une grande partie des envies. Et ce spectacle-là était devenu une envie non négociable. Je savais qu’il était pour moi.

L’idée est simple : tout ce qui sera dit sur scène (ou presque) aura été écrit, composé, chanté, par un Michel. C’est une très chouette base, parce que des Michels de génie (et même de moins génie), il y en a un paquet. Il y a tellement de matière en vérité que l’univers des possibles semble infini. Et qu’ils ont même moyen de nous étonner.

Mais quel bonheur ! C’est le genre de spectacle qu’il me fallait, parfait pour relancer mon dernier week-end avignonnais. C’est un spectacle qui donne la pêche, qui ne s’embête pas à se demander si on met en avant davantage les chansons à textes, les chansons légères, les chansons rigolotes, ou les chansons d’amour : elles sont toutes sur le même plan, servies avec le même enthousiasme, la même générosité, la même énergie ! Les trois artistes sont formidables et parviennent à habiller chaque chanson d’une émotion particulière sans jamais forcer le trait.

L’une des grandes réussites de ce spectacle réside sans doute dans les arrangements musicaux. Ils sont vraiment étonnants. Ils diffèrent des accompagnements qu’on connaît ce qui permet d’abord un certain plaisir de spectateur lorsqu’on essaie de reconnaître la chanson qui s’annonce – mais sans déception lorsqu’on ne la connaît pas, parce que découvrir une chanson c’est toujours chouette et qu’on les a TOUTES aimées ! – mais qui laisse surtout aux artistes une grande liberté. En effet, ces arrangements permettent de faire vivre plusieurs chansons simultanément et donc de densifier encore l’offre musicale – pour notre plus grand bonheur. Et même ces chansons qu’on ne chantera pas, on leur fera un petit clin d’oeil avec un petit aparté au piano (avec l’arrangement original cette fois-ci) ou un bon mot. Ils ont pensé à tout le monde, et on aimerait que ça ne s’arrête simplement jamais !

Un spectacle qui donne envie de pousser la chansonnette – il paraît même que vous y aurez droit à la fin ! ♥ ♥ ♥

#OFF23 – Agathe Royale

Critique d’Agathe Royale, de Jean-Benoît Patricot, vu le 14 juillet 2023 au Théâtre des Gémeaux
Avec Catherine Jacob et Brice Hillairet, mis en scène par Christophe Lidon

Bon j’avoue j’ai repéré le nom de Brice Hillairet avant de voir celui de Catherine Jacob dans la distribution. J’ai l’impression que les spectacles sur les divas déchues ou en passe de l’être sont à la mode… et tant mieux, car ils peuvent donner lieu à de beaux moments de théâtre !

C’est officiellement le début de spectacle le plus génial de mon Festival. Et peut-être que le spectacle le paie aussi. Parce que passé ce début formidable, il faut parvenir à maintenir le niveau. Et ce n’est pas évident. Alors oui, Catherine Jacob fait le show, et ça reste un chouette moment. Mais l’intérêt redescend quand même à de nombreuses reprises. On va chercher quelques poncifs pour évoluer hors de notre sujet de départ et faire avancer la conversation, et on se retrouve dans un dialogue qui perd en substance…

Il aurait peut-être fallu rester sur le show Catherine Jacob, sur la diva, sa vie, son oeuvre, sa grandiloquence, ses caprices. Il aurait peut-être fallu que son partenaire ne soit qu’une utilité, presque une réplique, et prendre un comédien moins connu. Il aurait peut-être fallu s’autoriser un spectacle court, une heure voire moins. Il aurait peut-être fallu oser ce sujet vraiment, oser le creuser vraiment, oser l’assumer et pas le considérer comme une prétexte. Et là, vraiment, je crois que j’aurais été conquise.

D’autant que les deux comédiens, pour une raison qui m’échappe, sont sonorisés. Or Catherine Jacob avait vraisemblablement des problèmes avec son micro le jour où j’y étais, entraînant la sonorisation excessive de ses bruits de bouche et de ses respirations. Pour la grande misophone que je suis, autant vous dire que le spectacle a été vécu dans la souffrance. Heureusement que Catherine Jacob a l’une des plus belles dictions que je connaisse, sinon, vraiment, on aurait tout perdu avec cette sonorisation. J’ai appris depuis l’hospitalisation de Catherine Jacob, à qui je souhaite évidemment un prompt rétablissement.

Quand on pense à ce qu’elle aurait pu faire avec un autre texte, on se dit qu’on est peut-être passé à côté d’un grand moment de théâtre. ♥ ♥

#OFF23 – Non loin d’ici

Critique de Non loin d’ici, de John Patrick Shanley, adapté par Julie Delaurenti, vu le 14 juillet 2023 au Théâtre des Gémeaux
Avec Pierre Santini, Gregori Derangère, Michèle Simonnet, Julie Delaurenti, mis en scène par Manuel Olinger

Cette année, j’aurais pu prendre un abonnement au Théâtre des Gémeaux. Je crois que tous leurs spectacles m’intéressent. J’ai dû faire un choix. C’est ma passion pour les vieux comédiens qui m’amène ici. Le nom de Pierre Santini a résonné à mon oreille, et me voici.

J’ai d’abord cru que c’était une histoire de ferme. Une histoire de terre, de possession, de transmission. Et c’est vrai que ce thème est là, en fond de toile. Mais au premier plan, c’est une histoire d’amour et d’attente qui nous est racontée. L’histoire d’Anthony et Rosemary, qui vivent dans deux fermes voisines, et qui semblent avoir tous les deux la volonté de rester célibataires endurcis alors même qu’ils s’aiment depuis des années.

C’est un spectacle… irlandais. Je dis ça comme si ça évoquait quelque chose de précis, comme si c’était normal. En réalité, je crois que je n’ai vu qu’un autre spectacle irlandais dans ma vie, il y a des années de ça, déjà au OFF d’ailleurs, mais il avait déjà cette touche un peu délirante qu’on retrouve dans Non loin d’ici, alors voilà, c’est le qualificatif qui m’est venu. Irlandais.

C’est un texte un peu bizarre, un peu absurde, parfois drôle. On s’engueule pour des histoires de chamailleries d’enfant et de bout de terre mal placé qu’on voudrait racheter. Les personnages sont comme bloqués dans leur vie – il faut dire que, tous, sont complètement butés. Il n’y a pas vraiment d’action, donc rien à avancer, à faire évoluer. Mais le spectacle parvient quand même à nous surprendre. On était venu pour Pierre Santini, magistral, impérieux, à l’origine d’un beau moment d’émotion qui nous prend à la gorge, et nous voilà un peu déçus lorsqu’il quitte la scène, laissant seuls les deux jeunes pour le final. Et ils tiennent le truc, malgré quelques longueurs, ils parviennent à faire exister ce texte qui nous laisse un peu perplexe mais qui nous fait rire et qu’on aura finalement plaisir à suivre jusqu’au dénouement, aussi attendu soit-il.

Un moment étrange, mais finalement pas déplaisant. ♥ ♥

#OFF23 – Cassé

Critique de Cassé, de Rémi de Vos, vu à la Chapelle des Italiens le 13 juillet 2023
Avec Lina Cespedes, Henri Vatin, Valérie Durin, Arman Éloi, Salvatore Caltabiano, Yves Sauton, Anne-Sophie Pathé, Sébastien Lanz, mis en scène par Nikson Pitakaj

Par Complice de MDT

Deux envies m’ont conduite vers ce spectacle : celle de découvrir comme acteur Armand Éloi, que j’apprécie beaucoup comme metteur en scène (notamment Seuil de tolérance et L’École des Femmes), et celle d’explorer l’univers comique de Rémi de Vos, auteur prolifique que j’avais découvert avec Sosies déjà au Off.

Comme Sosies, Cassé se situe dans un milieu populaire. Dès le début, on apprend que Christine (Valérie Durin) a perdu son emploi, en raison d’une délocalisation, et elle apparaît comme aliénée : elle répète à l’envi le nom (Prodex) de l’entreprise où elle a toujours travaillé, et dont les process se sont comme incrustés en elle. Cela illustre bien la spécificité du comique de De Vos : une alliance entre des procédés éprouvés (comique de  répétition, plus tard personnage caché qui entend ce qu’il ne devrait pas, arrivées intempestives…) et un thème social.

Christine est presque constamment sur scène, et la trame de la pièce repose à la fois sur des visites généralement malvenues : son médecin, un voisin, ses parents, une amie, un délégué syndical,  et sur la relation avec son mari, qu’elle va faire passer pour suicidé (en le cachant dans une armoire, où littéralement il dort debout) afin de toucher de l’argent. On comprend vite qu’il ne faut chercher aucune vraisemblance dans les situations, se laisser aller au plaisir des entrées et des sorties qui mettent en péril ou favorisent de façon suprenante voire délirante le projet de Christine. Au bout d’un moment, cela crée un effet mécanique qui serait un peu lassant sans la solidité des acteurs. Cette base vaudevillesque est au service de nombreux discours sur le travail : l’amie de Christine y connaît le harcèlement, son voisin a toujours voulu y échapper, son mari a été placardisé au sens figuré avant de l’être au sens propre, sa mère est fascinée par les prolétaires… La pièce se termine d’ailleurs avec un groupe de parole où chaque personnage s’exprime sur ce sujet, comme si ce que l’on vient de voir était le moment d’une thérapie.

Cela fait un ensemble original. Le comique est à la fois franc et grinçant, vu la gravité du thème, et l’écriture des dialogues est savoureuse et efficace. Mais c’est une pièce sans véritable intrigue, donc sans dénouement réel, reposant sur un défilé de personnages qui réinterviennent sur scène de façon aléatoire : cela manque de structure, à mon goût.

Ce défaut est bien compensé par l’énergie de la troupe. Huit acteurs sur scène, c’est rare dans le Off. Chacun joue la situation, à fond, sans clin d’œil, ils sont tous précis et efficaces et impriment un rythme trépidant au spectacle. Il m’a semblé que c’était la bonne manière de jouer De Vos, sans aucune psychologie, mais sans caricature ni outrance, car ce n’est pas une pièce satirique. On n’a pas envie de se moquer des personnages, on ne les surplombe pas. Mention spéciale à Valérie Durin, clef de voûte de la pièce, qui incarne de bout en bout l’affolement et la feinte maîtrise, la dépression et l’énergie du désespoir.

Pour découvrir un auteur contemporain qui compte, et un bon travail de troupe. ♥ ♥

#OFF23 – Richard III

Critique de Richard III, de William Shakespeare, vu le 13 juillet 2023 au Théâtre des Gémeaux
Avec William Mesguich, Estelle Andrea, Alexandre Bonstein, Xavier Clion, Madeline Fortumeau, Alain Guillo, Nadège Perrier, Thibault Pinson, mis en scène par William Mesguich

C’est encore une petite tradition de la Mordue : voir l’un des spectacles de Mesguich au Festival d’Avignon. Ces dernières années, c’est souvent Mesguich fils (il faut dire que comme il confond souvent le Festival avec un marathon, c’est plutôt facile de trouver un spectacle dans lequel il joue), mais la tradition fonctionnerait aussi avec le père. Je dois bien le reconnaître : j’aime leur patte. Ce sera mon je-ne-sais-combientième Richard III de l’année, et franchement, j’adore l’idée.

Est-ce que ce Richard III signera la fin de la tradition ? Je ne sais pas. Mais j’ai l’impression que ça fait plusieurs années que je reproche la même chose aux mises en scène de William Mesguich. Ce que j’aimais chez lui, ce théâtre comme une imagerie, devient presque caricatural. J’aimais les ambiances qu’il créait, ce théâtre gothique qui lui ressemble, mais il n’est plus que ça. C’est comme s’il gérait des déplacements dans un décor, mais pas de réelle direction d’acteur, ce qui, pour une pièce aussi complexe que Richard III, pose de vrais problèmes de compréhensions.

Alors oui, on n’a pas trop de doute, son Richard III est un grand méchant. Il tient à la fois du méchant de Disney et du film d’horreur. Un sourire effrayant, une voix transformée, les yeux fous, il crache ses mots plus qu’il ne les dit. Il est LE grand méchant. Mais il n’est qu’un grand méchant. C’est comme s’il avait travaillé la forme en délaissant le fond. Il est un grand méchant au milieu d’une histoire à laquelle on ne comprend pas grand chose.

J’aurais dû aller voir Frankenstein, plutôt.

#OFF23 – Algorithme

Critique d’Algorithme, de Emilie Génaédig, vu le 13 juillet 2023 au Théâtre de la Luna
Avec Barbara Lambert, mise en scène par François Bourcier

C’est l’affiche d’Algorithme qui m’a d’abord tapé dans l’oeil. Et son titre, évidemment. ChatGPT est devenu mon stagiaire depuis quelques mois et le sujet de l’IA me passionne. J’ai regardé tout Black Mirror et la sortie de la saison 6 était un événement presque aussi important pour moi qu’un nouveau spectacle d’Alain Françon. Bref, un sujet de pièce pour moi, a priori.

Et justement, c’est une histoire digne de Black Mirror. Enfermée sur les écrans et les réseaux sociaux, Max en a oublié la vie réelle. Et le jour où elle cherche à sortir de son lit, elle se retrouve bloquée. Enfermée.

Il y a des choses vraiment intéressantes dans ce spectacle. Comme le fait que, pour une fois, ce seul en scène soit une fiction et pas une énième histoire de vie. Comme le fait qu’une partie des répliques de l’IA a véritablement été écrite par une IA. Comme le travail impressionnant de régie tout au long du spectacle. Comme ce début très rythmé qui nous plonge directement dans le quotidien de Max. Il y a vraiment des choses qui fonctionnent.

Mais à partir du moment où elle se retrouve bloquée, je me dis qu’il va falloir être inventif. Parce que seule sur ce lit, parvenir à soutenir l’intérêt du spectateur est un sacré challenge. Et elle ne transforme pas l’essai. Les dialogues avec la machine tournent parfois en rond. L’histoire n’arrive pas à avancer, à se débloquer de cette situation pourtant intéressante. La fin est un peu décevante, la morale un peu attendue. On aurait aimé peut-être davantage de surprise et de suspense. Mais il fallait le tenter !

L’algo, on l’a. Mais peut-être que ça manque un peu de rythme. ♥

#OFF23 – Denali

Critique de Denali, de Nicolas Le Bricquir, vu le 13 juillet 2023 à la Factory – Théâtre de l’Oulle
Avec Lucie Brunet, Lou Guyot, Caroline Fouilhoux, Jeremy Lewin, Lauriane Mitchell, Guillaume Ravoire, mis en scène par Nicolas Le Bricquir

Nicolas Le Bricquir. C’est rigolo, moi qui ne retiens pas les noms, j’ai retenu celui-là. Il m’avait tellement marquée dans les spectacles qu’Hervé Van der Meulen montait avec les élèves du Studio d’Asnières. Il ne joue pas dans Denali, mais il signe la pièce et la mise en scène du spectacle qui a reçu le prix du public 2021 du Concours Jeunes Metteurs en Scène du Théâtre 13. De quoi mettre en confiance !

Denali est tiré d’une histoire vraie, d’un fait divers américain impliquant une bande d’adolescents et un meurtre. Le spectacle va s’intéresser à l’enquête en alternant entre l’interrogatoire subi par les différents jeunes impliqués dans cette histoire, et les faits tels qu’ils les ont réellement vécus.

J’ai une quête dans la vie. Le roman qu’on lâche pas. Le page turner haletant. J’ai la même quête audiovisuelle. La série qu’on binge watche. Celle qui vous empêche de vous décoller de votre écran et qui vous maintient éveillé toute la nuit. Mais ce n’est pas une sensation que j’associe au théâtre. Le thriller et le suspens y ont peu de place. Alors quand on me sert ces impressions sur un plateau, je ne peux qu’applaudir bien fort.

C’est un travail étonnant, mais surtout brillant. L’inspiration des séries est bien là, mais l’écriture est théâtrale, fine, ciselée. Le rythme est haletant, la musique live crée des ambiances, accompagne les personnages, participe à soutenir cette cadence qui à aucun moment ne faiblit. L’utilisation de la vidéo est complètement pertinente, parfaitement dosée, presque un personnage à part entière, sorte d’Inception révélateur de l’importance des écrans dans nos vies et point de départ d’un phénomène d’emprise presque inéluctable. Parce qu’après tout, nous aussi, on est un peu fascinés par tout ça.

J’avais donc raison d’avoir retenu ce nom. Nicolas Le Bricquir. Faites-en de même ! ♥ ♥ ♥

#OFF23 – Un bon job

Critique d’Un bon job, de Stephane Robelin, vu le 13 juillet 2023 au Théâtre des Gémeaux
Avec Lionel Nakache, Sophie Vonlanthen, Juliette Marcaillou, Tom Robelin, Philippe Chaine, mis en scène par Stephane Robelin

Voilà typiquement un spectacle qui fait partie de la dernière salve d’épluchage du programme. Celui-ci, c’est clairement son résumé qui m’a fait de l’oeil – peut-être parce que j’aurais moi-même besoin de quelqu’un qui pense à ma place en ce moment pour lui déléguer quelques petites taches plus ou moins ingrates… Hâte de voir comment la charge mentale est traitée !

Johana propose un bon job : devenir son homme à penser. Elle pourrait ainsi se libérer de sa charge mentale en partageant son cerveau avec quelqu’un. Car oui, ce qu’elle cherche, c’est quelqu’un qui soit capable de penser comme elle, dans la sphère professionnelle comme personnelle. Et pour ça, il doit tout apprendre. Tout connaître de sa vie, de son passé, de sa manière de travailler, d’être mère, de vivre son couple. Ses habitudes, ses réflexes, sa logique. Il doit devenir elle.

Aller voir un spectacle uniquement sur un résumé, c’est prendre un risque. On ne connaît ni l’auteur ni les comédiens ni le metteur en scène : il y a un monde où ce spectacle ne m’est pas du tout destinée. Ce Bon job était peut-être le plus gros pari de mon programme. Je n’avais absolument aucune idée de ce que j’allais voir. Au jour 7, c’est dangereux. Mais quand ça fonctionne, c’est tellement bon !

En fait, on se rend compte rapidement que la charge mentale est un prétexte à traiter autre chose. C’est un discours plus politique qui est porté sur le plateau, un affrontement entre deux montes. On ne révèlera pas tout – et la pièce laisse d’ailleurs planer une certaine ambiguïté – mais la pièce propose rapidement une critique ? un débat ? Disons une réflexion sur notre système capitaliste.

C’est un texte à la fois original et malin. Le discours n’est pas dénué de certains poncifs mais ils sont toujours ironisés. Et il ne constitue pas la matière première des échanges : il est là, en toile de fond, il existe mais de manière insidieuse. L’histoire de notre personnage, de son apprentissage et de son évolution au sein de la famille occupe notre charge mentale à nous. Il y a un mystère qui plane, une envie de suivre son évolution, un intérêt qui se soutient bien. Et tout d’un coup, la fin arrive, on nous a posé tous les arguments défendant une thèse parfaitement immorale, et on serait presqu’embêtés si on nous demandait de prendre parti.

Ça fait le job… et même plus que ça ! Une jolie surprise qui donne à réfléchir ! ♥ ♥ ♥