#OFF22 – Cinq étoiles

Critique de Cinq étoiles, du collectif Dixit, vu le 17 juillet à 15h50 à La Factory
Avec Florian Éléon, Sophie de Guérines, Alexis Guinoiseau, Marion Haïlé, Christiana Rüttimann, Julien Tomasina et Nicolas du Verne, mis en scène par le Collectif Dixit

Je me souviens de la présentation de Cinq étoiles lors de la conférence de presse du festival des Floreales : sorte de dystopie à la Black Mirror où tout est noté sur cinq, ça m’avait déjà bien fait envie à l’époque. La participation de Emmanuel Besnault au projet, que je ne découvre qu’aujourd’hui, achève de me convaincre tout à fait. Et puis c’est aussi l’occasion de découvrir enfin La Factory, dont la programmation me fait de l’oeil depuis plusieurs années maintenant. J’ai hâte.

Pour qui a vu l’épisode de Black Mirror Nosedive le synopsis va paraître familier. Pour qui vit en Chine, le synopsis est déjà familier. Cinq étoiles est une dystopie, une plongée dans un monde où chaque citoyen reçoit des bons points pour ses bonnes actions et des malus pour ses mauvaises, construisant ainsi sa note sur 5 – l’enjeu étant de rester au dessus de un pour éviter l’exclusion de la société.

J’ai vraiment pris un grand plaisir de spectatrice : comprendre l’univers et ses règles, découvrir les astuces des citoyens pour gagner des points, partager la panique liée au bug du grand H, l’algorithme régisseur… on s’amuse avec et de chacun des personnages. L’ensemble est inventif et ultra dynamique, pas dénué d’humour, avec de chouettes idées scéniques qui créent la surprise et maintiennent l’effet univers dystopique du début à la fin. L’histoire est bien construite et l’enjeu dramatique n’est pas oublié. Bref, le collectif dixit mérite pas mal de bons points pour cette création.

Cependant, je ne sais pas si la farce est le genre qui sert au mieux le propos. L’ensemble fait parfois un peu amateur, avec ces personnages caricaturaux et légèrement survoltés. L’esprit général reste assez léger, les comédiens qui incarnent des personnages pénibles semblent se moquer d’eux-mêmes, comme si l’équipe ne voulait pas trop se prendre au sérieux. Mais devant un tel travail, peut-être vaudrait-il le coup de gravir la marche d’après, pour un résultat encore plus percutant ?

Avec une note finale bien supérieure à 1 étoile, le collectif dixit relève le défi haut la main. Alors, bonus ou malus pour la prochaine création ? A suivre. ♥ ♥

#OFF22 – Un certain penchant pour la cruauté

Critique d’Un certain penchant pour la cruauté, de Muriel Gaudin, vu le 17 juillet à 13h05 à la Scala Provence
Avec Fleur Fitoussi, Muriel Gaudin, Benoit Giros, Antoine Kobi, Emmanuel Lemire, Clément Walker-Viry, mis en scène par Pierre Notte

Impossible de venir au OFF 2022 sans passer par le nouveau lieu dont on a tant parlé : La Scala Provence, écho sudiste de La Scala Paris ouverte par Mélanie et Frédéric Biessy il y a quelques années. Après épluchage de la programmation, de laquelle on a retiré ce qu’on a déjà vu à Paris, à la Scala ou ailleurs, je retiens un spectacle qui fera la continuité avec mon édition 2021 : j’avais vu Jubiler, avec Benoît Giros mis en scène par Pierre Notte, autour du couple, ce sera Un certain penchant pour la cruauté, autour de questions sociales et d’idées préconçues dans cet environnement si particulier qu’est la famille.

Elsa a décidé d’accueillir un jeune malien chez eux. Après tout, elle qui semble tout avoir, elle peut donner un peu pour les autres aussi. Mais évidemment, tout n’est pas si simple. L’arrivée de Malik va être le grain de sable qui fait exploser l’engrenage, qui révèle les failles personnelles et familiales. Le joli cocon cachait peut-être un nid de guêpes.

Je le dis à chaque fois, mais j’ai vraiment du mal avec les mises en scène de Pierre Notte. J’avais espéré qu’avec une pièce d’un autre auteur, ça passerait mieux – et c’est le cas – mais je reste quand même en dehors. Ces changements de costume à vue qui n’ajoutent rien au propos, cette manière de dialoguer sans se regarder, face public, de détacher chaque phrase comme si elle était d’égale importance, c’est une forme de mise en scène qui fige la vie. La distanciation, toujours, érigée comme principe de mise en scène, ce n’est pas pour moi.

Et si Muriel Gaudin échappe à certains écueils de l’écriture de Notte, sa première pièce a cherché à incorporer trop de choses pour convaincre entièrement. C’est comme s’il y avait deux pièces en une : une pièce socio-politique et une espèce de drame ironique. Le mélange des genres peine à se faire, on sent que quelque chose ne fonctionne pas, le tout reste hétérogène. On comprend mieux l’intention au fil de la pièce : la question sociale semble en réalité être un prétexte pour révéler l’explosion de la famille. Ce n’est qu’un faire valoir, un outil, qui peine à convaincre sur scène. C’est dommage, car le spectacle était porté par de très bons acteurs. Et ça se sent, lorsqu’à la fin, la pièce semble plutôt choisir une couleur, proche d’une forme de boulevard, lorsque la question sociale est résolue, ou du moins, mise de côté pour un temps, quelque chose prend, on rit, on rentre un peu dans l’histoire. C’est toujours ça.

Il aurait peut-être fallu pencher un peu plus du côté de la comédie pour frapper un grand coup. Dommage.

#OFF22 – Élémentaire

Critique de Élémentaire, de Sébastien Bravard, vu le 17 juillet à 10h au Théâtre du Train Bleu
Avec Sébastien Bravard, mis en scène par Clément Poirée

C’est le mot de professeur dans le résumé de la pièce qui a attiré mon oeil pour celui-ci. Professeur, c’est un métier qui me fait envie depuis toujours, j’y ai beaucoup pensé récemment, j’ai dû partager des interrogations avec Sebastien Bravard qui nous raconte son histoire et cet Élémentaire m’apportera peut-être des réponses. En tout cas, j’ai hâte d’entendre ce que ce maître d’école du jour et comédien de nuit a à nous raconter sur sa double vie.

C’est au lendemain des attentats du Bataclan que Sebastien Bravard a ressenti le besoin de s’engager. De se sentir utile. Le voilà donc plongé dans le monde de l’éducation nationale, de ses sigles, de ses règles. Le voilà confronté à une classe de CM1 pas des plus faciles, à essayer de leur faire apprendre, de leur faire comprendre, de ne perdre personne en chemin. Il faut parfois prendre des chemins de traverse pour arriver à la notion voulue, mais avancer et apprendre constituent en eux-même une réussite.

J’adore les histoires de vie portées au théâtre dans un seul en scène. Quand le sujet nous intéresse – et s’il est bien mené, entendons-nous bien – je trouve que c’est toujours un moment de partage assez fascinant pour le spectateur. Élémentaire est de ceux-là. Sébastien Pavard se livre avec sincérité, montrant ses doutes, ses échecs, ses envies. Il est ce professeur qu’on rêve d’avoir, celui qui prend son rôle d’instituteur dans sa globalité, qui accompagne les élèves dans leur scolarité mais également dans leurs interrogations de jeunes pré-adolescents. Il porte haut les valeurs de l’école, partage et transmission en tête.

Poétique, mais sans lyrisme mal placé, drôle, grâce au regard d’adulte sur le groupe d’enfants mais aussi parfois dans le personnage même de maître, son quotidien de professeur des écoles se suit comme un feuilleton. Les musiques de Stéphanie Gibert sont étonnantes, faisant résonner chacune des ambiances voulues derrière une sonorité enfantine et légère.

Lorsqu’il se met à enfiler la casquette de comédien en plus de celle d’instituteur, lorsque ses deux vies se chevauchent, le spectacle prend une autre couleur, ou plutôt, il recompose avec celles qu’il a déjà livrées. Et, si le comédien continue de douter, je crois que nous, spectateur, on est assez sûrs de lui.

Le comédien raconte, les spectateurs écoutent, et tout est là. Comme dans une salle de classe. ♥ ♥ ♥

#OFF22 – Reggiani

Critique de Reggiani, par Eric Laugerias, vu le 16 juillet 2022 à 23h aux Gémeaux
Avec Eric Laugérias, accompagné au piano par Simon Fache

Je suis toujours à la recherche d’un spectacle musical dans ma sélection du OFF. Il m’avait manqué l’année dernière, je comptais bien me rattraper cette année. Eric Laugerias, je l’ai croisé plusieurs fois sur scène ces dernières années, souvent chez Nicolas Briançon. Je connais son talent de comédien, ce sera l’occasion de découvrir celui de chanteur – et quoi de mieux pour ça qu’un récital Reggiani où les chansons se jouent autant qu’elles se chantent ?

J’adore découvrir le chanteur derrière le comédien. C’est une sensibilité légèrement différente, un dévoilement de soi. Et puis Reggiani, c’est du pain béni pour un acteur. Lui même comédien de théâtre avant d’être chanteur, il se définissait comme un acteur qui chante. Enfin, je me la pète un peu, parce que tout ça c’est Éric Laugerias qui me l’a appris. Il profite en effet de son récital pour raconter la vie de Reggiani, agrémentant son récit d’anecdotes et de rencontres marquantes. C’est un très bel hommage qu’il lui rend. On sent un immense respect et beaucoup d’amour lorsqu’il parle de lui, comme lorsqu’il chante ses chansons.

Il les incarne plus qu’il les chante, d’ailleurs. On passe par toutes les émotions chez Reggiani, on passe par toutes les émotions chez Laugerias. La tendresse des Mensonges d’un père, les frustrations et les envies du Souffleur, la violence des Loups sont entrés dans Paris, la mélancolie mais aussi une certaine forme de fatalité avec Ma fille et évidemment, quelque part entre la peur et la supplication, cette nécessité et ce besoin de Vivre. J’en oublie, car il y en a aussi de plus légères, comme des parenthèses badines bienvenues pour reprendre son souffle.

C’est un spectacle d’une grande générosité, qui multiplie les titres, cherchant à transmettre une passion pour l’homme et pour ses chansons. C’était implicite jusqu’ici mais autant le dire : Éric Laugerias a une très belle voix, profonde et douce, et chante remarquablement. Il ne cherche jamais à imiter Reggiani et c’est tout à son honneur. Il n’est d’ailleurs pas seul pour ce spectacle : autour de lui, tout est fait pour accompagner au mieux ces petits moments de vie que chantait Reggiani. Les lumières, évidemment, qui posent des ambiances, mais aussi les adaptations au piano, qui m’ont semblé reproduire musicalement le thème et l’atmosphère des chansons, profitant de l’intimité et de l’utilisation de ce seul instrument. Et sur scène, parfois, on a presque l’impression d’apercevoir un Monsieur qui passe.

Et tous les soirs
Monsieur Laugérias
Nous joue son Reggiani
♥ ♥ ♥

#OFF22 – Conseil de classe

Critique de Conseil de classe, de Geoffrey Rouge-Carrassat, vu le 16 juillet 2022 à 20h au Théâtre de la Reine Blanche
Interprété et mis en scène par Geoffrey Rouge-Carrassat

J’ai manqué plusieurs fois Conseil de classe qui avait fait beaucoup parler de lui il y a quelques années. C’est d’ailleurs par ce succès au Off que j’ai entendu parler pour la première fois de Geoffrey Rouge-Carrassat, me poussant à découvrir son spectacle Dépôt de bilan L’année dernière. Même si je reconnais avoir été plus déstabilisée que franchement convaincue, je garde le souvenir d’un vrai travail théâtral qui me donne envie de retrouver le comédien avec ce texte qui peut-être me parlera davantage.

Conseil de classe, c’est le spectacle qui permet à Geoffrey Rouge-Carrassat de dire à ses élèves ce qu’il n’a jamais pu leur dire, comme un règlement de compte avec les cancres, les agitateurs, les premiers de la classe, et même les invisibles. Son spectacle, inspiré de son expérience de professeur, est comme un exutoire. Il interroge le rapport professeur-élève, allant même jusqu’à endosser le costume de dresseur de fauves. Dans la cage, le fouet fend l’air, et les spectateurs attendent la sentence.

J’ai bien fait de revenir. Comme je m’y attendais, je suis d’autant plus sensible au spectacle que le sujet me parle davantage. Geoffrey Rouge-Carrassat est un artiste singulier, avec un univers à lui. Je reconnais sa patte, cette manière de faire spectacle avec le mobilier comme partenaires. Avec quelques tables et le double de chaises, il crée de vraies situations, et même de véritables partenaires de jeu. Cette puissance d’évocation, cette utilisation de l’espace, à la fois simple et intelligente, c’est clairement l’une des grandes forces de ce spectacle.

L’autre, c’est lui, assurément. Geoffrey Rouge-Carrassat est un comédien qui me fascine. Je retrouve avec un grand plaisir cette manière toute particulière de contrôler le rythme, s’autorisant des cassures brutales, allongeant soudain le temps, puis jouant à nouveau l’accélération. Il est le champion du flow rapide, il aime le manier avec des listes. Avec son physique étonnant, cette stature inflexible, et surtout cette intelligence qui émane de ses yeux, de ses traits, de ce sourire qui se dessine, à la fois fin et légèrement sarcastique, il n’est plus question de présence mais d’une invasion totale du plateau. Il capte tous les regards. Et l’assistance écoute la leçon. Une vraie leçon de théâtre.

Le professeur n’est pas forcément recommandable. Mais le comédien, si. Bravo ! ♥ ♥ ♥

#OFF22 – L’invention de nos vies

Critique de L’invention de nos vies, d’après Karine Tuil, vu le 16 juillet 2022 à 17h30 au Théâtre Actuel
Avec Valentin de Carbonnières, Mathieu Alexandre, Yannis Baraban, Nassima Benchicou, Brigitte Guedj, Kevin Rouxel, Elisabeth Ventura, mis en scène par Johanna Boyé

Encore un spectacle qui a plus d’une corde à son arc. La première que j’ai repérée, c’est la présence d’Elisabeth Ventura, trop rare sur les planches depuis quelques années. Je suis ravie d’avoir une occasion de la retrouver. La seconde, c’est évidemment Johanna Boyé, la metteuse en scène que rien ne semble pouvoir arrêter : après les succès de Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty et de Je ne cours pas je vole lors des précédentes éditions avignonnaises (que j’avais repéré, mais manqué), elle revient avec cette adaptation de roman plus que prometteuse. Avec une distribution importante, rare dans le OFF, je ne vais pas bouder mon plaisir.

La pièce est adaptée du roman à succès du même nom, écrit par Karine Tuil, qui raconte la chute de Samir, un jeune arabe qui s’est inventé une nouvelle identité en arrivant aux États-Unis. Cette nouvelle identité, c’est celle de Sam, le diminutif de Samuel cette fois, prétendument orphelin et juif, qui lui a permis d’intégrer un grand cabinet d’avocats et d’entamer sa nouvelle vie. Tout est basé sur un mensonge savamment orchestré, dont personne n’a la moindre idée. Mais comment garder secrète une vie tellement brillante ?

Ce qui m’a attiré dans le spectacle, après la distribution, c’est aussi la promesse d’une vraie histoire. Et je n’ai pas été déçue. Dans un style très michalikien, complètement fluide dans l’adaptation comme dans la mise en scène, le petit monde de Sam naît sous nos yeux. La tension monte, le rythme s’accélère, jusqu’à la chute qui voit ce rythme effréné se ralentir légèrement. Ce serait d’ailleurs ma seule réserve sur le spectacle : quelques petites longueurs qui s’installent vers la fin, lorsque tout a été révélé et qu’il faut trouver une issue à l’histoire. Les tableaux s’enchaînent de plus en plus courts et le rythme s’en ressent légèrement.

Mais c’est franchement pinailler. Je ferais mieux d’insister sur l’excellente interprétation de Valentin de Carbonnières, qui campe un Samir à la fois ultra charismatique et complètement ambivalent, passant de prédateur à proie en un clignement d’oeil. En scène durant pratiquement toute la durée du spectacle, il est étonnant. Mais tous suivent cette excellence. Ils sont dirigés de main de maître par une Johanna Boyé qui sait où elle va. Sa mise en scène est plus qu’efficace : elle vit. Avec toute l’intensité qu’il est possible de faire passer dans pareil engrenage endiablé, elle permet à cette écriture littéraire, qu’on a même plaisir à entendre, de se théâtraliser au plateau. Et d’en ressortir avec l’envie de dévorer le roman.

Un aller-retour pour New-York en moins de deux heures, ça ne se refuse pas. ♥ ♥ ♥

#OFF22 – Cerebrum

Critique de Cerebrum, de Yvain Juillard, vu le 16 juillet 2022 à 14h25 au Théâtre de la Reine Blanche
Avec et mis en scène par Yvain Juillard

Celui-ci, c’est à la sélection du Magazine Théâtral que je le dois. Je suis souvent friande de ce qui mêle science et création, les deux milieux entre lesquels je navigue au quotidien, alors un spectacle monté par un acteur à la double-casquette de comédien et biophysicien, ça m’intéresse tout de suite – d’autant que je connais l’exigence et la qualité de ce que propose la Reine Blanche, spécialisé dans le mélange art et science.

Je me suis demandée pendant tout le spectacle où j’avais vu ce comédien. Bon exemple de mon cerveau et ses limites, incapable de faire le lien entre le comédien issu d’une formation scientifique qui est devant moi et celui qui campait le roi dans Ça ira fin de Louis (1), estimant sans doute que les deux choses étaient trop éloignées pour créer une liaison neuronale entre ces deux événements.

Si vous n’avez rien compris, c’est normal. Tout devrait s’éclaircir au sortir de la conférence spectacle de Yvain Juillard, ancien biophysicien spécialisé dans la plasticité cérébrale, qui met sa verve de comédien au service de la science pour permettre aux spectateurs de mieux comprendre le cerveau.

Je n’étais probablement pas le meilleur public, m’étant moi-même un peu intéressée au sujet, et connaissant déjà une partie des explications qui nous sont données. Et pourtant j’ai pris un grand plaisir à refaire les expériences, à entendre à nouveau parler des neurones, des synapses, de la réalité perçue et traduite par le cerveau, transformant le monde en illusion. Et qui de mieux qu’un comédien pour nous présenter pareil sujet ?

Entre conférence et spectacle, pas suffisamment ennuyeux pour le premier, pas suffisamment dramatique pour le second, Yvain Juillard invente un troisième genre dans lequel il excelle, comme une conférence augmentée qui brise le quatrième mur pour un partage total des connaissances. Il mêle projections, expériences avec le public et schémas dessinés en direct à même la scène pour transmettre au mieux sa fascination pour cet organe qui nous réunit tous : le cerveau.

Et c’est fait avec tant de simplicité, d’envie et de passion, que même les questions les plus obscures et les plus métaphysiques, immortalité et déterminisme pour ne pas les citer, s’invitent sur scène. Loin de la position du sachant, il veille à ne laisser personne de côté, comme pour créer une illusion commune partagée par l’ensemble des spectateurs. Pour avoir, le temps d’un spectacle, la possibilité d’une même réalité.

A ne pas manquer pour qui souhaiterait en apprendre davantage sur l’organe le mieux protégé du corps humain. ♥ ♥

#OFF22 – Un dîner d’adieu

Critique d’Un dîner d’adieu, d’Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte
Avec Pascal Boursier, Philippe Rolland, Gwénaël Ravaux, mis en scène par Patrick Pelloquet

J’ai découvert Patrick Pelloquet il y a 6 ans, ici même, à Avignon. Son nom avait été beaucoup cité suite à une grande réussite au Théâtre 14 où il avait monté un Eduardo de Filippo, et il présentait un Labiche dans le OFF. J’avoue avoir quelques réticences avec les vaudevilles dans le OFF, ayant déjà essuyé quelques fiascos, mais j’avais envie de faire confiance à ce metteur en scène. C’était absolument unique, totalement délirant, j’ai été conquise. J’ai très envie de retrouver cette force comique unique, grinçante, qui, je pense, peut tout à fait coller au style de Delaporte et La Patellière.

Pierre et Clothilde ont un dîner ce soir, mais ils se rendent compte qu’ils n’ont pas très envie d’y aller. A quoi bon s’obliger à voir des copains si ça ne nous emballe pas plus que ça ? C’est à partir de cette question que se construit la suite : Pierre va s’inspirer de son ami Boris qui lui a appris le concept de dîner d’adieu. Le principe est très simple : tu organises un dîner qui sera en réalité l’ultime dîner en compagnie de ces amis-là, en les choyant un maximum, l’idée étant quand même que les invités ne se doutent pas qu’ils vivent en fait ici leurs funérailles amicales. Et hop, aussitôt dit aussitôt fait, Pierre et Clothilde organisent le dîner d’adieu de Béa et Antoine.

J’étais hyper emballée à l’idée de ce dîner d’adieu. Patrick Pelloquet est un metteur en scene que j’adore et il a le sens de la comédie. J’étais vraiment prête à rire comme jamais, d’autant que ma sélection n’étant pas franchement drôle, cette parenthèse comique ferait du bien. J’étais vraiment dans les meilleures conditions. J’étais un public acquis, en confiance. Vous la sentez venir, la chute ?

Le spectacle commence. Les comédiens entrent en scène, et celui qui joue Pierre lance sa première phrase : « Hé Clothilde ! ». C’est rien comme réplique, même pas une vraie phrase, une interjection, deux mots, vraiment on se dit c’est tout simple. Mais non, ce n’est pas si simple en réalité. Lancer ce « Hé Clothilde » sur le ton de la conversation, la, comme ça, l’air de rien, la simplicité même, c’est un art. Et quinze ans de spectacles m’ont chuchote à l’oreille un petit, un tout petit : « Aïe ! ».

Pas la peine de s’appesantir trop longtemps sur le sujet. J’ai espéré me tromper, peut-être que le comédien n’était pas dedans pour sa première réplique, mais non, rien à faire, il a continué sur le même ton, accentuant chaque mot, exagérant le ton, cherchant à faire rire avant de chercher à incarner son personnage. Et puis je ne dois pas être le bon public pour la pièce de La Patellière et Delaporte. Autant j’aime Le Prénom, qui m’a toujours fait rire, autant ce que j’ai pu voir des deux auteurs depuis ma toujours laissée de marbre. Bref, toutes mes espérances de bidonnage sont tombées à l’eau, et j’en suis sortie triste comme tout. Le comble !

Ce n’était pas un dîner d’adieu, mais bien un spectacle d’adieu pour moi, hélas !

#OFF22 – Gueules noires

Critique de Gueules Noires, de Hugues Duquesne et Kader Nemer, vu le 15 juillet à 13h50 au Grand Pavois
Avec Kader Nemer et Hugues Duquesne, mis en scène par Ali Bougheraba

Ali Bougheraba. C’est l’un des premiers noms que je cherche lorsque paraît la programmation du OFF chaque année. Que ce soit avec l’équipe de Un de la Cannebière, pour du stand up ou comme metteur en scène d’un spectacle d’improvisation, je ne manque jamais ce qu’il propose. Alors, si c’est dans Gueules Noires qu’on peut découvrir son travail cette année, ce sera Gueules Noires. Point.

Gueules Noires s’ouvre sur un éboulement. On est au fond de la mine, il fait sombre – le décor est très réussi – et quelque chose a fait s’effondrer une partie des galeries. Un homme se dégage de sous les pierres. C’est Ahmed, un nouveau mineur. Il est blessé. Il appelle à l’aide mais personne ne vient. Peut-être est-il le seul survivant de l’accident. Mais non, un homme a entendu ses cris. C’est Stéphane, c’est un porion, un chef. Enfermés sous terre en attendant les secours, les deux hommes vont échanger, apprendre à se connaître, partager leurs souvenirs.

Je grince un peu des dents au début de la pièce. Les échanges entre les deux personnages sont brefs, trop brefs, entrecoupés de noirs trop fréquents. L’histoire ne démarre pas vraiment, ils répètent sans cesse les mêmes choses : qu’ils sont coincés, qu’ils vont mourir, qu’ils ont peur. Ils profitent aussi de ce début pour nous en apprendre plus sur les mineurs, mais le texte est trop didactique, trop verbeux, cumule les poncifs. On en perçoit trop les intentions derrière l’écriture et on a du mal à imaginer pareilles phrases dans la bouche de deux mineurs coincés sous terre.

Puis vient cette scène où les deux personnages évoquent leurs souvenirs. C’est d’abord Ahmed qui raconte l’Algérie. Et quelque chose se passe. Tout ce qu’il évoque semble prendre vie sur scène. C’est le vrai début de la pièce, pour moi. Par la suite, même si le texte ne me convainc toujours pas totalement, je m’accroche à cette sincérité que partagent les deux comédiens. Ils sont touchants, parviennent à maintenir un peu de suspens sur la fin qui se rapproche. Mais cette fin, je ne vous la raconterai pas, pas seulement pour ne pas spoiler, mais parce que je ne suis pas sûre de l’avoir comprise. Et le spectacle finit comme il avait commencé.

Le texte pèche et la mordue se noie, heureusement rattrapée à la nage par quelques beaux moments authentiques et sincères. ♥

#OFF22 – Le Facteur Cheval ou le rêve d’un fou

Critique du Facteur Cheval ou le rêve d’un fou, d’après Le Rêve d’un Fou de Nadine Monfils, vu le 15 juillet 2022 à 11h au Théâtre des Halles
Avec Elliot Jenicot, accompagné du plasticien Philippe Doutrelepont, mis en scène par Alain Leempoel

Ils sont bons, les attachés de presse. Je n’avais pas repéré ce spectacle dans la programmation des Halles alors même qu’elle fait partie de celles que je scrute minutieusement d’habitude. C’est en recevant un courriel au titre racoleur style L’ANCIEN PENSIONNAIRE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE que j’ai découvert le spectacle. J’ai toujours beaucoup aimé Elliot Jenicot et Français ou pas Français, je continue de suivre son parcours avec plaisir.

J’ai appris au petit-déjeuner qui était le Facteur Cheval, ou plutôt pourquoi il était célèbre. Pour ceux qui, comme moi, sont ignorants en la matière, apprenez donc que le Facteur Cheval est connu pour avoir construit un palais à partir de pierres qu’il ramassait lors de ses tournées. Le spectacle traite évidemment de la construction du palais, mais surtout de l’histoire personnelle du Facteur Cheval qui accompagne et qui explique ce projet étonnant.

Je connais bien Elliot Jenicot pour l’avoir vu de nombreuses fois en scène, mais lorsqu’il est entrée ce matin, je ne l’ai pas tout de suite reconnu. Dans son uniforme de facteur, avec cette démarche d’homme fatigué par des travaux pénibles, avec sa tête penchée – elle s’élèvera par la suite – et sa voix rocailleuse, il était transformé. J’avais appris que le comédien avait repris le rôle au pied levé, et, l’espace d’un instant, je me suis demandée si finalement ce n’était pas le comédien initial qui était là devant moi. Puis, pendant le spectacle, je comprendrais que je m’étais trompée : devant nous, en fait, c’était le Facteur Cheval.

L’incarnation d’Elliot Jenicot dépasse toutes mes attentes. Il est d’abord un merveilleux conteur. Cette histoire, qui par ailleurs ne changera pas ma vie outre-mesure, il parvient à nous l’imposer comme centre de notre univers pendant 1h30. C’est comme si on avait toujours connu cet homme, comme si son projet nous était familier. Il fait tout passer : cette légère folie, évidemment, qui s’approche plutôt de la passion et qui brille dans ses yeux lorsqu’il parle de son palais ou de ses enfants, mais également une grande humanité dans l’évocation des plaisirs simples de la vie. Il fait exister l’âme rêveuse du personnage par-dessus cet extérieur un peu rustique qu’il lui dessine. Car on est tout autant touché par l’aspect physique de son Facteur, par la force brute qui émane de lui. Cette robustesse impressionne et permet une incarnation totale du personnage, qui rend la puissance de vie et de création du Facteur Cheval.

Et puis il y a quelque chose qui est venu s’ajouter à cette représentation. Quelque chose d’unique, que seul le spectacle vivant peut apporter. Le Facteur Cheval ou le rêve d’un fou se joue dans le Jardin du Théâtre des Halles, c’est-à-dire qu’il ne bénéficie en aucun cas de la climatisation si chère aux festivaliers. Le spectacle s’est joué sous près de 40 degrés à l’ombre, c’est-à-dire une épreuve pour un comédien. Voir Eliott Jenicot, en eau sous ses costumes épais, luttant contre les éléments tout en racontant cette histoire, c’est faire un pas de plus dans le monde du Facteur. C’est l’incarnation ultime, le théâtre immersif par excellence. On parle de construction, de force, de fatigue, d’un homme qui a donné ses nuits pour construire ses rêves, pour aller au bout, pour se dépasser, et on voit ce même homme devant nous, suant ce qui lui reste d’eau pour refaire vivre, l’espace d’un instant, celui à qui il prête son corps. Mais qu’est-ce que c’est beau.

Le temps s’est arrêté, ce matin au Théâtre des Halles, lorsqu’il a vu un homme ramasser des pierres sur son chemin. C’était peut-être Elliot Jenicot. Mais rien ne le prouve. ♥ ♥ ♥