Ladislasse

Critique de L’amour chez les autres, de Alan Ayckbourn, vu le 13 février 2024 au Théâtre Edouard VII
Avec R.Jonathan Lambert, Virginie Hocq, Arié Elmaleh, Julie Delarme, Sophie Bouilloux et Andy Cocq, mis en scène par Ladislas Chollat

L’affiche était belle. Chose rare pour un spectacle, la bande-annonce aussi. La distribution était alléchante, les têtes d’affiches un peu différentes de celles qu’on croise d’habitude à l’Edouard VII, comme si ce dernier tentait d’attirer un nouveau public. Et puis six artistes au plateau, on ne se moque pas de nous. Bref, j’ai plongé. Comme pas mal de monde a priori, car la salle était bien remplie pour un mardi soir – et tant mieux ! Tant mieux pour ceux, en tout cas, qui ont davantage rigolé que moi.

L’amour chez les autres met en scène trois couples, liés entre eux par les trois hommes qui travaillent dans la même entreprise : Frank Foster est le boss de Bob Philipps et William Chestnut. En surface, tout va bien. Mais officieusement, c’est un peu plus compliqué que ça. Il se trouve en effet que Bob Philipps a passé la nuit avec la femme de Frank Foster, Fiona Foster. Et que, à deux doigts de se faire prendre chacun de leur côté, ils ont pris le même couple pour alibi : Bob a prétendu avoir passé la soirée avec William Chestnut, et Fiona avec sa femme. Cerise sur le gâteau, le couple Chestnut va se retrouver invité à dîner chez les Foster, puis chez les Philipps. Voilà qui promet…

Je pensais que ce serait ma came. Les histoires de couple, les petites mesquineries, les tromperies, les comiques de situation, c’est vu et revu mais sur moi ça fonctionne toujours. Je suis bonne cliente. Devant l’affiche, devant le résumé, devant la bande-annonce, j’avais l’impression de me retrouver devant ces comédies françaises style Le Jeu que je consomme facilement au cinéma. J’avais les mandibules échauffées, prêtes à se décrocher. Y’avait plus qu’à envoyer !

En fait, c’était pas tout à fait ça. On ne jouait pas vraiment dans la cour prévue. L’Amour chez les autres est une comédie anglaise. Ce qui ajoute deux poids dans la balance. D’abord, c’est de l’humour anglais. Pas vraiment absurde mais disons décalé, un peu loufoque. Ensuite, c’est traduit. Loin de moi l’idée de juger l’adaptation française signée par Marie-Julie Baup, simplement, pour des situations pareilles, on sent le léger décalage induit pas le poids culturel qui vient avec la comédie. Bref, je sens déjà mes mandibules qui commencent à se contracter.

Bon, me voilà donc loin de ma comédie réaliste à la française, mais on va pas se braquer pour autant. Après tout, le but du plateau reste de nous faire rire, je suis là pour ça, on va peut-être trouver un terrain d’entente. Et on l’a trouvé. Pendant cinq minutes, lors de la scène tant attendue, à peu près au milieu de la pièce, quelque chose prend. Le rythme, le grain de folie, la montée en puissance, tout y est. Mais cinq minutes, c’est peut-être un peu court sur une comédie qui dure 1h30.

Le reste du temps, malheureusement, je reste complètement sur ma faim. Difficile de mettre en cause les comédiens, qui défendent tous leur personnage avec ardeur, ni le texte, qui donne à voir un vrai potentiel comique. Non, pour moi, le problème vient de deux choses. D’abord, il y a comme une promesse non tenue : la bande-annonce et même le sujet de la pièce en lui-même semblaient converger vers une confrontation des trois couples. Or, cette confrontation n’arrive jamais. Et les dîners en eux-mêmes prennent finalement peu de place dans l’ensemble de la pièce, qui manque cruellement de tension dramatique. D’où probablement une partie de mon ennui.

Mais il y a aussi un problème de mise en scène. Moi qui ai toujours beaucoup aimé le travail de Ladislas Chollat, me voilà un peu décontenancée. Sa proposition manque cruellement de rythme : le spectacle semble monté au ralenti. Ce genre de comique fonctionne mieux en accéléré – le genre match de ping pong professionnel où on n’a même pas le temps de voir la balle tellement elle va vite. Et là, on se retrouve sur un match entre potes un dimanche post barbecue. L’histoire met plus de temps à avancer que le spectateur à comprendre ce qui va arriver. Et lui laisse tout le temps d’observer les défauts de la pièce : ses dialogues légèrement poussifs, ses aspects vieillots, ses grosses ficelles.

L’amour chez les autres – Théâtre Edouard VII
10 place Édouard VII, 75009 Paris
A partir de 30€
Réservez sur BAM Ticket !

Têtes d’affiche, malheureux stratagème

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Critique de L’heureux stratagème, de Marivaux, vu le 9 octobre 2019 au Théâtre Edouard VII
Avec Eric Elmosnino, Sylvie Testud, Suzanne Clément, Jérôme Robart, Jean-Yves Roan, Simon Thomas, Roxane Duran et Florent Hill, dans une mise en scène de Ladislas Chollat

Cela faisait partie de ma must-see list de la rentrée. L’affiche était attirante, le texte envoûtant, la distribution clinquante, la mise en scène nous mettait en confiance : bref, c’était la promesse d’une bonne soirée. Je ne mets que rarement les pieds à l’Edouard VII et j’étais ravie de retrouver l’un des plus beaux théâtres privés parisiens, son bar attractif, sa salle rouge et or. Vous l’avez compris, j’avais des étoiles plein les yeux. Mon ciel s’est rapidement couvert.

La Comtesse et Dorante coulaient le parfait amour jusqu’à l’arrivée du Chevalier. Trouvant sans doute sa situation trop stable, son amour sans vague, son prétendant trop parfait, celle-ci se laisse séduire par le Chevalier et délaisse son ancien amant, qui, mâle simple bien loin d’imaginer les manigances inconscientes de sa moitié, ne comprend d’abord pas du tout ce revirement de situation. C’est grâce à la Marquise, qui a été délaissée par le Chevalier et qui, elle, devine le jeu de la Comtesse, qu’il va comprendre le pourquoi du comment et, aidé par elle, renverser une situation fausse pour – presque – chaque coeur.

C’est la deuxième fois que je vois ce texte de Marivaux. En deux fois, il est peut-être devenu ma pièce préférée de l’auteur. Dois-je redire une nouvelle fois mon amour pour ses textes, sa clairvoyance de l’esprit féminin tout en contradictions qui transparaît sans jamais une once de misogynie à travers ses dialogues toujours précis et ciselés à la perfection ? Même si j’ai été heureuse de retrouver ce grand texte ce soir, j’avoue que mes oreilles ont un peu saigné parfois.

J’adore Ladislas Chollat. Découvert sur le tard dans sa mise en scène du Père de Florian Zeller, c’est, pour moi, dans Les Cartes du Pouvoir qu’il a révélé tout son talent de mise en scène. Même dans les plus récents Inséparables à l’Hébertot qui, je dois le reconnaître, ne m’avaient pas laissé un souvenir impérissables, il apportait sa patte et rendait le moment plus qu’agréable. Mais je ne suis pas sûre qu’il soit fait pour la langue de Marivaux dans laquelle chaque virgule doit être incarnée par son interprète et où la subtilité règne en maître. On devrait presque entendre les pensées des personnages par-dessus leurs répliques. Et je ne sais pas si le travail sur le texte a été suffisamment poussé pour permettre à Marivaux d’être correctement entendu…

Je ne sais pas vraiment sur qui rejeter la faute. A-t-il fait le choix de ses guests ou lui a-t-on imposé ? A-t-il échoué à diriger ses acteurs ou Marivaux lui a-t-il échappé ? Le fait est qu’il semble avoir fait le choix de jouer Marivaux comme un boulevard et que ça ne prend pas. Sa distribution tape-à-l’oeil composée de guests peine à faire vivre le texte et on en vient à interroger la présence de Sylvie Testud sur un plateau de théâtre – elle n’avait pas remis les pieds sur une scène depuis 2011. Autant elle me convainc tout le temps au cinéma, autant là je n’ai pas compris sa proposition. Mangeant ses mots, la voix trop monotone, atteinte de la bougeotte, sa Comtesse n’est qu’un spectre sur scène – mais un spectre autour duquel tout le monde gravite, ce qui handicape beaucoup le spectacle. Je ne suis pas beaucoup plus convaincue par Suzanne Clément dont le jeu est sans relief. C’est finalement Eric Elmosnino, qui m’avait habitué à un jeu plus cabotin, qui s’en sort le mieux. Il a été bridé juste ce qu’il faut, nous laissant entendre ses fins de phrases tombantes assez rarement pour créer vraiment le rire, trouvant l’émotion juste dans le désespoir initial comme dans l’explosion finale de son amour. Il est vraiment délicieux en Dorante.

On en attendait beaucoup mieux. Stratageme_original_backup.jpg

Il aurait fallu un Nom

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Critique du Prénom, de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, vu le 6 septembre 2018 au Théâtre Édouard VII
Avec Florent Peyre, R. Jonathan Lambert, Marie-Julie Baup, Sébastien Castro, et Lilou Fogli, dans une mise en scène de Bernard Murat

Qui ne connaît pas Le Prénom ? Pour ceux qui, comme moi, auraient manqué la version théâtrale, un film a été tourné à la suite de son succès permettant au texte de se faire connaître, et ce pour mon plus grand bonheur. Car Le Prénom est un film que j’adore, que j’ai vu plusieurs fois et qui fait partie de mes classiques : pour ses répliques uniques, pour son casting royal, pour son histoire rocambolesque. Redécouvrir Le Prénom au théâtre aurait donc dû être synonyme de bonne soirée. Mais il n’y a qu’un Prénom, et il ne se joue pas à l’Edouard VII cette saison.

Babou et Pierre ont invité des amis pour le dîner : Vincent, le frère de Babou et meilleur ami de Pierre, sa femme, Anna, enceinte de plusieurs mois, et Claude, leur ami d’enfance. Vincent, qui arrive bien avant sa femme, a sur lui une photo de l’échographie du matin qu’il montre à ses amis, avant de leur faire deviner le prénom qu’ils ont choisi. Seulement voilà, ce prénom-là n’est pas habituel. Il dérange. Il dérange tellement qu’au-delà de la dispute qu’il va engendrer directement, ce sont plusieurs cassures, plusieurs révélations qui vont s’enchaîner au cours du dîner, qui va exploser de toutes parts.

C’était peut-être trop tôt. Trop tôt pour reprendre ce succès auxquels sont associés de grands comédiens populaires : Patrick Bruel, la regrettée Valérie Benguigui ou encore Guillaume de Tonquédec. Trop tôt pour parvenir à les effacer derrière les différents personnages. Trop tôt pour planter, dans un même cadre, des comédiens si différents. Mais trop tôt aussi pour lancer le début des représentations. J’ai eu le sentiment d’un spectacle inabouti, dans lequel les comédiens cherchent encore leurs marques.

Ce fut l’occasion aussi de me rendre compte que la partition du Prénom n’était pas si géniale que je me l’étais figurée : elle ne résiste pas à une distribution inégale. C’était finalement davantage un film d’acteurs qu’un film d’auteurs. A travers cette représentation, j’ai pu voir les limites d’un texte que je connaissais bien, et qui était probablement sublimé d’une part par les comédiens qui l’interprétait, mais également par un montage au cordeau éliminant chaque blanc qui, même infime, aurait pu s’avérer très pesant.

Ce qui m’a le plus frappée, c’est sans doute l’absence de cohésion au sein du groupe. J’ai bien conscience que le montage du film permettait sans doute de renforcer l’atmosphère amicale qui y régnait, mais j’aurais apprécié qu’un semblant de lien social fasse son apparition sur la scène du Théâtre Edouard VII ce soir-là. Cela manque cruellement à la pièce qui n’arrive à dégager ni tension ni émotion. La situation elle-même semble reposer sur du vide. Je n’ai pas cru que les personnages qui m’étaient présentés étaient une bande d’amis d’enfance. Plutôt des comédiens perdus qui avaient vu la lumière sur le plateau et s’y étaient dirigés.

Cela commence avec Florent Peyre. J’ai bien conscience que passer derrière Bruel, c’est difficile. Je m’étonne d’ailleurs de ce choix de distribution : donner un rôle si marquant à un comédien qui n’a jamais mis les pieds sur une scène de théâtre me laisse perplexe. Dès la voix off initiale, on sent qu’il y a un couac. Qu’il n’aura pas les épaules pour porter le rôle de Vincent. Et cela ne rate pas : calquer un sourire ironique sur son visage pendant 2 heures ne suffit pas à incarner ce personnage. Celui qui se voudrait maître de cérémonie devient simple figurant – et cela fait un personnage en moins.

Cela continue avec R. Jonathan Lambert qui incarne Pierre. Lui a choisi le cri comme seule composition. D’ailleurs ce n’est que la couturière, et sa voix est déjà cassée. Je crains le pire pour la suite. Rien ne s’arrange avec l’entrée en scène de Lilou Fogli : la voix mal posée, le visage figé, l’allure empruntée, le comédienne ne parvient pas à s’en sortir avec ce rôle ingrat – et voilà encore deux personnages en moins.

Mais c’est Marie-Julie Baup qui m’a retournée le coeur. Marie-Julie Baup, que je suis depuis plus de 5 ans maintenant, que j’adore, que je vois sans cesse se renouveler, a livré ce soir-là une prestation incompréhensible. Je mettrais en cause la direction d’acteur qui la fait chouiner en permanence sans que la situation ne l’exige, mais je reste déçue par l’ensemble de la composition, qui donne lieu à un moment de bravoure qui tombe complètement à plat – et cela fait un nouveau personnage en moins.

Cela s’adoucit finalement avec Sébastien Castro. Difficile, pourtant, de passer derrière Guillaume de Tonquédec qui a fait de Claude l’un des personnages les plus touchants du film. Si Castro n’arrive pas à atteindre le même degré d’émotion, il parvient quand même à effacer l’image du comédien qui le précède pour proposer sa propre interprétation de Claude – il fait un peu du « Sébastien Castro », il est vrai, mais tient malgré tout sa composition jusqu’au bout, cohérente, convaincante.

Une déception d’autant plus amère qu’elle signe le début de ma saison 18/19. Mais ne soyons pas superstitieux : après tout, ce n’est qu’un Prénom… pouce-en-bas