Ruy Blas de gamme

Critique de Ruy Blas, de Victor Hugo, vu le 4 octobre 2023 au Théâtre Marigny
Avec Jacques Weber, Kad Merad, Stéphane Caillard, Basile Larie, Jean-Paul Muel, Magali Rosenzweig, José Antonio Pereira, Sahra Daugreilh, et la participation des apprentis du STUDIO | ESCA, mis en scène par Jacques Weber

Évidemment que j’ai tiqué. Vous pensez bien. Ruy Blas, mis en scène par Jacques Weber. Jacques Weber à qui je reproche déjà depuis quelques spectacles de commencer à faire n’importe quoi, et qui là se rajoute en plus la casquette de metteur en scène histoire d’être encore moins dirigé que d’habitude. J’avais dit non. Mais mon accompagnatrice est coriace. Et je dois dire que moi-même, devant la bande-annonce, j’avoue une certaine curiosité. Ils osent le truc à fond. Ils la jouent blockbuster. Série Netflix. Weber se prend pour le parrain. La bande-annonce est kitsch mais elle fonctionne. Il y a un monde où ça prend. Et un monde où c’est juste kitsch. Allez, devinez ?

On ne va pas trop s’épancher, hein, parce que j’ai déjà perdu suffisamment de temps (plus de deux heures, quand même) et d’argent (55€ la place, et même pas en catégorie Or, sinon c’est pas drôle), pour ce spectacle. Mais quand même. J’ai envie de laisser une petite trace, parce que c’est pas tous les jours qu’on voit ça. Quand le rideau se lève, il y a déjà une petite réaction. Le décor apparaît et il y a un réflexe, quelque chose entre le recul et le dégoût. Bon, ils n’ont pas misé sur les décors, cela paraît évident. Mais voyons le reste.

Le reste, je ne pensais même pas que ça pouvait exister. Enfin, soyons précis. Je ne pensais pas que ça pouvait exister ici, au Théâtre Marigny. Evidemment, dans un cours de théâtre, ça existe. C’est d’ailleurs l’impression que donne le spectacle. Pas un Ruy Blas de sortie de Conservatoire, hein, entendons-nous bien. Plutôt un Ruy Blas amateur monté avec des copains avec qui on a passé autant de temps à se raconter notre semaine qu’à s’intéresser à Hugo. Et je n’ai aucun problème avec ça, chacun fait bien ce qu’il veut avec ses cheveux. Sauf que là, on joue avec les cheveux des spectateurs. Présenter ça au nez et à la barbe (et aux cheveux, du coup) d’un public qui paie (cher !) sa place, c’est indigne.

Et justement, parlons un peu d’argent. Car c’est probablement le principal moteur de ce spectacle. L’économie. Attention, loin de moi l’idée de dire que Ruy Blas appelle forcément un spectacle coûteux. Non, non, non. Ruy Blas pourrait tout à fait fonctionner dans un théâtre de tréteaux. Le texte suffit. Mais ici, ce qu’on reproche, ce n’est pas l’absence de moyens. C’est le mauvais goût. Tout est fait à l’économie, et dans le pire style qui soit. Les costumes suivent l’esthétique (ou l’absence d’esthétique) des décors. Les musiques semblent tout droit sorties de Windows movie maker. Les lumières sont inexistantes. Mais c’est probablement dans le casting qu’on a fait les plus grandes économies. On peut légitimement s’interroger : cette distribution qui mêle professionnels et apprentis a-t-elle été pensée pour les bonnes raisons ? Était-ce vraiment une bonne chose de distribuer Basile Larrie, actuellement dans la classe libre du cours Florent et probablement encore un peu vert, dans un rôle aussi lourd que Ruy Blas ? Quant à ces comédiens qui essaient d’habiter la scène, pas tout à fait des figurants, pas tout à fait des chanteurs, pas tout à fait des danseurs, que font-ils ici ? Qu’attendait-il d’eux ? Pourquoi sont-ils « doublés » dans la fameuse scène du Bon appétit ! messieurs ! » ? Est-ce qu’on nous prendrait pas un peu pour des pigeons ?

Bon mais là je mords je mords mais ce n’était pas ça que je voulais faire. Parce qu’au fond, une fois le deuil de Ruy Blas fait, je ne vais pas vous mentir, j’ai quand même passé une bonne soirée. Weber a cumulé toutes les erreurs d’une première mise en scène à tel point que c’en devient drôle. Tout devient possible. On verrait débarquer un alien sur scène chantant la Marseillaise, on ne serait pas tant surpris. Il faut dire qu’après les serviteurs en Men in Black, après des projections aussi inutiles qu’illisibles sur un décor sans âme, après la guitare sur la déclaration d’amour, après la voix off sur le croisement des regards des amants, après le ralenti sur leur premier contact, après les répliques inaudibles prononcées dos au public, après les lumières d’anniversaires qui accompagnent une chorégraphie improbable sur Tea for Two, après la mort la moins émotionnelle qui soit, immédiatement coupée par Arcade Fire, tout pourrait passer.

Et du coup, moi, je fais passer un petit paragraphe random, parce qu’il faut bien je le mette quelque part, et que comme j’ai l’impression qu’on ne m’a pas vraiment respectée en tant que spectatrice ce soir, moi aussi je fais n’importe quoi dans ma critique et tant pis pour qui lira : j’ai quand même envie de sauver Stéphane Caillard, qui est toujours aussi parfaite à chacune de ses apparitions au théâtre, ainsi que l’acte IV, dans lequel Kad Merad s’en sort mieux que bien. Au moins un poste budgétaire pas trop mal réparti.

Ruy Blas – Théâtre Marigny
Carré Marigny, 75008 Paris
A partir de 25€
Réservez sur BAM Ticket !

An-cop-nina

Critique de Coupable d’après le film Den Skyldige, adaptation de Camille Barnes et Bertrand Degrémont, vu le 9 septembre 2021 au Studio Marigny
Avec Richard Anconina et Gaëlle Voukissa, dans une mise en scène de Jérémie Lippmann

Au départ, c’était un peu pour la blague. Richard Anconina, je l’ai découvert chez Ruquier il y a un an et demi alors qu’il venait présenter Un mauvais garçon, le téléfilm dans lequel il avait tourné avec Xavier Durringer. J’ai un peu flashé sur lui, il me semble qu’il parlait de sa peur de monter sur scène mais il semblait quand même laisser une ouverture, et je me suis dit que si un jour il jouait au théâtre j’irais le voir. Et ça n’a pas manqué.

Coupable est un huis clos qui se déroule dans un commissariat, de nuit. On y découvre Pascal, en charge de la permanence téléphonique ce soir-là. On comprend aussi qu’il est à la veille d’une comparution pour une bavure policière dont il est le protagoniste. La permanence téléphonique n’est pas son quotidien, il attend plus que tout de revenir sur le terrain après son jugement. Mais alors qu’il s’apprête à finir son service, il reçoit l’appel d’une femme qui vient de se faire kidnapper et qui demande son aide.

J’adore les spectacles qui se passent comme ça. J’adore quand le théâtre me démontre que j’avais tort. Parce que, soyons honnête, je n’attendais pas grand chose de Anconina pour sa première fois sur les planches ; je ne le connais même pas en tant qu’acteur de cinéma. Ce sont deux métiers différents et, dans mes grandes théories de spectatrice, il ne pouvait pas me convaincre. Et puis il commençait avec un sacré malus : placée tout à jardin, je ne pouvais le voir pendant presque toute la première partie du spectacle car il était caché par d’énormes écrans d’ordinateur placés sur son bureau. Avouez que c’est quand même rageant de payer 50€ sa place pour voir un comédien qui finalement se cache derrière son moniteur.

Bref, il n’est pas difficile de m’imaginer, pestant contre le metteur en scène et le théâtre privé qui se fichent du monde, préparant quelques tournures de phrase aiguisées pour exprimer mon mécontentement. Mais écoutant d’une oreille ce qui se passe sur scène, quand même. Et v’là-t’y pas que je me mets à m’intéresser franchement à ce qui s’y déroule, sur scène – tout en n’en voyant pas la moitié, bien sûr. Je mords à l’hameçon. J’écoute avidement les conversations entre Pascal et Sara, la femme kidnappée. Je soupçonne. Je doute. J’accuse. J’interroge. Merde.

J’aime le théâtre quand il trompe mon cerveau. J’ai beau penser qu’on ne m’y prendrait pas, mon corps me dit le contraire. Tant pis, je lâche prise. Et je peux (presque) librement admirer ce qui se passe sur scène (n’oublions pas que je ne vois toujours pas le visage de notre vedette). Avant d’aller plus loin, il me semble essentiel de préciser que je n’ai pas vu le film dont est tirée l’adaptation, je n’ai donc aucune connaissance du scénario, ni aucun moyen de comparer les jeux d’acteurs. Je fais avec ce que je découvre en scène.

Et ce que je vois, c’est un comédien infiniment fragile, qui utilise sa fragilité pour son jeu d’acteur. On ne pouvait sans doute choisir de meilleur projet pour les premiers pas de Richard Anconina sur les planches. Le rôle lui correspond parfaitement. Il n’a pas confiance en lui, ça se voit, ça se sent, et le texte qui défile sur les écrans – qui par ailleurs limitent ma visibilité, au cas où vous n’auriez toujours pas compris – viennent confirmer mon intuition. Tout comme sa gêne lors des applaudissements du public à la fin du spectacle : il ne sait pas où se mettre, il ne sait pas recevoir l’amour du public, il rêverait d’être partout ailleurs qu’ici.

Cette fragilité, c’est sa force. Elle confère à son jeu d’acteur une authenticité et une sincérité sans faille. Son angoisse est réelle et communicative. Son manque d’assurance a quelque chose d’émouvant. Il en fait moins que ce qu’on pourrait attendre d’un pareil personnage – cette légère réserve est-elle due à son habitude de la caméra ? – ce qui le rend étonnamment proche de nous, comme accessible. Et l’objet théâtral le porte, cela se sent. Le dispositif a quelque chose de très cinématographique qui fonctionne bien. La mise en scène de Lippman accompagne l’histoire et permet à la tension de monter tranquillement sans fausse note. La régie, qui doit jouer un grand rôle dans ce spectacle en contrôlant la bande-son qui devient l’interlocuteur principal de notre personnage, est impeccable. C’est soigné. C’est réussi. Et puis, sur la deuxième partie du spectacle, j’ai même réussi à apercevoir Richard Anconina !

J’ai l’impression que ça faisait une éternité que je n’avais pas été surprise en bien au théâtre. Quel bonheur ! ♥ ♥

Crédit : ©Céline Nieszawer

Cabaret, Théâtre Marigny

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Critique de Cabaret, d’après le film du même nom, vu le 20 décembre 2011 au théâtre Marigny
Acteurs : Claire Pérot, Emmanuel Moire, Geoffroy Guerrier, Patrick Mazet, Catherine Arditi, Pierre Reggiani, Delphine Grandsart, Cathy Arondel, Joseph-Emmanuel Bascardi, Vanessa Cailhol, Pia Lustenberger, Franck Mignat, Amélie Munier, Xavier Rachet, Tristan Robin, Audrey Senesse, Camille Artichaut, Adrien Biry, Marianne Devos, Julie Galopin, Pierre Lamiraud, Lionel Losada, Marie-Laure Ravau, Orchestre : Jean-Philippe Batailley, Philippe Cadou, Stan Cramer, Benoît Dunoyer de Segonzac, Marc Giglio, Daniel Glet, Didier Guazzo, Olivier Moret, Xavier Pebayle, Erick Poirier, Davier Pouradier-Duteil, Lorenz Rainet, Mathieu Serradell ]

J’avais vu ce spectacle lors de son premier passage à Paris en 2008 … J’avais à peine 12 ans, et j’avais déjà adoré. Mais là ! Je me demande même si je vais arriver à dormir… Je vote sans hésiter pourCabaret comme meilleur spectacle de la saison (aux côtés de Diplomatie, dans un genre très différent) ! C’est superbe, merveilleux, magnifique, extraordinaire, génial, spendide, indépassable, fabuleux, prodigieux, sensationnel, formidable … Et j’en passe.

C’est l’histoire de Cliff Bradshaw, jeune écrivain américain, qui vient chercher l’inspiration dans la capitale allemande, dans les années 30. Il y rencontrera entre autres Sally Bowles, qui se produit dans le Kit Kat Klub, un cabaret allemand, où se passe une grande partie de l’action … Les deux jeunes gens deviendront bien vite amants, mais leur histoire et celle de ceux qui les entourent seront bien vite tourmentées par la montée du nazisme … 

C’est donc dans un cabaret que l’on arrive, lorsqu’on entre dans la salle. Une atmosphère un peu enfumée, des lumières assez « flashy », des femmes plutôt aguicheuses avec le spectateur, tout est fait pour nous mettre dans l’ambiance. Le décor est impeccable, car il est simple mais ne manque de rien : on distingue aisément les 3 tableaux différents, à savoir le Kit Kat Klub, la chambre de Cliff, et le hall de l’auberge que tient Fraulein Schneider (Catherine Arditi), où la majorité des personnages logent. L’orchestre joue « en live », en « haut » de la scène (voir photo ci-dessous), ce qui rend l’histoire encore plus « vraie » … 

Toute la pièce est menée, en quelque sorte, par le Maître de Cérémonie (Emcee), incarné par Emmanuel Moire. J’avais assisté à la performance de Fabian Richard, et je craignais un peu le changement. Mais l’acteur qu’on connaissait surtout en tant que jeune Louis XIV fait des merveilles ; dans un autre genre que son prédecesseur, il tient parfaitement ce rôle et est cynique, étrange, et excentrique à souhait. Son talent est indéniable, et il chante aussi bien qu’il joue, ce qui n’est pas peu dire ; il nous fait passer du rire aux larmes, et le spectateur rit beaucoup durant la chanson d’entrée en scène, celle que tout le monde connaît, « Wilkommen », alors qu’il est particulièrement émouvant lorsqu’il chante « Je m’en fous », une des dernières chansons de la pièce. 

L’autre personnage phare de la pièce, c’est bien sûr Sally Bowles, rôle tenu depuis la création par Claire Pérot. On n’imagine pas une autre actrice, le rôle semble fait pour elle… Elle est tout simplement épatante : c’est elle qui tient le plus de parties chantées après Emcee, et sa voix est fabuleuse… Je me demande d’ailleurs comment une voix aussi puissante et sublime peut-elle sortir d’un corps aussi menu ? Le fait est que lorsqu’elle chante Cabaret, on est ému aux larmes : c’est absolument remarquable. De plus, elle a un jeu parfait et ne semble avoir aucune faiblesse ; elle est aussi talentueuse sur les dialogues plutôt gais que ceux dont le ton est plus grave. 

Le duo Catherine Arditi (Fraulein Schneider) et Pierre Reggiani (Herr Schultz) est également excellent : ces deux amants dépassés par le temps et qui aimeraient se marier, mais que les nouvelles politiques allemandes empêchent … C’est un véritable déchirement de les voir obligés de se séparer, alors qu’ils étaient si prêt d’un but qui était apparu si long à atteindre … Jeux et voix à nouveau sans défaut …

Trouvera-t-on enfin une faille dans ce spectacle ? Je ne pense pas. A vrai dire, c’est impossible. Tout est parfait. Les danseuses sont brillantes, l’orchestre est grandiose, et tous les autres personnages sont tout aussi admirables : je pourrais encore parler de Geoffrey Guerrier, alias Cliff, amoureux de Sally, jeune et naïf au début, mais qui évolue rapidement et finit par choisir de fuir l’Allemagne qui dérape… ou encore de Patrick Mazet, ami de Cliff, mais qui se verra éloigné de ce dernier à cause de ses opinions politiques, ce qu’il ne souhaitait pourtant pas … J’aurais encore tant de choses à écrire, mais je pense que le théâtre est fait pour être vu, donc … 

COUREZ-Y !

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