Le big spectacle de Melody Mourey

Critique de Big Mother, de Mélody Mourey, vu le 15 février 2023 au Théâtre des Béliers Parisiens
Avec Patrick Blandin, Pierre-Yves Bon, Ariane Brousse, Guillaume Ducreux, Marine Llado et Karina Marimon, mis en scène par Mélody Mourey

J’ai vu Les crapauds fous de Melody Mourey il y a quelques années. Il y avait déjà une patte, c’est indéniable. Aujourd’hui, le style s’est amélioré, affiné, affirmé, pour donner un spectacle juste complètement dingue, sorte de page turner théâtral. J’avais visé juste en me disant que le sujet abordé correspondant à merveille à l’énergie de la jeune metteuse en scène. On aurait envie de dire qu’on sent l’influence de Michalik, mais Melody Mourey semble s’en démarquer avec une narration plus intense, l’intuition que quelque chose restera en nous au sortir de ce spectacle. Qui est juste une bombe théâtrale.

Je dois reconnaître qu’à la vue du sujet, j’étais déjà emballée. Le big data, la surveillance numérique, la fausse gratuité du net sont des sujets qui me passionnent. Et on est complètement là dedans. Big Mother a des airs de Cambridge Analytica. Il y est question de jeux d’influence, d’élections politiques, de conflits d’intérêts et, évidemment, de business de données. Mais c’est avant tout un thriller haletant, alors autant ne pas trop en dévoiler.

C’est un spectacle qui commence à toute allure. J’ai l’impression de commence par une pure banalité. Et pourtant ce début n’a rien de banal. Cette puissance n’a rien de de banal. Cette énergie-là, ce coup de fouet qui nous emporte à la seconde où le rideau s’ouvre, c’est quelque chose qu’on ne voit pas tous les jours. Il ne suffit pas de courir partout sur un plateau en hurlant pour insuffler de l’énergie à un spectacle. Il faut parvenir à nous faire croire que l’urgence est sur le plateau, à cet instant-là, pour éclipser tout le reste en un millième de seconde. Il faut que ce soit simple. Une simplicité à couper le souffle, voilà ce que nous propose Melody Mourey dans ce Big Mother.

L’équipe réunie sur le plateau est absolument fascinante. Ils ne relâcheront pas la pression d’un millibar durant tout le spectacle. C’est un spectacle en hypertension. Mais tout n’est pas non plus qu’une histoire de technique. C’est un spectacle sérieux et intense qui s’autorise des pas de côté avec beaucoup de style. Qui balance des punchlines comme des bombes. Qui multiplie les ambiances, qui soigne sa scénographie, qui met en valeur ses personnages secondaires. Bref, de l’ultra-généreux d’ultra-qualité. Qui se hisse directement sur le podium de mes recommandations pour les mois – voire les années – à venir. Bravo.

Ce n’est pas Big Mother mais bien moi qui vous regarde et vous juge si vous manquez ce spectacle. Courez-y ! ♥ ♥ ♥

Crazy frogs

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Critique des Crapauds fous, de Mélody Mourey, vu le 9 octobre 2018 au Théâtre des Béliers Parisiens
Avec, en alternance,  Benjamin Arba, Merryl Beaudonnet, Charlotte Bigeard, Constance Carrelet, Hélie Chomiac, Gaël Cottat, Rémi Couturier, Charlie Fargialla, Tadrina Hocking, Frédéric Imberty, Damien Jouillerot, Blaise Le Boulanger, Claire-Lise Lecerf, Christian Pelissier, dans une mise en scène de Mélody Mourey

Lors de la précédente émission de Radio Mortimer, Le Théâtre Côté Coeur a parlé de l’un de ses coups de coeur du moment : il s’agissait, vous l’avez deviné, des Crapauds Fous aux Béliers Parisiens. Elle en parlait avec les yeux brillants et le sourire aux lèvres, et m’a donné l’envie de découvrir ce spectacle. Place fut prise, donc, et voilà que je me rends aux Béliers Parisiens, un mardi soir… pour trouver une salle pleine – chose rare en semaine ! C’était un bon début. Et tout le reste a suivi.

Les crapauds fous, c’est le surnom qu’on donne à cette infime portion de batraciens qui nagent à contre courant, ceux qui ne suivent pas la masse des crapauds migrants dans une seule direction. En général, les crapauds fous survivent plus longtemps. L’histoire qu’on nous raconte est celle de deux crapauds fous… humains. Deux personnes qui nagent aussi à contre-courant et qui proposent de nouvelles solutions quand tout semblait perdu. Deux médecins qui ont poursuivi une idée, intelligente et dangereuse, dans le but de sauver un village de Pologne menacé par l’occupation allemande. Ingénieux, et passionnant.

Lorsqu’on entre dans la salle, deux comédiens sont déjà sur scène et chantent pour mettre l’ambiance : après tout, on est dans un bar de New-York ! J’ai eu du mal à adhérer au processus de narration au début : on suit en réalité la petite-fille d’un des médecins-héros venue se renseigner sur l’histoire de son grand-père auprès de son ami, l’autre médecin-héros, habitant à New-York. Et puis on se surprend à prendre la place de la jeune femme et à écouter l’histoire avec attention. Parce que j’ai toujours aimé qu’on me raconte des histoires, et qu’on me les raconte bien, ce spectacle était fait pour moi…

On pense évidemment à Alexis Michalik. Parce qu’on nous raconte une histoire, parce que les changements se font rapidement, à vue, sur scène, parce que le but est au divertissement. Et c’est chouette de retrouver cette ambiance-là. La mise en scène de Mélody Mourey est énergique et ne laisse aucune place à l’hésitation. Elle mêle avec brio narration, musique, et danse à un rythme endiablé, sans que jamais aucune forme n’en cannibalise une autre. Les effets visuels comme sonores sont parfois très poussés mais forment un spectacle très cohérent qui va à 100 à l’heure. Et je découvre en Charlie Fargialla un comédien captivant, dont le regard trahi une belle intériorisation du personnage.

Voilà donc un spectacle vivifiant. Une histoire feel good qui nous rappelle qu’il y a toujours quelque part un village peuplé d’irréductibles gaulois qui résistent, encore et toujours, à l’envahisseur. Un spectacle qui nous donne les larmes aux yeux, et nous met du baume au coeur. Ce genre de spectacle qui vous remonte le moral un soir de pluie, vous fait oublier tous les soucis du quotidien et les rendus à finir pour le lendemain, et vous donne envie, à la sortie, de faire le bien autour de vous. Un spectacle qui vous rend niais, mais qui fait quand même du bien. Parce que c’est chouette de voir des gens heureux.

Et eux, nous rendent heureux. ♥ ♥

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Lysistrata, Sudden Théâtre

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Critique de Lysistrata, d’Aristophane, vu le 25 juin 2011 au Sudden Théâtre
Je cherche la liste des acteurs

Lorsqu’on est fatiguée, qu’on a eu beaucoup de très bonnes sorties au théâtre dans la semaine, et qu’on doit se trouver à 21h très loin du lieu où on habite pour aller voir une pièce jouée par des élèves comédiens, on espère au moins que le spectacle commencera à l’heure. Qu’on ne se soit pas dépêchée pour rien. Ainsi, quand on entre dans la petite salle de représentation après plus d’un quart d’heure de retard, on a un très, très mauvais a priori. Et, il faut le reconnaître, les a priori au théâtre, ce n’est pas bon : ils nous persuadent que la pièce que l’on va voir ne vaut pas le détour. Or, ici, il faut reconnaître qu’elle le valait.

Il nous est présenté une version inhabituelle de Lysistrata, dans le sens où cette version est complète : aucun passage en plus, aucun passage coupé. Et une excellente traduction. Lorsqu’on ajoute à tout cela les chœurs chantés sur des airs d’Offenbach, alors on passe une très bonne soirée. Je n’ai malheureusement pas à disposition les noms des acteurs et actrices, mais je peux déjà dire qu’ils étaient tous bons, tous chantaient parfaitement bien, et on pouvait même entendre toutes les voix (soprano, alto, ténor, basse).

J’ai particulièrement retenu le jeu des actrices, dont, comme je l’ai dit, les noms me sont inconnus, et surtout de Cléonice, avec son air de cruche et sa très belle voix, ou encore Myrrhine, avec sa voix quelque peu transformée pour faire une voix de « snob », et qui était parfaite dans la scène entre elle et son époux.

L’actrice jouant Lysistrata, quant à elle, avait un caractère essentiel pour être conforme au rôle : elle savait ordonner. Elle dégageait un je-ne-sais-quoi qui la rendait très autoritaire, sans être agressive.

On retient également le décor, simple mais élégant, comportant quelques colonnes et les Propylées (en fond de scène, au milieu) : de plus, on ajoute une bonne utilisation de la fumée (car oui, il n’y a pas de fumée sans feu, et ici les hommes veulent mettre feu à l’Acropole). La fumée est en effet de plus en plus utilisée dans les spectacles, mais on ne comprend pas toujours sa présence.

Enfin, c’était donc une excellente soirée, grâce à de bons acteurs et une excellente traduction, le tout enrobé de musique. Bravo à tous !