Un pont d’or pour l’Augmentation

Critique de L’Augmentation, de Georges Perec, vue le 5 février 2022 au Théâtre 14
Avec Olivier Dutilloy et Anne Girouard, dans une mise en scène de Anne-Laure Liégeois

J’avais déjà repéré ce spectacle lorsqu’il avait été présenté dans la Réédition de la Saison 1 du Théâtre 14, en novembre 2020. J’avais découvert Perec pendant le confinement avec La vie mode d’emploi et je me demandais comment on théâtralisait ce style littéraire assez particulier. Je dois dire aussi que cette simple photographie du spectacle sur laquelle on percevait une pointe de folie m’attirait pas mal, et j’avoue avoir été mise en confiance aussi par le fait que le spectacle tournait depuis près de quinze ans. Autant vous dire qu’un papier de plus ou de moins sur le spectacle ne changera rien à l’affaire et qu’ils doivent être complets partout où ils passent, mais il est de ces spectacles où on a quand même envie d’écrire à quel point c’était bien.

Georges Perec est un joueur, et son oeuvre est en grande partie basée sur la contrainte – la plus connue étant sans nul doute La Disparition, ce roman en lipogramme écrit sans jamais utiliser la lettre E. Dans L’augmentation, on se retrouve face à une autre forme de contrainte : le roman est écrit sous forme d’itération. C’est une suite logique permettant d’aboutir à une demande d’augmentation auprès de son chef de service. Pour cela, il faut d’abord se rendre dans son bureau. Si votre chef de service est dans son bureau, alors vous agirez de telle manière. Si votre chef de service n’est pas dans son bureau, alors vous agirez de telle autre manière.

Sacré exercice de style ! Mais surtout, sacré challenge de transposer ce texte sur scène. Le spectacle s’ouvre sur les deux comédiens en mode automate, disant le texte mécaniquement comme on pourrait lire une suite de boucles dans un algorithme. C’est déjà drôle, et pourtant ce n’est rien comparé à ce qui nous attend. Car on se doute bien que ça ne va pas durer. On sait que la montée en puissance est là, quelque part, latente. Mais on a beau s’y attendre, on a beau comprendre la mécanique du texte, on a beau savoir que quelque chose d’autre va arriver, tout est toujours inattendu.

C’est sans doute la grande réussite de ce spectacle : de parvenir à se réinventer sans cesse tout en restant totalement fidèle au texte et à cette ambiance particulière qu’il met en place. La mise en scène accompagne progressivement l’évolution de l’atmosphère sans jamais forcer, et c’est sans doute pour ça que ça fonctionne aussi bien. Je suis complètement fascinée par tout ce qu’Anne-Laure Liégeois parvient à faire exister avec seulement une table et deux chaises. Elle transforme cet exercice de style en une forme théâtrale complètement dingue qui certes puise toute sa loufoquerie dans le texte mais surtout la transcende totalement. Le comique et la gravité s’y côtoient sans peur et la scène leur permet d’exister peut-être plus encore que dans le livre.

Bien sûr, le spectacle ne serait rien sans ses deux excellents comédiens. Olivier Dutilloy et Anne Girouard défendent ce texte avec brio. Ce sont d’abord deux excellents techniciens, qui malgré une partition en apparence répétitive parviennent à nous maintenir en haleine du début jusqu’à la fin. Mais ils amènent surtout avec eux une grande humanité, menant un combat acharné et jouant littéralement leur vie sur scène pour transformer ces simples itérations en une nécessité absolue. J’ai beaucoup ri, car ce sont des grands clowns, mais j’ai aussi eu le sentiment de toucher du doigt la profondeur d’un texte écrit en 1968 et qui continue de décrire une réalité douloureuse.

Si vous aimez Perec alors il faut y aller. Si vous n’aimez pas Perec, alors il faut y aller quand même ! ♥ ♥ ♥

J’Hey oublié le titre

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Critique de On n’est pas là pour disparaître, d’après le roman d’Olivia Rosenthal, vu le 20 septembre 2021 au Théâtre 14
Avec Yuming Hey, mise en scène et adaptation de Mathieu Touzé

Ça fait longtemps que j’entends parler du travail de metteur en scène de Mathieu Touzé sans avoir encore eu l’occasion de le découvrir. En entendant parler du spectacle d’ouverture de la nouvelle saison du Théâtre 14, le titre m’a induite en erreur et j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un texte écrit pendant le confinement et revenant sur le caractère essentiel de l’art – j’étais clairement prête à passer mon chemin. Mais lorsque j’ai appris mon erreur, j’ai été davantage intriguée – la disparition qu’il évoque, c’est celle du malade atteint de la maladie d’Alzheimer.

Tout part d’un fait divers : monsieur T, atteint de la maladie de A, poignard sa femme un jour de juillet 2004. Le spectacle, adapté du roman d’Olivia Rosenthal – que je n’ai pas lu – utilise la narration polyphonique pour s’approcher au plus près de cette maladie : on entendra ainsi les voix de Monsieur T., de sa femme, du corps médical, ou encore une narration extérieure qu’on imagine être celle de l’autrice.

J’ai eu peur au début du spectacle. J’ai eu peur que l’idée de l’adaptation ne soit pas bonne, car le spectacle s’ouvre avec une projection de près de dix minutes qui défile rapidement sur l’écran qui occupe toute la largeur de la scène, projection explicative qui expose les faits et met en place la situation. J’ai eu peur car si l’écran est vraiment nécessaire, c’est que se pose la question de la théatralité du texte et de son intérêt à le transposer sur scène.

© Christophe Raynaud de Lage

Or Yuming Hey nous démontre que l’intérêt existe et nous fait rapidement oublier ces premiers doutes. Face public, les deux pieds bien ancrés dans le sol, il ne bougera pas d’un pouce. A partir du moment où il prend la parole, il se passe indéniablement quelque chose. D’abord ses premiers chuchotements, qui évoquent sans conteste les paroles solitaires des fous, nous plongent directement dans l’abime et donnent le ton de la performance à laquelle il se livre durant l’heure à venir. On ne pouvait mieux donner corps au mot polyphonie. Il ne laisse de place à aucune échappatoire, joue beaucoup sur les changements de rythme et malgré une cadence déjà très poussée, parvient à accentuer la pression jusqu’à l’événement final qu’on connaît.

Pour augmenter son effet, il est accompagné par une création sonore qui fonctionne bien, s’autorisant de grandes variations entre le boum boum rapide style film d’action, la tonalité plus légère qui évoque une telenovela et l’indescriptible musique d’ambiance avec brusque descente de gamme sur un violoncelle, évocation réussie de la brisure et de l’incompréhension. Je reste plus circonspecte sur la création visuelle qui m’a laissée de côté au début du spectacle et me laissera à nouveau de côté à plusieurs reprises, notamment avec les images évoquant le cerveau et les neurones de notre patient qui, si elles sont plus démonstratives, sont pourtant moins efficaces que notre comédien en scène.

Yuming Hey captive en performant l’insidieuse progression de la maladie d’Alzheimer jusqu’à une certaine forme de révolution. Traumatisés récents s’abstenir. ♥ ♥

© Christophe Raynaud de Lage

Un idiot un peu limité

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Critique de L’Idiot, de Fiodor Dostoïevski, vu le 30 mai 2018 au Théâtre 14
Avec Arnaud Denis, Thomas Le Douarec / Gilles Nicoleau, Bruno Paviot, Daniel-Jean Colloredo, Fabrice Scott, Marie Lenoir, Marie Oppert, Solenn Mariani, et Caroline Devismes, dans une mise en scène de Thomas Le Douarec

Je crois que c’est parce que j’ai vu l’annonce de L’Idiot monté au 14 avec Arnaud Denis que je me suis emparée du roman de Dostoïevski l’année dernière, pendant mon stage scientifique. J’avais alors beaucoup de temps libre et je me suis dit que c’était sans doute le meilleur moment pour attaquer ce pavé… qui ne m’a plus quittée. J’étais intriguée par l’adaptation que pourrait en faire Thomas le Douarec, comme par l’incarnation que proposerait Arnaud Denis, qui est un acteur que je suis depuis plus de 10 ans maintenant. Le bilan est finalement mitigé.

L’idiot désigne le Prince Mychkine, jeune homme considéré comme tel en raison de sa maladie – il est épileptique. Au début du roman, il rentre en Russie après un long séjour dans un sanatorium de Suisse ; il est alors presque tout à fait guéri. S’il reste d’une naïveté à toute épreuve, le Prince est aussi un personnage attachant, profondément gentil, qui sait trouver le bien chez chacune de ses fréquentations. Dès son arrivée en Russie, il rencontrera Nastassia Filippovna dont il tombera amoureux – mais il n’est pas le seul. L’idiot suit Le Prince dans son entrée progressive dans la société russe, ses analyses psychologiques pertinentes de ceux qui l’entourent, ses amitiés naissantes et ses fréquents pardons.

C’est toujours étrange – et risqué – lorsqu’un personnage né dans notre imaginaire prend forme humaine sur scène. Mais on peut faire confiance à Arnaud Denis pour s’effacer derrière son personnage et, véritable caméléon, se rapprocher au plus près des traits dessinés par l’auteur et, fatalement, tracés dans notre esprit. Dès que j’ai découvert l’affiche, la transformation de son regard m’a frappée : il n’était plus le comédien assuré qu’on connaissait mais déjà ce Prince Mychkine au regard à la fois doux et inquiétant, ce personnage mystérieux en décalage avec la société russe qu’il se prendra de plein fouet. Sur scène, la promesse est tenue : le personnage est incarné avec puissance et intériorisation. Et oui, chez Arnaud Denis, les deux ne sont pas incompatibles.

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© Laurencine Lot

Cependant, Arnaud Denis aurait pu briller encore davantage s’il n’avait été brimé par ses partenaires de jeu. Du côté des hommes, le travail est très correct. Mais c’est du côté des femmes que cela pêche, ce qui est bien dommage puisque les deux intrigues amoureuses que mène Le Prince sont intrigantes et passionnantes. On imputera sa jeunesse à Marie Oppert pour expliquer son Aglaé particulièrement agaçante par des cris répétés – malheureusement cela n’a jamais été synonyme d’intensité au théâtre. C’est plus difficile d’excuser Caroline Devismes, déjà rencontrée dans les créations de Thomas Le Douarec, et qui campe une Nastassia démesurément vide, se contentant de réciter platement le texte de cette femme qui devrait soulever les foules. C’est un comble d’incarner un personnage si clivant avec pareille apathie. Quelle déception !

Et ma contrariété ne s’arrête pas là. J’ai eu du mal avec l’adaptation proposée par Thomas Le Douarec. Il faut dire qu’adapter Dostoïevski en 2h20 a quelque chose d’impossible. Si le livre I a été à peu près respecté, le second livre subit ellipse sur ellipse tant et si bien qu’on sent dans la deuxième partie du spectacle le rythme s’accélérer, jusqu’à passer parfois à côté de l’histoire : pourquoi ce revirement soudain de Mychkine vers Aglaé ? Le Prince est-il sincère, ou cette déclaration d’amour n’est-elle qu’une déclaration d’amitié maladroite ? Difficile à dire. Et enfin que dire de cette fin ? Étrange, maladroite, incompréhensible, et surtout bien loin de la fin dramatique du roman, voilà une fin qui conclut le spectacle d’une bien mauvaise manière. Osera-t-on ? Une fin idiote.

Pas franchement convaincue par cet Idiot. Mais comme Dostoïevski semble avoir la cote en ce moment, je tenterai à nouveau ma chance pour Les Démons à l’Odéon la saison prochaine, ainsi que Le Double, qui sera présenté au Théâtre 14. 

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© Laurencine Lot

Manque d’ardeur à Elseneur

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Critique de Hamlet, de Shakespeare, vu le 10 mars 2018 au Théâtre 14
Avec Grégori Baquet, Christophe Charrier, Pia Chavanis, Julie Delaurenti, Olivier Deniset, Laurent Muzy, Didier Niverd, Manuel Olinger, Stéphane Ronchevski, Ludovic Thievon, Philippe Weissert, dans une mise en scène de Xavier Lemaire

Toujours dans le cadre de mon abonnement au Théâtre 14 – et l’un des spectacles qui m’a vraiment décidée à reprendre ma carte du Théâtre – cet Hamlet de Xavier Lemaire avec Grégori Baquet dans le rôle titre – comédien que je suis depuis plusieurs années maintenant. Spectacle qui m’intriguait et m’inquiétait aussi un peu en vérité, car à mon humble avis, le metteur en scène comme le comédien n’avaient pas forcément les épaules pour soutenir la célèbre pièce de Shakespeare. Un pressentiment vérifié… en partie.

Hamlet est triste : son père, le roi du Danemark, est mort. A son grand dam, sa mère s’est remarié avec son oncle qui a pris la place de feu son frère sur le trône. Hamlet ne voit pas d’un bon oeil cette reconversion si rapide et continue seul de pleurer son père quand le royaume semble célébrer la nouvelle union. Mais si Hamlet est si sévère avec son oncle c’est qu’il a un pressentiment : il n’est pas pour rien dans le meurtre de son père. Cette intuition se verra vérifiée en tout début de spectacle, quand un étrange phénomène lui permet de discuter avec le spectre de son père… Alors, Hamlet est-il fou ? L’apparition du spectre semblait pourtant bien réel et a touché les gardes autant que lui…

C’est mon troisième Hamlet. Jamais totalement convaincue, la question se pose donc : peut-on réellement monter cette pièce de Shakespeare ? J’attends avec impatience le metteur en scène qui me démontrera cette possibilité. Cependant, je reconnais volontiers que Xavier Lemaire a soigné son travail. Certaines idées fonctionnent très bien : je pense notamment au spectre dont le costume blanc déchiqueté évoque des entrailles peu engageantes sous les lumières UV. Grande réussite aussi, la scène des comédiens transformée en cabaret et qui crée un réel clivage avec le reste de la pièce.

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© Victor Tonelli

Cependant, je regrette que le rythme instauré lors de ces scènes ne gagne pas plus de terrain. On sent des méthodes de remplissage malheureusement trop visibles avec ces déplacements incessants, ces constantes montées et descentes de marches qui n’ajoutent rien, ne signifient rien d’autre qu’une agitation incessante et non une montée en tension comme on pourrait l’espérer. Certes, ces escaliers emboîtés différemment évoquent des lieux multiples, mais ils auraient peut-être gagné à rester des éléments de décor et non des appuis mécaniques pour les comédiens.

Et c’est d’ailleurs le point faible du spectacle. Les comédiens. On le sentait arriver, le rôle d’Hamlet écrase un peu Grégori Baquet, dont la folie n’explose pas tant qu’il le souhaiterait. Limité par sa tonalité parfois plaintive et son caractère profondément humain, entre gentillesse et naïveté, on a fondamentalement du mal à croire à son personnage. Les deux comédiennes sont également décevantes : si, après une première scène désastreuse, Pia Chavanis parvient à redynamiser un peu son Ophélie, elle n’en reste pas moins peu convaincante dans le rôle.

De son côté, Julie Delaurenti est une Gertrude, Reine de Danemark bien fade et dont la seule beauté ne suffit pas à porter tout le rôle. Cette fadeur se retrouve également chez Manuel Olinger, qui incarne le nouveau roi du Danemark : sa carrure imposante ne comble pas la monotonie de sa composition. Seul Didier Niverd semble avoir perçu toutes les facettes de son personnage, présentant un Polonius de premier ordre.

Une proposition honorable qui jongle entre jolies trouvailles et imperfections dommageables. 

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© Victor Tonelli

Moulin de son coeur

DERNIERE VERSION JEAN MOULIN

Critique de Jean Moulin, Évangile, de Jean-Marie Besset, vu le 16 septembre 2017 au Théâtre 14
Avec Arnaud Denis, Sophie Tellier, Gonzague Van Bervesselès, Laurent Charpentier, Chloé Lambert, Stéphane Dausse, Michaël Evans, Loulou Hanssen, Jean-Marie Besset, dans une mise en scène de Régis de Martrin-Donos

Bon, je dois l’avouer, je n’y allais pas en traînant les pieds mais j’avais un peu peur de ce que j’allais voir. Même si pour moi, Jean-Marie Besset est un grand auteur contemporain, et que Un coeur français fait sans nul doute partie de mes pièces préférées. Mais j’avais entendu parler, de loin, de sa pièce sur l’homosexualité de Molière et je craignais que sa petite obsession pour ce thème ne vienne obstruer sa nouvelle pièce, Jean Moulin, Évangile. En réalité, l’idée d’un Jean Moulin homosexuel n’est finalement que peu présente dans la pièce et c’est bien plus sur son parcours au sein de l’organisation de la France libre que se centre le spectacle.

Jean-Marie Besset a voulu en faire trop : la pièce de 2h20 comporte des longueurs – et encore, si le texte avait été joué dans son intégralité, il aurait été près de deux fois plus long. Parmi elles, des scènes inutiles qu’il pourrait aisément tronquer, qui semblent ajoutées artificiellement à la pièce, comme si elles avaient été dans un premier temps oubliées. Peut-être aurait-il fallu se concentrer plus encore sur l’Histoire, qui m’a laissée parfois sur le côté en tant que non spécialiste de la résistance. Cependant, il faut bien le reconnaître, on se prend dans cette histoire aux allures de thriller et s’il faut parfois s’accrocher pour comprendre les différents tenants et aboutissants, on n’est jamais totalement perdu : d’abord grâce au programme soigneusement distribué à l’entrée du théâtre qui permet de nous situer à n’importe quel moment de la pièce, ensuite grâce aux acteurs qui portent le spectacle avec un don d’eux-mêmes évident.

L’impression qui ressort de l’écriture, c’est que l’auteur n’a pas su choisir entre l’historique et l’intime, et qu’il a choisi l’un sans vouloir écarter l’autre. Cela donne un spectacle essentiellement centré sur l’histoire mais par instant saupoudré de scènes plus familières qui s’intègrent mal à l’ensemble. Une dualité dommageable, car non seulement la sphère intime a moins d’intérêt pour nous, en tant que spectateur, mais on se retrouve soudainement moins sûr de la véracité des faits qui se déroulent sous nos yeux. Et quel besoin de venir éternellement ajouter une pointe d’homosexualité dans sa pièce ! Je suppose que cela lui tient à coeur, mais si c’est très compréhensible dans des fictions autour de ce thème, ça tombe ici comme un cheveux sur la soupe : la scène pourrait être retirée de l’intrigue, cela n’aurait aucune conséquence sur notre perception de la pièce…

Cependant, on ne tombe jamais dans l’ennui, et ce d’abord grâce à un premier rôle porté de main de maître par Arnaud Denis. Le comédien s’impose à nouveau comme un grand de sa génération en campant un Jean Moulin renversant de véracité, jamais en force, soulignant avec délicatesse les doutes habitant le personnage. Sophie Tellier, qui incarne une amie intime de Jean Moulin, s’émancipe au fil de la pièce et finit par écarter totalement un démarrage qui sonnait faux. Gonzague Van Bervesselès et Laurent Charpentier interprètent leurs différents rôles avec une belle justesse. Malheureusement, la distribution est inégale puisque Loulou Hanssen est une Lydie Bastien bien trop frêle et Michael Evans un Klaus Barbie peu effrayant, frôlant parfois le ridicule – c’est dommage car on aurait espéré le summum de la terreur nazie et on découvre une pâle imitation de Drago Malefoy.

La mise en scène de Régis de Martrin-Donos est sobre et efficace. Le choix de son décor, qui n’est pas sans rappeler celui du Bajazet d’Éric Ruf, est ici plus que justifié puisqu’il impose une ambiance qui s’équilibre entre le suspens, le danger, l’incertitude et la peur qui régnaient en continu pour les résistants. Enfin, en continu, pas tout à fait, car on nous rappelle à plusieurs reprises que Jean Moulin était un homme avant d’être un résistant, à travers des scènes trop légères, contrastant de manière trop brutale avec le reste – comme cette bataille de polochon qui a provoqué chez moi un rire jaune : le chef de la résistance perdant ainsi son temps en de telles futilités ? Si c’est vrai, ce n’est pas très bien amené, et si c’est faux, ça casse le rythme de la pièce pour rien. Dommage.

Un spectacle intéressant sur l’histoire de la résistance et qui gagnerait à s’assumer en tant que pièce historique. ♥ ♥

BESSET2017

Molière contre les barbus !

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Critique de l’École des femmes, de Molière, vu le 4 décembre 2015 au Théâtre 14, par complice de MDT
Avec Pierre Santini, Anne-Clotilde Rampon, Jimmy Marais, Cyrille Artaux, Arlette Allain, Michel Melki, Bertrand Lacy, dans une mise en scène d’Armand Éloi

C’est un spectacle simple, probe et efficace que cette École des femmes, mise en scène par A. Éloi. On ne rappellera pas l’intrigue de la pièce de Molière, dont tant de vers sont ancrés dans la mémoire collective. A. Éloi n’a pas cherché à relire ou rajeunir la pièce, mais il a tout fait pour la rendre évidente, ce que signalent à leur manière les couleurs tranchées des costumes : jaune d’un oiseau en cage pour Agnès, velours pourpre et empesé d’Arnolphe, rubans acidulés d’Horace. Le décor est simple et astucieux : une belle toile peinte d’un vert vibrant au fond évoque l’appel de la nature, et il suffit d’un rien pour transformer une gigantesque cage à oiseau (première image, au lever du rideau) en pavillon de jardin à claire voie ou en grille : le problème que pose l’espace scénique dans cette comédie est relevé avec brio par la scénographe, Emmanuelle Sage.

La légèreté du décor et la gaieté des couleurs, la franchise des lumières, disent le principe qui a guidé la mise en scène : mettre en valeur la force pulsionnelle et libératrice de la jeunesse et de l’amour, que rien ne peut sérieusement entraver. On ne frémit jamais vraiment pour Agnès dans cette mise en scène, et cela permet de reporter une bonne part de l’intérêt sur Arnolphe, dans un ensemble très cohérent.

Le rythme est allant, les personnages secondaires bien dessinés, permettant aux personnages principaux de déployer par contraste leur complexité. Horace évolue bien, de galant audacieux à amoureux révolté par le sort de sa conquête : Jimmy Marais a un jeu à la fois élégamment stylisé et sincère, il est très convaincant  ; Agnès (Anne-Clotilde Rampon) fait entendre avec clarté les merveilleuses répliques qu’a écrites Molière, elle a un petit air buté qui convient bien au personnage : son jeu tranchant n’en fait jamais une oie blanche, mais dès le début une jeune femme avide d’émancipation. Pierre Santini joue avec beaucoup d’autorité et de nuance un rôle écrasant, et compose un Arnolphe odieux et pourtant touchant. On rit beaucoup des répliques qui ridiculisent cet homme prétendant garder pour lui seul une toute jeune fille et la couper du monde (« Du côté de la barbe est la toute-puissance »), mais Pierre Santini parvient toujours à faire sentir ce que le personnage peut avoir d’aveuglement, de vanité, et aussi d’inexpérience devant le mystère féminin, ce qui fait que le geste final d’Agnès à son égard (que je ne révèlerai pas) n’est pas incongru. Il est en particulier remarquable dans les nombreux monologues, où, face public, il nous prend à témoin.

Dommage que la scène de reconnaissance qui clôt la pièce, toujours délicate à cause de l’excès de convention qui la caractérise, soit ici un peu bâclée. Mais en dehors de cela, c’est un très bon spectacle, que l’on recommandera en particulier aux scolaires. Molière encore et toujours, et aujourd’hui plus que jamais !

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Quel (abominable) homme !

Critique de Dom Juan, de Molière, vu le 23 mars 2014 au Théâtre 14
Avec Arnaud Denis, Jean-Pierre Leroux, Alexandra Lemasson, Vincent Grass, Eloïse Auria, Jonathan Bizet, Julie Boilot, Loïc Bon, Gil Geisweiller, Stéphane Peyran

On l’attendait, ce retour d’Arnaud Denis en tant que metteur en scène. On l’attendait d’autant plus impatiemment que de nombreux obstacles sont survenus peu avant la création du spectacle, comme la perte de la subvention de la Mairie de Paris, alors même que le Maire de Paris avait remis à Arnaud Denis le Prix de Brigadier deux ans auparavant. On vous parlait il y a quelques mois de la collecte organisée par l’acteur et sa troupe, dans le but de financer les décors du spectacle. Collecte réussie, pièce montée, et spectacle grandiose, les Compagnons de la Chimère ont relevé le défi avec brio.

On se contentera de résumer brièvement l’intrigue : Dom Juan est un homme qui se joue du Ciel et des femmes, comme de tous ceux qui l’entourent. La pièce s’ouvre sur un nouveau méfait de Dom Juan, qui vient de quitter Done Elvire après l’avoir fait sortir d’un couvent, et épousée. Sa vie ne sera faite que d’actes mauvais et mal intentionnés, à l’instar de ce premier tableau, tout dans le seul but de son plaisir, sans aucun scrupule, aucun remors apparent. Il est servi par Sganarelle, valet constamment effrayé par l’attitude de son maître, qui le craint ainsi que le courroux du Ciel, mais qui n’est pas de taille à l’affronter et qui, à plusieurs reprises, tente de tenir tête sans y parvenir.

Voilà un Don Juan à qui enfin on donne une consistance : ce n’est plus seulement un libertin qui va de femmes en femmes, et même parfois se tournant vers les hommes : séduisant tout ce qui bouge, c’est un être effrayant, un grand seigneur méchant homme, un homme profondément mauvais, méchant, et manipulateur, qui n’hésite pas à faire le mal autour de lui. Et qui d’autre pour incarner cet être de la démesure, ce séducteur constamment dans l’offense, que le jeune metteur en scène lui-même ? Arnaud Denis endosse le rôle à la perfection : à peine entré en scène que le mal semble déjà flotter autour de lui. Son air cynique, son corps élancé, dominant sans peine la scène et les autres personnages, lui confèrent une certaine importance ; son maquillage pâle, contrastant avec ses lèvres très rouge accentue la monstruosité qui est la sienne. Pourtant, c’est ce même maquillage, ajouté à sa perruque, ainsi que son grand corps mince, qui lui donne parfois un air efféminé dont il joue et qu’il accentue, et il joue de ce côté bissexuel pour tenter de séduire homme comme femme, comme si cette tentation était en lui, malgré lui. Mais il est par dessus tout terrifiant, et les paroles qui sortent de sa bouche prennent une tournure telle qu’on a rarement dans les représentations de Dom Juan : lorsqu’il menace Sganarelle de la sorte : Si tu m’importunes davantages de tes sottes moralités, si tu me dis encore le moindre mot là-dessus, je vais appeler quelqu’un, demander un nerf de boeuf, te faire tenir par trois ou quatre, et te rouer de mille coups. M’entends-tu bien ?, réplique habituellement peu retenue, elle prend ici une ampleur effroyable, appuyant à nouveau la méchanceté de Dom Juan. Cet aspect, trop souvant délaissé au profit de la frivolité du personnage, est fondateur dans la mise en scène d’Arnaud Denis, qui a su parfaitement nous convaincre. Ce n’est plus un Dom Juan à demi-mot comme on le joue trop souvent. C’est le diable en personne qui est présenté devant nos yeux.

Poursuivant cette vision du personnage, il ne pouvait donner vie qu’à un Sganarelle effrayé constamment, un homme apeuré, mais pas un simple bouffon sans réelle consistance comme je l’ai trop souvent vu. J’ai beaucoup vu jouer Jean-Pierre Leroux, qui est un très grand acteur, mais il trouve en ce Sganarelle peut-être un des plus grands rôles de sa vie. L’humanité qu’il confère au personnage jure avec l’égoïsme pur de son maître, et c’est finalement vers lui que se tourne l’empathie du spectateur : il devient alors le porteur du message de Molière. Il n’est pas un simple sot, il est un homme qui n’a pas eu d’éducation mais qui malgré tout tente d’affronter son maître, d’affronter cet homme qui ne lui voue qu’un certain mépris. La relation entre Dom Juan et Sganarelle n’est pas affective, mais brutale, et le rapport maître-valet est clairement défini. Sganarelle vit dans la peur, et il finit par craindre autant le Ciel que son propre maître.

A leurs côtés, la troupe qu’a réunie Arnaud Denis brille tout autant. On pense notamment à Éloïse Auria, Charlotte pure et d’une naïveté enfantine, attendrissante et qui, par cette candeur, appuie à nouveau le contraste avec le mauvais fond de l’homme qui la séduit. Stéphane Peyran incarne avec brio un Pierrot vif et jaloux, et il conte son récit de la rencontre avec Dom Juan avec talent. C’est Vincent Grass qui interprète le père de Dom Juan, un père à l’agonie et qui parvient à toucher le spectateur. Gil Geisweiller est successivement un pauvre digne, puis un Monsieur Dimanche manipulé, et on retient tout particulièrement cette scène du pauvre pour la nouvelle signification qu’en veut Arnaud Denis, et pour la tournure inhabituelle qu’elle prend (mais je vous laisse la surprise…). Jonathan Bizet est un Dom Carlos qui, comme toujours, sait nous contenter à merveille. Loïc Bon, qu’on avait découvert lors de la présentation du spectacle et dont la prestation nous inquiétait un peu, incarne un Dom Alonse échauffé et parfaitement à sa place dans la troupe ; notre peur n’était donc pas fondée sur cet acteur. Cependant, elle l’était bien plus concernant Alexandra Lemasson, qui est une Done Elvire bien plate face à tous ces talents qui l’entourent. Elle ne parvient pas à habiter réellement son personnage, et sa voix haut perchée ne se pose à aucun moment. On accorde que la scène d’entrée de Done Elvire n’est pas des plus aisées à jouer, mais c’est ici un échec cuisant, et elle ne parvient pas non plus à nous convaincre lors de son avertissement à Dom Juan, plus tard dans la pièce. Si le physique frêle de l’actrice convient bien à Done Elvire, on se demande quels autres aspects de son jeu ont su convaincre le metteur en scène.

Cependant, là est le seul bémol de la mise en scène. Tout le reste n’est qu’intelligence, idée, et talent. On pense par exemple à l’ingénieuse Statue du Commandeur, incarnée virtuellement par Michael Lonsdale, grâce à une utilisation particulière de la projection vidéo. Certains ajouts de tableaux muets ont également fini de nous convaincre, appuyant alors le découpage de tableaux de la pièce, qui, finalement, présente plusieurs aspects de la cruauté de Dom Juan en nous prenant à témoin des scènes, et cette la liste des méfaits aurait tout à fait pu s’allonger encore, comme nous propose le metteur en scène.

A nouveau, Arnaud Denis signe un spectacle d’une rare qualité. Ce Dom Juan, plus mal que mâle, vaut le détour. Pour parodier le poète : Gloire à Arnaud Denis, qui fit reluire un soir, cette pièce de Molière souvent pas assez noire... ♥ ♥ ♥

Au théâtre 14, un Orphée dépourvu de tout lyrisme

Critique d’Eurydice, de Jean Anouilh, vu le 12 janvier 2014 au Théâtre 14
Avec Jean-Laurent Cochet, Sam Richez, Vincent Simon, Maryse Flaquet, Fabrice Delorme, Norah Lehembre, Catherine Griffoni, Jean-Pierre Leroux, Julien Morin, Jean)Claude Eskenazi, Jacque Ibranosyan, François Pouron, Anthony Henrot, Pierre Ensergueix, dans une mise en scène de Cochet/Richez

Ce qui choque tout d’abord, c’est la première scène. On est dans le café d’une gare, un père (Jean-Laurent Cochet) et son fils (Sam Richez), qui joue du violon, y font passer le temps, attendant probablement un train. J’avais oublié à quel point le jeu de Cochet était parfait, et en deux mots je le reconnaissais à nouveau comme l’immense acteur qu’il est. Et ce, d’autant plus qu’il était à côté un acteur profondément décevant. Quel gouffre, quel choc de les voir l’un en face de l’autre. Cochet l’air assuré, la diction magistrale, le visage expressif, les yeux brillants. Richez, l’air éteint, la diction molle, le visage figé, les yeux vides. Difficile de l’écouter, de laisser son attention sur lui plus de quelques instants. Malheureusement, il incarne le rôle principal, et il sera présent dans pratiquement toutes les scènes jusqu’à la fin. Quelle erreur de distribution ! Moi qui connaissait un Cochet exigent et dur, que s’est-il passé ?

Rappelons brièvement l’intrigue d’Anouilh, qui reprend le mythe d’Orphée et Eurydice et le place en milieu contemporain. Eurydice fait partie d’une troupe de théâtre en tournée lorsqu’elle rencontre Orphée dans une gare, qui joue du violon. Ils tombent fous amoureux l’un de l’autre et partent ensemble pour Marseille, où Eurydice meurt écrasée par un bus. Désespéré, Orphée trouve alors l’aide d’un certain M. Henri, qui les avait observés à la gare, et qui lui propose de retrouver Eurydice, à la seule condition qu’il ne la regardera pas jusqu’au matin… Ce qui arrive, inévitablement.

Au fil du spectacle, on sent un véritable clivage s’installer entre les deux générations d’acteurs. Lors des rares apparitions de Catherine Griffoni ou de Jean-Pierre Leroux, par exemple, c’est un régal ! Elle est exaltée et quelque peu hystérique, sa voix porte et son jeu est excellent. Lui, il sait transmettre toutes les émotions, il a su nous faire pleurer, aujourd’hui il nous fait rire. Sa voix, on pourrait l’écouter des heures. On se demande bien ce que les deux acteurs font là. De même que Cochet, qui signe la mise en scène : chacune de ses apparitions est un bonheur pour nos sens, car on voit du vrai théâtre. Sinon, il faut avouer qu’on a face à nous des amateurs. Comme si Cochet avait décidé de nous montrer un cours qu’il donne. Le pire étant Sam Richez, qui n’a rien d’un acteur, qui est mou et inintéressant, semblant las et perdu sur scène, se tenant mal, les bras ballants, la voix mal posée, mâchant ses mots… En bref, je ne comprends pas pourquoi, comment Cochet a choisi un tel pseudo-acteur pour incarner ce (pourtant) beau rôle qu’est Orphée. Eurydice s’en sort mieux, bien qu’elle lâche prise à un moment du spectacle, lorsque tout repose sur ses épaules, elle perd un peu pied et se met à crier de façon délibérée, comme si elle ne savait plus quoi faire pour nous intéresser. Cependant, le reste du temps, elle intérprète le rôle titre avec grâce et passion, le regard vif, ses yeux ne s’attardant pas plus de quelques secondes à chaque endroit de la scène. Vincent Simon, qui interprète M. Henri, cet homme étrange qui permettra à Orphée de revoir Eurydice, a un jeu intéressant, mais qui est malheureusement mêlé à un manque de technique, ce qui l’empêche de briller. 

Quel dommage, quel massacre. On peine à entendre la belle langue d’Anouilh, majoritairement écrasée par la langue plate de Sam Richez. Mais il n’est pas le seul. Cochet a réuni une troupe amateure et ça se sent. Un beau moment de la pièce, lorsqu’un secrétaire lit la lettre qu’Eurydice écrivait à Orphée avant de mourir, est trahi par Pierre Ensergueix, qui ne fait que lire platement, sans transmettre aucune émotion. Lorsqu’on essaie d’écouter avec attention, on reconnaît l’auteur qu’on admire tant. Mais il faut s’accrocher, et, comme dit Peter Brook, au théâtre, le diable c’est l’ennui. Lorsqu’un spectacle demande un effort de notre part pour être entendu, ça ne vaut pas le coup. Ajoutons à cela un manque de mise en scène, d’idée, de direction d’acteur. Ils sont laissés en roue libre ; alors évidemment, les plus expérimentés s’en sortent bien, mais les autres ont peu de chance d’y arriver. 

Si le spectacle avait pour but de nous montrer les faiblesses des jeunes acteurs en les comparant à des anciens bien plus doués, c’est réussi. En revanche, si vous voulez entendre le génie d’Anouilh, il faudra repasser. 

Pourquoi participer à la collecte pour le Dom Juan mis en scène par Arnaud Denis ?

C’est vrai, j’ai déjà consacré un article à Arnaud Denis et aux Compagnons de la Chimère sur mon blog. Mais si je reprends ma plume pour vanter leur talent aujourd’hui, c’est qu’ils ont besoin de vous : en effet, Arnaud Denis monte en mars prochain Dom Juan, au Théâtre 14. J’ai confiance en son travail, puisque je le suis depuis 8 ans déjà. Je sais qu’il montera quelque chose de respectueux de l’oeuvre de Molière, quelque chose de sensé, d’intelligent, de réfléchi et d’abouti.  Mais je sais aussi qu’un spectacle sans décor, c’est comme Cyrano sans sa tirade des nez : on peut jouer sans, seulement ça laissera comme un vide : il manquera quelque chose.

Et monter un spectacle a un coût, et les décors, tout particulièrement, tournent autour de 20 000€. Sacré somme ! C’est pourquoi la troupe fait appel à nous, spectateurs, et amateurs de théâtre. On peut donner à partir de 5€ pour les aider à financer ce projet, grâce au sitekisskissbankbank.com. Je sais que pour ceux d’entre vous qui ne connaîtraient pas le comédien et sa troupe, ce n’est pas évident. Mais pour moi, c’est une évidence. Arnaud Denis mérite qu’on lui donne à nouveau une chance de faire ses preuves, de se faire connaître pour son talent de metteur en scène autant que celui d’acteur. Pour moi, il sera l’un des plus grands metteurs en scène du XXIe siècle.. Et il est encore jeune. A force de travail et de ténacité, il sera sur le devant de la scène d’ici quelques années.

Mais pour cela, il a besoin de vous. N’hésitez pas à faire vos dons ici.

Garde-toi d’Amélie !

Critique d’Occupe-toi d’Amélie, de Feydeau, mise en scène d’Henri Lazarini, Théâtre 14, Vu le 21 Novembre 2013
Ceci est un article écrit par une complice de MDT

« Occupe-toi d’Amélie » est la dernière pièce de Feydeau en trois actes. Seul son titre est dynamique et pétillant. Pour le reste, on y ressent une certaine usure de l’inspiration et de la technique dramatique. L’exposition est interminable, les personnages à effets sont peu renouvelés par rapport aux pièces antérieures, le dialogue est répétitif.

Pour donner du peps à cette pièce, on choisit généralement de supprimer le troisième acte, où la pantalonnade (double constat d’adultère) tire vraiment en longueur.

Henri Lazarini, lui, a choisi la version longue, et retient (piège, devrait-on dire) ses spectateurs deux heures durant devant une scène où s’agitent des acteurs à peine dignes d’une troupe de seconde zone. Sans doute a-t-il pensé que faire courir, taper du pied et crier ses comédiens était le secret du dynamisme et du rythme, et que pour le reste, une gestuelle vulgaire et quelques clins d’œil à l’actualité ajoutés au texte emballeraient le public ?

C’est peu dire que le soufflé retombe très vite : dès le début, rien ne prend, et l’on sait que rien ne prendra. Il faut pour Feydeau un metteur en scène et des acteurs qui insufflent un rythme endiablé, des effets calculés avec une précision horlogère, une folie qui emporte tout. et qui ne se relâche jamais. Il faut donc des artistes extrêmement talentueux et maîtres de leur art. On en est loin : Bernard Menez, sur le nom duquel repose la publicité du spectacle, ne se fatigue pas dans le seul rôle un peu original de la pièce : ce gendarme à la retraite qui gère la carrière de cocotte de sa fille a quelques répliques qui pourraient faire mouche avec un acteur plus investi. Frédérique Lazarini, beaucoup trop âgée pour le rôle d’Amélie, ne donne aucun relief à son personnage, et n’a rien du charme faubourien nécessaire. Marc-Henri Lamande en Van Putzeboom, personnage à accent, se contente de crier. Kevin Dargaud en maharadja se croit sur une scène de café théâtre et prolonge ses effets en espérant tirer la couverture à lui. Le reste de la distribution est à l’avenant : tous les acteurs naviguent à vue et leur abattage se réduit à des cris et galopades désordonnés, sans aucune des nuances et des ruptures de ton qui pourraient apporter quelque charme à l’ensemble.

Quand on pense au formidable « Homme et galant homme » qui a ouvert la saison du Théâtre 14, on se dit qu’il y a là une vraie erreur de programmation. Que le nom de Feydeau n’abuse pas ceux qui souhaiteraient se divertir pour les fêtes : rien de plus ennuyeux qu’un vaudeville raté et la vie est trop courte pour perdre ainsi sa soirée.