Mendjisky fait son Malin

visuel-le-maitre-et-marguerite

Critique du Maître et Marguerite, d’après Mikhaïl Boulgakov, vu le 18 mai 2018 au Théâtre de la Tempête
Avec Marc Arnaud, en alternance avec Adrien Melin, Romain Cottard, Pierre Hiessler, Igor Mendjisky, Pauline Murris, Alexandre Soulié, Esther Van den Driessche, en alternance avec Marion Déjardin, Yuriy Zavalnyouk, dans une mise en scène de Igor Mendjisky

Je suis le travail d’Igor Mendjisky depuis longtemps : découvert par hasard au Théâtre Mouffetard quand celui-ci n’était pas encore consacré aux marionnettes, j’avais été très intéressée par son adaptation moderne de la pièce de Shakespeare, avec de belles trouvailles scéniques de sorte que des images me restent encore aujourd’hui. Par la suite, c’est pour ses formidables Masques et Nez que je l’ai essentiellement suivi, moments d’improvisations uniques et drôles, mais j’étais ravie de le retrouver à nouveau avec un grand roman classique dans les mains.

N’ayant pas lu l’oeuvre de Boulgakov, je découvrais l’histoire : étalée sur trois temps différents, elle est une sorte de parcours initiatique d’Ivan, le personnage principal, un auteur qui au début de l’histoire rencontre le diable et lui déclare qu’il ne croit pas en lui. Celui-ci prédit alors la mort de son ami Berlioz, et tandis que les deux amis continuent de le nier, la réalité les rattrape et la prophétie se réalise. Ivan, témoin de cette scène, tente alors de faire éclater la vérité au grand jour mais ne réussit qu’à se faire enfermer dans un asile de fous où il passera la suite de l’histoire. C’est dans cet asile qu’il rencontrera le Maître, ce qui donnera lieu à un deuxième temps – le temps de son histoire passée, la découverte de Marguerite, et, par la suite, les épreuves qui attendront sa bien-aimée. Enfin, le troisième temps semble totalement décorrélé du reste, et se situe à Jérusalem sous le gouvernement du procurateur Ponce-Pilate – c’est sans doute la partie qui m’a laissée le plus perplexe.

Décidément cette saison, je n’ai pas beaucoup de chance avec le diable : après le désastreux Faust de la Comédie-Française, ma deuxième rencontre de l’année avec le démon, si elle s’avère bien moins ennuyeuse, me laisse tout de même encore désappointée. Car si je ne me suis pas ennuyée le moins du monde durant ce spectacle, j’en ressors l’esprit – sinon vide – du moins pas franchement plus rempli qu’à l’arrivée. Je sens que je suis passée à côté de quelques sentences de ce texte, et je sens aussi que le choix d’adaptation et de mise en scène d’Igor Mendjisky n’y est pas pour rien.

Je suis donc un peu partagée. Il faut savoir que j’y allais le coeur léger : retrouver cet endroit utopique qu’est La Cartoucherie sous un soleil de début d’été est un véritable plaisir. Or l’état d’esprit dans lequel on découvre un spectacle est primordial : selon mon humeur, je sais que je peux être plus ou moins exigeante pour entrer dans un spectacle. Ici, clairement, je me suis laissée porter par ce qu’on me proposait, j’ai sauté d’un temps à l’autre avec aisance, j’ai participé aux jeux proposés par les personnages, j’ai apprécié les différents éléments de scénographie. En fait, durant tout le spectacle, je me demandais gaiment où tout cela nous menait, mais arrivée à la fin, je n’ai pas vraiment eu de réponse à ma question.

09052018-img_5404

La proposition d’Igor Mendjisky est foisonnante : utilisation de la vidéo en direct, voix amplifiées au micro, projections, participation du public, images fortes créées sur la scène, tout est là pour ravir les yeux et les oreilles. Mais est-ce vraiment du Mendjisky que je vois là ? Les éléments qu’il utilise me font penser à Gosselin, à Bellorini, sans qu’une réelle harmonie les lie entre eux. Si j’apprécie le jeu avec le public, je ne peux m’empêcher d’y trouver un petit côté démago, ne saisissant pas toujours le rapport entre l’histoire et l’intermède proposé. Avec du recul, cela rend un peu comme s’il avait combiné un ensemble de « trucs à la mode » dans lesquels il n’a pas toujours su imposer sa patte.

En réalité, tout semble axé sur la scénographie… au détriment parfois des relations entre les personnages : ce ne sont pas tout à fait des pantins, mais ils semblent en tout cas dénués de tout sentiment. L’histoire d’amour entre le Maître et Marguerite, si elle est soulignée par un effet de neige visuellement agréable, ne transparaît pas du tout chez les comédiens, si bien que le spectacle se retrouve privé de toute émotion.

J’ai tendance à penser que le problème du spectacle réside dans son adaptation. Je ne connais pas le roman mais je suppose que, à la manière du spectacle qu’en a tiré Mendjisky, il jongle avec ces trois temps et ne suit aucune linéarité. Cela donne lieu à une adaptation composée de nombreux tableaux, ce qui peut facilement nuire au rythme de la pièce. Pour pallier ce problème, le metteur en scène a choisi l’abondance – cela a fonctionné sur moi, puisque j’ai suivi avec intérêt cette histoire, mais au détriment d’une part de morale qui m’a sans doute échappé. La scénographie, bien que très prenante, a finalement un petit goût artificiel qui vient combler une difficulté à traduire la pensée de l’auteur sur scène.

Cependant, Igor Mendjisky a su s’entourer d’une équipe qui fait plaisir à voir. J’aurais aimé qu’il fasse preuve d’autant de clairvoyance jusqu’au bout en ne se distribuant pas dans le rôle d’Ivan – sans être mauvais comédien, il est souvent dans le même registre et peine à donner plus d’une couleur au personnage d’Ivan, qui reste cantonné au sentiment de peur la plupart du temps. Mais à ses côtés, on retrouve un Romain Cottard très en forme : son diable-dandy fait grand effet et joue de son côté mystérieux pour impressionner tant ses camarades que le public !

Après avoir échangé de nombreux regards dans le noir avec Yuriy Zavalnyouk, je peux également saluer l’angoisse qu’il parvient à faire naître par ses coups d’oeil inquiétants. Chez les femmes, Esther Van den Driessche a su particulièrement retenir mon attention pour ses parties muettes dans lesquelles elle propose des parties dansées très gracieuses qui viennent ajouter encore à la beauté de la scénographie. Mention spéciale aussi à Alexandre Soulié pour la composition de son rôle de chat, dont la toilette récurrente trouve toujours son quota de rire dans le public !

Une bonne soirée malgré tout : sur les belles images qui me restent, je viendrai apposer ma propre lecture du roman, que je compte commencer au plus vite. ♥ ♥

09052018-img_5569

Car c’est vrai qu’ils ont « la grande classe »

Critique de Masques et Nez – La grande classe, proposé par Igor Menjinsky, vu le 11 mars 2014 au Théâtre de Mathurins

Ce n’est pas la première fois que Masques et Nez est annoncé dans le programme de la saison parisienne. Découvert il y a quelques années lors du festival Off, voilà un spectacle que je ne manque jamais de revoir, car c’est une valeur sûre. Le principe est le suivant : durant un peu plus d’une heure, on assiste à un cours de théâtre, dirigé par Igor Menjinsky. Ils sont 5 comédiens sur scène, 5 professionnels qui incarnent chacun un personnage différent, tous masqués et la voix transformée, tous quidam du quotidien venus assister au cours pour une raison qu’ils expliqueront lors de sa présentation. En effet, la séance débute toujours ainsi : chaque personnage se présente, explique les raisons de sa venue, puis commente rapidement le choix du texte qu’il a préparé pour le jour-même et qu’il interprètera plus tard dans la soirée.

C’était un jour particulier ce mardi 11 mars au théâtre des Mathurins. En raison d’une représentation spéciale presse, les 15 comédiens de l’alternance étaient présents au théâtre. Avant la représentation, les 10 comédiens qui n’interviendraient pas (ou peu) durant la séance se baladaient dans le théâtre, apostrophant chaque spectateur, faisant la conversation, déjà entièrement dans leur personnage : bégaiement, drague, problème d’articulation ou agression sont au rendez-vous !

Ainsi, on entre dans la salle déjà de bonne humeur et impatient de découvrir le cours de théâtre. Puis on découvre les différents personnages : on en retrouve certains de connus, comme Eddy le chauffeur de taxi ou Thierry le directeur de casting reconverti dans la télévision. Deux personnages incontournables, peut-être mes préférés. Il y avait aussi Margareth, la strip-teaseuse, Sebastian, papi à la retraite, et Lucas, qui sort tout juste de prison. Ils ont tous un tic, un petit truc à eux, qui sait nous faire rire. Que ce soit volontaire comme celui qui sort toujours des vannes, ou plutôt contre leur gré comme une timidité maladive, chaque personnage est doté d’un talent comique indéniable, et chaque prise de parole se ponctue d’un rire unanime de la salle.

Je ne peux pas décrire tout le spectacle. Entre Daft Punk, Shakespeare, et Spielberg, c’était une soirée complète. Mais de toute façon, si les oeuvres travaillées sont différentes chaque soir, le plaisir reste le même. Rire ininterrompu garanti. N’attendez plus. Courez-y. ♥ ♥ ♥

Masques et Nez, Théâtre Michel

arton467

Critique de Masques et Nez des Sans cou, vu le 26 octobre 2011 au théâtre Michel
Avec en alternance : Jeanne Arenes, Marc Arnaud, Clément Aubert, Jonathan Cohen, Romain Cottard, Florine Delobel, Laurent Ferraro, Tewfik Jallab, Paul Jeanson, Adrien Melin, Igor Mendjisky, Arnaud Pfeiffer, César Van Den Driessche, Esther Van Den Driessche, mis en scène par Igor Mendjisky

J’avais déjà critiqué cette pièce lors du festival d’Avignon. Lorsque j’ai vu qu’elle repassait à Paris, je n’ai pas hésité, et j’ai repris des places.

Igor Mendjisky conserve l’ouverture du spectacle : « Ceci n’est pas un spectacle ». Cela fait rire certains, d’autres sont étonnés. Pas de réaction spéciale pour ma part ; je m’y attendais.

Après une pointe de déception quand j’ai constaté que, dans les 4 acteurs présents sur scène (plus une actrice annoncée comme « en retard ») ne se trouvait pas Adrien Melin, un acteur que j’admire beaucoup, j’ai été heureuse de reconnaître Romain Cottard (qui jouait Hamlet dans Hamlet), qui incarnait un professeur de français (Ferdinand) en collège, prof principal de la « 6e orange ». Dans le genre un peu coincé, il faisait merveille. A côté de lui, je n’ai malheureusement pas le nom des acteurs, mais on trouvait un boxeur sortant de prison (Lucas), un Benoît qui voulait s’affirmer et vaincre sa timidité, une future (peut-être) miss France (Jessica), et une prof de danse sortant du taxi d’un ami ….

Le principe reste le même, c’est-à-dire que 4 acteurs arrivent, et 1 est en retard, ayant préparé un texte plus ou moins connu (seul ou en groupe). Leur metteur en scène, placé sur un fauteuil sur un côté de la salle, leur fait d’abord faire quelques échauffements, puis ils présentent leur travail et attendent des critiques. Ils doivent paraître le plus naturel possible, sachant qu’ils ont tous un rôle totalement composé (la voix, le maintien, les tocs, la gestuelle, le langage).

Voir plusieurs fois une même pièce peut être très intéressant. Ici, c’était le cas. Car après l’avoir vu à Avignon, je m’étais demandée si, oui ou non, c’était de la totale impro … ça me paraissait impossible que la pièce n’ait pas été répétée. Pourtant, à présent, c’est plutôt mon avis. En fait, à présent, cela me semble évident que l’on a devant les yeux une improvisation quasi-totale (car les acteurs préparent tout de même un texte connu pour le travailler sur scène). Et c’est grâce à cela qu’on se rend compte du niveau, très élevé, des comédiens … et également de la qualité de la représentation. Les acteurs ont une excellente répartie et font à plusieurs reprises rire le public par quelques bons mots. Ils ne se coupent jamais la parole. Ils semblent toujours savoir où ils vont (lorsqu’ils miment par exemple) et ne connaissent le trou que lorsqu’ils présentent leur travail au metteur en scène (le trou est n’en paraît donc que plus réel ; c’est-à-dire que, s’ils avaient été à un « vrai » cours de théâtre, sans spectateurs, et qu’ils avaient eu un trou, il aurait eu lieu au même moment … Alors que s’ils avaient un trou lorsqu’ils parlent « normalement » (une discussion entre eux par exemple), c’est un peu invraisemblable dans ce qu’on pourrait appeler « le réel »).

Enfin, la pièce nous permet de découvrir certains textes (hier, étaient présentés : un extrait du Quai des Brumes, une chanson de Renaud, et un extrait de Quai Ouest). Les acteurs et les extraits changent tous les soirs, et ça vaut donc le coup d’y retourner !

Verdict : Impératif !

masques-acteurs.jpg

Hamlet, Mouffetard

Hamlet_theatre_fiche_spectacle_une.jpg

Critique de Hamlet, de Shakespeare, vu le samedi 5 février au théâtre Mouffetard
Avec Clément Aubert, James Champel, Romain Cottard, Fanny Deblock, Yves Jégo, Imer Kutlovci, Dominique Massat, Arnaud Pfeiffer ; mise en scène Igor Mendjisky

Tout d’abord, il faut se débarrasser de l’idée d’un Hamlet en costume et avec le texte respecté ; c’est une adaptation moderne du chef-d’oeuvre de Shakespeare… Une fois entrés dans le jeu de cet excellent acteur qu’est Romain Cottard (Hamlet), on ne peut plus se détacher et, lorsqu’il n’est pas sur scène, le temps devient parfois long : il « porte » presque la pièce sur son dos, et, bien que d’autres acteurs soient très bons, il reste nettement au-dessus d’eux.

Malgré quelques dialogues que je n’aurais pas ajoutés au texte, il me semble que c’est tout de même une très bonne adaptation ; fidèle la plupart du temps, et très bien jouée. Les décors sont légers, voire inexistants, mais il ne manque tout de même rien sur scène (les accessoires utilisés remplacent presque le décor). Quelques idées de mise en scène sont tout de même vraiment bonnes ; je pense particulièrement au combat final entre Hamlet et Laertes, où les deux hommes, sans épée, simulent les tentatives de touches de l’adversaire en plongeant dans des sortes d’aquarium, puis en s’ébrouant comme des chiens (à dire, ça paraît bizarre, mais c’est une belle trouvaille). Le passage du théâtre dans le théâtre est également très réussi, avec l’utilisation des masques de théâtres (à la grecque ?), mais les acteurs ne sont pas très exagérés, et vraiment, la scène rend très bien !

Enfin, c’est un bon Hamlet, à voir je pense … Même si, un jour, j’aimerais voir un Hamlet en costume, en vers (pourquoi pas en anglais ?), et sans coupure …

Une question subsiste … Pourquoi James Champel (qui incarne Oratio) semble-t-il attendre le spectateur avant le commencement de la pièce, confortablement assis dans son fauteuil ?

Placement : premier rang !!!