Certains l’auraient aimé plus show

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Critique de Sept ans de réflexion, de George Axelrod, vu le 27 septembre 2019 aux Bouffes Parisiens
Avec Guillaume De Tonquedec,  Alice Dufour,  Jacques Fontanel,  Agathe Dronne,  François Bureloup,  Clément Koch, dans une mise en scène de Stéphane Hillel

J’avoue, j’étais intriguée. J’avais envie de voir Guillaume de Tonquédec sur scène après l’avoir découvert au théâtre dans la captation de La Garçonnière, l’année dernière. J’avais aussi envie de voir ce que donnait cette adaptation de Billy Wilder sur scène – même si en réalité le film a lui-même été adapté d’un succès de Broadway datant de 1952. J’avais envie de voir si Alice Dufour, découverte la saison passée dans Le canard à l’orange, avait les épaules pour remplacer Marilyn Monroe. J’avais envie, enfin, que voulez-vous, et l’envie et la raison ne font pas bon ménage !

Richard est seul dans son appartement : sa femme et son fils sont partis en vacances mais il avait encore du travail et ne pouvait les suivre. Sa femme n’a pas à s’inquiéter : ils sont mariés depuis sept ans, il n’a jamais fauté, et ce n’est pas maintenant que ça va lui arriver. Et puis il croise sa voisine du dessus qui vient d’emménager. C’est évidemment un canon de beauté et il se met à fantasmer leur rencontre, jusqu’à ce que rêve et réalité se mêlent…

Je ne comprends pas bien l’intérêt de monter ce genre de pièce aujourd’hui. Elle a quelque chose de vieillot, de dépassé, de misogyne – mais pas la misogynie fine et espiègle de Guitry, plutôt celle un peu trop premier degré qui fait pas mal de dégâts aujourd’hui, le genre bien patriarcale comme il faut, qu’on n’a pas vraiment envie de retrouver au théâtre. Je suppose donc que l’idée, en remontant cette pièce, était de surfer sur la lancée de La Garçonnière et de chercher quel film des années 60 pourrait bien se retrouver adapté au théâtre avec Tonquédec dans le rôle-titre. Sauf qu’on sait depuis longtemps qu’il n’y a pas de formule magique et qu’au théâtre il ne suffit pas de reprendre la même recette pour faire un carton.

J’ai compris dès le départ qu’il y avait un problème. Tonquédec est longuement seul sur scène au début de la pièce et, beaucoup trop vite à mon goût, j’ai trouvé le temps long. Tonquédec est un bon acteur, mais pour porter seul un texte un peu lourd, un peu poussiéreux, un peu ennuyeux pendant une dizaine de minutes, cela relève carrément du génie. Or la direction d’acteurs semblant quasiment absente de ce spectacle, le génie de Tonquédec peine à faire surface et c’est l’indifférence qui prend sa place. L’entrée en scène d’Alice Dufour ne fera pas l’effet du filtre magique qu’on attendait : le couple fonctionne plutôt bien, mais il n’est pas non plus captivant et on ne peut pas dire que la mise en scène les aide beaucoup. Si on choisit ce texte, c’est bien qu’on avait envie de le monter non ? Là est tout le problème de ce spectacle. Ça manque de piquant, ça manque de rythme, ça manque de vie. Ça manque d’envie.

Quand on y pense : cela fait 67 ans que la pièce a été créée. 67 ans de réflexion… et ça ne suffit pas. pouce-en-bas

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Nouveau Fau pas

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Critique de Douce-amère de Jean Poiret, vu le 21 février 2018 aux Bouffes Parisiens
Avec Mélanie Doutey, Michel Fau, David Kammenos, Christophe Paou, et Rémy Laquittant, dans une mise en scène de Michel Fau

Ha ! Michel Fau. J’ai tant encensé cet artiste, tant admiré ce comédien, tant applaudi ce metteur en scène que la chute n’en est aujourd’hui que plus rude. Depuis quelques spectacles, Michel Fau ne se ressemble plus. Il m’a perdue. Je ne retrouve plus ce qui m’a d’abord attirée chez lui – sa folie, son intelligence, son anticonformisme. Malgré ce qu’il peut dire, il rentre de plus en plus dans un moule qui lui convient si peu : grosses productions, grosses têtes d’affiches, grosses vannes sans finesse. Comme je continue d’espérer retrouver cet homme que je considérais proche du génie, je vais encore découvrir ses créations. Et une déception de plus, une !

Elisabeth et Philippe sont ensemble depuis 8 ans. Le temps a terni leur amour et aujourd’hui Elisabeth semble vouloir s’affirmer en tant que femme seule, libre et indépendante. Philippe, s’il semble concevoir le départ prochain de sa femme, n’en reste pas moins très intrusif quant aux hommes qu’elle peut fréquenter et tente même de deviner de lui-même les nouvelles relations de sa femme. Cependant, l’attachement est tel que même lorsqu’il disparaît physiquement de sa vie, laissant à Elisabeth l’espace nécessaire à sa reconstruction, sa présence semble immuable, ancrée dans l’appartement plein de souvenirs, dans les habitudes prises au fil des années. Même absent, Philippe est partout.

On l’a compris depuis longtemps, les thèmes de l’amour, du couple, de la longévité de la passion, sont chers à Michel Fau. Sur ce sujet, il nous avait présenté il y a quelques années Un amour qui ne finit pas d’André Roussin. Étonnée tout d’abord par son choix de ressortir une pièce jamais jouée, j’étais sortie complètement convaincue de sa nécessité. J’aurais aimé retrouver cette surprise ici, d’autant que les thèmes abordés sont très proches. Mais les derniers choix de texte de Michel Fau ne s’avèrent malheureusement pas à la hauteur de ce à quoi il avait pu nous habituer, et cette pièce se montre finalement à la fois bavarde et fade.

Le spectacle se découpe en deux parties distinctes. La première amène le sujet – sujet important et traité de manière à la fois intelligente et rythmée. Moi qui avais entendu beaucoup de commentaires négatifs sur le spectacle, je me suis même surprise à me dire « Roooh quand même, ils exagèrent. Si ce n’est pas du grand Michel Fau, ce n’est pas non plus un spectacle déshonorant ». Je serrais les dents au début mais j’ai vite laisser le rire et l’intérêt gagner du terrain. Michel Fau, qui incarne Philippe, joue habilement de sa double casquette comédien/metteur en scène pour faire du mari le nouvel instigateur des actions de sa femme. Par ailleurs, le duo Doutey-Fau fonctionne très bien, les deux comédiens se renvoyant des balles de couleurs toujours différentes et qui tombent chaque fois à des endroits différents. C’est globalement un bon moment.

Seulement, toute bonne chose a une fin. Lorsque Michel Fau sort de scène au début de la seconde partie, il ne faut pas longtemps pour qu’on se mette à regarder l’heure. Mince, 22h. Il reste donc encore une heure, et si on a un peu appréhendé la forme de la pièce, on comprend rapidement que Michel Fau ne reviendra pas avant la dernière scène. Aucun des trois jeunes comédiens incarnant les amants de Elisabeth n’a l’aura ni la présence de Michel Fau, et soudain le texte s’alourdit considérablement. Même Mélanie Doutey, dont le jeu révèle pourtant une femme complexe et pétillante, ne parvient pas à maintenir notre intérêt. Ne reste plus qu’à subir un texte plat et des scènes sans consistance jusqu’au retour du comédien-metteur en scène. C’est long.

Ce n’est pas la catastrophe Fleur de Cactus, mais j’attends quand même de retrouver le Fau que j’avais mis sur un piédestal, le Fau du Récital Emphatique, le Fau qui m’a fait découvrir Roussin, le Fau qui osait tout, et qui ne s’enfermait pas dans un spectacle convenu. 

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Ça rame assez

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Critique de Ramsès II, de Sébastien Thiery, vu le 11 octobre 2017 aux Bouffes Parisiens

Avec François Berléand, Éric Elmosnino, Evelyne Buyle, et Elise Diamant, dans une mise en scène de Stéphane Hillel

Ceux qui connaissent mes goûts théâtraux se demanderont peut-être ce qui m’a poussée à aller voir Ramsès II en ce (encore, bien que tardif) début de saison. Sachez qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, et que j’ai longtemps regretté d’avoir raté Momo, la précédente pièce de Sébastien Thiery avec François Berléand et Muriel Robin, qui recueillait un bon nombre de bonnes critiques là où l’auteur est généralement associé à un avis globalement moyen. Pour me rattraper, me voici donc aux Bouffes Parisiens, avec dans l’idée que même si la pièce n’est pas excellente, les têtes d’affiche sauveront le spectacle. Checked.

La première scène est intrigante : Matthieu rentre à peine d’Egypte qu’il est invité à déjeuner chez ses beaux-parents, Jean et Elisabeth, avec sa femme, Bénédicte. Mais il arrive seul et semble perdu. Aux questions de Jean et Elisabeth, il répond d’abord un peu à côté, puis commence à carrément délirer en sortant des histoires de plus en plus invraisemblables, jusqu’à poser le doute : où est Bénédicte ? Que s’est-il passé entre eux qui pourrait expliquer son absence ?

La pièce commençait plutôt bien. Cette espèce de situation un peu absurde, qui joue avec le spectateur, ça me plaît bien. Ça titille ma curiosité. Et j’adore être surprise. Alors je me disais « chouette, il va se passer plein de trucs auxquels on s’attend pas et certainement pas « situation 1 », « situation 2 », « situation 3 », « final » comme moi, en fille beaucoup trop rationnelle, je pourrais m’y attendre »… Et ben si. C’est dingue car il part pourtant de quelque chose de complètement nouveau et descend progressivement dans ce mélange de facilité et d’attendu.

La première scène est intéressante. La deuxième scène est prévisible. J’ai écrit mentalement la troisième scène pendant le noir qui la précède. Je ne comprends pas bien cela chez Sébastien Thierry ; c’est-à-dire qu’il nous pose une situation bien étrange, avec des répliques un peu extravagantes, et finalement il a beaucoup trop les pieds sur terre et retombe totalement dans le raisonnable. Et le raisonnable, avec les situations qu’il crée, c’est pas vraiment rigolo. Voire un peu morose (voire complètement déprimant). Ajoutons à cela les blagues un peu faciles (et l’éternel pipi-caca-zizi qui ne me fait plus rire depuis un bout de temps) et l’idée de base se retrouve gâchée.

Heureusement, il faut bien reconnaître que les comédiens sauvent ce qu’ils peuvent du spectacle. En vérité, si tout n’était pas si prévisible – ou si, comme on me l’a gentiment fait remarquer, j’avais su garder mon âme d’enfant sans essayer de tout rationaliser comme je le fais trop souvent – j’aurais même pu passer un bon moment, car ça reste un plaisir de les voir sur scène. On adore détester cet Eric Elmosnino à la nonchalance insupportable, et son indolence est à elle seule un des piliers comiques de la première scène. Si le comédien semblait un peu déçu de s’être vu imposer un jeu « le moins chantant possible », j’ai trouvé au contraire qu’il était excellent dans cet être monocorde et apathique.

Ses partenaires, François Berléand et Evelyne Buyle, font de leur mieux avec une partition encore moins intéressante, jouant à merveille sur le contraste entre le ton colérique de l’un et le calme de l’autre. Elise Diamant vient compléter cette distribution avec un air de déjà-vu : quelle étrange coïncidence de retrouver ici la comédienne que j’avais découverte dans Le Père, un texte qui malgré ses défauts traitait d’un sujet proche avec plus de style…

On prend les mêmes comédiens avec un vrai bon texte, et on recommence ? 

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