#OFF18 – Kamikazes

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Critique de Kamikazes, de Stéphane Guérin, vu le 16 juillet 2018 au Théâtre Buffon
Avec Raphaëline Goupilleau, David Brécourt, Valentin de Carbonnières, Julie Cavanna, Pascal Gautier, Pierre Hélie, Salomé Villiers, dans une mise en scène de Anne Bouvier

J’irai au bout du monde pour Raphaëline Goupilleau. Au Théâtre Rive Gauche cette année, au Festival Nava il y a 6 ans, au Poche-Montparnasse ou au Théâtre Saint-George ces dernières années, à Avignon aujourd’hui. Ce qui est chouette, c’est qu’en me remémorant ces différents spectacles je me rends à nouveau compte de la palette de cette actrice que j’admire tant. Souvent employée dans des rôles comiques, je me souviens de son interprétation dans Tom à la Ferme, soudain dure et inquiétante. Un nom relié à de nombreux souvenirs théâtraux, donc. Pas un instant d’hésitation. C’est parti !

La pièce est divisée en deux : d’un côté, une table dressée accueille des hôtes, que j’ai supposés d’une même famille même si ce n’était pas forcément clair. Ils discutent sans s’écouter, la conversation part dans tous les sens, le genre « communication impossible ». De l’autre, une femme, seule, prend la parole lorsque la tablée se tait. Elle raconte sa vie, et conclut toujours son monologue par « Je vais faire un grand dîner ». J’ai cru comprendre qu’elle était morte. Pas sûre.

Quelle déception ! J’ai vite compris que le spectacle ne serait pas pour moi. Les conversations sans fond qui se déroulent la majeure partie du temps sur scène ne m’intéressent pas. Ça ressemble à du théâtre de l’absurde mais ça ne prend pas sur moi. On y parle de gens qui revendent les alliances de mort, on y voit une jeune femme qui joue à faire marcher le pain sur la table, un garçon qui s’amuse au jeu du « sens mon doigt », un gars qui reprend toutes les fautes de grammaire de ses congénères. Ok, cool. Et après ?

C’est d’autant plus dommage que les comédiens dégagent une belle énergie, que le spectacle est très rythmé, que tout pourrait fonctionner si le texte suivait. Le truc c’est qu’en plus de m’ennuyer pendant les scènes de repas, je ne pouvais même pas regarder Raphaëline Goupilleau qui était très souvent à cour, donc invisible pour moi depuis mon strapontin. Tout intérêt était donc mort. Enfin, je commence à saturer des spectacles qui utilisent la fumée, et j’ai trouvé que faire entrer des spectateurs dans une salle pareillement enfumée sans que cela ne prenne le moindre sens était assez malhonnête.

En véritable Kamikaze que je suis, j’ai quitté la salle plus tôt. 

Deux auteurs et une bonne pièce

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Critique de Deux mensonges et une vérité, de Sébastien Blanc et Nicolas Poiret, vu le 14 mars 2018 au Théâtre Rive Gauche
Avec Lionnel Astier, Raphaëline Goupilleau, Frédéric Bouraly, Philippe Maymat, Esther Moreau et Julien Kirsche, dans une mise en scène de Jean-Luc Moreau

Je dois avouer que quand j’ai vu l’affiche, je n’ai pas tout de suite sauté au plafond. C’est bête hein, mais cela me faisait un peu penser à un jeu télévisé, et ne m’attirait pas franchement énormément. Néanmoins, l’atout-charme – j’ai nommé Raphaëline Goupilleau – faisait quand même son effet, et le spectacle est resté dans un coin de ma tête… Quand j’ai vu que la pièce récoltait des bons retours de manière unanime, je n’ai plus hésité bien longtemps, et réservation fut faite pour mon retour au Rive Gauche. Sage décision.

Le teaser dévoile assez bien la trame et j’étais donc préparée : lors de leur soirée anniversaire fêtant leurs 28 ans de mariage, Philippe a la maladresse de dire à Catherine que plus rien ne pourra le surprendre venant d’elle, qu’ils se connaissent par coeur et que c’est en quelque sorte le témoin ultime d’un amour que rien ne peut plus écorcher. Grosse erreur : pour Catherine, rien n’est pire que d’imaginer qu’elle ne peut plus étonner son mari. Pour lui prouver qu’il a raison, il lui propose un jeu : dans les trois événements de sa vie qu’il va lui donner, deux sont des mensonges et le dernier est une vérité. Elle devine tout de suite. En revanche, les trois propositions qu’elle lui fait sont beaucoup moins évidentes, et le doute s’insinue alors chez Philippe…

Ce n’est pas la première pièce de Nicolas Poiret et Sébastien Blanc que je vois. J’avais souvenir d’une écriture basée en grande partie sur les punchlines, misant son aspect comiques sur des répliques percutantes et bien rythmées plus que sur des situations en elle-même. Ici, c’est bien moins le cas, et c’est véritablement l’histoire qu’on suit avec un vrai plaisir. Jusqu’à la fin, le suspense est à son comble et l’écriture comme les comédiens parviennent à nous tenir en haleine. Face à un spectacle aussi réussi, une crainte potentielle était de rater la fin : écueil évité avec succès.

Évidemment, plaisir immense de retrouver Raphaëline Goupilleau. Toujours aussi piquante, sa voix inimitable, malicieuse, parfois maternante et un rien péremptoire crée chez moi une sensation proche de la béatitude. Lorsque le texte suit, c’est encore plus délicieux. D’autant que ses partenaires sont tout aussi convaincants : à commencer par Lionnel Astier, mari confiant débordant de tendresse sous ses maladresses, et dont le potentiel comique se développe au fil de la pièce. Le trio est complété par un Frédéric Bouraly en grande forme, ami gaffeur loin d’être godiche et qui s’impose en contrepied du couple avec un sens du rythme aiguisé, sans jamais s’imposer. Une belle brochette de comédiens !

C’est bon – et rare – de rire franchement sans rire gras. Conseillé. ♥ ♥ ♥

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© Fabienne RAPPENEAU

Un arbitrage de seconde zone

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Critique de La Médiation de Chloé Lambert, vue le 9 janvier 2016 au Théâtre de Poche-Montparnasse
Avec Julien Boisselier, Raphaëline Goupilleau, Chloé Lambert, et Ophelia Kolb, dans une mise en scène de Julien Boisselier

Il y a un type d’acteurs un peu à part, en général de ces acteurs ayant une voix particulière, dont le timbre reste en nous longtemps après un spectacle, et qui pourraient lire le bottin sur scène qu’on en resterait tout aussi passionnés. Je sais que ce n’est pas le plus beau compliment qu’on puisse faire à un acteur, mais en tant que spectatrice, cela reste un compliment dans ma bouche, ou plutôt sous ma plume. Parvenir à faire d’un texte vide un moment sympathique est une prouesse, et c’est la raison pour laquelle je salue bien bas Julien Boisselier et Raphaëline Goupilleau, qui font de La Médiation un moment sinon agréable, du moins amusant.

La médiation, c’est l’histoire d’un couple qui ne peut plus dialoguer, et qui a donc recourt à des professionnels pour aboutir à un accord sur l’éducation de leur fils. Pierre et Anna sont séparés depuis 2 ans déjà, et Archimède leur fils a 3 ans. Il est paléontologue, elle est styliste. C’est un adolescent attardé, elle est psychorigide. Nous allons donc assister à leurs débats, leurs disputes, leurs confrontations que tenteront d’apaiser Isabelle et Jeanne, les médiatrices. Voilà un sujet qui me paraît peu théâtral, on sent le risque d’une trame dramatique faible, mais après tout pourquoi pas.

Mieux vaut ne pas lire avant la note d’intention de l’auteur. Elle risquerait d’en décourager certains, de donner de mauvais a priori à d’autres. Mais elle m’a fait tellement rire après coup que je ne peux que retranscrire ici un court extrait de ce texte : « Une réalité de la vie m’a toujours surprise : le retentissement dans notre intimité de la découverte de la vie des autres. Comme un effet mécanique et tout émotif, comme une poussée d’Archimède qui nous relie de manière invisible les uns aux autres. » Voici donc la raison pour laquelle cet enfant a un nom si ridicule. Seulement voilà – pardon pour ce petit intermède « je suis en école d’ingénieur » – mais cette phrase n’a pas de sens scientifique. Une poussée d’Archimède ne relie rien, c’est simplement une force qui s’oppose au poids. Voilà voilà.

A lire cette critique, on pourrait croire que je n’ai pas aimé le spectacle. Or il n’en est rien : j’ai plutôt passé un bon moment ; en tout cas je ne me suis pas ennuyée. Je remercie pour cela deux acteurs prodigieux, Raphaëline Goupilleau et Julien Boisselier. Je la connais depuis un bout de temps déjà, et je pense que je ne pourrais pas détester un spectacle dans lequel elle jouerait. Par sa présence, par sa voix, par son rythme, par ses répliques magiques, je ne peux que passer un bon moment lorsqu’elle est sur scène. De même pour lui, qui a un jeu, une gestuelle, et une voix si particuliers : pour cette deuxième fois où je le vois sur scène, il parvient encore à m’étonner, à me surprendre et à m’intéresser. Il arrive à donner une contenance à un personnage qui n’a pas d’âme, ce qui est une véritable prouesse. Chapeau bas.

Mais dès qu’ils sortent de scène – heureusement rarement – je comprends que ce texte n’est pas grand chose. Tout particulièrement lors de la scène finale, quand Ophelia Kolb est seule sur scène avec un monologue vide et un jeu pauvre, je suis presque gênée. Le texte est digne de magazines féminins, empilant les clichés et les phrases mal construites. Dois-je encore mentionner cet accord oublié, choquant, « des tendresses qu’on n’a pas compris » (ou quelque chose dans ce goût-là). Brrrh.

Ça doit être mon côté « magazine féminin ». 

Même pas nul !

Critique de Même pas vrai !, de Nicolas Poiret et Sébastien Blanc, vu le 15 février 2014 au Théâtre St-Georges
Avec Raphaëline Goupilleau, Bruno Madinier, Anne Bouvier, Christopher Guybet, Thomas Maurion, et Valérie Zaccomer

Je ne saurai pas dire depuis combien de temps je n’avais pas vu de boulevard. J’en ai vu à la télévision, ou du moins j’ai essayé d’en regarder lorsque certains étaient diffusés. Mais à croire que ce n’est pas si facile d’en écrire, et de faire rire, car il y a longtemps que je n’avais pas ri ainsi devant un vrai boulevard. L’écriture en était différente de ce que je connais : aujourd’hui, on parle beaucoup d’Éric Assous, et si c’est vrai que certaines de ses pièces sont très bonnes, on reconnaît tout de même sa plume et son style de comique. Là, c’était à l’opposé de ce qu’on peut percevoir chez Assous. Et ce n’était pas pour me déplaire.

En fait, c’est une écriture très jeune. Il n’y a pas vraiment de fil directeur de l’histoire, de situation franchement comique, mais tout est dans l’art de la réplique, dans le rythme, car tout passe par la vanne : c’est un mot bien renvoyé qui provoque le rire dans ce spectacle. Et je dirai même plus : ce sont des enchaînements de vannes qui composent la pièce. Dit comme cela, ça peut surprendre, mais le résultat est surprenant car comique et tout à la fois prenant !

L’histoire est la suivante : on se retrouve dans la vie d’un couple, Mathilde et Arnaud, et de leur fils, Michael. Elle est folle, ou du moins sérieusement atteinte. Elle n’aime pas qu’on lui cache un fait mais elle n’est pas capable de demander les choses clairement et emploie toujours un moyen détourné. Résultat : c’est une famille assez spéciale et on se plaît à s’incruster au coeur de ce mini-délire. Et puis, Mathilde semble aimer les coups de théâtre, et inventer les moyens les plus tarabiscotés pour attraper les membres de sa famille : c’est donc au cours d’un dîner que se révèleront les plus grands secrets que tous se cachent les uns aux autres. Et tout cela, sans lourdeur, sans longueur, sans ennui !

Il faut dire qu’il y a sur scène une actrice remarquable, une Comédienne avec un grand C, une femme renversante en la personne de Raphaëline Goupilleau, alias Mathilde. Toute la folie du personnage, toutes ses attentes et ses questions, tous ses manèges sont lisibles dans son regard, et elle nous fait rire par son sens du rythme inné et par ses airs toujours décalés lorsqu’elle répond à un personnage. Et puis n’oublions pas cette voix si caractéristique, cette voix si particulière, cette voix qui est un don pour un comédien, et qui nous enchante dès qu’elle dit un mot. A ses côtés, tous les comédiens sont excellents : on pense à Bruno Madinier, un Arnaud un peu mou face à cette femme tornade, ce genre d’homme qui tente d’apaiser les choses, et qui nous fait rire de ce côté nonchalant. On pense aussi à Valérie Zaccomer, un peu hystérique, un peu folle sur les bords également, qui a de belles scènes de colère sans tomber dans l’exagération. Thomas Maurion, qui incarne le fils de cette famille, se détache de la troupe par un jeu plus jeune, plus instinctif, mais il ne tombe à aucun moment dans le cliché et on l’en remercie.

Mais c’est l’écriture du spectacle qui m’a marquée, en ce qu’elle a de différent et de nouveau, comme si elle renouvelait presque l’idée que j’avais du boulevard : la scène du pré-dîner, où ne sont présents que les trois membres de la famille et une invité, est au bord de l’absurde, et c’est un véritable régal. Ce n’est pas une pièce spécialement prévisible, et c’est ce qui change de ce qu’on peut connaître du boulevard, où les situations peuvent être connues d’avance. Point positif pour les décors ingénieux également, qui permettent des changements de lieu facilement, sans non plus être trop tarabiscotés.

C’est un excellent spectacle en ce moment au théâtre St-Georges : qui refuserait une bonne dose de rire de 2h ? On reviendra. ♥ ♥ ♥