Zem pas !

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Critique de Trahisons de Pinter, vues le 13 février 2020 au Théâtre de la Madeleine
Avec Roschdy Zem, Michel Fau, Claude Perron et Fabrice Cals, dans une mise en scène de Michel Fau

Ha, Michel Fau ! Si vous suivez un peu ce blog, vous connaissez ma relation tumultueuse avec cet artiste : le coup de foudre initial porté par des merveilles telles que Demain il fera jour ou Un amour qui ne finit pas s’est soldé par un divorce brutal lorsque j’ai vu Fleur de Cactus. J’ai bien essayé de renouer avec ce créateur que j’avais tant aimé mais mes diverses tentatives se sont toutes soldées en échecs. Mais je continue d’y croire, sans doute portée par le souvenir d’une esthétique et d’une théâtralité avec lesquelles j’étais en harmonie complète – et que je ne retrouve toujours pas dans ces Trahisons.

Qu’elle est belle cette pièce de Pinter qui revient dans le temps pour recomposer les détails et les discussions qui ont mené à la situation actuelle d’une séparation entre deux époux, Emma et Robert. On revient plusieurs années en arrière dans la vie des deux époux, et on comprend petit à petit comment leur mariage a tourné ainsi, quelle relation elle a entretenu avec Jerry, le meilleur ami de Robert devenu son amant, et comment ils se sont tous un peu trahis les uns les autres…

Il y a sans doute une grosse erreur qui plombe le spectacle et sans qui, peut-être, j’aurais pu passer un moment plus que correct. C’est une erreur de casting, et elle porte le nom de Roschdy Zem. J’étais pourtant super emballée devant cette proposition, parce que Roubaix une lumière, parce que Persona non grata, parce que découverte de cet comédien au théâtre, parce que ça pouvait marcher. Mais allez savoir pourquoi, ça ne fonctionne pas. Roschdy Zem est une coquille vide. Ses répliques se suivent et se ressemblent sans la moindre incarnation. Pire, il semble absent dès qu’il finit de parler, comme s’il se concentrait pour ne pas oublier sa phrase suivante.

Difficile pour sa partenaire Claude Perron de s’accrocher à une telle prestation. Est-ce pour cela que Michel Fau la dirige de manière aussi froide ? Son personnage, qui devrait quand même faire preuve d’un minimum de désir et de chaleur pour son amant, est glacial. Son jeu, trop stylisé, aurait pu être intéressant s’il n’était pas que stylisé. Résultat : les scènes entre les deux amants passent trop lentement et l’ennui s’installe. Pour essayer de pallier ce problème, le metteur en scène a tenté de monter certaines scènes avec des accents de boulevard, perdant tout le mystère, l’ambiguïté et la perversité propres à ces trahisons qui deviennent alors bien plates. Dommage car Michel Fau, lui, avait su adopter le bon ton.

Différemment entouré, cela aurait donné un tout autre spectacle ; j’aurais même pu me laisser convaincre par la mise en scène de Fau. Certes, j’ai trouvé les lumières trop agressives – on les connaît ces lumières radicales qui lui sont chères, et je dois même dire que je les ai beaucoup aimées avant mais là, peut-être était-ce dû à la mayonnaise qui ne prenait pas, mais je les ai trouvées justes radicales et comme déconnectées du spectacle dans son ensemble. Mais je dois dire que j’ai trouvé le décor très malin, cette reconstitution du puzzle comme des représentations des souvenirs des amants et des époux qui s’entremêlent au fil des révélations, c’est à la fois visuellement très réussi et très parlant. Une très chouette idée !

C’est Pinter qu’on trahit ! pouce-en-bas

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Comme son nom l’indique

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Critique de Moi non plus, de Bertrand Soulier, vu le 28 février 2018 au Théâtre de la Madeleine
Avec Mathilde Bisson et Jérémie Lippman, dans une mise en scène de Philippe Lellouche

J’aime beaucoup Mathilde Bisson. Je préfère préciser en début d’article puisque vu ce que je vais dire sur ce spectacle, on pourrait presque croire que j’avais de mauvaises intentions. Or j’avais de très bonnes raisons de vouloir le découvrir : découverte il y a quelques années dans L’importance d’être sérieux d’Oscar Wilde, Mathilde Bisson est une actrice que j’adore. C’était même l’une des seules qui avait su me convaincre dans la décevante Fleur de Cactus de Michel Fau l’année dernière, en composant un personnage de manière délicate et lumineuse. Bref, l’imaginer en Brigitte Bardot avait de quoi donner l’eau à la bouche.

D’abord, le titre comme l’intrigue sont mensongers. Là où Moi non plus évoque le célèbre duo Gainsbourg-Bardot et propose donc de découvrir les coulisses de la création de cette oeuvre, la pièce retrace en réalité une presque banale soirée entre les deux amants, la composition de la chanson n’arrivant que très tardivement dans le spectacle. Soirée banale donc, lors de laquelle Brigitte rejoint Serge dans sa suite du Ritz ; lui voudrait sortir, elle non ; elle lui demande d’écrire pour elle une chanson d’amour, il lui propose Bonnie and Clyde avant de composer, dans la nuit, Je t’aime… moi non plus.

D’abord il faut parler de la pièce. Non seulement elle est très mal ficelée, c’est-à-dire que qui ne connaîtrait pas un minimum de la vie des personnages risque de passer à côté de la plupart des références, amenées de manière assez maladroite, mais en plus elle est d’une fadeur incroyable. Dans cette soirée finalement, il ne se passe pas grand chose et les dialogues sont d’une pauvreté sidérante.On ose pourtant espérer que les soirées liant les deux artistes avaient tout de même plus de goût. Sorry groupies. Quelle part est fiction, quelle part réalité ? L’auteur s’est-il seulement renseigné sur l’existence d’une telle nuit ? Mystère.

Ensuite, il faut parler de la mise en scène. J’ai rarement vu une mise en scène aussi faible, c’est-à-dire que rien ne semble réellement pensé. Les comédiens se déplacent vaguement, Serge Gainsbourg faisant approximativement 14 fois le tour de son piano à queue et Mathilde Bisson parcourant quelques kilomètres durant ses allers-retours du piano jusqu’au lit, mais ces va-et-vient semblent sans but réel. Je passerai sous silence les intermèdes musicaux accompagnés d’une création lumineuse style « sphère infernale » à la fois cheap et inutile, véritables projections pour un con, qui jouent une grande part dans mon énervement global.

Enfin, parlons des acteurs. Je vais passer rapidement sur Mathilde Bisson, dont la superbe plastique confère un léger intérêt visuel dans le spectacle. La comédienne a une partition si peu intéressante qu’elle ne parvient pas à briller autant que d’habitude, mais s’en sort du mieux qu’elle peut. C’est moins le cas en revanche pour son partenaire, Jérémie Lippman, qui semble n’avoir trouvé qu’une note pour son Gainsbourg et ne veut plus la lâcher. Il jouera ainsi constamment, dodelinant de la tête, laissant de longs temps entre chaque répliques, baissant systématiquement le ton en fin de phrase. Vous l’aurez compris : l’un est « in » et l’autre est « out ».

Je suis venue vous dire de n’pas y aller. pouce-en-bas

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Dream team à la Madeleine

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Critique de Faisons un rêve, de Sacha Guitry, vu le 29 septembre 2017 au Théâtre de la Madeleine
Avec Nicolas Briançon, Marie-Julie Baup, Éric Laugérias, et Michel Dussarat, dans une mise en scène de Nicolas Briançon

Il y a ces critiques qu’on peine à écrire, celles qui rament un peu, qu’on a du mal à sortir de notre ventre parce que le spectacle était certes bon, mais qu’il nous laissera finalement un souvenir plutôt flou. Et il y a les critiques qu’on aimerait incroyables, aussi entraînantes que le spectacle dont on sort, celles dont on s’imagine un nombre incalculable de bons mots superbement rythmés à la sortie de la pièce mais qui au fond déçoivent toujours tant elles sont en dessous de ce qu’on voudrait écrire et transmettre. La critique qui va suivre est de celles-là.

Ceux que je vois grincer des dents à l’annonce d’une pièce de Sacha Guitry ne connaissent pas Faisons un Rêve. A mon sens, c’est un chef-d’oeuvre de théâtre : l’un de plus beaux monologues, l’une des plus belles fins, l’une des répliques les plus perspicaces sur les réactions humaines absurdes (mais je vous laisse la découvrir…). Et pourtant, tout cela part d’une situation bien banale : le mari, la femme, l’amant. Mais la finesse et le charme des dialogues de Guitry nous entraîne bien plus loin qu’une simple scène de boulevard et je vous invite à découvrir (ou à redécouvrir) cette pièce entre les mains de Nicolas Briançon.

C’est un texte que je devinais fait pour lui. Il a ce talent-là de faire éclater des bulles de Guitry sans jamais perdre la saveur du délicieux champagne qu’il nous sert. Le texte lui sied à merveille, et il lui rend si bien : endossant la casquette de metteur en scène, il nous livre un spectacle éclatant, sans aucun artifice : il le sait, ce texte a du génie, et si on l’entend bien le résultat sera là. Partant de ce constat, sa direction d’acteur est impeccable, et il a su créer une belle harmonie sur la scène – du trio amoureux, aucun ne cherche à se démarquer, et cet accord parfait est un charme supplémentaire de ce spectacle.

Mais, on le sait, il a plus d’une corde à son arc, et il peut diriger brillamment un spectacle tout en incarnant l’un des personnages principaux avec maestria. Son Lui est exquis : charmeur sans lourdeur, plaisant sans bouffonnerie, il a le regard vif et l’oeil coquin. Il faut bien le reconnaître : il est absolument délicieux, et il nous conquiert aussi rapidement qu’il séduit Elle, incarnée par Marie-Julie Baup. Grâcieuse et très touchante, elle confère à son personnage une dimension que je n’avais jusqu’alors pas observée chez Elle : une réelle humanité et une délicatesse de femme. Son Je t’aime ! déclaré avec une réelle spontanéité est des plus beaux, des plus sincères, et des plus émouvants qu’il m’ait été donné de voir. Pour compléter le trio, Éric Laugérias campe un mari plutôt simple, en contrepoint des deux autres, dont l’accent chantant et les remarques décalées soulèvent tout autant les rires que ses camarades. Et comme la finesse est de mise dans ce spectacle, j’aurais aussi un mot pour Michel Dussarat qui est un valet de chambre cocasse, jamais pesant !

Je l’attendais, le voilà : mon coup de coeur de cette rentrée théâtrale. ♥ ♥ ♥

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Un grain de faux-Lear

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Critique du Roi Lear, de William Shakespeare, vu le 18 septembre 2015 au Théâtre de la Madeleine
Avec Michel Aumont, Marianne Basler, Bruno Abraham-Kremer, Agathe Bonitzer, Anne Bouvier, Olivier Breitman, Frédéric Chevaux, Denis D’Arcangelo, Arnaud Denis, Jean-Paul Farré, Nicolas Gaspar, Éric Guého, Martin Guillaud, José-Antonio Pereira, Éric Verdin, dans une mise en scène de Jean-Luc Revol

Shakespeare a été arrangé à de nombreuses sauces ces dernières années : on se souvient notamment du massacre d’Hamlet à la Comédie-Française il y a 2 ans, ou du grand Macbeth de Mnouchkine la saison dernière. Mais comment ne pas se laisser aller à la comparaison avec le Roi Lear de Schiaretti, présenté au Théâtre de la Ville en juin dernier ? Impossible de ne pas confronter les deux mises en scène. D’un côté, un roi déchiré et déchirant ; de l’autre, une folie qui a du mal à nous atteindre. Contrairement à Schiaretti, qui avait tenté d’approcher Shakespeare au plus près, au risque de laisser quelques spectateurs de côté au cours de son spectacle, Revol tente d’embarquer le plus de monde possible dans le sien, quitte à délaisser parfois Shakespeare. Une négligence qui coûte tout de même un peu au spectacle, qui reste en surface lors des scènes plus poignantes.

Lear est déjà vieux au début de la pièce, lorsqu’il partage son royaume entre ses trois filles. Trois ? Non, seulement deux puisque de Goneril, Régane et Cordélia, seules les deux premières sauront parler à leur père de façon à le convaincre de leur léguer une part de leur terre. Cordélia, qui avoue ne l’aimer que comme un père, ne saura pas s’attirer ses faveurs. Rejetée par Lear, elle ne réapparaîtra pas avant la fin de la pièce, lorsque le vrai visage de ses soeurs sera révélé au grand jour. En attendant, le vieux Lear, dépassé par les événements, sombre dans une forme de délire, surveillé de près par son fidèle Kent ainsi que son bouffon. Parallèlement à cette première intrigue, d’autres problèmes de filiation ont lieu : le duc de Gloucester a deux fils ; un légitime, Edgar, et un batard, Edmond. Ce dernier, qui convoite l’héritage auquel son statut ne donne pas droit, complote contre son père et son frère, amenant Gloucester à désavouer son propre fils. Edgar, poursuivi sans comprendre réellement la situation, s’enfuit et se fait passer pour un mendiant. Mais comme on est au théâtre, la vérité finit par éclater : Lear se rend compte que seule Cordélia était honnête en lui déclarant son amour, et Gloucester retrouve en Edgar le fils honnête qu’il aimait. Mais fatigués de tant d’émotions, les deux vieux hommes s’éteignent finalement, le coeur brisé.

Difficile de résumer Shakespeare ; mais dans cette tentative, on comprend, à travers les différents retournements de situation, que l’émotion doit être au rendez-vous de ce spectacle. On doit sentir l’amour qui lie Cordélia à son père, Gloucester à ses fils, Kent à Lear. On doit sentir la folie entrer progressivement en Lear, le posséder, et le conduire à sa perte. L’inquiétude, la tension, le déchirement, sont autant de sentiments qui doivent nous traverser durant le spectacle. Mais cet ébranlement intérieur n’est pas toujours au rendez-vous. En voulant rendre Le Roi Lear accessible au plus grand nombre, en transformant la pièce en une espèce de thriller, certains des aspects les plus profonds, les plus émouvants, se perdent. Par ailleurs, tenter de situer la pièce dans un milieu cinématographique, au milieu des années folles, représente pour moi une fausse idée. Rien dans le texte ne vient le justifier, et aucun des accessoires présents sur scène pour souligner cette situation n’est réellement utile. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : dans cette ligne directrice de spectacle plus abordable, c’est un bon divertissement.

Il faut dire que les acteurs sont bien choisis. Michel Aumont campe un bon Roi Lear, qui trouve refuge et une certaine allégresse dans sa folie. Contrairement à Serge Merlin qui semblait de plus en plus écorché au fil de la pièce, Aumont ne semble pas réellement évoluer dans cette folie. Il y trouve douceur et calme, peut-être apaisement, et c’est ce qui nous laisse en surface : on ne rentre pas dans sa douleur. A ses côtés, Jean-Paul Farré, qui avoue vouloir incarner Lear un jour, est un Gloucester déchiré entre l’amour qu’il porte à ses fils et la triste réalité qu’Edmond lui insuffle. Il porte sur ses épaules la plus grande part des émotions transmises au spectateur durant le spectacle, et notamment par sa scène avec Edgar, touchant José-Antonio Pereira. Comment ne pas mentionner également Bruno Abraham-Kremer, Kent attentif et vigoureux, dont la tendresse pour Lear se lit dans ses moindres regards. Une mention également pour Arnaud Denis, qui, même en prenant pour personnage un mélange de tous les méchants qu’on a déjà pu le voir jouer, donne à Edmond une dose de machiavélisme bienvenue.

Certes, ce n’est pas un Shakespeare magistralement mis en scène. Malgré tout, le texte est là, on l’entend assez bien, et ce spectacle reste un bon divertissement. ♥ 

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Volpone, Théâtre de la Madeleine

Volpone.jpegCritique de Volpone, de Ben Jonson, vu le 15 septembre 2012 au Théâtre de la Madeleine
Avec Roland Bertin, Nicolas Briançon, Anne Charrier, Philippe Laudenbach, Grégoire Bonnet, Pascal Elso, Barbara Probst, Matthias Van Khache, et Yves Gasc, dans une mise en scène de Nicolas Briançon

Regardez Roland Bertin se tordre de douleur sur son faux lit de mort. Volpone, c’est lui. Un vieil homme en parfaite santé, riche, et qui se fait passer pour extrêmement malade en se jouant des différents personnages venant chez lui pour une chose : apparaître comme héritier sur son testament. A droite de cette photo, c’est Mosca, le parasite de Volpone. Peut-être un des êtres les plus noirs et les plus affreux du théâtre, avec Iago. 
L’histoire est sombre, vraiment sombre. Tous les personnages présents sont des ordures, qui ne pensent qu’à l’argent. Pourtant, on rit beaucoup. Jusqu’à la scène finale, le rire est au rendez-vous. Sans doute dû et aux quelques retouches du texte par Nicolas Briançon, et à la troupe formidable qu’il a réunie sur scène. Les deux ensemble donnent un spectacle parfait. 
Tout d’abord, le décor. Haut, sombre, composé de nombreux coffres, contenant les biens de Volpone … Au début de la pièce, les 3 danseurs que nous retrouverons à plusieurs reprises par la suite nous présentent ce décor, ouvrant les coffres pour nous montrer l’importance des possessions de Volpone. Ouverts, ces coffres scintillent de par l’or qu’ils contiennent, et sont presque la seule source de lumière dans l’appartement de Volpone : sont-ils toute sa vie ? Sûrement. 
Il y a ce genre de pièce éponyme, dans lesquelles il faut trouver L’Acteur, comme l’Avare, Le Malade Imaginaire … En Roland Bertin, Nicolas Briançon a su trouver un excellent Volpone : hilarant lorsqu’il joue le faux malade, ce personnage pourtant infect parvient, par le jeu de l’acteur, à nous toucher, et nous émouvoir … J’ai eu pitié de lui, lors de la scène finale … c’est son visage qui possède un je-ne-sais-quoi d’enfantin et d’innocent qui fait que nous nous attachons à lui, malgré ses manières infâmes. Mais si Roland Bertin m’a beaucoup impressionnée, que dois-je dire de la prestation de Nicolas Briançon, qui signe également la mise en scène ? Le premier mot qui me vient à l’esprit est : Waaaw. Cet homme a quelque chose. Il s’est entièrement approprié son rôle de Mosca, et même s’il paraît joyeux lorsqu’il s’adresse aux autres personnages, il reprend sa véritable nature dès que l’attention n’est plus sur lui. La tête haute et le port droit, son regard de faucon, inquiétant et froid, renforcé par la forme étroite de ses lunettes, tuerait quiconque le croiserait. Diction parfaite, gestes d’une précision impeccable, Nicolas Briançon est parfait. Parfaitement effrayant.
Bien sûr, il faut que je mentionne les autres acteurs, qui sont tout aussi bons. Gregoire Bonnet, Pascal Elso, et Yves Gasc, forment un « trio des intéressés » formidable : tous ont composé leur personnage, tous sont différents : l’un trop énergique, agité, stressé, prêt à donner sa femme pour de l’argent, l’autre inquiétant, rappelant un mafieu, pour lequel toutes les méthodes sont bonnes pour arriver à ses fins (ou du moins la fin de Volpone), et le dernier, plus léger, puisqu’incarnant un vieil homme complètement sourd, et donc entraînant de nombreux comiques de situation. Du côté des rôles féminins, j’ai découvert avec plaisir Anne Charrier, fabuleuse prostituée, dont le jeu est aussi beau que ses traits. Les deux acteurs incarnant les « jeunes » suivent la qualité d’ensemble : un peu niais, avec une grande part d’innocence, on a parfois tendance à les oublier, car ils sont bien moins durs et horribles que les autres rôles. Les ordures ne sont-elles pas bien plus intéressantes que les êtres parfaits ? Enfin, Philippe Laudenbach, tout tremblant (sans doute de trac) lors de sa première apparition, est bien plus convaincant lors de la seconde, interprétant un juge perdu et ne sachant qui croire.
Nicolas Briançon fait désormais parti de ces acteurs/metteurs en scène, dont je suivrai les différents spectacles. Et pour cause : après l’excellence de Jacques et son maître, il signe en Volpone un spectacle inoubliable, inquiétant, drôle, et génant. Incroyable.

Une leçon de Théâtre. A voir impérativement.  ♥ ♥ ♥

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Le Fils, Théâtre de la Madeleine

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Critique du Fils, de Jon Fosse, vu le 17 avril 2012 au théâtre de la Madeleine
Avec Catherine Hiegel, Michel Aumont, Stanislas Roquette et Jean-Marc Stehlé, dans une mise en scène de Jacques Lassalle

« Spécial … » 

Telle a été ma première réaction au sortir de la pièce. Jon Fosse, c’est spécial. Une sorte de mélange entre Beckett et de Tchekhov. Le premier, car l’histoire part de pas grand chose et n’arrive nulle part. Le second, car les personnages déclarent devant nous que leur vie est monotone et qu’il ne s’y passera pas grand chose. Caricatural, mais pas si faux quand on y réfléchit.

L’histoire, donc, se passe en Norvège. Une Norvège sombre, froide, inquiétante, dans laquelle un vieux couple vit, presque seul, loin de tout. Nous peinons à comprendre ce qu’ils attendent, ce qu’ils espèrent et ce qu’il craignent. La mort est-elle souhaitable ou plutôt rejetée ? Difficile à percevoir : ils ne parlent que peu, souvent pour ne pas dire grand chose, et se répètent beaucoup. Toutefois, un élément de leur vie semble plus clair que le reste : ils ont un fils. Un fils en prison d’après le voisin, un fils dont ils n’ont plus de nouvelles depuis 6 mois, un fils passionné de musique, un fils qui leur est peut-être devenu inconnu après tant d’absence … Et voilà que ce fils revient. Sans prévenir, du jour au lendemain, il retourne chez ses parents, loin de tout.

L’intrigue donc, en elle-même, n’est pas très gaie … Dès le début de la pièce, l’ambiance est froide, et menaçante. Les lumières aident à créer cette atmosphère inquiétante, puisque la scène est presque plongée dans l’obscurité. Michel Aumont et Catherine Hiegel ouvrent la pièce. Lui lit le journal, elle défait un ourlet à l’aide de ses ciseaux. Si ils parlent, ce n’est que pour dire des choses succintes. Leur conversation n’est pas très animée. Et pourtant, malgré ces « il fait de plus en plus sombre » – « oui » – « ce n’était pas comme ça avant » – « oui », dialogue pouvait paraître pauvre et ennuyeux, ces deux acteurs parviennent à transmettre quelque chose … Le spectateur, s’il n’est pas passionné par ce qu’il voit, garde tout de même ses yeux scotchés sur ces deux personnages … Sûrement grâce au talent de ces deux Grands : elle, nous dévoilant une belle palette de sentiments, que l’on avait presque oublié après Moi j’crois pas !, et lui qui, en répétant toujours la même phrase, parvient à toujours la prononcer d’une manière nouvelle, comme s’il redécouvrait chaque fois l’obscurité de son lieu d’habitation …

Mais ils ne sont pas seuls, et les deux autres acteurs ne tardent pas à faire leur entrée … Tout d’abord, parlons du voisin, un vieil homme constamment saoul, incarné par Jean-Marc Stehlé. Il faut savoir que cet homme est décorateur de métier, et acteur à l’occasion, si j’ai bien compris. Eh bien je n’ai qu’une chose à dire : bravo ! Son personnage est absolument parfait dans sa gestuelle, sa manière de parler, ses déplacements, ses mimiques ; tout soutient parfaitement l’ivrognerie du personnage, tout est là sans en faire trop non plus. De plus, comme, finalement, c’est lui qui apporte un peu de lumière et de sourire chez le spectateur, par son décalage avec le reste de la pièce beaucoup plus sombre, on se laisse plus facilement entraîner dans son jeu. Et bien sûr, le dernier acteur, Stanislas Roquette, incarne LE fils : démarche de jeune – nonchalante – , visage ne laissant rien transparaître, parlant rarement et ne disant finalement pas grand chose, la composition de son personnage est excellente. Entouré de tous ces grands du théâtre, ce jeune acteur ne se laisse pas enfoncer, et parvient à tirer son personnage assez haut : tout comme les autres, on le regarde faire, on le suit des yeux sans savoir vraiment pourquoi, on attend. Mais on ne se déscotche pas. 

Finalement, ce spectacle ne s’éclaircit pas au fil de la pièce, bien au contraire. On s’y pose de nombreuses questions auxquelles aucune réponse n’est apportée : quelles sont les relations entre le fils et ses parents ? Pourquoi est-il réellement revenu ? Était-il en prison ? Ses parents souhaitaient-ils son retour ? Le visage des acteurs ne laisse rien transparaître des intentions des personnages. Tout est fait pour être inquiétant, tout comme cette musique de fond, qui ne gène en rien, mais accentue cette atmosphère de tension. Le décor, derrière ce qu’on peut imaginer être la maison des personnages, est magnifique. Mais malgré la beauté du paysage, le tableau que l’auteur nous fait de la Norvège ne nous donne pas envie de s’y ballader. 

A voir, ne serait-ce que pour le jeu des acteurs, et pour dire « j’ai vu du Jon Fosse ».  ♥ ♥

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Oh les beaux jours, Théâtre de la Madeleine

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Critique de Oh les beaux jours de Samuel Beckett, vu le 22 février 2012 au théâtre de la Madeleine
Avec Catherine Frot et Pierre Banderet, dans une mise en scène de Marc Paquien

Les deux seules pièces que j’avais vues à la Madeleine étaient Diplomatie et Fin de Partie. Soit deux excellents spectacles, proches de la perfection. J’avoue que je partais avec un très bon a priori … Et que je n’ai pas été déçue !

Winnie, incarnée par Catherine Frot, semble être seule sur scène. Enterrée jusqu’au ventre, elle se réveille lorsque le rideau s’ouvre. Alors commence une nouvelle journée. Pour quelqu’un qui ne peut bouger que le haut du corps, on pourrait s’attendre à une pièce tirant sur le tragique, profonde et noire. Mais non : Winnie est une femme optimiste, qui même si elle répète les mêmes actions à longueur de journée, semble le faire avec une réelle joie de vivre. Toujours le sourire aux lèvres, le simple fait de sortir une brosse à dents de son sac réveille en elle son imagination, ses souvenirs. Winnie semble heureuse. Et encore plus lorsqu’on son mari, Willie, donne des signes de vie … Lui est caché derrière le décors, mais n’est pas enterré.

Lors du second acte, nous retrouvons Winnie enterrée jusqu’au cou. Elle ne prie plus. Mais elle s’amuse toujours. Faisant la mou, observant son visage comme elle le peut, et parlant, toujours parlant … Parlant pour se souvenir, parlant à Willie en epérant une réponse, parlant sans s’arrêter … Et si ses yeux se ferment à un seul instant, une sonnerie retentira, de manière à la maintenir éveillée … Étrange …

Quelle chose étrange … Ce n’est qu’un monologue. Le monologue de Winnie, Winnie qui nous raconte, Winnie qui se souvient, Winnie qui espère, Winnie qui prie. Winnie qui vit. Et ici, enterrée comme elle l’est, l’actrice ne peut pas tromper le spectateur : elle n’a que sa voix, ses mimiques, et, au début, ses mains, pour permettre à son monologue de prendre vie. Je n’ai pas douté de Catherine Frot … et j’ai eu raison. Elle l’a fait. Elle nous enchante. À aucun moment, l’ennuie ne se fait connaître. Juste l’envie. L’envie d’en entendre encore, l’envie d’en savoir plus sur leur vie passée, sur ce fameux Piper dont elle évoque le nom à plusieurs reprises … Catherine Frot, entre sa diction parfaite et sa maitrise tout aussi excellente des parties de son corps « à l’air libre », excelle ici. 

Le décor, simple, augmente l’impression de vide autour du couple. Ils semblent n’être nulle part. Le désert, peut-être. Personne d’autre ne viendra, ils finiront leur vie ici. Telle peut-être la signification du revolver, que Winnie sort de son sac aussi simplement que sa brosse à dent. Tout objet a une signification, un besoin, une explication. Pierre Banderet, en Willie, bien qu’il n’apparaisse que peu, parvient à faire courir une vague d’émotion dans la salle lors de sa dernière parole … Très belle performance, pour un seul mot …

Décidément, le théâtre de la Madeleine est fortement conseillé : courez voir ce spectacle, car je ne sais pas si elle sont nombreuses, les excellentes Winnie … ♥ ♥ ♥

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Collaboration, Théâtre de la Madeleine

collaboration-01Critique de Collaboration, de Ronald Harwood, vu le 30 janvier 2013 au théâtre de la Madeleine
Avec Michel Aumont, Didier Sandre, Christiane Cohendy, Stéphanie Pasquet, Patrick Payet, Eric Verdin, et Armand Eloi, dans une mise en scène de Georges Werler

Dur de monter une pièce dont l’histoire se déroule lors de la 2nde Guerre Mondiale, après le succès de Diplomatie au théâtre de la Madeleine. Mais malgré leur cadre commun, les deux pièces se différencient sur bien des points, et ne sont plus comparables au final. Collaboration met en scène l’alliance artistique entre Richard Strauss et Stefan Zweig, débutée vers 1931. Bien qu’elle se soit conclue plus tôt, l’histoire pousse jusque dans les années 1948. On assiste donc à leurs débuts, leur travail, leur évolution, autant artistique qu’amicale. Le compositeur n’est pas engagé politiquement, l’auteur est juif, les temps sont durs.
Collaboration. Le titre est ambigu. Fait-il réellement référence à la collaboration artistique entre Richard Strauss et Stefan Zweig ? N’y a-t-il pas, dans l’ombre, la mise en avant discrète d’une légère collaboration entre Strauss et le régime nazi ? Car quoi qu’il en dise, n’a-t-il pas accepté le titre de Président de la Chambre de Musique du Reich ? Peut-on seulement affirmer qu’il a collaboré ? Le mot de « collaboration » avait-il seulement un sens pour cet homme ? Car tel qu’il est présenté, Richard Strauss, incarné ici par Michel Aumont, semble n’avoir que la musique dans sa vie. Il ne voit que cet art ; là est sa vie.Tous ses faits et gestes sont reliés à la musique, toutes ses actions ont pour but final de pouvoir composer. Cette passion se transforme vite en servitude, puisque le personnage de Strauss est représenté, dans la pièce, comme deséspéré lorsqu’il ne peut exercer son art, et heureux que lorsqu’il joue et compose. C’est pourquoi Michel Aumont ne semble pas au sommet de son art : son personnage est un peu monotone, et passe son temps entre l’extase et le desespoir. Bien sûr, c’est exagéré, mais son personnage semble malgré tout manquer de profondeur. Néanmoins, lors de la scène finale, j’ai pu admirer le talent de l’acteur, qui semblait, sans aucun maquillage ou artifice de ce genre, avoir 20 ans de plus que dans la scène précédente. A ses côtés, Didier Sandre est un Stefan Zweig plus intéressant, en ce qu’il est plus varié, plus intriguant : tantôt hésitant, modeste, courageux, ou déterminé, l’acteur nous transmet aisément toutes les émotions de l’auteur de génie qu’il incarne. Il impose un certain respect, et, dans son costume d’une élégance british, produit un effet certain sur le spectateur : on est tout de suite « avec lui », plus qu’avec Strauss, il semble plus humain et plus sensible. J’ai aussi beaucoup aimé le jeu de Christiane Cohendy, une Mme Strauss remarquable, qui apportait les quelques rires de la pièce. En effet, son texte prête à rire, mais à cela s’ajoutaient un sens du rythme, du ton, et de la moue, excellents. Les autres acteurs qui les entouraient étaient également à la hauteur ; la jeune compagne de Zweig, presque trop timide et réservée, semblait même craindre la scène lorsqu’elle y entrait ; et l’officier nazi était inquiétant et malveillant au possible. 
Mais de bons acteurs ne peuvent suffire. Là, il manquait quelque chose. Un texte, sûrement. Un peu long au début, un peu trop rapide par la suite, j’aurais apprécié qu’on en vienne plus vite et qu’on creuse plus le sujet de leur alliance, qu’on aille plus loin dans l’opposition « factice » de Strauss face aux nazis : était-ce une réelle opposition, ou juste pour que Zweig continue de lui écrire ses livrets d’Opéra ? De plus, le texte était un peu verbeux. Malgré cela, on ne s’ennuie pas. Les acteurs savent capter et maintenir notre attention, et les passages un peu approfondis sur la musique se sont avérés très intéressants pour les amateurs. 
Malgré tout, je rage intérieurement. J’enrage qu’au théâtre de la Madeleine, deux portables sonnent. Que l’un d’eux sonne 5 fois sans que personne ne fasse quoi que ce soit. Que cette sonnerie m’empêche d’entendre une anecdote importante, déterminante. Doit-on distribuer un mode d’emploi du téléphone portable pour que les spectateurs comprennent enfin ? C’est du spectacle vivant, il s’agit de respect pour les acteurs. Et lorsque la 2e sonnerie a retenti, juste devant moi, je me suis indignée. C’est scandaleux. C’est gênant. C’est déstabilisant.

Si tant est qu’on n’est pas dérangé par des spectateurs bruyants, on passe une bonne soirée, et, si les deux têtes d’affiches ne sont pas au plus haut de leurs capacités, ils livrent tout de même devant nous une bonne part de leur art. ♥ ♥

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Fin de Partie, Théâtre de la Madeleine

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Critique de Fin de Partie, de Samuel Beckett, vu le 21 mai 2011 au théâtre de la Madeleine
Avec Serge Merlin, Jean-Quentin Châtelain, Michel Robin, et Isabelle Sadoyan, mise en scène d’ Alain Françon

Pour qui ne connaîtrait pas Beckett, cela pourrait être très déroutant … Je ne connaissais pas bien Beckett (j’avais juste étudié des extraits d’En attendant Godot), j’ai été déroutée.

Tout d’abord, il faut se faire à l’idée qu’il n’y a pas d’histoires réelle ; on part d’un rien, et je ne sais même pas si l’on peut dire que l’on arrive à quelque chose … Le temps a passé entre le début de la pièce et la fin, les personnages en sont conscients, ils nous le font d’ailleurs remarquer par des phrases, répétitives, comme « C’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir » ou encore « quelque chose suit son cours » … Tout tourne autour d’une fin, probable (et même certaine), dans un avenir plus ou moins proche … Les personnages attendent cette fin, la désirant parfois, ou repoussant le moment à plus tard … Il n’y a donc pas de réelle histoire, on attend, on se demande à quoi l’auteur essaie de nous mener, on est étonné par le manque de sentiments dans la pièce … Pas d’amour, pas de gaieté, même pas d’amitié … Je ne saurais même pas « classer » la pièce ; elle n’est pas tragique car on rit, parfois ; mais elle n’est pas non plus comique, à cause notamment des thèmes abordés, de la vie morne des personnages, de leur lassitude, de leurs problèmes, de leurs maladies. La mort rôde, elle emporte même un des personnages …

Il faut aussi préciser que, chez Beckett, et c’est un de ses « marqueurs différentiels », les personnages mis en scène sont souvent des SDF, quelquefois avec un fort taux d’alcool dans le sang (pour ne pas dire bourrés), et qui mènent une vie de misère ; ici, 4 personnages : Hamm, un homme aveugle, dans l’incapacité de se lever, en fauteuil roulant, magistralement incarné ici par Serge Merlin ; cet homme, qui m’était tout à fait inconnu, est un véritable monument du théâtre … Il semble créer la misère autour de lui alors qu’il attend la vie … Son jeu, et tout particulièrement son jeu de main (il agite beaucoup ses doigts, c’est très particulier à expliquer, mais cela rend très bien sur scène), a retenu mon attention ; il se montre extrêmement autoritaire (comme le veut son rôle) envers Clov, qui sort d’on ne sait où (son fils, peut-être ? Ce n’est pas très clair), qui l’aide dans sa vie quotidienne, et qui est un peu son opposé ; en effet, contrairement à Hamm qui ne voit pas et doit rester assis, lui ne peut se poser sur une chaise et ses sens sont en parfait état de marche, voilà pourquoi il est au service de Hamm depuis un bon nombre d’années, à ce qu’on peut comprendre. Jean-Quentin Châtelain m’a beaucoup étonnée, il semble souffrir le martyre, plié en deux pendant 2 heures, avec des mouvements de l’ordre de ceux d’un rat, ou d’une souris, enfin de ces animaux qui bougent très vite, et dont on ne peut prévoir les intentions. Il est presque le dernier élément qui paraît « en vie » dans cette sorte de trou, de puit, de vide où les personnages vivent. Cette sensation de vide est renforcée par un décor gris, très haut, mais dont les murs sont bien fermés, et qui ne semble laisser aucun échappatoire. Les parents de Hamm sont également présents, Nagg et Nelle, Michel Robin et Isabelle Sadoyan, très naïfs, très âgés, très pâles, affamés, sortant de poubelles, dormant une bonne partie du temps, attendant la mort, ou des confiseries qui ne viendront jamais.

On participe à la misère de ces gens, à leur vie monotone, toujours dans les mêmes tons, enfermés, coupés du monde et de la lumière, quelque part, sur Terre.

En clair, c’était totalement … Absurde.

Notons également que toutes les mises en scène de Beckett se ressemblent beaucoup, car cet auteur a la particularité d’indiquer absolument tous les détails dans ses pièces ; on peut ainsi lire « Clov va se mettre sous la fenêtre à gauche. Démarche raide et vacillante. Il regarde la fenêtre à gauche, la tête rejetée en arrière. Il tourne la tête, regarde la fenêtre à droite. Il va se mettre sous la fenêtre à droite. Il regarde la fenêtre à droire, la tête rejetée en arrière. Il tourne la tête et regarde la fenêtre à gauche. » Cela met déjà dans l’ambiance de répétitions de la pièce !

Malgré tout, il me semble que j’ai assisté à une excellente mise en scène, qui ne laisse pas indifférent.

Diplomatie, Madeleine

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Critique de Diplomatie, de Cyril Gely, vu le samedi 3 avril au théâtre de la Madeleine
Avec Niels Arestrup, André Dussolier, et 3 autres jeunes acteurs dont les noms sont introuvables ; mis en scène par Stephan Meldegg

Extraordinaire, fabuleux, magnifique, génial … Voilà ce que m’inspire ce spectacle. « Parfait ». Est-ce possible, enfin ?

L’histoire, pourtant, n’est pas si « théâtrale » … Un dialogue, entre Raoul Nordling, un consul suédois, joué par André Dussolier, et Dietrich von Choltitz, un général allemand, incarné par Niels Arestrup. Ce dernier s’apprête, par ordre d’Hitler, à faire sauter Paris. Le consul va donc tout faire pour qu’il change d’avis.

Niels Arestrup est tout simplement parfait en officier nazi ; il EST son personnage, c’est-à-dire que, à aucun moment, on n’a l’impression d’être au théâtre. Il est dans un état de nervosité impressionnant, son personnage n’ayant pas dormi de la nuit, et devant se résoudre à prendre une grande décision… Cet acteur, nommé aux Molières 2010 (meilleur comédien), est époustouflant, et dégage une telle énergie qu’on a l’impression qu’il risque de s’écrouler d’un moment à un autre …

Dussolier, quant à lui, excelle également ; son rôle est plus « détendu » que celui d’Arestrup, c’est lui qui parvient à faire sourire le public quand son interlocuteur le fait pleurer.  Il est également nommé dans la catégorie « Meilleur comédien », et je pense que, plus « restreint » qu’Arestrup, dans le sens où ce dernier « donne tout ce qu’il a », et semble, pendant presque 2 heures, s’être réincarné en officier allemand, il mériterait ce Molière ; en effet, son personnage doit argumenter, et cherche à plusieurs reprises ce qu’il va pouvoir dire pour que Paris reste sur pied : et Dussolier semble réellement réfléchir … Il y a des moments de silence, très profonds … où nos deux personnages réfléchissent chacun de leurs côté, ou encore se regardent, les yeux dans les yeux, laissant planer un silence inquiétant …

Enfin, 3 jeunes militaires, de jeunes comédiens, sont là également, et je ne trouve rien à redire ; ils  semblent effrayés par les renforts des Alliés qui entrent dans la ville, et renforcent l’atmosphère de tension qui règne déjà.

Notons également le décor (voir photo) ; austère, gris. Le jour se lève sur Paris, que l’on peut admirer en fond de scène.. Tout d’abord le noir, puis l’aube, et, à plusieurs reprises, quelques coups de fusils. Les drapeaux nazis sont également là pour nous rappeler le contexte.

Cela nous remet en mémoire également cette guerre mondiale, qui n’a été déclenchée que sous l’action d’un seul homme, un fou, comme nous le rappelle Dietrich von Choltitz avec rage et anxiété.

 En un mot comme en cent ; je crois que c’est le meilleur spectacle du moment ; il dépasse, il me semble, tous ceux que j’ai vus jusque là : il faut que tout Paris le voie, que tout Paris comprenne que, rien qu’avec le commandement d’un homme, « la plus belle ville du monde » aurait pu disparaître, emportant avec elle tous ses monuments, toute son histoire, et tous ses Hommes.

Placement : 1er rang, sans hésiter (à voir le samedi à 21h ; les personnages sont « échauffés » car ils jouent déjà à 18h…)