Critique de Collaboration, de Ronald Harwood, vu le 30 janvier 2013 au théâtre de la Madeleine
Avec Michel Aumont, Didier Sandre, Christiane Cohendy, Stéphanie Pasquet, Patrick Payet, Eric Verdin, et Armand Eloi, dans une mise en scène de Georges Werler
Dur de monter une pièce dont l’histoire se déroule lors de la 2nde Guerre Mondiale, après le succès de Diplomatie au théâtre de la Madeleine. Mais malgré leur cadre commun, les deux pièces se différencient sur bien des points, et ne sont plus comparables au final. Collaboration met en scène l’alliance artistique entre Richard Strauss et Stefan Zweig, débutée vers 1931. Bien qu’elle se soit conclue plus tôt, l’histoire pousse jusque dans les années 1948. On assiste donc à leurs débuts, leur travail, leur évolution, autant artistique qu’amicale. Le compositeur n’est pas engagé politiquement, l’auteur est juif, les temps sont durs.
Collaboration. Le titre est ambigu. Fait-il réellement référence à la collaboration artistique entre Richard Strauss et Stefan Zweig ? N’y a-t-il pas, dans l’ombre, la mise en avant discrète d’une légère collaboration entre Strauss et le régime nazi ? Car quoi qu’il en dise, n’a-t-il pas accepté le titre de Président de la Chambre de Musique du Reich ? Peut-on seulement affirmer qu’il a collaboré ? Le mot de « collaboration » avait-il seulement un sens pour cet homme ? Car tel qu’il est présenté, Richard Strauss, incarné ici par Michel Aumont, semble n’avoir que la musique dans sa vie. Il ne voit que cet art ; là est sa vie.Tous ses faits et gestes sont reliés à la musique, toutes ses actions ont pour but final de pouvoir composer. Cette passion se transforme vite en servitude, puisque le personnage de Strauss est représenté, dans la pièce, comme deséspéré lorsqu’il ne peut exercer son art, et heureux que lorsqu’il joue et compose. C’est pourquoi Michel Aumont ne semble pas au sommet de son art : son personnage est un peu monotone, et passe son temps entre l’extase et le desespoir. Bien sûr, c’est exagéré, mais son personnage semble malgré tout manquer de profondeur. Néanmoins, lors de la scène finale, j’ai pu admirer le talent de l’acteur, qui semblait, sans aucun maquillage ou artifice de ce genre, avoir 20 ans de plus que dans la scène précédente. A ses côtés, Didier Sandre est un Stefan Zweig plus intéressant, en ce qu’il est plus varié, plus intriguant : tantôt hésitant, modeste, courageux, ou déterminé, l’acteur nous transmet aisément toutes les émotions de l’auteur de génie qu’il incarne. Il impose un certain respect, et, dans son costume d’une élégance british, produit un effet certain sur le spectateur : on est tout de suite « avec lui », plus qu’avec Strauss, il semble plus humain et plus sensible. J’ai aussi beaucoup aimé le jeu de Christiane Cohendy, une Mme Strauss remarquable, qui apportait les quelques rires de la pièce. En effet, son texte prête à rire, mais à cela s’ajoutaient un sens du rythme, du ton, et de la moue, excellents. Les autres acteurs qui les entouraient étaient également à la hauteur ; la jeune compagne de Zweig, presque trop timide et réservée, semblait même craindre la scène lorsqu’elle y entrait ; et l’officier nazi était inquiétant et malveillant au possible.
Mais de bons acteurs ne peuvent suffire. Là, il manquait quelque chose. Un texte, sûrement. Un peu long au début, un peu trop rapide par la suite, j’aurais apprécié qu’on en vienne plus vite et qu’on creuse plus le sujet de leur alliance, qu’on aille plus loin dans l’opposition « factice » de Strauss face aux nazis : était-ce une réelle opposition, ou juste pour que Zweig continue de lui écrire ses livrets d’Opéra ? De plus, le texte était un peu verbeux. Malgré cela, on ne s’ennuie pas. Les acteurs savent capter et maintenir notre attention, et les passages un peu approfondis sur la musique se sont avérés très intéressants pour les amateurs.
Malgré tout, je rage intérieurement. J’enrage qu’au théâtre de la Madeleine, deux portables sonnent. Que l’un d’eux sonne 5 fois sans que personne ne fasse quoi que ce soit. Que cette sonnerie m’empêche d’entendre une anecdote importante, déterminante. Doit-on distribuer un mode d’emploi du téléphone portable pour que les spectateurs comprennent enfin ? C’est du spectacle vivant, il s’agit de respect pour les acteurs. Et lorsque la 2e sonnerie a retenti, juste devant moi, je me suis indignée. C’est scandaleux. C’est gênant. C’est déstabilisant.
Si tant est qu’on n’est pas dérangé par des spectateurs bruyants, on passe une bonne soirée, et, si les deux têtes d’affiches ne sont pas au plus haut de leurs capacités, ils livrent tout de même devant nous une bonne part de leur art. ♥ ♥