Un duplex sans complex

Critique de Duplex, de Didier Caron, vu le 6 mars 2024 au Théâtre de Paris
Avec Corinne Touzet, Pascal Legitimus, Francis Perrin et Anny Duperey, mis en scène par Didier Caron

J’ai l’impression d’avoir écrit le même article il n’y a pas longtemps. Cet article où je commence en disant que j’avais des gros doutes sur le spectacle que j’avais choisi – c’était pour La Joconde parle enfin. Pour Le Duplex, ce ne sont pas des doutes que j’avais. C’était une certitude absolue. Ce spectacle ne m’était pas destinée. Mais pourquoi y aller quand même me direz-vous ? Mais parce que je suis un mouton, parce que je sais que ce sont de bons comédien et je ne peux pas m’empêche de me dire : « et si… ? ». Après tout, sur un malentendu, ça peut marcher.

Le duplex réunit deux couples de voisins, ceux du 6e, incarnés par Pascale Légitimus et Corinne Touzet, et ceux du 5e, ce sont Francis Perrin et Anny Duperey. Les voisins du 6e aimeraient bien agrandir leur appartement pour en faire un duplex, et pour cela racheter l’appartement du dessous. Seulement voilà : il est plus que probable que les voisins n’aient aucunement l’intention de vendre. La seule solution qui leur reste, c’est de les pousser au divorce.

J’adore ce genre de soirée. Et pourtant je pense que ça se joue à rien. Peut-être que dans un autre état d’esprit, je me serais complètement fermée à ce spectacle. Parce que le texte est à peu près comme je m’attendais : pas fou. Il y a pire, il y a les textes qui n’ont même pas d’essence dramaturgique, ce qui n’est pas le cas de celui-ci. Mais on ne vole pas très haut non plus. C’est le genre de texte devant lequel, à la manière d’une IA qui a déjà avalé un bon nombre de textes dans le genre, j’ai deviné en cinq minutes le dénouement du spectacle et je vois toutes les vannes arriver à des kilomètres. C’est le genre de texte qui peut me donner envie de partir – ou de dormir.

Et pourtant, loin de me braquer, je commence à sourire. Je ne peux pas dire que je m’ennuie. Je crois d’abord à l’effet « tant qu’on est là ». Je me retrouve à rire autant de la vanne que de sa bêtise ou de son culot. Mais pour ça, il a bien fallu que, quelque part, je me fasse attraper par la pièce. Que j’oublie de la repousser. Et je comprends vite la magie de ce qui est en train de se jouer. Je m’aperçois en fait que je suis beaucoup trop investie dans ce spectacle par rapport à ce que mon cerveau essaie de me faire croire. Ce n’est pas seulement de la curiosité.

D’abord, il faut dire mon bonheur de retrouver sur scène Anny Duperey. Lorsqu’elle est sur le plateau, je n’ai d’yeux que pour elle. Quelle légèreté. Quelle spontanéité. Quelle fraîcheur. Quelle irrévérence. Quelle lumière. Quelle classe. Quelle liberté. Quelle énergie. Quel souffle. Chacune de ses répliques est un délice. Chacun de ses mots se savoure. Sa diction a quelque chose de l’ordre du phrasé musical. Elle irradie. Elle semble flotter au-dessus du plateau. Elle est merveilleuse.

Mais Anny Duperey aussi incroyable soit-elle ne peut me faire passer du rien au tout. Il faut bien le reconnaître : je ne décroche pas. Et je dirais même plus : j’accroche. Ce qui se joue sous mes yeux a quelque chose de fascinant. En fait, je crois que je n’ai jamais vu des acteurs aussi bons sur un texte pareil. Ils le subliment. Il n’y a pas d’autre mot. C’est du grand art. Et, disons le carrément, ce n’est pas seulement du grand art d’arriver à faire autant avec aussi peu. Ils ne sont pas seulemnet excellent par rapport à leur matériau de base. Ils sont excellents tout courts. Je crois que ça faisait longtemps que je n’avais pas été face à un quatuor d’acteurs aussi bon. Ni passé une aussi bonne soirée. Voilà, c’est dit.

Le Duplex – Théâtre de Paris
15 rue Blanche, 75009 Paris
A partir de 20 €
Réservez sur BAM Ticket !

Appelez-moi le directeur !

9691c90c72be8d9fdb710261379a.jpeg

Critique de Palace, d’après la série télévisée de Jean-Michel Ribes, vu le 21 septembre 2019 au Théâtre de Paris
Avec Salim Bagayoko, Joséphine de Meaux, Salomé Dienis-Meulien,Mikaël Halimi, Magali Lange, Jocelyn Laurent, Philippe Magnan, Karina Marimon, Gwendal Marimoutou, Coline Omasson, Thibaut Orsoni, Simon Parmentier, Christian Pereira, Alexie Ribes, Rodolphe Sand, Emmanuelle Seguin, Anne-Elodie Sorlin, Alexandra Trovato, Eric Verdin, Philippe Vieux, Ben Akl, Armelle Gerbault, dans une mise en scène de Jean-Michel Ribes

Vous avez forcément entendu parler de l’adaptation scénique de Palace, et pour cause : le spectacle a été annoncé il y a plus d’un an et les billets sont en vente sur le site du spectacle depuis la saison dernière. Avec pareille communication, on avait droit de s’attendre à quelque chose de grand, et j’y allais avec envie : j’ai même passé mon après-midi à revoir ces épisodes que nous regardions en famille lorsque j’étais petite, et j’étais déjà dans l’ambiance avant même d’entrer dans la salle. Mais le pari de reprendre cette série culte n’est pas entièrement réussi.

Car Palace, c’est avant tout la série télévisée créée par Jean-Michel Ribes, diffusée dès 1988 et accueillant quelques-uns des plus grands acteurs de l’époque. On pouvait en effet y retrouver Jean Carmet, Pierre Arditi, Jacqueline Maillan, mais c’est aussi l’émission qui a lancé la carrière de Valérie Lemercier, inoubliable Lady Palace ! Tournée – comme son nom l’indique – dans un palace, c’est un enchaînement de conversations entre clients riches, ponctués par des séquences régulières, telles que les Brèves de comptoir ou Soyez Palace chez vous !

On ne va pas se mentir, il y a des choses qui fonctionnent, et qui fonctionnent même très bien : et du côté de la forme, notamment, la promesse est tenue. Les intermèdes animés par les grooms sont plutôt réussis et ils n’y sont pas allés à l’économie sur ces parties : ils font vraiment le show ! Chanteurs et danseurs créent l’illusion pendant les changements de décor et c’est plutôt impressionnant ! J’ai même ma petite Madeleine quand résonne pour la première fois la musique de la série. La magie prend. Cependant, j’ai regretté que certaines parties soient en play-back car c’est extrêmement visible et ça gâche l’engouement créé par ces parties live très entraînantes ! Ceci étant, ça permet aussi à certains comédiens qui ne connaissent pas les paroles de se fondre tranquillement dans la masse – mais on ne nommera personne !

palace-site-vf3.jpg

Mais c’est plutôt le fond qui m’a posé problème. Pourtant, au début, j’étais vraiment emballée. J’ai beaucoup ri pendant les premières minutes du spectacles. Les sketchs choisis sont courts et entre-coupés de vannes qui s’enchaînent de manière très fluide. Et puis ce sketch au spa plombe un peu l’ambiance. Calme plat dans la salle. Difficile de repartir après ce raté. Le rythme s’empâte un peu. On est moins sur les échanges que sur des enchaînements de sketch. Or les passages choisis, je les connais. Si on peut oublier certains bons mots qui font les beaux jours des brèves de comptoirs et peuvent animer le spectacle sans problème, c’est plus difficile avec une saynète entière. Je les ai en mémoire, incarnés par les comédiens d’alors. Même mis au goût du jour – les migrants font leur apparition dans les discussions des clients – quelque chose ne prend pas. Est-ce la comparaison qui leur nuit, ou est-ce le sketch en lui-même qui a vieilli ? Difficile à dire.

Alors se pose la question : pourquoi donner sur scène cette série chère à nos coeurs ? Le spectacle risque d’avoir du mal à se positionner et à trouver son public : ceux qui connaissaient la série préfèreront ne pas prendre le risque de la voir rendue ici en demi-teinte, et les plus jeunes y verront une proposition vieillotte pas vraiment destinée à leur génération. Alors à ces deux générations-là, je n’ai plus qu’un conseil à donner : la série est disponible sur Youtube à cette adresse, alors faites-vous plaisir !

On a un peu envie de dire : tout ça pour ça… ♥ 

palace-site-vf4.jpg

Calme plat Salle Réjane

0x1200x18490-or.jpg

Critique de Localement agité, de Arnaud Bedouët, vu le 13 février 2019 à la Salle Réjane du Théâtre de Paris
Avec Anne Loiret, Lisa Martino, Thierry Frémont, Nicolas Vaude, Arnaud Bedouët, et Guillaume Pottier, dans une mise en scène d’Hervé Icovic

Je suis généralement plutôt emballée par les créations contemporaines proposées Salle Réjane. J’aurais dû l’être d’autant plus au vu de la distribution que réunissait Localement agité : en rassemblant Thierry Frémont, Anne Loiret et Nicolas Vaude, j’étais déjà sûre d’être convaincue par la moitié du plateau. Mais c’était sans compter le texte calamiteux qui les accompagnait, et qui paradoxalement m’a donné le mal de mer face à tant de platitude. J’ai attendu désespérément que le vent se lève pour donner un peu d’ardeur et de vie à ce voyage, mais il est resté terriblement insipide.

Vous l’aurez compris, Localement agité emprunte son titre à la météo. En effet, nous voilà au fin fond de la Bretagne, où une fratrie ainsi qu’une pièce rapportée, l’ex-femme de l’un des hommes, se retrouvent en ce 29 février pour exaucer les dernières volontés de feu leur père : disperser ses cendres par vent de sud-ouest sur un rocher précis qu’il chérissait. Ils avaient déjà tenté il y a quatre ans – année bissextile oblige – et les voilà de nouveau réunis en attendant la brise, mais c’est plutôt un vent de tension qui souffle sur la maison.

Localement agité, c’est un spectacle que j’ai l’impression d’avoir déjà vu 15 fois. Cela se sent dès la lecture du pitch : il est à la fois complètement farfelu et très banal. Alors c’est vrai, si je n’allais pas tant au théâtre, j’aurais probablement ri à plusieurs reprises en découvrant la pièce. Mais ce texte, je le connais trop bien. Je connais les trucs, je vois les ficelles qui sont tirées, j’ai presque l’impression de pouvoir prévoir certaines répliques à l’avance. C’est comme si j’avais sur moi mon bingo de la comédie/drama familial et que je cochais les cases au fur et à mesure.

Localement Agités suite © Céline Nieszawer_04.jpg

© Céline Nieszawer

Et allez, on y va de nos secrets de famille. Et allez, on y va des couples séparés dont l’attirance est toujours perceptible sur la scène et dont on se doute qu’ils se remettront ensemble après la fin de la pièce. Et allez, on y va du frère à qui tout réussit, qui trompe sa femme qui l’apprend au début de la pièce et qui menace de le quitter – voire, le quitte – par téléphone. Et allez, on y va du petit dernier baba cool qui connaît échec sur échec dans sa vie professionnelle mais qui prend tout du bon côté et s’opposera, évidemment, à celui qui a réussi. Cette opposition donnera d’ailleurs naissance à un quasi-monologue, assez mal écrit, pas du tout dramatique, sur le vide respectif de nos existences, se transformant en leçon de vie de ceux qui se définissent par ce qu’ils sont sur ceux qui se définissent par ce qu’ils font. Un moment de pur cliché.

Il faut dire que les clichés se ramassent à la pelle dans ce spectacle. J’en ai déjà cité quelques uns, auxquels je souhaite quand même ajouter celui de la soeur qui a raté sa vie, laborantine, vieille fille, couchant avec des hommes mariés dont l’un l’a emmené à Djerba, voyage qu’il avait gagné grâce à ses bons résultats en tant que commercial mais duquel sa femme n’a pu profiter en raison de sa peur de l’avion. Et, pour couronner le tout – ATTENTION SPOILER – l’histoire révèlera que le père était à la fois Prix Nobel de Physique, écrivain, adultère couchant avec sa belle-fille et fervent soutien de Staline. Tout ça dans une seule famille.

Alors j’ai pris mon mal en patience. J’ai eu mal de voir ces comédiens que j’aime tant pareillement sous-employés mais j’ai malgré tout savouré autant que possible leur présence sur scène – après tout, ce n’est pas tout les jours qu’on retrouve pareille distribution ! Je ne sais pas s’ils peuvent vraiment croire à ce qu’ils jouent, mais en tout cas je dois reconnaître qu’ils font bien semblant. Thierry Fremont est détestable, reprenant toutes les manières d’un ancien de mes professeurs au profil professionnel semblable, Anne Loiret est poignante dans ses éclats et sa voix reste l’une des merveilles de ce monde, Nicolas Vaude est touchant en ex-mari hésitant et perdu. J’ai vraiment du mal à qualifier le jeu de Guillaume Pottier : sur scène, j’ai vu un jeune comédien arrivant les mains dans les poches, sans formation, estimant qu’on peut faire du théâtre comme on est dans la vie. Sur le papier, je découvre qu’il est formé au Studio Théâtre d’Asnières puis au CNSAD, c’est-à-dire tout simplement la voie royale. Lui a-t-on alors demandé de jouer celui qui ne savait pas jouer la comédien ? Je le saurai le 29 juin prochain, puisqu’il sera des Trois Mousquetaires du Collectif 49 701 dont j’ai entendu tant de bien.

Un naufrage textuel. pouce-en-bas

1I1A1717.jpg

© Céline Nieszawer

Un Malade au pouls bien faible

LE-MALADE-IMAGINAIRE_4046185679489715554.jpg

Critique du Malade Imaginaire, de Molière, vu le 6 février 2019 au Théâtre de Paris
Avec Daniel Auteuil, Alain Doutey, Aurore Auteuil, Victoire Bélézy, Pierre-Yves Bon, Natalia Dontcheva, Jean-Marie Galey, Gaël Cottat, Loïc Legendre, Cédric Zimmerlin, et Laurent Bozzi, dans une mise en scène de Daniel Auteuil

J’ai une relation toute particulière au Malade Imaginaire. C’est l’un des premiers Molière que j’ai vus quand j’étais petite – je devais avoir quelque chose comme 5 ou 6 ans. Mes parents avaient réservé à la Comédie-Française et j’avais vraiment très envie d’y aller. Seulement voilà : j’étais malade. On m’a donc mise face au chantage suivant : pour aller au Français, je devais mettre un suppositoire – chose que je refusais jusque-là. Et bien, devinez quoi ? Je suis allée au théâtre, j’ai vu la pièce, et je ne saurai jamais qui, du maudit suppositoire ou du génial spectacle, m’aura guérie le temps de la représentation. Depuis, à chaque Malade que je vois, je ne peux m’empêcher de penser à cette anecdote et d’espérer que je retrouverai le même enthousiasme qu’enfant devant cette pièce. Mais ce soir, devant ma profonde indifférence à ce qui était joué, je me suis sentie cruellement adulte.

Argan est hypocondriaque. Il redouble de médecines, de clystères et autres lavements pour vaincre cette maladie qu’il s’imagine prête à le tuer. Autour de lui, personne ne s’inquiète véritablement : sa femme attend qu’il passe l’arme à gauche pour lui soutirer tout son argent, sa fille Angélique s’éprend de Cléante et aimerait en faire son époux, sa servante Toinette ne s’apitoie pas sur son sort et sert les intérêts de sa jeune maîtresse, intriguant pour favoriser ce mariage. Mais Argan ne l’entend pas de cette oreille et aimerait lui faire épouser Thomas Diafoirus, un futur médecin, lui permettant de faire entrer quelqu’un de la Faculté dans sa famille…

On l’attendait tellement, le Malade de Daniel Auteuil. Il ne faisait aucun doute que le rôle était fait pour lui. Mais il a été trop paresseux, et sur la mise en scène, et sur la distribution, faisant passer à la trappe la quasi-totalité du texte de Molière. L’auteur résiste comme il peut mais on entend finalement très mal ce qu’il a à nous dire, et, chose que je pensais impossible devant cette pièce : on s’ennuie. Sa mise en scène ne témoigne d’aucune idée, sa direction d’acteurs est quasi-nulle, et on en vient presque à se demander pourquoi il voulait monter un tel texte et non pas un one-man show. Pire encore : il ne se contente pas seulement de gâcher presque volontairement des effets comiques intrinsèques au texte, il nous prive en plus de la scène finale de l’assemblée des médecins, censée être chantée sur des airs de Marc-Antoine Charpentier…

LMI_J8-366.jpg

C’est un mauvais pari, car on approche d’une rentabilité nulle pour une partition qui contient des moments que je pensais inratables. Et pourtant ! La scène de Thomas Diafoirus, dont le souvenir de ma première rencontre est gravé dans ma mémoire – et dans mes zygomatiques – est lente, longue, profondément ennuyeuse. Il a choisi Gaël Cottat pour incarner le futur époux censé être absolument repoussant pour Angélique ; or Gaël Cottat est un bel homme, bien fait de sa personne à l’air plutôt sympathique. La seule idée de la scène consiste d’abord à lui mettre une écharpe que son père lui enlèvera, ensuite à le faire parler très près des autres personnages. Et hop, envolé, tout le potentiel comique de cette illustre scène. D’ailleurs, personne n’a ri.

La plupart des scènes suit malheureusement ce modèle. On en sauvera une ou deux, notamment la scène entre les deux amants, Angélique et Cléante, qui est touchante même si on la sent encore un peu fragile. On reconnaîtra aussi que Daniel Auteuil a quelques fulgurances et qu’il lui suffit parfois de lever un sourcil pour créer le rire dans la salle. Mais je n’ai ri que trois fois, et toujours sur des cabrioles, jamais sur le texte – qu’il ne semble pas totalement maîtriser, d’ailleurs. Il cabotine un peu pour notre plus grand plaisir, mais on n’entend véritablement ni Argan, ni Cléante, ni Angélique, ni Diafoirus, ni Béralde…

Ni Toinette. Aurore Auteuil est peut-être la plus grosse erreur de casting de ce spectacle. Un coup d’oeil à sa fiche Wikipedia me permet de vérifier que ce Malade Imaginaire signe sa quatrième apparition au théâtre seulement. On en vient presque à croire que si son père ne la met pas en scène, personne ne le fera. Et on le comprend. Je ne pensais pas qu’on pouvait autant rater la scène du poumon, les lançant les uns après les autres sans aucune variation comme s’il s’agissait de faire passer la scène le plus rapidement possible. Objectivement, cela a quelque chose de touchant de se dire que le père privilégiera sa fille au bon déroulement de son spectacle. Mais subjectivement, quand on est spectateur, on s’enquiert plutôt de sa qualité. Surtout quand les places montent jusqu’à 73€.

Comme un sentiment de tromperie sur la marchandise. Déçue.

malade_4.jpg

Vera ? Verra pas.

VERA_THEATRE-DE-PARIS_40X60

Critique de Vera, de Petr Zelenka, vu le 20 mars 2018 au Théâtre de Paris
Avec Karin Viard, Helena Noguerra, Lou Valentini, Rodolfo De Souza, Pierre Maillet / Jean-Luc Vincent et Marcial Di Fonzo Bo / Clément Sibony, dans une mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo

Tout me tentait. Le thème, cette femme qui marche allègrement sur des cadavres et qui connaîtra une chute brutale et douloureuse ; la distribution, Karin Viard en tête, que j’avais hâte de découvrir sur les planches ; la mise en scène dont l’aspect burlesque et délirant éclatait à travers les photos ; Di Fonzo Bo, dont la mise en scène de Démons, bien que pas assez poussée à mon goût, me laisse quand même un souvenir marquant. Tout cela devait donner lieu à un grand spectacle qui aurait soulevé les foules se précipitant au Théâtre de Paris. J’avais tout faux.

Vera est une directrice de casting qui a le vent en poupe : au début du spectacle, sa société est rachetée par des Anglais qui la caressent dans le sens du poil mais ne manqueront pas de retourner leur veste au moindre faux pas. Caricaturale, Vera est une femme sans scrupule, presque sans une once d’humanité, que seule sa carrière semble intéresser. Le spectacle montre son ascension rapide et sa chute attendue, en la suivant dans son quotidien, tant professionnel que personnel.

Rapidement, on comprend que quelque chose ne va pas. Ça ne prend pas. L’histoire telle qu’elle est présentée, alourdie par des effets de mise en scène inutiles, manque d’intérêt. A trop se concentrer sur la forme, on en oublie le fond. Et la forme est pesante. Dès le début, la débauche de moyens étonne par sa complexité et sa futilité. Cachent-ils un manque d’idée de mise en scène ? Probable. L’ascenseur, les projections, les intermèdes chantés sont autant de poids ajoutés à chaque pied des comédiens qui s’enlisent peu à peu, submergés par le trop-plein d’artifices jusqu’à en oublier l’histoire.

C’est dommage, car je venais quand même voir une Karin Viard que j’admirais beaucoup et dont j’attendais une prestation hors du commun. Quelle déception de la voir si lisse, toujours en force dans les cris comme dans la gestuelle, comprimée dans certains costumes qui la desservent alors même qu’elle est impérieuse lorsqu’elle en change. De ce côté-là, le metteur en scène n’a pas été tendre, mais il n’a pas compensé par sa direction d’acteur, qui s’avère bien trop linéaire. Tous suivent une ligne caricaturale et sans grand intérêt, nous perdant rapidement au milieu de ces cris et mouvements incessants.

Voilà une Vera vraiment vaine. pouce-en-bas

vera_201604tjv_060

Une collection de platitudes

15133326477165_la-collection-theatre-de-paris_37650

Critique de La Collection d’Harold Pinter, vue le 23 février 2018 au Théâtre de Paris
Avec Sara Martins, Davy Sardou, Nicolas Vaude et Thierry Godard, dans une mise en scène de Thierry Harcourt

En habituée de la salle Réjane que je suis, et ayant déjà vu le spectacle proposé à 21h, ne me restait plus qu’à découvrir celui de première partie de soirée. Un spectacle que j’attendais avec une grande impatience en vérité, puisqu’il mêlait plusieurs éléments sujets à mon enthousiasme : j’ai nommé messieurs Nicolas Vaude et Harold Pinter. Quelle ne fut pas ma déception devant l’absence de tout ce que j’avais espéré : ni trace de l’auteur, ni du talent du comédien.

Pourtant, j’ai senti dans le texte une belle trame dramatique et des dialogues pinteriens comme je les aime. Je suis malgré tout contente d’avoir découvert cette pièce, et j’ai hâte de la voir bien montée. Un individu étrange passe un coup de téléphone en pleine nuit. Il est 4h du matin, et il demande à parler à Bill Loyd. Devant son échec, il se présentera à l’appartement le lendemain matin. Inconnu de Bill et de son colocataire Harry, James leur présentera alors une situation étrange : il accusera Bill d’avoir couché avec sa femme lors d’un séminaire à Leeds. L’accusé niera tout d’abord en bloc, avant de consentir à certains aspects de l’histoire, puis d’en modifier des parties : se joue-t-il complètement de James ou refuse-t-il de reconnaître la vérité ? Comme souvent chez Pinter, tout est possible.

Le problème ? Probablement un manque d’idée du côté du texte. Pas facile de traiter Harold Pinter et tout ce qu’il soulève comme mystères : il faut trouver le bon compromis entre maintenir l’intérêt du spectateur et ne jamais résoudre franchement les secrets de la pièce. C’est comme s’il fallait amener le spectateur à se faire sa propre idée du problème en lui donnant toutes les clés en main pour conclure, sans jamais apporter la solution. Si le metteur en scène n’apporte pas un regard précis sur ce texte et le monte de manière linéaire, laissant de côté incertitudes et énigmes, sans vraiment s’en occuper, on perd toute l’atmosphère propre à Pinter et on tombe dans une espèce de pseudo-thriller sans grand intérêt.

C’est ce qui se passe ici : Thierry Harcourt semble s’être désintéressé du texte et des situations, travaillant plutôt le rendu plus matériel de sa scénographie. On sent un travail peut-être plus soigné sur les lumières, sur les déplacements relatifs des comédiens, sur leurs positions spécifiques à tel endroit de la pièce. Mais le fond est absent, et l’ennui prend sa place. Seule la relation ambigüe entre Bill et Harry a des aspects pinterien. Mais la technique visant à réaliser les dialogues sans que les comédiens ne se regardent dans les yeux lasse rapidement. Thierry Harcourt semble effrayé par les silences – pourtant personnage à part entière chez Pinter – et les comble autant qu’il peut. Le désintérêt vient. Le spectacle ne dure qu’une heure, et pourtant ça paraît long – d’autant plus que le spectacle, qui aurait pu durer 45 minutes, s’étire par tous les moyens possibles.

C’est fou, car l’un des premiers articles sur le blog concernait un spectacle dans lequel jouait Davy Sardou. Je dois dire que c’est extraordinaire de voir à quel point il n’a pas évolué en 7 ans. Il est toujours d’une fadeur extrême, incapable d’exprimer la moindre émotion, la moindre nuance de jeu. Mais c’est bien aussi d’avoir des comédiens pareils : ça nous rappelle qu’il ne suffit pas de poser un homme sur une scène pour pouvoir jouer la comédie. A ses côtés, évidemment, Nicolas Vaude l’écrase. Le comédien, même s’il n’est pas à son meilleur et passe plusieurs fois en force, est le seul qui livre une partition intéressante, donnant un semblant de relief au spectacle. Il faut dire qu’avec ses petits yeux fous et son sourire inquiétant laissant apparaître quelques dents, le personnage de James semblait fait pour lui. Mais on l’a connu en meilleur forme – et mieux dirigé.

Déception et ennui. pouce-en-bas

La collection 113

Quand Papa n’est pas là

0x1200x11044-or

Critique de Papa va bientôt rentrer, de Jean Franco, vu le 15 février 2018 au Théâtre de Paris
Avec Lysiane Meis, Marie-Julie Baup, et Benoît Moret, dans une mise en scène de José Paul

J’ai sauté de joie à l’annonce de ce spectacle. Retrouver Lysiane Meis aux côtés de Marie-Julie Baup, ce sont deux univers théâtraux que j’adore et qui se rencontrent pour mon plus grand plaisir. Ajoutons à cela une mise en scène de José Paul et je n’étais pas loin d’être comblée. Ma seule crainte résidait dans le texte. Je ne connaissais pas l’auteur, l’affiche me rebutait un peu et j’avais peur de me retrouver face à un texte aux résonances trop américaines à mon goût. J’ai découvert en Jean Franco une plume fine au sujet plutôt original, un propos intéressant, un texte tout à fait dramatique et mené de main de maître par ces trois comédiens. Une soirée à ne pas manquer.

Tout est parti de l’anecdote des Flat daddies, reproductions en cartons de leurs maris partis à la guerre d’Afghanistan, que l’on offrait aux épouses restées à la maison afin de pallier la longue absence de l’époux-soldat. Ces « papas plats » ont été offerts à Mia et Suzan, ces deux voisines qui attendent le retour de Paul et Richard, partis combattre au Vietnam. Une excuse pour se retrouver, se serrer les coudes, discuter de tout, de rien, de leur rôle de femme, d’épouse, de la vie, de leurs combats, de leurs attentes. Un train de vie qui va se retrouver chamboulé par le retour d’Isaac, un ex de Mia qui a déserté l’armée et vient se réfugier chez elle.

J’ai été très agréablement surprise par l’écriture éminemment dramatique de Jean Franco. L’histoire se déroule de manière très fluide et aborde de nombreux sujets avec beaucoup de cohérence et d’intelligence. Le spectacle ne craint pas de passer du rire aux larmes, et à certains éclats suivent des silences comme on en voit rarement au théâtre. Il faut dire qu’il est merveilleusement servi par les trois comédiens qui portent ce spectacle. Tous trois dans des tons différents et complémentaires, on sent une direction d’acteur au cordeau, mais également sensible et bienveillante. Benoît Moret compose un Isaac aux allures d’homme dans cette enveloppe d’adolescent. A la fois attendrissant et agaçant, il livre son message avec beaucoup d’humanité.

Mais ce sont les femmes qui sont particulièrement mises en lumière dans ce spectacle. On retrouve chez Marie-Julie Baup cette interprétation à fleur de peau, où soudain la réplique la plus banale nous touche au coeur et nous fait monter les larmes aux yeux. Sa sincérité, sa sensibilité sans artifice émeuvent à plusieurs reprises et sous la femme forte qu’elle compose on sent des failles qui pourraient la détruire. Celle qui dit assumer les choix qu’elle a portés a dans les yeux un voile qui semble la démentir aussitôt. En face, Lysiane Meis n’est pas en reste. A cette composition un peu nunuche qui lui va si bien, elle ajoute d’autres facettes : sa loyauté envers Mia est touchante, sa lucidité poignante et l’évolution de son personnage, pleine d’espoir.

La mise en scène de José Paul est impeccable. Dès les premières notes du spectacle, on est happé par un rythme qui ne faiblira à aucun moment. Il s’est débarrassé des effets inutiles qui alourdissent souvent les spectacles aujourd’hui et chez lui, chaque détail compte : très vite, avant même que le noir se fasse, on comprend que l’horloge jouera son rôle dans le spectacle. Les lumières sont également pensées de manière très fine, dupant notre cerveau qui soudain transforme cette ombre provenant d’une simple reproduction en carton en un réel personnage présent autour de la table. Perturbant.

Un coup de coeur de cette rentrée théâtrale. ♥  

XVM6366322c-fac6-11e7-b32a-91b1e9319fc4

Famille, je vous hais(me)

40x60_CALM_B-DEFCritique de Comme à la maison, de Bénédicte Fossey et Éric Romand, vu le 2 novembre au Théâtre de Paris
Avec Annie Gregorio, Lisa Martino, Françoise Pinkwasser, Aude Thirion, Pierre-Olivier Mornas et Jeoffrey Bourdenet, dans une mise en scène de Pierre Cassignard

Décidément, cette saison, j’enchaîne les comédies cyniques sur les familles à éviter absolument ! Après La Perruche et Ramsès II, c’est dans Comme à la maison qu’on se retrouve au sein d’une famille un peu barjot pleine de secrets bien enfouis jusqu’ici mais qui vont un peu exploser au cours de ce déjeuner post-réveillon où toute la famille est réunie. Je m’abstiendrais d’en dévoiler davantage au risque de trop vous divulgacher le spectacle mais je préviens d’avance : âmes sensibles, s’abstenir !

Difficile de se faire un avis arrêté devant ce spectacle : on est en équilibre sur un fil et on penche sans arrêt de chaque côté : devant des blagues vraiment trash, on a du mal à rire franchement, et puis finalement une réplique passe un peu de pommade de manière à nous faire sortir ce rire qu’on retenait peut-être par la force. C’est un sentiment étrange que d’hésiter ainsi entre rire et s’indigner. Peut-être est-ce dû aussi à l’utilisation de ficelles parfois un peu lourdes du théâtre de boulevard qui fait qu’on n’arrive pas vraiment à lâcher prise devant ces situations extravagantes et franchement hardcore ?

Pourtant, si les situations sont parfois grotesques, on sent que niveau dialogue les auteurs se sont fait plaisir. Les échanges sont cyniques, insolents, parfois bien trouvés, souvent acerbes. On le comprend dès que le rideau se lève : les premières répliques d’Annie Grégorio imposent un rythme soutenu et des vannes piquantes qui fusent à chaque fin de dialogue. Les bases d’un bon boulevard sont là, et pourtant le spectacle semble se chercher encore : avec ces situations loufoques style humour anglais, ces répliques indigestes qui oscillent entre un rire francs et ces relations poisons qui ont un côté touchant devant l’humanité indéniable de chaque personnage, difficile de se positionner.

En vérité, je ne suis pas sûre que le spectacle tiendrait sans le bel ensemble de comédiens que Pierre Cassignard a réuni sur la scène de la Salle Réjane. Annie Grégorio mène la danse avec une verve impressionnante, sorte de monstre de pierre au coeur de velours. Sous sa carapace de mère indigne où elle enchaîne les (bons) mots les plus immoraux, on sent malgré tout une grande humanité, une peur de se dévoiler, une impossibilité à donner l’amour dont elle semble avoir été privée.

Tous oscillent ainsi entre l’être et le paraître ; Lisa Martino touche par son regard de l’enfant qui attend la récompense et la reconnaissance, Aude Thirion est une bru méprisée qui a su obtenir rapidement toute ma sympathie et un soutien sans faille tout le long du spectacle. Jeoffrey Bourdenet affiche le sourire en coin de celui qui a réussi mais parvient à montrer l’indicible. Heureusement, Françoise Pinkwasser vient raviver le tout avec un bel entrain et son regard apaisant est un échappatoire non négligeable. Enfin, Pierre-Olivier Mornas est sans nul doute le personnage qui nous met dans la situation la plus inconfortable. Il est gênant et sa situation dérange autant qu’elle indigne. Il est l’oiseau tombé du nid et sa détresse irradie le plateau à la manière d’une douleur diffuse.

Un spectacle oscillant entre caricature et humanité.  

Comme à la maison copyright Celine Nieszawer 40_0

Oiseaux de paradis

4d3aa338dab22402d197ff51dff60f2d

Critique de La Perruche, de Audrey Schebat, vue le 6 octobre 2017 au Théâtre de Paris
Avec Arié Elmaleh et Barbara Schulz, dans une mise en scène de Audrey Schebat

Cette rentrée théâtrale est décidément sous le signe des retrouvailles : après le théâtre de la Madeleine, j’ai maintenant fait mon retour au théâtre de Paris après plus de 1 an et demi sans y mettre les pieds… Invitée par les Théâtres Parisiens Associés à voir La Perruche, la nouvelle création de la Salle Réjane, et curieuse de découvrir deux acteurs que je ne connaissais que de nom, c’est avec grand plaisir que j’ai retrouvé cette salle dans laquelle se joue un boulevard au ton parfois un peu cynique…

C’est le genre de pièce pour laquelle il est délicat de dévoiler le pitch car cela risquerait un peu de divulgâcher le spectacle. Je vais donc poser ici les bases de l’histoire, et vous allez tout de suite penser « c’est un spectacle que j’ai déjà vu 50 fois » mais en fait pas du tout ! Même s’il s’agit d’un couple qui attend un autre couple pour dîner et que ces derniers annulent pour cause de cambriolage, ce qui va amener notre premier couple à une petite séance d’introspection, on est loin d’un boulevard classique qui se retranche dans des situations connues d’avance…

En réalité, ce spectacle m’a rapidement fait penser à L’illusion conjugale – sans doute ma pièce préférée d’Éric Assous – car elle appartient à cette catégorie bien particulière qu’est le boulevard pensant. On croit venir voir une bonne comédie mais on ressort finalement avec de la matière à une certaine analyse, comme si un petit état des lieux de sa propre vie s’imposait. Si la situation est un peu longue à s’installer, on se rend vite compte que ça valait le coup, car ce qui suit est un condensé de vannes très bien trouvées, de critiques de la lâcheté de chacun dans le couple, de la bassesse des hommes et de la mauvaise foi des femmes.

En réalité, j’ai trouvé le regard sur chaque membre de ce couple tellement empli de véracité que je suis presque déçue par le choix de l’auteur/metteur en scène d’en avoir fait des caricatures. Avec un texte aussi bien trouvé, des personnages plus simples, des « monsieur tout le monde » auraient pu faire l’affaire. Cependant, Arié Elmaleh nous a lui-même avoués que « plus il jouait le connard, plus la salle riait ». Il faut dire que qu’il incarne un goujat de premier ordre, un petit bourgeois vite détestable entre son machisme et son manque d’ouverture d’esprit. A ses côtés, Barbara Schulz, sous ses airs premiers de gourdasse, se positionne finalement en défenseuse de la cause féminine et brille de son courage face à ses révélations sur son couple. Un duo qui, somme toute, fonctionne très bien !

Une belle analyse à la fois drôle et fine du couple qui pique un peu à certains moments… pour notre plus grand plaisir ! ♥ ♥ ♥

LA PERRUCHE copyright Celine Nieszawer 9.JPG

L’Auteuil efface l’auteur

LEDD WEB

Critique de L’Envers du Décor, de Florian Zeller, vu le 23 janvier 2016 au Théâtre de Paris
Avec Daniel Auteuil, Valérie Bonneton, François-Éric Gendron, et Pauline Lefèvre, dans une mise en scène de Daniel Auteuil

Parfois, je suis un mouton. Comme quand je prends des places pour une comédie de Florian Zeller, alors que tous ses spectacles précédents m’avaient déplu (et je parle en connaissance de cause, j’ai vu La Vérité, Le Mensonge, Le Père, et La Mère). Je sais pertinemment que je n’aime pas son écriture, qu’elle n’a su m’atteindre que légèrement lors du Père, et ce grâce au talent de Robert Hirsch. Et je sais que ses comédies sont lourdes, vulgaires, faciles. Dans La Vérité comme dans Le Mensonge, c’était Pierre Arditi qui essayait de porter la pièce. Mais Arditi ne se donne plus comme avant, son public est acquis et il se contente de faire du Arditi. Ce qui n’est pas du tout le cas de Daniel Auteuil : grâce à cet acteur, j’ai passé ce soir-là, une excellente soirée.

Comme toujours dans les comédies de Zeller, l’histoire est la même : elle met en scène deux couples et un dîner (je suis mauvaise, ce canevas ne concerne que Le Mensonge). Isabelle et Daniel ont invité Patrick et sa nouvelle compagne Emma, de vingt ans sa cadette. Daniel craint la réaction d’Isabelle, la meilleure amie de Laurence, l’ex-femme de Patrick, devant cette jeune femme belle, séduisante, sexy. Toute la soirée, Daniel oscillera entre jalousie de son ami et tentatives désespérées de détendre l’atmosphère.

Aucun doute possible, c’est bien du Zeller. C’est facile, parfois vulgaire, encore que peu répétitif pour une fois. Les personnages sont complètement caricaturaux, mais on l’oublie vite. Finalement, ce n’est plus pour le texte qu’on est là. On l’oublie à peu près à la 5e minute de la pièce, lorsque Daniel Auteuil nous arrache un rire qui ne nous quittera plus jusqu’aux 3/4 de la pièce. Ce rire, j’ai eu du mal à l’accepter, car c’est rare que je desserre les dents devant du Zeller. Mais devant tant d’habileté et de clownerie, comment ne pas succomber ! Daniel Auteuil est tout simplement divin, et chacune de ses répliques se conclut en un rire général. Le voir jouer dans une pièce si facile, forcément, ça irrite un peu. A le voir si heureux sur scène, à se donner autant, on l’attendrait dans de grands classiques : à quand Daniel Auteuil dans un Beckett ?

J’essaie de comprendre comment un spectacle qu’en réalité j’ai déjà vu 3 fois ne m’a plu que la troisième fois ; car rien n’a changé entre cette pièce et Le Mensonge. Zeller ne s’est pas refait une plume, le contenu est toujours aussi vide et caricatural. En réalité, je pense que c’est entièrement dû au talent de Daniel Auteuil, qui signe également la mise en scène. Là où Arditi ne donne plus rien de lui-même, Daniel Auteuil donne tout et ose bien plus que son prédécesseur. Il transforme le texte de Zeller à sa sauce, et en fait tout autre chose : ce n’est plus du théâtre, c’est au bord du clownesque. Et c’est la raison pour laquelle on n’entend plus vraiment le texte et on reste bien plus sur la gestuelle, les mimiques, le tempo parfaits. Impressionnants.

Pas de doute, la pièce est écrite pour lui : les autres acteurs ne sont que des faire-valoir de son jeu. Bien dommage d’ailleurs, car bien que sa partition soit réduite, Valérie Bonneton se révèle géniale en femme jalouse et quelque peu manipulatrice. François-Éric Gendron n’est pas en reste, tout à fait convaincant en ami riche et qui expose sa richesse et son bonheur. Pauline Lefèvre est parfaitement son personnage, et on comprend facilement l’irritation de Valérie Bonneton face à cette femme immense, mince, aguicheuse, l’air un peu simple.

Malheureusement, le talent – que dis-je, le génie ! – de Daniel Auteuil ne peut toujours dépasser la simplicité de Zeller, et le rire retombe lors de la dernière scène. C’est dommage, j’aurais aimé une conclusion brillante, et cette morale bourgeoise, qui permet de réconcilier notre couple de stars, tombe totalement à plat. On retrouve ici le Zeller qu’on connaissait, malheureusement bien trop facile pour donner quelque chose de grand.

Un spectacle porté par l’immense Auteuil, grâce à qui on passe une excellente soirée.  ♥ 

FILM "UN HOMME"