A la fin de l’envoi, il touche !

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Critique d’Edmond, d’Alexis Michalik, vu le 16 septembre 2016 au Théâtre du Palais-Royal
Avec Anna Mihalcea, Christian Mulot, Christine Bonnard, Guillaume Sentou, Jean-Michel Martia, Kevin Garnichat, Nicolas Lumbreras, Pierre Bénézit, Pierre Forest, Regis Vallée, Stéphanie Caillol et Valérie Vogt, dans une mise en scène d’Alexis Michalik

On l’attendait, le voici : le retour de Magik Michalik est enfin arrivé ! Il nous présente sa nouvelle création, Edmond, au théâtre du Palais-Royal… pour notre plus grand bonheur. Si vous êtes comme moi il y a quelques temps, avant que je ne voie Le Porteur d’Histoire, vous devez vous dire qu’un si jeune auteur un peu sorti de nulle part ne peut rien avoir d’exceptionnel. Détrompez-vous : au même titre que l’auteur à qui il rend hommage, il se peut qu’on parle encore d’Alexis Michalik dans 200 ans.

Dans sa nouvelle création, on découvre Edmond, un poète qui enchaîne les fours dans un XIXe siècle où Georges Feydeau et Georges Courteline sont les plus considérés. Malgré son partenariat avec Sarah Bernhardt, il ne croit plus en son succès jusqu’à ce que Constant Coquelin, le grand acteur du moment, lui commande une pièce. S’ensuit alors de nombreuses péripéties pour l’écriture de son chef-d’oeuvre : Cyrano de Bergerac. Bien que les conséquences qui accompagnent la composition de la pièce soient invraisemblables, on suit docilement l’histoire, emportés par une écriture et un jeu d’acteur tout simplement parfaits.

C’était un pari risqué : en portant sa nouvelle pièce sur l’écriture d’une perfection telle que Cyrano, Alexis Michalik se place à côté du génie, et il suffirait de peu de chose pour qu’il paraisse ridicule. Il n’en est rien. Il se tient à côté d’Edmond Rostand la tête haute – certes pas dans le même registre, mais dans un style tout à fait honorable et qui lui est propre ; Alexis Michalik ne se contente pas de rendre un très bel hommage à la plus grande pièce du répertoire français, il déclame ici son amour pour le théâtre. Et le public est conquis : pour preuve, lors de la représentation factice de la première de Cyrano, alors que les acteurs doivent simuler une salle en délire, les vrais spectateurs que nous sommes nous prenons au jeu et applaudissons à tout rompre une double satisfaction : le plaisir d’entendre à nouveau Cyrano, et celui de découvrir une pièce aussi bien menée.

Comme dans ses précédentes créations, le spectacle grouille de références – et je ne sais si ce boléro de Ravel qui accompagne la pièce en est une à la merveilleuse mise en scène de Podalydès, mais il fait résonner en moi de nombreux souvenirs qui me réjouissent. On reconnaît la patte d’Alexis Michalik : les scènes s’enchaînent de même que les changements de décor. Les acteurs changent de composition comme de costume, avec une facilité telle que rien ne nuit à la compréhension. C’est un véritable travail de troupe qui nous est présenté, et pour les évoquer tous, je ne dirai que Bravo ! Je ne peux que tirer mon chapeau à ces excellents comédiens qui se donnent corps et âme pendant 2 heures : pas un n’est en retrait, toutes les compositions sont menées de main de maître par un Alexis Michalik qui sait où il veut aller.

Même s’il n’écrit pas dans l’espoir du succès, je peux vous garantir que cette pièce en est ! ♥ ♥ 

Bel hommage à Cocteau

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N’ayant pas pu assister au spectacle, j’ai demandé à une complice d’y aller pour moi afin de rendre compte de cet hommage.

Dans la magnifique salle du Théâtre du Palais-Royal, que la citation de Rabelais surplombant la scène met sous le signe du plaisir et de la gaieté : « Mieulx est de ris que de larmes escripre, 
Pour ce que rire est le propre de l’homme. » j’ai pu assister à cette soirée d’hommage à Cocteau où s’entrelaçaient textes et musique.
La salle était pleine, la qualité d’écoute rare. Didier Sandre, de sa voix aux si belles intonations, a lu divers passages de La Difficulté d’être, où le poète évoque son enfance, sa fascination pour le théâtre, l’atmosphère de beauté, d’art et d’amitié qui était indispensable à sa vie, et qu’il a trouvée en particulier au Palais-Royal, où il a vécu.
La beauté régulière et frémissante de Didier Sandre, son élégance discrète et étudiée (éclat d’un gilet émeraude, cintré, sous la veste de costume…) rendent déjà hommage à ce classique qu’est au fond Cocteau. Mais c’est surtout l’art de l’acteur qui restitue l’esprit étincelant et la profonde mélancolie du poète : les textes bien choisis parcourent sa vie, son travail, ses amours, et c’est un bonheur d’entendre cette prose, une des plus belles du vingtième siècle, ces phrases diaprées, larges, mais sans enflure, d’un charme (mot qui revient dans la relation qu’entretint Cocteau avec le théâtre) incroyable. On voudrait tout retenir, tout noter, tant il y a de formules brillantes, saisissantes d’exactitude et d’originalité à la fois, toujours si visuellement évocatrices, qu’il parle du théâtre, des ennuyeux croisés à Morzine, ou du ciel au-dessus du Palais-Royal.
L’harmonie entre la littérature et la musique a contribué à la réussite de ce moment. François Chaplin a joué avec une élégance et une clarté souveraines des morceaux eux-mêmes pleins de charme et de mélancolie. Beaucoup de musique française, de contemporains de Cocteau : Satie, Poulenc, Ravel, mais aussi deux mazurkas de Chopin – je connaissais justement ce pianiste par son enregistrement remarqué des Nocturnes
J’ai le sentiment d’avoir passé une soirée rare –et pas seulement parce qu’il s’agissait d’une date unique, d’avoir célébré l’art qui transfigure la vie, avec cet hommage au poète, mort il y a 50 ans, qui n’a pas encore tout à fait la place qui lui revient. Mais peut-on panthéoniser celui qui a écrit : « Mes amis, faites semblant de pleurer, car je fais semblant de mourir » ? ♥ ♥ ♥

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Repas amer mais savoureux au Palais-Royal

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Critique du Repas des Fauves de Vahé Katcha, vu le 13 juin 2013 au Théâtre du Palais-Royal
Avec Cyril Aubin, Olivier Bouana, Pascal Casanova, Cédric Chevalme, Jochen Hägele, Jérémy Prévost, Julien Sibre, Barbara Tissier, et Caroline Victoria, dans une mise en scène de Julien Sibre

Et oui, c’est bien après tout le monde, longtemps après sa première sur les planches théâtrales, que j’ai enfin vu ce Repas des Fauves dont on a tant parlé. La pièce avait totalement surpris aux Molières il y a deux ans, car on ne s’attendait pas du tout à ce qu’elle rafle 3 prix. Mais puisqu’elle durait encore et encore, je ne me pressais pas à la voir, me disant qu’elle se jouerait toujours quand j’aurais plus de temps. Le temps, je l’ai eu, et même une invitation grâce à Gilles Lanchantin et Gladscope, que je remercie chaleureusement : vous m’avez permis de passer une soirée horriblement délicieuse.

Je tiens d’abord à souligner l’excellent début du spectacle. On entend une radio quelque peu brouillée, nous rappelant Radio Londres et ses « Andromaque se parfume à la lavande » ou encore « Clémentine peut se curer les dents ». Ici, ingénieusement, les messages sont plus facilement décodables : « Les portables sont éteints ». Bonne idée ! Bien que, malheureusement, cela n’a pas empêché mes voisins de jeter de temps à autre un coup d’oeil à leur smartphone si précieux …

L’histoire, je pense que tout le monde la connaît. Un couple (Sophie et Victor) reçoit des amis à dîner pour l’anniversaire de Sophie. Ils arrivent tous les uns après les autres, et je vous les présente rapidement : il y a Pierre, un ancien militaire désormais aveugle, Jean-Paul, un médecin avec qui les autres convives évitent de parler politique, Vincent, un professeur de philosophie qui, on l’apprendra plus tard, est homosexuel, Françoise, ayant perdu son mari à la guerre et souhaitant entrer dans la résistance, et enfin André, pour qui la guerre ne semble pas un problème, et qui est prêt à collaborer pour vivre tranquillement sa paisible existence. La soirée est joviale, André ayant apporté des mets succulents (car rares) en abondance, jusqu’à ce qu’un officier nazi soit tué en bas de l’immeuble. Alors la Gestapo monte dans l’immeuble et choisit deux otages par appartement … Jusqu’à arriver chez Sophie et Victor. Mais Victor et le commandant se connaissent, donc celui-ci offre aux personnes présentes le choix suivant : choisir, parmi eux, 2 otages. Ils ont deux heures.

L’histoire, racontée ainsi, est dure. Si j’hésitais à prendre mes places, c’est également pour cela : supporter un spectacle qui tourne autour des horreurs de la 2nde guerre mondiale, ce n’est pas évident. C’est pourquoi j’ai été plutôt surprise d’autant rire. Et d’un rire franc, dû à certaines situations ou certaines répliques. C’est à cela qu’on reconnaît une pièce bien construite : si le thème et l’enjeu de l’histoire ne sort pas une seconde de notre esprit, le rythme et les répliques parfaites de la pièce parviennent tout de même à faire rire le public. Porté de plus par d’excellents acteurs, la soirée n’en devient que meilleure.

 Le personnage que j’ai préféré est peut-être André, car il est le plus honnête de tous, lâche peut-être mais il ne se voile pas. Il apparaît comme le pire personnage sur scène, mais tous ont la même idée que lui en tête, à savoir sauver leur peau, il n’est que le plus franc. C’est Pascal Casanova qui l’interprète, et le choix est judicieux : le naturel de l’acteur sied parfaitement au personnage, et son côté sans-gène n’en ressort que mieux. Jean-Paul, ses gestes pressant et son air stressé, sont décuplés par Cyril Aubin. Le duo formé par Olivier Bouana et Caroline Victoria, époux hôtes, renforce à la fois la tension présente en arrière plan, par les actes cruels qu’ils accomplissent, mais aussi le comique, par la naïveté enfantine de Sophie. Le côté dandy de Vincent ressort à merveille dans l’interprétation de Julien Sibre. Jochen Hagele et son fort accent allemand impose respect et crainte, de même que Barbara Tissier, presque résistante, semblant courageuse et forte. Mention spéciale à Jérémy Prévost, incarnant Pierre, l’aveugle : le jeu est si précis, la gêne aux yeux si présente, qu’on en vient à croire à l’infirmité de l’acteur. Bravo. 

On en sort en se disant « Mince, comment ai-je pu autant rire pour quelque chose d’aussi affreux ? » On n’en sort pas indemne. A voir. ♥ ♥ ♥

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