Le bonnet de nuit d’Italie

Critique d’Un Chapeau de paille d’Italie, d’Eugène Labiche, vu le 10 janvier 2024 au Théâtre du Lucernaire
Avec Guillaume Collignon, Victor Duez, Sarah Fuentes, Mélanie Le Duc et Emmanuel Besnault, mis en scène par Emmanuel Besnault et Benoît Gruel

J’aime le théâtre de tréteaux que propose Emmanuel Besnault et j’avais vraiment hâte de voir comment il allait s’en sortir dans ce Chapeau de paille d’Italie avec seulement cinq comédiens. Mais j’avais confiance. Moi qui avais été si déçue de la version d’Alain Françon présentée en début d’année, je n’avais qu’une seule attente : RIRE. Spoiler : je suis passée complètement à côté de la proposition. Rire jaune, ça compte ?

Qu’est-ce qui est si terrible dans ce Labiche pour que deux metteurs en scène passent coup sur coup à côté ? Je garde un bon souvenir de la version de Giorgio Barberio Corsetti, vue à la Comédie-Française il y a plus de dix ans de ça, et dont l’explosivité me donne aujourd’hui encore de l’énergie rien que d’y penser. Je reprochais à Françon de ne pas s’être laissé suffisamment porté par ce texte, je reproche à Emmanuel Besnault l’exact inverse : être parti d’une idée qu’on a du mal à lire, même en sous-texte.

Au début, on se demande un peu où on est tombé. Quelque part entre le monde des Télétubbies ou un asile psychiatrique : le blanc recouvre toute la scène, jonchée de matelas et de draps, quand les comédiens semblent être des coussins vivants. C’est rigolo et étonnant, ça suscite la curiosité, mais ensuite ? J’abandonne mon idée des Télétubbies et de l’asile. Peut-être a-t-il vu dans l’histoire quelque chose de comparable à un Enterrement de Vie de Garçon ? Mais non, je n’y suis pas, il fallait voir plus simple : tout cela n’est qu’un rêve. J’aurais pu y penser tout de suite au vu des accessoires utilisés mais voilà : au-delà des accessoires, rien ne vient corroborer cette histoire de rêve…

Mais ce n’est pas le seul problème. Je me demandais comment on montait le Chapeau de paille d’Italie à cinq comédiens, je me demande en réalité si on peut vraiment le monter avec cinq comédiens. C’était peut-être un peu ambitieux. La noce est représentée uniquement par deux personnages, et on perd probablement en pression, en frénétisme, en exaltation de ce côté-là : on ne sent pas l’urgence, rien ne s’emballe, aucun engrenage ne s’active. Pire encore : le rythme s’enlise un peu, alors même que le spectacle ne dure qu’1h15 – mais j’ai vu la première, peut-être que ça s’est resserré depuis.

Enfin, dernière pointe de déception et après je m’arrête – mais c’est ça quand on a des attentes que voulez-vous : j’ai vu il y a deux ans un Fantasio monté aussi par Emmanuel Besnault. Un Fantasio rock. On a rajouté du rock sur Fantasio, vous me direz pourquoi pas, d’autant que la musique est souvent présente dans le travail de Besnault. Mais pourquoi l’avoir retirée du Chapeau, alors qu’en bon vaudeville qui se respecte, celui-ci comprend des airs chantés ? C’est dommage, car non seulement c’est souvent un atout des spectacles de Besnault, mais cela aurait pu contribuer à rythmer davantage la pièce et combler certains manques liés à l’adaptation pour cinq comédiens. Enfin, je dis ça…

Un Chapeau de paille d’Italie – Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
A partir de 10 €
Réservez sur BAM Ticket !

© Philippe Hanula

Malavoy entre dans la Légende

Critique de La légende du saint buveur, de Joseph Roth, vu le 7 septembre 2022 au Théâtre du Lucernaire
Interprétation, adaptation et mise en scène de Christophe Malavoy

Ça fait un bout de temps que ce spectacle me fait de l’oeil. Créé au Festival OFF d’Avignon en 2019, il était prévu pour une tournée en 2020, malheureusement annulée par notre cher covid. Il a repris une partie de cette tournée l’année dernière, et est enfin revenu à Paris pour cette rentrée théâtrale 2022. Je ne connais ni l’histoire, ni l’auteur, ni l’interprète, mais j’en ai beaucoup entendu parler et j’en ai conclu que ce trio était la promesse d’une bonne soirée. Je ne m’étais pas trompée.

La légende du saint buveur, c’est celle d’Andréas, un sans-abri alcoolique à qui un inconnu offre de l’argent au début de l’histoire. Andreas n’a plus aucun bien matériel, il vit sous les ponts, mais cette misère ne lui enlève aucun cas son honneur, et il promet à l’inconnu qu’il remboursera sa dette. Nous suivrons alors ses différentes tentatives pour tenir sa promesse, et comment, alors qu’il semble incapable d’économiser l’argent qui lui reste, une étrange providence multipliera les occasions de se racheter en faisant pleuvoir sur son chemin des pluies de billets.

Je n’ai pas lu la nouvelle, mais le spectacle fait complètement honneur à cette légende évoquée dans le titre. Malavoy parvient à créer une réelle atmosphère, à nous emmener ailleurs, dans un ailleurs qui pourrait être le rêve d’Andréas. C’est un texte qui ne ressemble à rien d’autre, une histoire qui pourrait être un délire d’agonie autant qu’un conte fantastique. Christophe Malavoy parvient à proposer tout ça à la fois, grâce à une adaptation, une mise en scène et une interprétation d’une très grande finesse.

Ce spectacle est une petite merveille, plein de miracles au même titre que son histoire. Malavoy réussit à mettre le spectateur dans le même état que son personnage, Andreas. Il nous maintient dans une espèce de légèreté presque euphorique tout en y mêlant une mélancolie prégnante. Tout rappelle le tragique à cet homme qui pourtant reste joyeux et positif, et le spectateur a beau sentir la fatalité qui pèse sur l’histoire, il rit de ces situations extraordinaires qui s’enchaînent en faisant fi de tout réalisme.

Ces deux ambiances cohabitent parfaitement sur le plateau. Christophe Malavoy a fait de la place pour tous les moments, pour toutes les émotions. Il semble laisser des indices ça et là qui indiquent au spectateur de voir plus loin que l’histoire qu’il raconte. Les chansons et les morceaux de trompette qu’il interprète, avec la puissance d’incarnation d’un Reggiani, sont en totale harmonie avec la tonalité du spectacle. La construction et l’interprétation singulières de tout ce qui entoure Andréas sont pour moi de l’ordre d’un effet spécial théâtral, comme un flou intentionnel pour nous déstabiliser. Le tout est empaqueté dans une grande légèreté, de cette simplicité brillante qu’on ne rencontre que chez les plus Grands. Bravo.

C’est une émotion sur le fil. L’émotion de l’enfant qui écoute une histoire. L’émotion de l’adulte qui entend cette histoire. ♥ ♥ ♥

© L’Arsène

Trois stars

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Critique de Trois Femmes, de Catherine Anne, vu le 18 décembre 2019 au Lucernaire
Avec Catherine Hiegel, Clotilde Mollet, et Milena Csergo, mises en scène par Catherine Anne

C’est sur le nom de Catherine Hiegel que je me suis rendue au Lucernaire. C’est étrange, mais la comédienne a une place toute particulière dans mon sanctuaire théâtral alors même que quand je regarde mes anciens articles marqués de son nom, je me rends compte que j’ai souvent été déçue ces dernières années. C’est peut-être pour ça que, inconsciemment, je n’attendais aucune fulgurance de ces Trois Femmes. Je n’en ai été que plus transportée.

Trois femmes, trois générations. Catherine Hiegel est Madame Chevallier, une vieille dame riche, épouse d’un Monsieur Chevallier qui a fait fortune par son usine et lui a laissé sa richesse, mère d’une Geneviève qui ne donne que peu de nouvelles et grand-mère d’une petite Amélie qu’elle n’a pas vue depuis près de vingt ans. Clotilde Mollet est Joëlle Muhler : elle a été engagée par Geneviève pour veiller sur sa mère la nuit et se satisfait de cette nouvelle situation : elle a retrouvé un mari et une situation après un accident sur lequel on n’aura pas de détail et touche régulièrement du bois pour que sa vie continue ainsi. Milena Csergo est Joëlle, la fille de Joëlle, elle est jeune et elle a encore l’espoir que sa mère semble avoir délaissé. Elle a des rêves, des grands rêves, et la rencontre de Madame Chevallier lui donne des idées : c’est du côté de cette dame que se trouve l’argent, le pouvoir, et donc la promesse d’un avenir. Pourquoi alors ne pas se faire passer pour sa petite-fille Amélie ?

J’ai peut-être perdu l’habitude de voir des petites formes et d’en être pareillement impressionnée. J’ai été totalement happée par cette histoire, ces histoires, leurs histoires. La pièce est vraiment très bien ficelée, on la suit comme une véritable enquête avec un désir ardent de connaître le dénouement. Et à plusieurs reprises on pense le deviner : il n’en est rien. La pièce se plaît à faire des détours, à nous amener là où notre imagination n’allait pas. J’avais très peur d’être déçue par la fin, il n’en fut rien : elle est parfaite. Et – je tiens à le souligner car c’est trop rare – le décor est simple, intelligent, et utile. Il est pensé comme un élément de la pièce, comme un personnage, et pas comme un simple meuble. Il habille le propos, il l’accompagne et insinue les évolutions des relations avant même que les dialogues la traduisent pour les spectateurs. C’est bon de voir un décor pensé, alors chère Elodie Quenouillère, vous avez toute mon admiration.

Et parlons d’elles, de ces trois femmes, de ces trois comédiennes. Le rôle de vieille misanthrope délaissée convient à merveille à Catherine Hiegel qui assène ses punchlines avec la gouaille qu’on lui connaît – elle ajoute d’ailleurs à sa palette de légères intonations à la Pierre Arditi qui n’ont pas été pour me déplaire. Mais elle est aussi la femme blessée, lassée, et profondément triste, seule et abandonnée, que l’argent ne suffit pas à combler. C’est légèrement caricatural comme propos – les riches dans leur solitude et les pauvres dans l’amour de leur famille – mais théâtralement ça fonctionne très bien. A ses côtés, la jeune Milena Csergo n’est pas en reste et défend son personnage avec brio. Sa Joëlle a les yeux qui brillent mais derrière l’espoir qui luit dans ses prunelles on aperçoit de sombres jours pas encore cicatrisés. La fougue de la jeunesse, la maturité de ceux qui ont déjà vécu, la naïveté de l’enfance et l’égoïsme de l’injustice se mêlent dans ses mouvements, dans ses intonations, dans les coups d’oeil qu’elle lance parfois à sa vraie mère, parfois à la fausse. Mais c’est Clotilde Mollet qui m’a clouée. A chacune de ses interventions, la boule dans ma gorge grossissait, jusqu’à exploser lorsqu’une dispute éclate avec sa fille. Elle est la dignité faite femme. Je n’avais jamais vu une telle incarnation de l’honneur sur scène. Sa composition est extrêmement fine, ce léger accent vosgien parfaitement maîtrisé parfait la forme quand tout le fond passe par des regards, des silences et des gestes. Du grand art.

Quatre superbes femmes portent ces Trois Femmes haut, très haut. On y court !♥ ♥ ♥

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Michaël Hirsch, le roi du somme en scène

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Critique de Je pionce donc je suis, de Michaël Hirsch et Ivan Calbérac, vu le 19 octobre 2019 au Théâtre du Lucernaire
Avec Michaël Hirsch, dans une mise en scène de Clotilde Daniault

Michaël Hirsch est un artiste que j’aime beaucoup et j’avais peur, en allant voir son nouveau spectacle. J’avais peur d’être déçue, tant Pourquoi ? était une réussite. Je l’avais vu au OFF d’Avignon en 2016, ce qui était presque « tardif » puisqu’il avait été créé aux Déchargeurs en 2014. Il a fait trois Avignons successifs. Je lui avais posé plusieurs fois la question du prochain spectacle mais il restait évasif. Car Michaël Hirsch fait les choses bien, il sait où il va, et son deuxième spectacle, Je pionce donc je suis, n’est ni une pâle imitation de Pourquoi ?, ni un brouillon destiné à tester des idées. C’est un deuxième spectacle à part entière, et très réussi.

Dans Je pionce donc je suis, on va suivre le parcours d’Isidore Beaupieu – comme il porte bien son nom – qu’on pourrait décrire comme un jeune cadre dynamique qui commet une énorme bourde alors que sa carrière devait s’envoler et se retrouve soudainement au chômage. Lui qui n’avait plus une seconde à lui se retrouve alors avec de nombreuses heures pour penser, penser à ce qu’il est, ce qu’il aime, ce à quoi il souhaite dédier sa vie. Et rêver, surtout.

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Et il faut bien le reconnaître : Michaël Hirsch nous fait rêver. Si, dans Pourquoi ?, il racontait les questions existentielles d’un personnage et leurs évolutions au fil de sa vie, il nous propose ici une véritable pièce de théâtre qu’il monte à lui tout seul. Il n’incarne pas seulement Isidore Beaupieu ; il est tour à tour Sandra, sa femme, Sanchez, son boss, Bruno, le gardien de nuit, et de nombreux autres qui interviennent à un moment de l’histoire. Chaque personnage est admirablement construit, dessiné avec précision, et tout est si travaillé qu’il peut s’autoriser des pointes de folie sans risquer de nous perdre. Impossible de nous perdre d’ailleurs tant la mise en scène est rythmée : il n’arrête pas une seconde et prend un tel plaisir sur scène que c’en devient communicatif. D’ailleurs, il n’hésite pas non plus à jouer avec son public, à le charrier sur sa lenteur d’esprit ou son rire parfois trop enthousiaste, et ce lien qu’il noue avec la salle est, à la manière du comédien, bienveillant et chaleureux.

Je ne peux m’empêcher de comparer ce spectacle à son premier. J’imaginais la pression qui devait peser sur ses épaules pour écrire le deuxième. Il s’en sort plus qu’admirablement. Il ne se trahit pas, nous rappelle sans honte qu’il est l’auteur de Pourquoi ?, son spectacle est ponctué des nombreux jeux de mots qui faisaient la saveur du premier, mais il est aussi allé chercher autre chose. On aime toujours autant ses bons mots – tout y passe : les draps les couettes les oreillers – on serait même étonné de ne pas voir apparaître Laurent Delahousse au milieu du spectacle ! Et son imitation de Luchini… une perfection absolue ! Mais c’est un vrai plaisir aussi de le voir aller vers d’autres sujets, car même si c’est un peu naïf, c’est une pièce feel-good qui permet au spectateur de facilement s’identifier entre le regard sur les écrans, l’émergence des bullshit-jobs, et le besoin de toujours rêver. J’aime le voir évoluer sur scène, proposer de nouveaux personnages, nous montrer qu’en plus d’être un humoriste, il est un comédien. Et mention spéciale à son super décor multifonctions, un décor « utile » comme on n’en voit pas assez au théâtre, un décor intelligent et qui lui permet de se réinventer sans cesse, un décor dont on peut se dire, à l’image des calembours de Michaël Hirsch : « il fallait y penser ».

Comme un rêve éveillé.  ♥ ♥

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Quelques nuances de Gray

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Critique du Portrait de Dorian Gray, d’après Oscar Wilde, vu le 25 février 2016 au Théâtre du Lucernaire
Avec Arnaud Denis/Valentin de Carbonnières, Lucile Marquis/Caroline Devismes, Fabrice Scott, et Thomas Le Douarec, dans une mise en scène de Thomas Le Douarec

C’est étrange, car ce spectacle – avec d’autres comédiens – a fait l’objet d’une de mes premières critiques sur ce blog. Vu pour la première fois au Festival d’Avignon 2011, je l’ai revu lors de la première au Vingtième Théâtre où il a poursuivi sa route. Gardant plutôt un bon souvenir du spectacle et toujours désireuse de retrouver Arnaud Denis sur les planches, je l’ai donc revu pour la troisième fois lors de sa reprise au Lucernaire. La mise en scène n’a pas évolué depuis 4 ans, et les nouveaux comédiens choisis par Thomas Le Douarec sont moins bons. Dommage.

L’adaptation du merveilleux roman d’Oscar Wilde, bien qu’elle omette bien des passages savoureux, est plutôt réussie. Pour ceux qui ne connaîtraient pas le roman, comme c’était mon cas la première fois que j’ai vu ce spectacle, elle donne très envie de découvrir le monde de Dorian Gray, et plus largement celui d’Oscar Wilde. Dorian Gray, un jeune homme d’une grande beauté, se fait peindre par Basil après leur rencontre lors d’une soirée. C’est chez Basil que Dorian rencontre Lord Henry, un très beau personnage, cynique et dont les citations sont souvent ponctuées du rire de la salle. Celui-ci, malgré lui, va entraîner, Dorian à faire un pacte avec le Diable : le portrait de Dorian Gray subira la vieillesse et portera les traits de l’âme de Dorian, pendant que lui conservera une éternelle jeunesse.

Ma grosse déception, dans cette reprise, se tient principalement dans le personnage de Lord Henry : l’acteur qui l’interprétait dans la version de 2011, Laurent Maurel, possédait tout le cynisme et le charisme nécessaires au personnage. En se distribuant dans ce rôle, Thomas Le Douarec fait une erreur : certes, ses citations provoquent des réactions chez le public, mais c’est uniquement dû à la plume d’Oscar Wilde, car il n’a pas la finesse de jeu de son prédécesseur, et sa voix pas toujours bien placée, aux accents d’Édouard Baer, ne sied par avec le rôle qu’il s’est attribué. Fabrice Scott, qui reprend le rôle de Basil, est également en dessous de ce que nous proposait Gilles Nicoleau, avec moins de nuances dans le personnage. Enfin, la composition d’Arnaud Denis en Dorian Gray est juste mais on connaît le talent de l’acteur, et on n’aurait pas hésité à le pousser un peu plus dans la noirceur, car il peut augmenter encore ce côté dérangeant, malsain, qui colle si bien avec Dorian Gray.

Une version que j’aurais souhaitée plus intense. 

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Jouissif

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Critique d’Études de fesses, de X. Gallais et le Projet Bloom, vu au Lucernaire le 10 octobre 2015, par complice de MDT
Avec Xavier Gallais, Raquel Camarinha (soprano) et Christelle Séry ou Margot Fontana (guitare électrique)

Voilà un spectacles des plus troublants et des plus réussis. Dans une salle obscure, à l’atmosphère tamisée et intime, nous découvrons les trois artistes : Xavier Gallais assis devant un lutrin, une jeune guitariste d’allure garçonnière à ses côtés, et en retrait, debout, en robe du soir, une jeune et belle cantatrice. Sans se quitter du regard, sans que jamais ne s’interrompe l’espèce de courant électrique qui les relie, l’un va lire des textes, les autres jouer ou chanter.

Les textes, que Xavier Gallais habite de manière époustouflante, sont tous en rapport avec le sexe, les chants, souvent plus sentimentaux, se trouvent colorés d’érotisme par leur alternance avec les textes, les morceaux de guitare électrique accentuent l’atmosphère vibrante de la soirée. On rit beaucoup, lorsque Xavier Gallais, accompagnant sa lecture d’une gestuelle discrète, mais étudiée, lit un extrait des « Cochons sont lâchés » de Dard, on est terrifié par la force qu’il donne à un récit abject de Christian Prigent. Raquel Camarinha, magnifique soprano, est d’une classe folle dans la fameuse « Sonata erotica », et clôt la soirée avec une interprétation infiniment mélancolique de « Youkali  de Kurt Weil. Le dosage, le rythme, l’intelligence de l’ensemble sont saisissants. Tous les aspects du désir sexuel, de sa gaillardise à ses abîmes se succèdent, de manière presque envoûtante grâce à ce dispositif.

Belle idée du Lucernaire que cette « Carte blanche » à Xavier Gallais, diseur hors-pair, d’un naturel où la veulerie le dispute au désespoir, mais toujours sur un fond d’innocence, comme s’il voulait nous signifier que le fantasme dans l’ordre sexuel ne nuit à personne, sauf parfois à celui qui le conçoit. On souhaiterait que ce spectacle étonnant puisse avoir de plus nombreuses dates.

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Les Précieuses Ridicules, Lucernaire

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Critique des Précieuses Ridicules de Molière, vu le 29 août 2012 au théâtre du Lucernaire
Avec Régis Bocquet,Ariane Brousse, Barbara Gauvin, Aude Macé, Déborah Marique, Marion Lo Monaco, Denis Morin, Edouard Michelon, Justine Paillot, Cédric Révillion, Walter Stawinoga, Damien Vigouroux, Damien Zanoly, Jeanne Gogny, Regis Chaussard, dans une mise en scène de Pénélope Lucbert

Paris en août, c’est assez spécial … La plupart des parisiens sont partis, la ville est vide, les théâtres préparent leur rentrée, en septembre … En fait, ça ne ressemble plus au Paris qu’on connaît, puisqu’un des seuls théâtres qui continue de fonctionner est le Lucernaire. Alors, même si on n’est pas fan de ce théâtre aux petites salles inconfortables et un peu chères pour ce qu’elles sont, on est tenté de s’y rendre …

C’est en des pièces commes Les Précieuses Ridicules que l’on peut facilement s’apercevoir de ce qui fait l’immortalité de Molière. Immortel, car d’une modernité étonnante. En effet, le metteur en scène a pris le parti d’en faire un spectacle « rock’n’roll », et ceci concorde tout à fait avec le ton de la pièce. Pas de faux pas, pas de contresens, tout semble aller. 

Le spectacle dure 1h10, et c’est peut-être le seul point négatif .. En effet, les passages musicaux (il y a un guitariste sur scène) sont un peu longs, et le début de la pièce l’est également (on ne comprend d’ailleurs pas tout à ce début …). Mis à part ce léger détail, tout est bien … Les acteurs, sans être extraordinaires, maîtrisent leur rôle et mettent du coeur à l’ouvrage : ils se déchaînent, cabriolent, jouent avec le public … cela se ressent et amène le rire chez le spectateur : les précieuses sont en effet très ridicules dans leurs habits rock, leurs nombreuses mimiques, et leur chewing-gum. Mascarille et Jodelet ne restent pas en retrait et ont un égal talent comique. Enfin, le père des deux filles, petit boule de feu, est excellent.

De bonnes Précieuses Ridicules à voir au Lucernaire jusqu’au 15 septembre. ♥ ♥ 

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Les bonnes, Lucernaire

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Critique des Bonnes de Jean Genet, vu le 24 juillet 2012 au théâtre du Lucernaire
Avec Marie Fortuit, Odile Mallet, et Violaine Phavorin, dans une mise en scène de Serge Gaborieau et Armel Veilhan

Que de découvertes cet été … Après Jarry, voici maintenant Genet. J’en ai souvent entendu parler, mais jamais lu, jamais vu … Mais ayant reçu l’invitation, et débordant toujours de l’envie de découvrir de nouveaux auteurs et de nouvelles pièces, c’est avec un bon a priori que je me suis rendue au Lucernaire, mardi dernier.

Les Bonnes, c’est l’histoire de deux soeurs, aux relations parfois ambigues, qui servent pour Madame, et qui projettent de la tuer. Ainsi, à plusieurs reprises, elles jouent leur projet, le mettent en scène, le répètent, de manière à ne pas faillir quand viendra le moment fatal. Mais l’alternance entre les scènes « réelles » et les scènes de « jeu » se fait assez mal ici, et j’ai eu du mal à percevoir la différence … Quand les deux filles se projettent-elles dans le futur (ou plutôt l’irréel du futur) ? Quand reviennent-elles à la réalité ? Quand Claire est-elle dans son rôle de Madame ? Quand revient-elle à elle-même ? Difficile à déterminer. Voulu ou non, j’ai trouvé cela dommage.

De plus, je me suis vite rendue compte que je n’accrochais pas vraiment à l’histoire, et que le texte me semblait parfois trop peu naturel, un peu trop poétique, pour que je puisse vraiment l’apprécier. Et pour tout dire, les deux jeunes actrices incarnant les deux bonnes semblaient un peu vertes : trop de récitations, peut-être trop d’application … Mais rapidement intervient Odile Mallet, actrice ayant bien plus de métier (qui se fait sentir), et tout devient plus intéressant, plus brillant. La scène où elle apparaît, trop courte à mon goût, se détache du reste de la pièce. Une grande actrice.

Pourquoi pas ?

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Autour de la Folie, Lucernaire

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Critique d’Autour de la Folie créé par Arnaud Denis, vu 3 fois, au théâtre du Lucernaire
Arnaud Denis seul en scène, mise en scène d’Arnaud Denis et Jonathan Max-Bernard 

Qu’est-ce que la folie ? La question pourrait nous entrainer très loin … Arnaud Denis, partant des définitions de Oliver Wendell Holmes « On appelle fous ceux qui ne sont pas fous de la folie commune », et « La folie est souvent la logique d’un esprit juste que l’on opprime », nous présente différents textes, écrits par différents auteurs, plus ou moins connus, dont le thème est, bien évidemment, la folie. Mais les textes se suivent et ne se ressemblent pas ; et voilà comment Arnaud Denis excelle : il passe de la folie dangereuse, comme l’est celle de « Mémoire d’un fou » de Flaubert, à une folie plus douce, telle celle de Karl Valentin, avec, semble-t-il, une plus grande facilité que le spectateur, qui lui est cloué à son siège, étonné, effrayé, impuissant. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ; les passages d’un texte à l’autre ne sont pas non plus brutaux : l’enchaînement se fait à l’aide d’un noir, qui crée une sensation de vide autour de soi, qui entraîne le spectateur dans la peur, dans le trouble, dans la folie. De plus, la mise en scène (Arnaud Denis est assisté de Jonathan Max-Bernard) participe aussi à la dégradation des sens du spectateur ; ce dernier perd, par exemple, sa notion de l’espace, grâce à la taille des chaises, décor principal, qui diminue au fil du spectacle. C’est là un élément de scénographie simple, mais efficace. A plusieurs reprises, un autre objet vient compléter les chaises ; il prononce Flaubert enchaîné, en homme non-libre … et un Lautréamont crucifié, immobile. 
Peut-être reconnaissez-vous l’affiche … ou du moins, l’inspiration, de l’affiche. Cela vient – me semble-t-il – de l’autoportrait de Gustave Courbet ; « désespéré » … peinture assez mystérieuse d’ailleurs.
Je sors à peine du spectacle, à l’heure où j’écris cette critique. Je suis encore sous le choc. C’est saisissant. Le public est tendu. Les noirs paniquent et étouffent. La sensation de la folie, en face de nous, se fait de plus en plus réelle. Le talent du comédien y est évidemment pour beaucoup : il devient fou, sous nos yeux. Ses gestes – des tremblements, des tocs, ses  bruits – parfois étranges, entre le cri et le rire, son visage – exprimant tantôt la crainte, tantôt la rage, tantôt l’incompréhension qui l’amènent bien vite à la folie … tout est fait pour que le spectateur s’inquiète, se sente mal à l’aise, car inhabitué à la présence d’un fou, si proche … C’est également un spectacle où il crie beaucoup. Mais pas des cris inutiles, pas des cris « jesaispasquoifaired’autrealorsjecris », ce sont de vrais cris, authentiques, paniqués … Sa voix n’est d’ailleurs pas cassée … c’est un grand travail que d’arriver à crier sans se blesser sa voix … mais, comme aucun obstacle ne semble lui résister, il y arrive, car cela fait plus de 2 semaines qu’il joue et rien ne laisse à penser qu’il crie tant, tous les soirs …

Ce qui m’a fait le plus d’effet, ce sont les textes durs, violents, plus que ceux, par exemple, de Karl Valentin (bien que j’aie été heureuse de les découvrir !). J’ai oublié de citer les différents auteurs des textes : Maupassant, Flaubert, Shakespeare, Michaux, Karl Valentin, Lautréamont, et Francis Blanche. Car oui, Arnaud Denis clôt son spectacle  sur une chanson, « Ça tourne pas rond ». Chanson qui peut apparaître effrayante à cause de sa gestuelle … Mais il manque un texte, même lorsque je cite tous ces auteurs. Il s’agit de celui qui nous lance dans la folie, le premier que l’on entend … un témoignage d’un schizophrène, en anglais – moi qui suis très loin d’être bilingue, j’ai tout compris, rassurez-vous. J’ai beaucoup aimé celui-ci, effrayant également, par le texte et les expressions de l’acteur … C’est son entrée en scène, peut-être donc l’un des passages les plus importants, et il ne la rate pas : on en vient à se demander si c’est réellement Arnaud Denis devant nous, on a du mal à le reconnaître, dans sa tenue blanche, ses cheveux très courts, et ses étranges réactions.
On n’en sort donc pas indemne, et certains textes laissent beaucoup à réfléchir (et tout particulièrement le texte de Maupassant « Lettre d’un fou » , que j’ai trouvé extrêmement riche et intelligent … peut-être le texte qui m’a le plus troublée …). Vous pouvez trouver un extrait de la pièce ici, ainsi que plusieurs interviews sur les sites de france inter (émission « Fol été ») et france culture (émission « Déjeuner sur l’herbe »). Je vous incite fortement à aller la voir (billetreduc offre des tarifs intéressants) … elle redonne confiance en les « seul en scène autour d’un thème (très) compliqué et (très)     riche », qui n’est pas un genre facile, mais stupéfiant lorsque bien joué, avec des textes bien choisis et une mise en scène intelligente.
Et [je ne peux m’en empêcher] …  vous passerez une soirée de folie. Réelle.

A voir impérativement.

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