All about Paul

Critique de Mister Paul, de Jean-Marie Besset, vu le 30 juin 2022 au Petit Montparnasse
Avec Jean-Marie Besset, mis en scène par Agathe Alexis

C’est mon guilty pleasure théâtral. Lorsque j’en parle, on me regarde toujours un peu de travers, mais j’adore Jean-Marie Besset. Trop vite catégorisé comme auteur de droite, j’ai du mal à croire que tous ses détracteurs aient vraiment essayé un jour de lire son oeuvre. Moi, je suis comme qui dirait tombée dedans quand j’étais petite, avec Ce qui arrive et ce qu’on attend, l’un de mes premiers gros coups de coeur théâtraux. Depuis, j’ai tout lu de lui et vu ce qui avait été capté, et je rêve de voir monter son Coeur français. J’ai une certaine tendresse pour cet auteur qui pourtant ne me l’avait pas forcément bien rendu, lorsqu’un jour, à Nava, je lui avais exprimé mon admiration. Mais qu’importe, cela fait partie du personnage, et c’est l’artiste qui nous intéresse ici.

Mister Paul, c’est l’histoire d’un homme qui, parti inconnu de Limoux, ayant atterri un peu par hasard en Afrique, s’est finalement construit une carrière brillante à New-York. Au-delà de son aventure professionnelle, on suit aussi son évolution intérieure, ses rencontres, ses doutes : homosexuel, il tombe éperdument amoureux d’un homme qui déclare ne pouvoir aimer que des femmes, et en vient à se poser la question d’une transition, lui qui s’est toujours senti femme dans son corps d’homme. Mais la vie fait qu’il ne le deviendra finalement jamais.

Mister Paul semble être le premier opus d’un ensemble de portraits autour de limouxins anonymes ayant eu un destin digne d’être conté. Car oui, peut-être ne le saviez-vous pas encore, mais Jean-Marie Besset est né à Carcassonne et a grandi à Limoux, ville qu’il chérit encore aujourd’hui et où il a créé son festival Nava, Nouveaux auteurs dans la vallée de l’Aude. Ce n’est pas nécessaire de savoir tout ça avant de voir le spectacle, mais si vous êtes un peu imprégnés de l’univers de Besset, c’est peut-être mieux.

Car, on ne va pas se mentir, c’est quand même une petite chose que ce Mister Paul. Petite chose parce que c’est un sujet de niche, voire une niche dans une niche si on fait le croisement entre le personnage inconnu et la source provinciale presqu’aussi insolite. Mais il faut bien reconnaître que pour une petite chose, c’est quand même très bien fichu. Le texte de Besset est parfaitement construit, idéal pour le seul en scène qu’il s’était figuré – on imagine totalement un Vincent Dedienne incarnant ce rôle, donnant une saveur tout à fait différente à cette histoire. Il parvient à nous intéresser tout de suite à ce destin hors du commun en nous invitant dans le quotidien inattendu de ce Paul qu’il incarne.

C’est un spectacle qui lui ressemble profondément. C’est à la fois légèrement désuet et complètement authentique, c’est bien loin de la mode des plateaux d’aujourd’hui – il n’y a vraiment que Besset pour proposer ça – et, finalement, ce n’est pas dénué de charme ! Besset comédien, que je découvre, est un peu fragile au niveau de la modulation de la voix, mais il raconte avec une telle foi, il semble si heureux sur scène, qu’il nous embarque avec lui. Les intermèdes musicaux qui ponctuent certaines scènes nous transportent dans cette deuxième moitié de XXe siècle dans laquelle se déroule notre histoire, parenthèse mélodieuse dans cette histoire sans fausse note.

Mister Besset ? Guilty pleasure, je vous l’avais dit. ♥ ♥

Je prends les deux !

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Critique de L’un de nous deux, de Jean-Noël Jeanneney, vu le 19 septembre au Petit Montparnasse
Avec Christophe Barbier, Emmanuel Dechartre et Simon Willame, dans une mise en scène de Jean-Claude Idée

Le lendemain du décevant Rouge au Théâtre Montparnasse, retour rue de la Gaité mais chez le petit frère et son plateau à taille humaine cette fois-ci – ceci étant, on y retrouve aussi deux comédiens sur scène incarnant des personnages réels dans une situation fictionnelle. Comme la veille, c’est pour les comédiens que j’étais là : parce que je n’ai pas oublié l’oeil passionné de Christophe Barbier menant avec brio son Dictionnaire amoureux du théâtre et parce que même si les dernières saisons d’Emmanuel Dechartre ne m’avaient pas convaincue, il reste un comédien que j’ai beaucoup aimé.

Sur scène, on ne peut l’ignorer : nous sommes en guerre. Le décor le souligne bien, les fenêtres donnent sur un camp de travail encore en activité et nos protagonistes eux-mêmes sont emprisonnés en Allemagne. Nous sommes en juin 1944, le fin de la guerre s’annonce, le débarquement vient d’avoir lieu. Dans cette prison, deux hommes reviennent sur leur époque : Léon Blum, le fidèle de Jean Jaurès, et Georges Mandel, collaborateur de Clemenceau.

Je n’étais pas une passionnée d’histoire dans mes jeunes années. Ou plutôt : les cours d’histoire monotones et sans vie me semblaient infiniment longs et m’ont dégoûtée de la matière. C’est par le théâtre que j’y suis revenue – pas assez, à mon grand dam, mais suffisamment pour me rendre compte de mes lacunes et de mon erreur de jeunesse. Et L’un de nous deux est de ces spectacles qui me ramènent à l’histoire le temps d’une soirée. Ce n’est pas du grand théâtre, mais c’est une pièce qui tient son pari : écrite par un historien, les dialogues sont certes un peu verbeux mais c’est leur contenu qui parvient à nous intéresser – les personnages échangent anecdote sur anecdote et lorsqu’on sait si peu de la période traitée, on savoure ces histoires avec délice.

D’autant que nos deux comédiens les servent avec passion : certes, on pourra facilement accuser Christophe Barbier de « faire du Christophe Barbier » au début du spectacle, mais il entre progressivement dans la peau de son personnage pour finalement quitter dignement la scène à la fin du spectacle. Et quel plaisir d’écouter le comédien qui fait sans doute les plus belles liaisons de la scène française ! C’est un de mes plaisirs coupables et je le reconnais volontiers. Quant à Emmanuel Dechartres, il tient parfaitement tête à ce Mandel parfois emporté et campe un Blum vieux sage, profondément humain et bienveillant. Si tout les oppose dans la forme – l’engouement, la rigueur du ton, la posture, le regard – le fond est plus ambigu qu’il n’y paraît. Dans leur joute oratoire, cela devient presque un jeu de deviner ce qui les oppose réellement.

A savourer comme un bon cours d’histoire.  ♥ 

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Sans moi

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Critique d’Ensemble, de Fabio Marra, vu le 16 février 2017 au Théâtre du Petit Montparnasse
Avec Catherine Arditi, Sonia Palau, Floriane Vincent et Fabio Marra, dans une mise en scène de Fabio Marra

Autant prévenir tout de suite : voilà un article qui n’est pas Charlie. Comme je n’ai pas envie de m’attarder sur ce spectacle, voilà également un article qui sera court. Je suis allée voir Ensemble convaincue par la critique – que je devrais peut-être arrêter de lire ! Certes, il y a Catherine Arditi, qui est une grande artiste. Malheureusement, à côté, il y a également le texte de Fabio Marra… Un peu trop mélo-dramatico-plein-de-bon-sentimento pour moi.

On se retrouve dans la vie de Miquélé, sa mère Isabella, et sa soeur Sandra. Sandra a quitté l’appartement familiale depuis 10 ans et revient un beau matin pour annoncer à sa mère qu’elle va se marier. Elle voudrait que sa mère assiste à son mariage, mais pas son frère, handicapé. D’après Sandra, la place de Miquélé est dans un centre spécialisé. Mais sa mère ne veut rien entendre, Miquélé restera prêt d’elle, et tout est très bien comme ça.

Vraiment, je vous assure, j’étais prête. Mouchoirs, prêts. Canal lacrymal, prêt. Lobe frontal, prêt. J’attends. J’attends. J’ai attendu 1h30. Non, en vrai j’exagère, il y a des moments où on a les poils qui se dressent : quand Catherine Arditi reçoit le sac à main offert par son fils (avec de l’argent volé, soit dit en passant), il y a quelque chose dans son regard qui passe. De même, lorsqu’à la fin de la pièce elle annonce son pardon à sa fille, quelque chose passe. Mais le reste du temps, on est toujours sur le fil, constamment au bord de l’ennui, sans jamais y plonger vraiment – c’est presque pire encore.

Le gros problème de ce spectacle réside dans son texte : c’est très verbeux et il se répète continument. C’est même un exploit que Catherine Arditi arrive à en faire quelque chose. Fabio Marra compose certes un très bon handicapé, mais son texte est d’une ineptie sans nom : je ne comprends pas où il veut en venir. Alors certes, après que Sandra a répété 15 fois que sa mère ne l’aimait pas et qu’elle était très malheureuse, je me dis que peut-être que j’ai un coeur de pierre, mais elle le dit avec si peu d’âme, sans jamais poser sa voix, sans aucun silence, aucun implicite, que rien ne m’atteint. Cerise sur le gâteau : mais enfin Sandra, c’est grâce à ton frère que tu es là ! Il t’a sauvée la vie.

… Je veux bien être sensible à l’histoire du sac à main, mais là, c’est trop pour moi. pouce-en-bas

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Parce que ce sont eux

Critique de Parce que c’était lui, de Jean-Claude Idée, vu le 1er février 2014 au Petit Montparnasse
Avec Emmanuel Dechartre, Adrien Melin, et Katia Miran, dans une mise en scène de Jean-Claude Idée

C’est à la mention d’Adrien Melin que la pièce m’a attirée : l’acteur que je suis depuis quelques années déjà revient sur les planches après La Folle de Chaillot de l’an dernier ? J’y cours. C’est un trio qui nous est présenté au Petit Montparnasse actuellement : on y retrouve Montaigne à la fin de sa vie, hanté par un La Boétie moralisateur, et qui le poursuivra jusqu’à sa mort. C’est également un temps de rencontre, puisque le troisième personnage est Marie De Gournay, une jeune femme passionnée de l’auteur qu’est Montaigne et littéralement folle de lui, qui l’accompagnera à la fin de sa vie. L’intrigue tourne donc autour de l’entrée dans sa vie de cette femme, des contacts entre Montaigne et les Grands de cette époque, et de sa culpabilité vis-à-vis de la non publication posthume des oeuvres d’Étienne de La Boétie.

L’histoire est donc intéressante, mais je pense qu’elle n’a pas été traitée au mieux. Jean-Claude Idée en a fait quelque chose de trop documentaire, moraliste, qu’on ne peut réellement se prendre au jeu des personnages. On a trop l’impression d’être devant un cours, obligés d’apprendre, d’écouter sans être assez passionnés pour être dedans. De plus, si la partition de Montaigne et de La Boétie sont honnêtes et relativement bien construites, celle de De Gournay est bien moins intéressant : le personnage ne semble là que pour faire des liaisons. Ceci dit, vu la performance de l’actrice, on se demande si on aurait pu apprécié un personnage de plus grande importance.

Car malheureusement, un autre problème de la pièce vient du jeu de cette actrice. C’est simple, à chacune de ses entrées en scène, je décrochais. Je ne voyais que trop son manque de métier et n’arrivais pas à m’en défaire, peut-être aussi à cause de mon état de nervosité et de fatigue ce soir-là ; mon exigence n’en était que rehaussée. Ce qui m’a surtout énervée, c’est les deux expressions qu’elle affichait constamment, sans parvenir à en faire une autre : les sourcils levés en guise d’étonnement, et un large sourire de bonheur. Surprise et joie, voilà donc les seules émotions de Marie de Gournay ? C’est dommage, car mis à part ce défaut, elle ne présentait pas d’autre problème sur scène : le port droit et gracieux, l’articulation sans faute, elle aurait tout à fait pu me convaincre. A travailler donc, ces expressions. 

Heureusement, autour d’elle, deux talents sont là. A commencer par Adrien Melin, La Boétie inquiétant et ténébreux, à la diction reconnaissable entre mille et qui fait beaucoup de son charme. Ses entrées sont réussies, le message passe sans problème, et il forme avec son partenaire Emmanuel Dechartre, actuel directeur du Théâtre 14, un très bon duo. On regrette d’ailleurs de ne pas voir plus souvent cet acteur, à la voix profonde, douce, et agréable, et au jeu d’excellente qualité. Il campe un Montaigne réaliste et intelligent, et on imagine tout à fait cet auteur ainsi à la fin de sa vie.

Cependant, malgré tout le talent qu’il peut nous présenter, le problème de texte se fait sentir, et on ne parvient à cerner parfaitement le personnage. Moi qui ne connaissait pas bien les relations des deux amis, ni leurs caractères propres, j’ai encore du mal à me faire une idée. Les idées sont brouillonnes, les dialogues manquent de fluidité, et l’histoire d’intérêt. Notons tout de même de très jolis costumes et une mise en scène tout de même relativement réussie, parvenant à recapter l’attention du spectateur égaré, encadrée par une musique très bien choisie. 

Pour redécouvrir ces acteurs qu’on ne voit pas assez, alors oui, je peux conseiller le spectacle. Aux amoureux de Montaigne, je crains que vous ne soyez déçus.