Les Funambelles !

Critique de Elles, des Funambules, vu le 13 octobre 2023 au Théâtre de l’Essaïon
Avec Marion Préïté, Nouritza Emmanuelian, Iona Cartier ou Camille Nicolas, Marie-Anne Favreau, Alix Löffler, Stéphane Corbin, mis en scène par Stéphane Corbin, assisté de Valentin Lacouture

J’ai découvert Les Funambules au 2016 grâce à la merveilleuse programmation du Vingtième Théâtre qui faisait la part belle aux spectacles musicaux. J’avais adoré, certaines des chansons étant devenues complètement cultes pour moi (on est des Filles à pédés ou pas nous ?). J’ai vraiment hâte de les redécouvrir dans cette version féminine et féministe, d’autant qu’elle intègre dans sa distribution Marion Preïté, découverte dans Comédiens en décembre dernier, et que j’ai bien l’intention de suivre dans toutes ses aventures musicales !

Le précédent spectacle chantait la lutte contre l’homophobie, le nouveau chante le féminisme. Et il y a de quoi faire ! De la charge mentale à l’endométriose, des injonctions à la féminité aux violences conjugales, du passage obligé chez l’esthéticienne au consentement, il y a de quoi faire sur le sujet. Il peut se prêter autant à la chanson légère qu’au moment d’émotion et permettent aux Funambules de s’exprimer sur une large palette… pour notre plus grand bonheur !

J’ai pris un grand plaisir à retrouver Stephane Corbin et cette patte musicale qui lui est propre, à retrouver les Funambules et ces chansons à histoires qui invitent tout le monde avec elles. C’est un spectacle parfaitement équilibré, qui s’autorise toutes les ambiances, tous les sujets, qui sait manier l’humour et l’auto-dérision autant que le pathos et les larmes, sans jamais tirer, sans jamais tomber dans les extrêmes, juste à travers le don absolu des interprètes sur scène. Il y a telle ambiance sur le plateau, une telle harmonie, une telle ferveur, qu’en vérité, on n’a qu’une envie : les rejoindre !

Ce n’est jamais vraiment évident d’écrire sur un spectacle pareil. C’est un moment à vivre. Le rapport scène-salle de l’Essaïon est assez unique, et porte complètement le moment. Quand elles chantent et dansent à moins d’un mètre de vous, il y a une connexion particulière qui se crée, quelque chose de presque intime. C’est un grand petit spectacle, généreux, enthousiasmant, engagé, et plein d’espoir. C’est fait simplement, « entre nous », et pourtant la nécessité est là, prégnante, comme un personnage invité au spectacle.

Les Funambules – Elles – Théâtre de l’Essaïon
6 Rue Pierre au Lard, 75004 Paris
Avec partir de 16,20 €
Réservez sur BAM Ticket !

Une (Ni)touche un peu lourde

0x1200x17592-or.jpg

Critique de Mam’zelle Nitouche de Hervé, Henri Meilhac et Albert Millaud, vue le 7 juin 2019 au Théâtre Marigny
Avec Lara Neumann, Olivier Py, Damien Bigourdan, Miss Knife, Samy Camps, Eddie Chignara, Sandrine Sutter, Antoine Philippot, Clémentine Bourgoin, Ivanka Moizan, Pierre Lebon, David Ghilardi, et Piero dans une mise en scène de Pierre-André Weitz

J’étais ravie que Mam’zelle Nitouche soit au programme de cette première année de réouverture du Théâtre Marigny : cela me donnait une très bonne raison de venir découvrir la nouvelle salle. Attirée par les noms de Lara Neumann mais également d’Olivier Py et de Miss Knife, très emballée à l’idée de découvrir une nouvelle opérette, plutôt confiante dans le choix de Jean-Luc Choplin, je n’ai pas hésité longtemps. Mais au sortir de la salle, l’enthousiasme attendu n’est pas vraiment au rendez-vous.

La pièce s’ouvre au couvent des Hirondelles où l’organiste Célestin mène une double vie : la nuit, il se transforme en compositeur d’opérettes et se fait connaître sous le nom de Floridor. Denise, l’une de ses élèves, découvre le pot aux roses et se retrouve embarquée dans une histoire rocambolesque qui l’amène à remplacer au pied levé l’une des comédiennes du spectacle de Floridor, elle aussi sous un nom d’emprunt : Mam’zelle Nitouche. C’est également sous ce masque qu’elle fera connaissance de son futur époux – ignorant comme lui qu’ils sont destinés à se marier – le séduira et en tombera follement amoureuse.

Elle est terriblement vieillotte, cette histoire : qui, aujourd’hui, s’intéresse encore à ces histoires de couvent ? Je doute de la pertinence de sortir cette pièce de son oubli. Et pour combler un texte sans grand intérêt, Pierre-André Weitz semble miser sur une mise en scène lourdingue avec de gros effets plutôt que de tenter de relever un peu le spectacle en y ajoutant une touche d’esprit et de finesse. Résultat : on a rapidement la tête qui tourne à voir cette tournette constamment en mouvement sans raison, comme pour occuper le spectateur et tenter de lui cacher le vide de mise en scène qui entoure les comédiens.

13953627.png

Heureusement, certains d’entre eux s’en sortent à merveille. A commencer par Olivier Py : lui qui aurait facilement pu inscrire son rôle au rang des lourderies du metteur en scène dans ses habits de nonne délurée, il est tout simplement délicieux. Son sens du comique permet de faire de ses différents personnages des incontournables du spectacle, qu’on attend lorsqu’ils ne sont pas en scène. C’est également le cas pour Lara Neumann : le rôle de Mam’zelle Nitouche lui va comme un gant. Elle a ce naturel, cette gouaille, cette voix légèrement haut perchée qui ajoute un je-ne-sais-quoi à son personnage et le rend absolument complet.

Elle donne la réplique à un Eddie Chignara tout aussi convaincant, qui campe un général certes au bord de la caricature mais attachant malgré tout. En revanche, je ne pourrais dire de même pour Damien Bigourdan, qui subit probablement un problème de direction d’acteur et dont le personnage se retrouve bien fade, une sorte de sot sans intérêt, et qui fait pâle figure face à ses camarades.

Un spectacle qui tient grâce à ses comédiens mais qui déçoit dans son ensemble.

mamzelle-nitouche-2-jef-rabillon-angers-nantes-opera-1030x687.jpg

Varupenne et Pouderoux ne nous mettent pas l’eau à la bouche

Capture d’écran 2019-05-26 à 13.38.18.png

Critique des Serge (Gainsbourg point barre), de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, vu le 25 mai 2019 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Avec Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Rebecca Marder, Yoann Gasiorowski, dans une mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux

J’étais en décalage avec le spectacle avant même qu’il ne commence : ce n’est que quelques jours avant de m’y rendre que j’ai compris le subtil jeu de mot qui composait le titre. Dans mon espoir de ne voir jouer sur scène que du Gainsbourg des débuts, et pas du Gainsbarre qui avait moins ma faveur, j’avais perçu dans le « point barre » la locution interjective signifiant qu’il n’y avait rien à ajouter : on y entendrait Gainsbourg, le seul et l’unique, et puis c’est tout. J’étais assez brave, il faut le reconnaître, mais j’aurais peut-être dû y sentir un signe.

Je suis une grande fan des cabarets du Français, et ce depuis leurs débuts : j’écoutais déjà les émissions de Philippe Meyer lorsque celui-ci a décidé de faire chanter les Comédiens Français, j’ai assisté aux premiers spectacles chantés sous sa direction, puis il a été plus ou moins écarté de ces spectacles repris progressivement par les comédiens eux-mêmes. J’avais été très emballée par L’Interlope l’année dernière, qui sortait des cabarets habituellement proposés au Français se composant d’une suite d’interprétations des textes d’un grand nom de la chanson française. Serge Bagdassarian, metteur en scène de L’Interlope, avait pensé son spectacle comme un tout et non une simple suite de chansons, avec une histoire comme fil directeur et des personnages davantage dessinés. Il avait réussi à insuffler une âme, créer une atmosphère, proposer au public quelque chose d’assez surprenant, à la fois gai et mélancolique. C’était brillant.

On sent venir un « mais… » à des kilomètres, le voici : je suis beaucoup moins séduite par Les Serge que j’aurais souhaité l’être. Le modèle diffère de ce qui pouvait exister les années précédentes : Serge Bagdassarian avait déjà créé quelque chose de différent, ils tentent encore une autre formule, plus proche du concert cette fois-ci. Seulement voilà : ce que je venais chercher dans les formes musicales proposées au Français, c’était avant tout une interprétation, car ces comédiens exceptionnels vivaient leur chanson différemment, si ce n’est davantage, que leur interprète originel. On avait là une véritable valeur ajoutée, qui permettait de compenser sans problème une absence de technique vocale.

Capture d’écran 2019-05-26 à 14.25.28.png

© Vincent Pontet

Ici, ils ont choisi de créer un concert autour de Gainsbourg. Je vois dans cette idée deux problèmes majeurs qui, à mon avis, sont la source de ma déception. Le premier, c’est qu’ils se sont organisés entre instrumentistes de la Troupe : là où, d’habitude, ils étaient accompagnés par des musiciens, ici, ce sont eux qui font tout. Alors certes, ils ont dû absolument s’éclater à le faire, et c’est avec plaisir – et admiration ! – qu’on découvre les comédiens qu’on connaît capables de passer aisément du trombone à la guitare, de la guitare au piano, du piano à la basse. Mais d’un point de vue purement musical, je ne vois pas forcément l’intérêt de préférer ce concert à une écoute chez soi, si ce n’est peut-être pour la modernité de certaines adaptations.

Le deuxième, c’est le choix de Gainsbourg. Il se heurte directement à ce qui constituait, selon moi, la plus-value des cabarets du Français : l’interprétation. Car les chansons de Gainsbourg, contrairement à celles de Brassens, de Boris Vian, ou de Barbara, sont bien moins narratives ; qu’apportent alors les Comédiens-Français dans leur interprétation ? Pas grand chose – au contraire, les comédiens ayant été choisis pour leurs qualités de musiciens, ils ne sont pas toujours assurés vocalement et peinent à apporter à Gainsbourg ce que lui seul mettait dans ses chansons, et qui constituait un vrai travail de funambule : étrange, parfois titubant mais toujours abouti. S’il est vrai que Gainsbourg est loin d’être mon artiste préféré, je précise quand même que je connais plutôt bien son oeuvre – j’étais même assez contente que Black Trombone et Comme un boomerang, parmi mes chansons préférées, figurent au programme. Deux interprétations qui, finalement, ne me laisseront rien.

Seule Rebecca Marder tire vocalement son épingle du jeu – j’aurais probablement abondé davantage en compliments si le choix de la comédienne n’avait pas été présenté de manière si hypocrite. Dans le programme, on peut en effet lire que « Si Rebecca est la seule fille, c’est un choix purement pragmatique car elle est la seule comédienne instrumentiste de la Troupe. » Moi-même pianiste, j’ai observé Rebecca Marder pendant tout le spectacle : elle se retrouve deux fois au clavier, les mains mal positionnées, jouant mains gauche et droite toujours séparément. Le plus dur qui lui est demandé, c’est probablement ses trois accords à la main droite qu’elle joue avec deux doigts différents. C’est faire injure aux autres comédiennes de la Troupe que sous-entendre qu’elles n’auraient pu effectuer la même prouesse artistique. La prochaine fois, il faudra assumer le choix d’une comédienne jeune et jolie.

Enfin, le troisième problème vient du fait qu’ils n’ont pas su trouver un biais intéressant pour sortir du format de cabaret habituel. Comme pour justifier leur concert, les chansons sont entrecoupées d’extraits d’interviews de Gainsbourg avec ses folies, ses manières, ses bons mots. Ça aurait pu être intéressant mais cela casse le rythme du spectacle et, à la longue, finit par ennuyer. Ce qui en ressort, c’est un spectacle qui manque d’âme, qui ne réussit pas à créer l’atmosphère qu’il souhaiterait – l’alcool, les cigarettes et les repettos blanches ne suffisent pas à reproduire cette ambiance particulière – et qui apparaît finalement comme un peu fade. On lui reconnaîtra malgré tout une très jolie fin, qui reprend une « phrase-refrain », certes un peu artificielle mais qui a le mérite d’exister et d’articuler le spectacle, qui clôt agréablement le spectacle.

Ils étaient in ; les voici un peu out 

Capture d’écran 2019-05-26 à 14.25.58.png

© Vincent Pontet

Un spectacle qui lui ressemble

sd-20180616-013542

Critique d’Un soir avec Montand, de Pierre Cassignard, vu le 11 septembre 2018 au Théâtre Rutebeuf
Avec Pierre Cassignard, accompagné au piano par Eric Ballet

Quand j’ai appris que Pierre Cassignard montait un spectacle sur Montand, je n’étais pas forcément hyper emballée : passer après le superbe Ivo Livi risquait de lui porter préjudice. Surtout depuis mon point de vue : tout ce que je connais d’Yves Montand, ou presque, c’est ce spectacle qui me l’a appris. Et si j’ai un peu grincé des dents pendant les premières secondes a cappella qui ouvrent le spectacle, je me suis vite détendue : la proposition de Pierre Cassignard, sans effacer mon souvenir, prend sa propre direction pour signer un spectacle touchant et réussi.

Touchant d’abord parce que même s’il ne nous prévenait pas, au cours du spectacle, que chanter Montand est un rêve de gosse, on le saurait rien qu’à le regarder. Il respire l’émotion de toucher à un monument qu’il admire, et il reprend ses chansons avec un respect, une bienveillance et un amour qui ne peuvent qu’ajouter une dimension supplémentaire à l’interprétation de ses textes. Ce n’est plus seulement un comédien qui s’est mis à chanter ; c’est un gamin qui prend son pied, c’est un admirateur qui remercie son idole, c’est un copain venu partager ce moment avec nous.

Alors oui, on pardonne quelques notes perdues, parce qu’il nous embarque dans cet univers de music-hall dont on ne revient pas. Il faut dire qu’il en jette devant son micro sur pied, alliant aux chansons son art de comédien pour nous les faire vivre pleinement. Je ne l’attendais pas dans ce registre, et pourtant je m’interroge : pourquoi ne porte-t-il pas de réelles chaussures de claquettes, lui qui n’hésite pas à esquisser quelques pas très réussis entre deux tours de chants ? On sent encore quelques problèmes de rythme, peut-être un comédien encore en doute sur la pertinence de jouer ce spectacle là, maintenant, mais il n’est plus l’heure de douter. La matière, la nécessité, l’amour et le brin de folie sont là. Ne manque plus que la confiance.

Pierre Cassignard dit qu’il vivait lui-même les interprétations de Montand « comme des petits films » – la référence me manque pour approuver ou non cette assertion, mais il est clair que c’est ce que lui nous propose. Il ne chante pas ses morceaux, il les incarne. On voit ainsi se succéder sur scène un certain monsieur Ducon, une Marie-Vison qui roule sa bosse, un cowboy du far west ou encore un Sir Godfrey d’un style des plus anglais. Et dans la salle, quelque chose se passe. Car soudain, pour la dernière chanson, sans que personne ne se soit concerté, sans appel de la scène, toute la salle murmure Les feuilles mortes pour accompagner le comédien. Une connexion s’est établie.

Grâce à lui, le public se souvient d’la chansonnette ! ♥  

#OFF18 – Chat Noir

spectacle_21384

Critique de Chat Noir ! de Etienne Luneau et Joseph Robinne, vu le 20 juillet 2018 aux 3 Soleils
Avec Jean Barlerin, Clément Beauvoir, Isabelle Ernoult, Clémentine Lebocey, Etienne Luneau, Joseph Robinne, Malvina Morisseau, dans une mise en scène de Etienne Luneau

J’adore le théâtre musical. J’ai été plutôt très bien servie durant ce OFF, entre Lucienne et les garçons et Moi aussi je suis Barbara. Mais je n’avais pas assisté à ces spectacles en me disant « j’aimerais voir un musical ». Non, cette réflexion-là fut réservée à Chat Noir ! alors que je finissais mon planning : l’image m’a immédiatement sautée aux yeux. Ce Chat Noir, même si pour moi c’est plutôt un savon ou la devanture d’une boutique de Montmartre, m’inspirait confiance.

Et c’est bien à Montmartre qu’on se retrouve, dans ce joyeux cabaret de la butte qui accueillait poètes et chansonniers à la fin du XIXe siècle. Dans ce cabaret, on boit – beaucoup – on chante – pas mal – on danse – un peu. Et on vit le Paris de la Belle Époque à toute allure, même si on oublie parfois de payer les serveuses : on est là pour profiter et l’ambiance délurée et créatrice.

Si je n’avais pas la référence du Chat Noir, j’avais en revanche pas mal des références musicales que l’on peut retrouver dans ce spectacle : Les Oiseaux de Passage, Nini peau d’chien, La Femme du Roulier… j’ai aimé retrouver ces chansons avec d’autres instrumentalisations, et presque, il est vrai, comme chantées sous une autre époque. C’est une transposition très bien rendue par la troupe. Et puis, c’est toujours chouette de reprendre en choeur, tout le public suivant, des chansons presque oubliées.

Cependant, j’ai été plutôt déçue par l’interprétation en elle-même : si les comédiens sont présentés comme chanteurs et danseurs dans le programme du OFF, je doute que ce soit lié à une vraie formation. Malgré un très bon placement, j’ai eu du mal à les entendre par-dessus les instruments (il faut dire que les comédiens ne sont pas sonorisés, mais cela aurait peut-être été nécessaire ici), je n’ai pas trouvé qu’il avaient de si belles voix, et surtout la danse était absolument absente du spectacle. Une pointe de publicité mensongère qui m’a laissée sur ma faim.

J’aurais aimé me laisser davantage embarquer dans ce Paris-là. 

#OFF18 – Moi aussi je suis Barbara

spectacle_21377

Critique de Moi aussi je suis Barbara, de Pierre Notte, vu le 19 juillet 2018 au Petit-Louvre
Avec Pauline Chagne, Chantal Trichet, Vanessa Cailhol, Augustin Bouchacourt, et Clément Walker-Very au piano, dans une mise en scène de Jean-Charles Moureaux 

Voilà une affiche que je trouve très réussie. Parce qu’elle est intrigante, et parce qu’on m’avait dit beaucoup de bien de Moi aussi je suis Catherine Deneuve, j’ai décidé de réserver pour ce nouveau spectacle de Pierre Notte. Je sais pourtant bien que Pierre Notte est capable du pire comme du meilleur. Mais sachant que j’allais découvrir un autre de ses spectacles dans le OFF, cela augmentait mes chances de découvrir une pépite !

Tout commençait presque normalement. Je dis bien presque, car dès le début, l’un des personnages, couvert de cicatrices, est sous la table. On est dans la cuisine familiale et les ennuis arrivent : avec une mère débordée par une fille qui passe son temps à se scarifier et un fils à la recherche du pistolet de son père pour se tirer une balle dans la tête, on comprend que la troisième fille de la famille pète un plomb et se prenne soudain pour Barbara.

Je suis surprise car on m’avait dit que, malgré le titre, le spectacle ne parlait pas de Barbara. Je m’attendais donc à un spectacle qui n’empruntait à la chanteuse que son nom. Mais c’est peut-être exagéré de prétendre que le spectacle ne tourne pas autour d’elle puisque le personnage principal prend son apparence, et même jusqu’à sa voix ! Les scènes sont d’ailleurs ponctuées de chansons de Barbara ! Je me demande comment cela se passait pour Moi aussi je suis Catherine Deneuve

A mon sens, il n’y a pas de quoi crier au génie devant le texte. On sent certains « trucs » pour faire rire, d’ailleurs déjà repérés dans d’autres spectacles du OFF, comme le fait que tout le monde corrige les fautes de français de la mère. Ça n’ajoute rien ; au contraire ça banalise le tout. Malgré tout on ne s’ennuie pas, c’est vrai, mais on le doit plus aux acteurs qu’à la partition un peu débordante (voire débordée ?).

Car il faut bien reconnaître que les acteurs sont excellents. Chantal Trichet a des allures de Catherine Hiegel et campe une mère au bout du rouleau, prête à exploser à tout instant, provoquant souvent le rire par des ruptures de rythme très réussies avec Pauline Chagne, alias Barbara. On ne peut que s’incliner devant cette transformation très réussie, jusque dans les chansons, touchantes, et devant ce personnage attachant malgré tout. Bravo également à Vanessa Cailhol, au regard lunaire, dont les rares parties chantées sont des moments de grâce. Augustin Bouchacourt, enfin, dans un style bien plus neutre que la gente féminine, vient compléter le quatuor avec brio.

Aux fans de Barbara, et même aux autres, voilà un bon divertissement.  ♥

#OFF18 – Lucienne et les garçons

spectacle_21376

Critique de Lucienne et les garçons, Opus 3, vu le 18 juillet 2018 au Théâtre du Girasole
Avec Lara Neumann, Flannan Obé, Emmanuel Touchard, dans une chorégraphie de Jacques Vidal et une scénographie de Pierre Lebon

Quand j’avais une petite dizaine d’années, mes parents nous ont emmenées, ma soeur et moi, voir ce petit cabaret qui s’était installé à l’Essaïon. Même si, à l’époque, je n’avais pas dû comprendre grand chose – je vous expliquerai pourquoi – j’avais adoré. J’ai acheté le CD, je connais toutes les chansons par coeur, bref, je suis assez fan. Quelle ne fut pas ma surprise alors de retrouver Flannan Obé et Lara Neumann récemment dans l’Opéraporno de Pierre Guillois, mais surtout dans le programme du OFF 2018 ! J’attendais avec impatience ma Madeleine de Proust et je suis ravie de voir qu’avec les années, mon amour pour ce spectacle ne s’est pas terni !

Bon, j’ai donc raté l’Opus 2. Mais j’ai quand même l’impression que rien n’a changé. Certes, le spectacle tourne un peu autour du thème « il faut se renouveler », « on est vieux », « on nous attend dans de nouveaux répertoires ». Mais c’est toujours la même énergie, la même complicité, le même plaisir d’être sur scène et de partager ces chansons du répertoire français avec curieux et connaisseurs !

En un mot : ils sont formidables. On les aime quand ils chantent leurs chansons poétriques, on aime deviner le bout du texte qui sera censuré, on les aime lorsqu’ils se chamaillent, on les aime lorsqu’ils dansent à la manière du Music-Hall et jouent avec leur public. Attention : si leurs chansons sont parfois un peu canailles, on est aux antipodes de la vulgarité ! Tout est dit avec finesse, les trois compères manient le second degré avec brio et, en plus d’être des musiciens et chanteurs de talents, ils sont de véritables comédiens. Ce spectacle ne manque de rien : c’est une perfection.

C’est dur pour moi de voir un spectacle le soir, car il vient souvent après 5 autres spectacles et plusieurs jours de Festival dans les jambes : j’ai toujours peur que la fatigue prenne le dessus. Ici, pas d’inquiétude ! Leur énergie est communicative et vous en sortirez revigorés, prêts à chanter et à danser jusqu’au bout de la nuit. Pour les plus anciens, vous aurez plaisir à retrouver de grands classiques, « Ouvre la fenêtre » ou encore « La femme est faite pour l’homme ». Et pour les nouveaux, ne manquez pas de découvrir ce trio épatant qui viendra ensoleiller votre fin de journée.

Un must see. ♥ ♥ ♥

Chantons sous la verrière

affiche-singinintherain-prog_0

Critique de Singin’ in the rain, dans un scénario de Betty Comden et Adolph Green, vu le 26 novembre 2017 au Grand Palais
Avec Dan Burton, Daniel Crossley, Monique Young, Emma Kate Nelson, Robert Dauney, Jennie Dale, Matthew Gonder, Matthew jeans, Michelle Bishop, Charlie Allen, Gabby Antrobus, Lottie Ball, Michelle Bishop, Jessica Buckby, Hannah-Faith Mar-ram, Molly-May Gardiner, Camille Mesnard, Alice Mogg, Annabel O’Rourke, Jo Morris, Emma Scherer, Tom Bales, Matthew Cheney, Roger Dipper, Jacob Maynard, Gary Murphy, Cris Penfold, Alastair Postlewhaite, Edouard Thiébaut, dans une mise en scène de Robert Carsen

Je préfère prévenir directement : je ne suis pas une spécialiste des comédies musicales. J’aimerais en voir plus car chaque spectacle que j’ai vu m’a ravie, et à l’annonce du retour de Singin’ in the rain, j’était plus que tentée : malgré mon manque de culture sur le sujet, cela reste un grand classique et l’un de mes films préférés. J’ai eu la chance de participer à la générale, et je dois dire que je suis absolument comblée. Pour ceux dont le film doesn’t ring any bell, je rappelle simplement qu’il s’agit d’une histoire autour du passage du cinéma muet au cinéma parlant, incorporant des chansons cultissimes et de belles performances dansées, le tout dans un univers coloré et revigorant (avec l’irrésistible Gene Kelly !).

Singin’ in the rain a quelque chose des comédies musicales de Broadway, et pourtant c’est un spectacle de chez nous : en effet, nous devons cette belle production au Théâtre du Châtelet qui, pour la reprise du spectacle, et comme le théâtre est en travaux, a fait le pari d’investir le Grand Palais. Pari réussi ! Pour l’occasion, ils ont vu les choses en grand : le Grand Palais s’est habillé de parapluies et de lampadaires, et ce pour notre plus grand bonheur. En effet, ce n’est pas seulement un spectacle qu’ils proposent, mais bien une immersion totale dans l’univers de Singin’ : les spectateurs sont invités à arriver deux heures avant le début du spectacle pour profiter d’un stand photo, du karaoké, d’un stand maquillage, ou d’un cours de claquettes (fortement conseillé, c’est un vrai bonheur !).
image.png
Une réussite totale. Je vais manquer de mots et de superlatifs, et après tout une phrase suffirait : chers amoureux du film, vous ne serez pas déçus. C’est une production entièrement fidèle à l’âme de l’oeuvre de Gene Kelly et Stanley Donen. J’étais assez curieuse de savoir comment ils allaient transposer certaines scènes, mais tout se fait de manière très fluide et respectueuse du cadre de départ : les alternances de scène et de film fonctionnent très bien, et l’utilisation d’une projection « miroir » pour figurer alternativement l’avant et l’arrière du rideau, élément clé de l’histoire, est à la fois simple et brillante.

J’ai pris un grand plaisir à retrouver mes passages préférés sur la scène, tout aussi vivant, tout aussi pétillants, tout aussi entraînants. J’ai mis un peu de temps à accepter Daniel Crossley, qui incarne Cosmo Brown, pour la raison un peu idiote qu’il ne ressemble pas, physiquement, à Donald O’Connor qui l’incarne – avec brio – dans le film. Ici, si Daniel Crossley joue moins sur les grimaces – de manière générale, il est moins clown et peut-être plus humain. C’est une incarnation différente mais ce personnage reste très attachant, et j’ai fini par me laisser emporter par ce Cosmo un peu moins lunaire mais tout aussi éclatant. Comment ne pas être convaincu devant son merveilleux numéro de claquette, aux côtés de Don Lockwood et de son professeur de diction, lors du fameux Moses supposes his toeses are roses but Moses supposes erroneously ?

14 - Don Lockwood (Dan Burton), Cosmo Brown (Daniel Crossley) et Kathy Selden (Monique Young)(c)Vincent Pontet.jpg

Ha ! Les claquettes ! Parlons-en ! Je suis totalement sous le charme des performances de claquettes et je reste un peu sur ma faim car j’en aurais voulu encore plus ! Il m’a manqué le numéro accompagnant la chanson phare du spectacle – mais j’ai bien compris que si le plateau était mouillé, ça devenait difficile de faire sonner les morceaux de métal fixés sur les chaussures. Sur les autres numéros, on retrouve à la fois la classe incomparable de cet art et une certaine grâce sur les danses : j’ai même cru que les comédiens, et particulièrement Dan Burton qui incarne Don Lockwood, avaient une formation classique…

Sur les différences avec le film, je souligne aussi la voix de l’actrice incarnant Kathy Selden, qui n’est pas aussi caressante que celle de Debbie Reynolds (dont j’ai appris qu’elle était doublée dans le film d’ailleurs, par Betty Noyes, merci Ronan pour l’info !). Ceci étant dit, le décalage entre sa voix et celle de Lina Lamont fonctionne bien, et chapeau bas pour Emma Kate Nelson qui parvient à servir malgré tout une belle prouesse vocale dans une chanson que je ne connaissais pas, et qui lui offre un beau moment !

Vous l’aurez compris : cette production est un régal. Pas d’inquiétude pour la transcription, on voit très bien des 2400 places installées pour l’occasion dans le Grand Palais. D’ailleurs, pour moi qui ne suis pas non plus bilingue, j’ai eu très peu besoin de lire les surtitres car non seulement le texte est très compréhensible, mais la sonorisation est de qualité. Ce spectacle a vraiment quelque chose d’impressionnant, avec ses lumières recherchées et ses nombreux décors, mais il n’est jamais pompeux, et c’est dans l’euphorie la plus totale qu’on retrouve l’âme simple, intelligente et distrayante, du chef-d’oeuvre que nous connaissons tous.

Foncez. ♥  

21 - Singin_ in the Rain (c)Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert.JPG

Diable en poche

AFF-HISTOIRE-DU-SOLDAT

Critique de l’Histoire du Soldat, de Ramuz et Stravinsky, vue le 26 mai 2017 au Théâtre de Poche
Avec Claude Aufaure, Licinio Da Silva, Fabian Wolfrom, Aurélie Loussouarn, Olivier Dejours / Loïc Olivier, Thomas Cardineau / Mélanie Ravaux / Cécile Subirana, Léonard Lepissier / Audrey Lucas, Seung-Hwan Lee / Hélène Richard, Blandine Delangle / Adrien Goldschmidt, Florent Farnier / Luce Perret / Victor Rosi, Valentin Moulin / Lucas Ounissi / Geoffray Proye, Quentin Broyart / Hugo Chassaniol, dans une mise en scène de Stephan Druet

Quel plaisir de retrouver ce petit théâtre de Poche que je n’avais pas visité depuis novembre dernier ! En cette jolie fin de mai, c’est bien en avance que je me rends dans la cour du théâtre. Je croise alors un charmant garçon – la soirée s’annonçait agréable. Vous devinerez mon ravissement lorsque je me suis rendue compte quelques instants plus tard que le charmant garçon en question se trouvait être le soldat dont l’histoire nous était contée, et qu’il avait plus d’une corde à son arc puisqu’il s’est avéré, comme le reste de la distribution, tout à fait à sa place sur scène.

L’Histoire du soldat est une fable mettant en scène un lecteur, qui prend les traits du narrateur de l’histoire, qui vient conter l’histoire survenue entre Le Soldat et Le Diable. Le Soldat a en effet vendu son âme au Diable un jour qu’il l’avait croisé sur la route, en lui échangeant son violon contre un livre. Trop heureux, le Diable propose au jeune homme de s’arrêter un instant chez lui, ce qu’il accepte, mais les 3 jours qu’il pensait passer en sa compagnie sont en réalité 3 ans. Ignoré de tous à son retour au village, le Soldat se sert alors du livre magique pour devenir immensément riche, mais il se rendra vite compte que ce n’est pas dans la richesse que se trouve le bonheur…

Ma réflexion au sortir de la salle fut la suivante : je crois que si je n’avais pas su que la pièce était suisse, j’aurais pu le deviner tant elle était rythmée à la manière de leurs montres bien-aimée. Mais ce n’est pas son seul côté exotique : je trouve par exemple qu’outre l’aspect envoûtant qu’on peut directement lier à la forme « conte », cette pièce prend son temps, mais sans se regarder le nombril, bien plutôt avec une certaine élégance. C’est un petit bijou dans son style : les alternances entre les parties jouées et les parties musicales sont très bien coordonnées et tout à fait complémentaires. En effet, malgré mon appréhension à l’idée de me retrouver à écouter du Stravinsky toute la soirée, je dois bien reconnaître que les morceaux reflètent bien la tonalité du conte qui nous est joué.

Les comédiens portent cette étrange pièce avec brio, secondés par des lumières édifiant aisément les différentes atmosphères du spectacle : c’est pour le captivant Claude Aufaure que j’ai réservé pour ce spectacle, et bien évidemment c’est une nouvelle réussite pour l’acteur qui, de sa voix enveloppante, nous conte cette histoire en faisant monter chez nous un intérêt grandissant. A ses côtés, le charmant jeune homme de la cour du Poche, Fabian Wolfrom, est un Soldat naïf avec un enthousiasme juvénile parfaitement dosé. Licinio Da Silva, enfin, a trouvé la composition parfaite pour son diable piquant, espiègle et frétillant, sans jamais tomber dans la caricature.

Une merveille du genre. ♥ ♥ 

Histoire du Soldat - Ramuz et Stravinsky - Druet - Theatre de Poche Montparnasse

La Comédie-Française sort le Grand Jeu

regle3

Critique de La Règle du Jeu, d’après Renoir, vue le 10 février à la Comédie-Française
Avec Cécile Brune, Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Alain Lenglet, Jérôme Pouly, Laurent Natrella, Elsa Lepoivre, Christian Gonon, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Gilles David, Suliane Brahim, Jérémy Lopez, Danièle Lebrun, Jennifer Decker, Elliot Jenicot, Laurent Lafitte, Benjamin Lavernhe, Claire de La Rüe du Can, Didier Sandre, Rebecca Marder, Pauline Clément, Dominique Blanc, et Julien Frison, dans une mise en scène de Christiane Jatahy

Bon. Mettons-nous au point dès la première ligne de cet article : je n’ai encore jamais vu La Règle du Jeu de Renoir et ne prétends à aucun moment en faire une critique. Ici, je vais essayer de poser des mots sur une expérience unique et indescriptible, de rationaliser l’extravagance, de décrire l’impensable. Vous ne saurez pas tant que vous n’y serez pas. Mais je vais essayer. C’est vrai, je n’ai pas vu le film d’où est tiré le spectacle et je m’en moque. Parce que j’ai décidé de manière totalement imprévue de m’y rendre, m’empêchant de préparer ma soirée. Et parce que cette improvisation totale est en accord avec l’atmosphère qui règne dans la salle, je vous avouerai que je m’en fous.

Bien que la pièce soit assez déconstruite, on comprend facilement le propos et à aucun moment on ne se trouve perdu : Robert de la Chesnaye, riche bourgeois, invite de nombreux amis à fêter le retour de André Jurieux parmi eux, après qu’il a sauvé de nombreux migrants en Méditerranée. Si la relation entre André et Christine, la femme de Robert, semble ambiguë, il en va de même pour celle qui lie Robert à Geneviève, une autre invitée. Le monde de la transfiguration s’ouvre alors aux convives : Robert organise une grande fête, imposant à ses invités de se déguiser, de chanter, de danser et de s’amuser. Un spectacle en apparence explosif et joyeux mais dont l’implosion à retardement nous agresse petit à petit.

Pour nous présenter son adaptation, Christiane Jatahy a imaginé un dispositif encore jamais mis en oeuvre dans la Salle Richelieu : les spectateurs vont devenir acteurs de sa propre pièce. L’idée est de nous intégrer au mieux à l’histoire, au décor, au casting. Et pour cela, toutes les barrières sont levées : la notion de 4e mur n’existe plus. Les acteurs jouent dans la salle, avec le public, armés de caméra et jonglant entre théâtre et cinéma. Cela peut choquer au premier abord, mais pourtant dès que le film initial s’installe, plus aucun doute n’est possible : la précision des prises, son timing impeccable, les gestes millimétrés, presque insondables, et qui pourtant transpercent l’écran comme s’ils avaient été hurlés, annoncent la teneur du spectacle qui va suivre. Très vite, on oublie que l’on est au théâtre et qu’on regarde l’écran : lorsque les premiers invités arrivent, j’étais étonnée de ne pas voir une trentaine de convives s’installer sur scène. J’avais oublié la distribution.

J’ai été prise dans la fête, de manière très subtile : ça paraît immédiat et pourtant la transition est là. Lentement, on passe du film initial à la salle, et on se retrouve alors intégré au scénario. Si les premières minutes sont malaisantes, avec cette chasse à courre où les gibiers sont les femmes conviées à la soirée, on se retrouve très vite projeté en plein milieu de la soirée. Et, alors que le malaise était là l’instant d’avant, on est soudainement en train de chanter avec les invités, les bras levés, conquis. Nous sommes comme les autres convives, à rire, à chanter, danser et boire. La fête bat son plein, mais ce n’est qu’une apparence et toute la suite cherchera à nous le montrer. Les scènes finales, où un calme presque inquiétant règne sur le plateau, sont plus cruelles, de par le contraste qu’elle présentent avec ce qui a précédé mais également par l’absurdité des réactions qu’elles proposent : Robert, venant d’apprendre qu’il est trompé, entre dans la salle de fête soudainement désertée à la manière d’un paysage de guerre, le filmant de manière dérisoire et presque triste. L’expérience spectateur proposée lors de ce spectacle est unique : loin de ressentir depuis notre fauteuil l’émotion qui se dégage du plateau, il s’agit ici de vivre, et de vivre pleinement l’action, de prendre part à l’histoire. Suivez mon conseil : sortez de votre zone de confort, oubliez le cadre, lâchez-vous, et il ne s’agira alors plus simplement d’éprouver, mais de consommer à pleines dents cette proposition unique, extravagante, exceptionnelle.

regle1.png

J’ai trouvé le spectacle très porté sur la distinction entre l’être et le paraître, d’une cruauté sans pareille. Certes, on est gai et on chante tous ensemble l’espace d’un instant suspendu. Mais l’instant d’après, notre hôte change du tout au tout. Il aperçoit sa femme qui le trompe et son regard trahit ses pensées. Jamais je n’ai vu pareille colère, pareille tristesse, transparaître ainsi, aussi soudainement, à travers un regard. Un peu malsain, un peu satanique, il est un maître de cérémonie étrange, dérangeant, à l’hospitalité inhabituelle. On connaît l’ampleur du talent de Jérémy Lopez, et une fois encore il parvient à nous surprendre : son effet réside en ce qu’à aucun moment il ne va tricher. Il ne joue pas, c’est à peine s’il incarne ; il est. C’est le même homme qui joue avec son public, le regarde droit dans les yeux et lui lance des punchline, et qui l’instant d’après sera déchiré et trahi par sa femme. Ce sont les mêmes yeux, les mêmes émotions, le même regard. Et la puissance de ce regard réside bien plus en la sensibilité et l’implication de l’homme qu’en la technique de l’acteur.

Tout nous rappelle le fossé qui sépare le monde de la figuration de celui du sentiment vrai. D’abord, par le personnage de Serge Bagdassarian : je sens bien que je me répète, mais il fait partie de nos Grands du Français et sa présence sur ce plateau s’avère absolument incontournable : à travers ses reprises de Paroles, paroles et Non ho l’eta, il souligne à lui seul le côté désabusé et parfois malheureux de telles soirées. Malgré leur présence, ils ne parviennent pas à être ensemble, et cette désillusion présente tout au long du spectacle laisse un goût amer chez le spectateur. On semble s’amuser et pourtant quelque chose dérange. Jérôme Pouly, déchirant lors des scènes finales, emprunte à l’Octave et au Coelio de Musset, et au Cyrano de Rostand. Désenchanté, il met des mots durs sur ce qu’il vient de vivre, et laisse la place à un Laurent Lafitte aux allures de héros de notre siècle.  Éric Génovèse, transformé et difficilement reconnaissable, est un Marceau séduisant ; et sa voix, inimitable et douce, qui amène une humanité évidente à son personnage, contraste avec celle de Bakary Sangaré, plus dure, qui se retrouve exclu de cette société qu’il contrôle à l’entrée. Du côté des femmes, on retrouve ce contraste entre Suliane Brahim, Christine fébrile et hors du Jeu, et Elsa Lepoivre, qui semble connaître les règles et jongler avec aussi facilement qu’avec les bouteilles d’alcool.

Ce spectacle, c’est également un travail de troupe absolument dingue. On les voit prendre un pied total, et on n’a parfois qu’une envie : se lever et les rejoindre sur scène. Le pari était risqué et fort, et si les acteurs ne faisaient que leur boulot, jamais cela ne prendrait. Ils sont au-delà de toutes limites, sur un fil si mince que la menace de tomber est présente à chaque réplique. Mais cela, on ne s’en rend compte qu’en sortant du spectacle. Faire des expériences pareilles à la Comédie-Française nécessite culot, courage, et maîtrise absolue. Il fallait oser, ils l’ont fait. Pour l’audace, pour l’enjaillement, pour l’excellence, et bien sûr pour cette soirée, merci. Je reviendrai.

Une expérience théâtrale comme je n’en avais jamais vécu. Incroyable, vivifiante, unique, paralysante. Totale. ♥ ♥ 

regle2.png