Perdue dans l’espace

© Richard Haughton

Critique de Mars 2037, de Pierre Guillois, vu le 26 janvier 2022 à la MAC de Créteil
Avec Jean-Michel Fournereau, Magali Léger, Charlotte Marquardt, Quentin Moriot, Élodie Pont, Pierre Samuel, les musiciens Matthieu Benigno, Nicolas Ducloux ou Alissa Duryée, Chloé Ducray ou Claire Galo-Place, Gabrielle Godart, Jérôme Huille ou Grégoire Korniluk, et les manipulateurs de marionnettes Lorraine Kerlo Aurégan, Émilie Poitaux ou Stéphane Le Tallec

A chaque fois que je retrouve l’univers – ou devrais-je dire les univers – de Pierre Guillois, j’ai un petit sentiment de peur qui pointe le bout de son nez. Lui qui ne s’est pas encore planté malgré toutes ses extravagances, ne cherche-t-il pas à aller trop loin, cette fois-ci ? La même crainte m’avait traversée avant Les gros patinent bien qui s’était finalement révélée une nouvelle grande réussite et m’avait un peu rassurée pour ce Mars 2037, me rappelant que je pouvais avoir pleine confiance dans ce créateur de génie. Peut-être un peu trop génial pour moi cette fois-ci.

Nous voici donc en 2037 pour accompagner le rêve fou du milliardaire De Faïa : aller sur Mars. Après avoir longuement étudié la question, il a compris qu’il fallait concevoir ce voyage comme un aller sans retour, et le voilà sur le départ. La pièce s’ouvre sur la fin du recrutement de ceux qui constitueront l’équipage qui considèrent avoir remporté le gros lot en s’envolant sur Mars. Seulement voilà : la fille du milliardaire, anéantie de voir son héritage disparaître dans les lubies de son père, va tout faire pour contrer la mission, et le rêve va prendre parfois des allures de cauchemar.

Mars 2037, c’est l’accomplissement de deux rêves de Pierre Guillois : monter une comédie-musicale, et aller dans l’espace. Il nous propose donc la première comédie-musicale spatiale donnée au théâtre. Comme tout ce qu’il crée, c’est unique en son genre, c’est du jamais-vu au théâtre, c’est barré. Sauf que là où, d’habitude, il propose une porte d’entrée claire pour entrer dans son univers – généralement le rire, mais parfois aussi l’émotion comme dans le joli Dans ton coeur – je n’ai pas trouvé la poignée à saisir pour m’engager plus avant dans ce Mars 2037.

Tout au long de la pièce, je me suis demandé si le spectacle se voulait au premier ou au dixième degré. Devant les moyens mis en oeuvre pour assurer la scénographie astronomique, j’ai finalement conclu au premier degré. Il ne va pas chercher le rire, ni même vraiment l’émotion, s’autorise parfois un peu de grotesque, et encore. Je ne comprends pas où va le spectacle, ce qu’il cherche à évoquer en nous, ce qu’il a à dire. Dans son précédent spectacle, Pierre Guillois arrivait à faire tellement de choses avec de simples bouts de carton, qu’on reste un peu sur sa faim en voyant cette multiplication de moyens, d’accessoires et d’effets retomber à plat.

Visuellement, c’est pourtant une grande réussite. Sur scène se déploient des capsules spatiales et autres corps célestes comme sortis des meilleures productions hollywoodiennes. Dans la fusée, les personnages se déplacent en apesanteur dans un rendu ultra réaliste, semblant réellement flotter quelque part au-dessus de nos têtes. On aimerait davantage se perdre dans ce petit cosmos dont l’effet aurait pu être ultra poétique s’il n’était pas régulièrement interrompu par des retours sur Terre pour retrouver la fille de notre milliardaire, sorte de méchante tout droit sortie de chez Disney qui se veut un peu burlesque, mais qui rate le contrepoint comique pour aller droit à la lourdeur. Dommage.

Mais ce qui m’a probablement empêchée d’entrer pleinement dans le spectacle, c’est la musique. Elle m’avait déjà un peu décontenancée dans Operaporno, et Pierre Guillois ayant fait appel au même compositeur, cela entraîne les mêmes effets. L’univers musical de Nicolas Ducloux me laisse de marbre, il est trop cacophonique, trop dissonant, trop peu mélodieux pour m’être agréable à l’oreille et pouvoir m’emporter. Le livret ne me convainc pas beaucoup plus, trop répétitif, et, comme le reste des dialogues, pas non plus assez barré pour nous intéresser réellement.

Rester sur le côté, ça arrive aussi quand on suit quelqu’un qui fait des paris toujours plus fous. On sera quand même là pour le prochain. ♥

© Richard Haughton

Pierre Guillois fait un carton

Critique des Gros patinent bien, de Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois, vus le 11 décembre 2021 au Théâtre du Rond-Point
Avec et mis en scène par Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois

J’ai découvert Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan dans Le gros, la vache et le mainate, il y a près de dix ans maintenant. Et depuis c’est un rendez-vous plus qu’attendu de découvrir leurs nouveaux imaginaires, leurs nouvelles lubies. Et chaque fois, j’ai un peu peur, car jusqu’ici, il ne se sont pas encore plantés. Mais quand on propose un spectacle qui se base entièrement sur des cartons, ça passe ou ça casse. Rassurez-vous : ça passe. Et ça passe avec brio, même.

En fait, ce n’est pas vraiment exact de dire que le spectacle se base entièrement sur les cartons. C’est vrai, il n’y a rien d’autre sur scène que les deux comédiens et pleeeeeeein de cartons. Mais le spectacle ne serait pas aussi dingue si les deux comédiens se contentaient de lever les cartons au bon moment. Quand on n’a que des cartons pour raconter une histoire, on n’a pas d’autre choix que donner tout ce qu’on a pour l’incarner à côté. Et tout ce qu’ils ont, c’est déjà beaucoup.

Durant plus d’une heure, ils vont mimer, à l’aide de ces cartons, donc, les aventures rocambolesque de cet américain parti d’Islande et qui va traverser l’Ecosse, l’Angleterre, la France, et l’Espagne. Tout ça, sans que le comédien qui l’incarne ne bouge de son tabouret ni ne parle une langue intelligible – rassurez-vous, grâce au talent de Olivier Martin-Salvant, on a l’impression de tout comprendre. C’est surréaliste et génial à la fois. Pierre Guillois, qui incarne l’environnement qui entoure notre protagoniste, est absolument prodigieux. Il se donne corps et âme pour donner vie à cette histoire : au son approximatif vient se greffer un visuel d’une créativité monstre qui permet à tout le monde de s’y retrouver.

Je pense que tout ce qu’il y avait à faire avec des cartons, ils le font sur cette scène. Leur inventivité sans limite provoque un rire sans limite. C’est du théâtre de tréteaux de pauvre d’une richesse infinie, c’est guignol poussé à l’extrême, ce sont des clowns des temps modernes qui cherchent leurs nez rouges. Moi qui avais peur que ce spectacle créé pour le plein air ne trouve pas sa place dans la grande salle du Rond-Point, j’étais complètement à côté de la plaque. La salle n’est qu’un grand éclat de rire durant toute la pièce.

Ce spectacle, en apparence plutôt simpliste, est probablement l’un des plus demandeurs en terme de logistique, en terme de régie, que j’ai pu voir récemment. Même dans les rares longueurs du spectacle, on peut se contenter d’admirer la prouesse technique, la démonstration de rigueur et de créativité qu’ils donnent, c’est simplement une leçon. Une incroyable leçon de théâtre. Bravo !

Toujours plus fan de ce duo. Je dirais même plus : complètement emballée. ♥ ♥♥

© Giovanni Cittadini Cesi

Pierre Guillois, bougre de barge

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Critique de Bigre, de Pierre Guillois, vu le 8 juin 2019 au Théâtre du Rond-Point
Avec Pierre Guillois, Agathe L’Huillier, Olivier Martin-Salvan, en alternance avec Éléonore Auzou-Connes, Anne Cressent, Bruno Fleury, et Jonathan Pinto-Rocha, dans une mise en scène de Pierre Guillois 

J’ai mis du temps à le voir, ce Bigre. Lorsque le spectacle a été annoncé, j’avais trop peur : le souvenir du génialissime Gros, la vache, et le mainate, lui aussi écrit par Pierre Guillois, était encore trop présent à mon esprit. J’avais peur que deux idées géniales à la suite soient une utopie. Alors j’ai attendu. J’ai finalement découvert Opéraporno, un très bon spectacle mais qui jouait peut-être trop dans la cour du Gros pour me convaincre entièrement, et, plus récemment, Dans ton coeur, une cocréation avec une troupe de cirque. C’est là que j’ai compris : il ne faut pas que j’espère revoir la même chose, il faut que je fasse confiance aux différentes facettes de Pierre Guillois. Alors j’ai finalement franchi le pas, et pris mes places pour Bigre. Un geste que je ne regrette pas.

Bigre, c’est l’histoire de trois personnages dont les appartements sont mitoyens : celui qui se trouve à jardin pourrait correspondre à ce qu’on appelle aujourd’hui un jeune cadre dynamique, fervent adorateurs des nouvelles technologies et vivant dans un monde un peu trop aseptisé pour être vraiment agréable. Au centre se plante son exact opposé : bordélique, moins porté sur la propreté, mais peut-être aussi un peu plus humain, ce grand dadais est peut-être le personnage le plus attachant des trois. Enfin, à cour, une jeune femme célibataire qui deviendra l’objet de jalousie entre les deux messieurs, mais qui sait ce qu’elle veut et ne craint pas de s’affirmer face à ces mâles en chaleur. Bigre, c’est l’histoire de trois solitudes ordinaires, ponctuées d’éclats de rires et de pleurs.

Si j’avais peur de ce Bigre c’est avant tout pour l’une de ses particularités : Bigre est annoncé comme un spectacle muet. Je ne suis pas une grande fana de spectacle visuel et c’est justement le politiquement incorrect des répliques du Gros qui m’avait comblée, alors je n’arrêtais pas de me demander : qu’est-ce que Pierre Guillois peut bien arriver à faire passer dans un spectacle muet ? La réponse est facile : tout.

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Si je dis que Bigre est annoncé comme un spectacle muet, c’est parce que je ne l’ai pas du tout ressenti ainsi. Les personnages se parlent dans leur mutisme, on les entend presque lorsqu’ils se regardent, ou lorsqu’ils nous regardent. On comprend tout sans aucune parole et c’est vraiment du grand art, on est quelque part entre le mime et le clown. Les vannes sont parfois prévisibles, constamment osées, souvent surprenantes, toujours hilarantes. Et même dans les blagues les plus puériles à base de prout, tout est fait en finesse et on rit sans aucune honte. Et quand je dis qu’on rit, c’est qu’on rit tous : dans la salle, les rires des plus jeunes se mêlent à ceux des plus vieux, et entendre le rire cristallin de cette enfant assise au premier rang ajoutait peut-être encore au charme de ce spectacle.

Le spectacle se découpe en tableaux de vie quotidienne et chacun semble plus exact encore que celui qui le précédait. C’est parce qu’il ne s’interdit rien que les créations de Pierre Guillois semblent toujours toucher au plus juste. On passe sans complexe du poétique au grotesque, de l’amour à la haine, du bonheur à la joie, de la pluie au soleil, du silence le plus total au boum-boum carrément imposant. D’ailleurs, pour ne pas laisser faiblir le rythme, Pierre Guillois fait un excellent usage de la musique, parfois simplement en fond de tableau, parfois faisant réellement partie de l’histoire – donnant lieu à mon moment préféré, quand les trois personnages se mettent à danser dans une synchronisation parfaite. Car c’est aussi ça, les spectacles de Guillois : ne jamais rien laisser au hasard. Dans ce foutrac apparent, tout est incroyablement minuté, rythmé, pensé. Et ça touche au génie.

On y court les yeux – enfin, les oreilles ! – fermés. ♥ ♥ ♥

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A corps et à coeur

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Critique de Dans ton coeur, par la compagnie Akoreacro et Pierre Guillois, vu le 23 mai 2019 à La Villette
Avec Claire Aldaya, Romain Vigier, Maxime Solé, Basile Narcy, Maxime La Sala, Antonio Segura Lizan, Craig Dagostino, Joan Ramon Graell Gabriel et les musiciens Vladimir Tserabun, Eric Delbouys, Nicolas Bachet et Johann Chauveau, dans une mise en scène de Pierre Guillois

Je n’ai pas hésité longtemps : Pierre Guillois fait partie de mes incontournables depuis que j’ai vu Le gros, la vache et le mainate il y a plus de 7 ans maintenant. Il osait tout. Il n’a pas changé. L’affiche était à la fois attirante et inquiétante : que venait faire ce metteur en scène – certes impossible à cerner, mais quand même – au milieu de circassiens ? Tout simplement la même chose que d’habitude : mettre son talent, son humanité, et sa grandeur d’esprit au service de la scène. En toute simplicité.

Quand le noir se fait, tous les acrobates et voltigeurs se précipitent sur la scène. C’est la nuit, il pleut. On reconnaît une femme pour une petite dizaine d’hommes. Elle semble prendre peur. Elle court, perd ses chaussures, oublie son parapluie. Une Cendrillon des temps modernes. On comprendra par la suite que cela joue un rôle primordial. Le spectacle s’article autour de saynètes qui se relieront par une thématique commune : le rapport entre les êtres humains. Il met tout particulièrement en lumière un couple que l’on voit évoluer dans son quotidien, avec ses hauts et ses bas, ses disputes, ses moments brutaux, parfois plus doux, plus sensuels, plus charnels. Et tout cela avec, comme outils, des corps impressionnants, une musique quasi-omniprésente, des lumières splendides et une partition orale presqu’inexistante.

Ce spectacle est absolument sublime. Il ne se contente pas d’être drôle et incroyablement réglé lorsque les acrobates deviennent quasiment des clowns et livrent, pour une partie du public, un numéro de mime absolument formidable. Il ne se contente pas d’être charmant dans ses intermèdes plus légers permettant de changer de décor de manière ludique et attrayante. Il ne se contente pas d’être touchant dans les relations qu’on devine entre chacun des personnages. Il ne se contente pas d’être intelligent dans les choix des scènes qu’il propose.

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© Richard Haughton

Ce spectacle est tout à la fois. Que ce soient des bagarres ou des scènes d’amour qui nous sont présentées en plein vol, ce sont des corps autant que des âmes qui voltigent dans ce spectacle. Quasiment muet, je suis stupéfaite qu’il me soit apparue aussi clairement – à moi, comme à toute la salle. Il y a cette scène très suggestive où un homme semble se rapprocher d’un autre homme, travesti en femme. Les scolaires présents ce soir-là pouffent au début de la scène. Et les deux corps s’envolent, simulant sans équivoque l’acte d’amour, là-haut, dans les airs – après tout ne parlons-nous pas parfois d’acrobaties sexuelles ? Alors, dans la salle, plus un bruit, ou seulement des chuchotements d’admiration. Il y a des choses comme ça qui n’appellent aucun commentaire et qui nous rassemblent tous autour d’une même émotion. Le beau, par exemple.

Tout au long du spectacle, les corps se cherchent, se courent après, s’escaladent, se portent, se collent, se lâchent. Mais rien n’est jamais gratuit. C’est un cirque qui dit quelque chose, et c’est d’une puissance émotionnelle incomparable. Ça se joue ailleurs que dans le cerveau, de ces choses qui vous retournent de l’intérieur sans que vous en compreniez tout de suite la provenance. Je n’ose imaginer la difficulté de création d’un tel spectacle, mêlant deux mondes si différents – bien que Pierre Guillois ait déjà mis un pied dans le burlesque muet. Tout le monde doit être salué : porteurs, voltigeurs, musiciens, metteur en scène. J’ai du mal à évaluer l’apport de chacun tant le résultat forme un tout évident.

J’arrive quand même à percevoir la patte de Pierre Guillois au milieu de ces acrobaties, dans la simplicité, presque la banalité des scènes proposées. Les accessoires sont des frigos, des machines à laver. Dans la cuisine, une femme s’affaire. Elle prépare le repas, elle est au téléphone. La scène sera répétée cinq, peut-être six fois. Et chaque proposition est différente. Les portés sont près du sol et pourtant ces figures ont quelque chose de spectaculaire. Tout le monde retient son souffle. Et dans mon cerveau, soudain, une lumière s’active : cette femme que je vois s’activer dans sa cuisine, qui téléphone, qui effectue un salto, qui met le micro-onde en marche, qui attend un enfant, cette femme qui fait 10 000 choses en même temps… elle me fait penser à quelqu’un, et même à plusieurs personnes. A beaucoup de femmes, en réalité.

Pierre Guillois et la compagnie Akoreacro donnent au cirque ce qui peut parfois lui manquer : une âme. ♥ ♥ ♥

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© Richard Haughton

 

 

Au coeur du (Rond)Point G

operaporno_1000_1000Critique de Opéraporno, de Pierre Guillois, vu le 21 mars 2018 au Théâtre du Rond-Point
Avec Jean-Paul Muel, Lara Neumann, Flannan Obé, et François-Michel Van Der Rest, dans une mise en scène de Pierre Guillois

Immense joie lors de la présentation de saison : on annonce le retour d’un spectacle musical de Pierre Guillois dans la veine du Gros, la vache, et le mainate. Or pour moi, ce spectacle découvert en 2012 au même Théâtre du Rond-Point est simplement un chef-d’oeuvre. Politiquement incorrect, constamment surprenant, impeccablement joué, j’avais été totalement emporté par la folie et le culot de la troupe qui livraient une prestation incroyable et prometteuse d’une superbe soirée. Place fut donc prise pour ce nouvel opus qui devait s’avérer toujours plus trash… Une très bonne soirée.

Vous ne pourrez arguer d’avoir été trompé : le nom est clair et annonce bien le thème du spectacle, et vous devez être prêt à voir des fesses dès les 5 premières minutes du spectacle. Ceci dit, je rejoins tout à fait Pierre Guillois dans ce qu’il écrit dans sa bible : « Les amateurs d’opéra trouveront que ça manque de musique et les amateurs de porno que ça manque de sexe. » Le spectacle n’est pas entièrement chanté et ne présente finalement que 5 scènes que l’on pourrait qualifier de porno, même si le sujet reste omniprésent dans le spectacle. On se retrouve au coeur du week-end campagnard d’une famille : la grand-mère, le fils remarié à une jeune femme, et le petit-fils, et tout devient excuse à une partie de jambe en l’air. Oui, vraiment tout.

Je pense que l’exercice était vraiment délicat par rapport aux fans du Gros, la vache et le mainate, dont je suis. Impossible pour moi de ne pas comparer, tant le spectacle est encore présent à mon esprit. Deux petites déceptions sont donc à souligner : la première concerne la musique. Contrairement à sa précédente opérette, les airs sont bien moins entraînants et emballent moins mon oreille. D’autre part, en annonçant clairement le thème de la pièce, on perd en surprise. Là où on était constamment étonné, ahuri, choqués dans le premier spectacle car tout n’était que surprise, ici, même si le propos semble encore plus culotté, il reste attendu, et l’effet y est donc amoindri.

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© Fabienne Rappeneau

Cependant, le pari est réussi. D’abord, si les airs ont quelque chose de moins folklorique, il, je suis aussi obligée de reconnaître qu’en recrutant Flannan Obé et Lara Neumann, Pierre Guillois réalise un coup de maître. Les deux voix résonnent très harmonieusement et leur lyrisme ajoute un décalage comique évident avec le sujet de la pièce. De plus, on retrouve quand même le Pierre Guillois tant adulé, et surtout dans les scènes parlées : l’inattendu, le côté hardcore, l’impression qu’on a atteint une limite qui rapidement sera à nouveau dépassée, sont autant de choses qui font sa spécificité et que j’ai plaisir à redécouvrir ici.

Et il faut bien avouer que son thème reste truculent et qu’on se surprend avec plaisir à conférer une forme de lubricité à tous les objets présents sur scène. J’ai été étonnée de constater que la salle, bien plus hétéroclite que je ne l’aurais imaginé, riait unanimement. C’est vraiment chouette de partager ce moment de complicité salace sans la moindre gêne ni aucune pudeur liée à l’âge. On ne voit ça qu’au Rond-Point, et je les en remercie franchement.

Là où une des grandes forces des spectacles de Guillois ne s’est en aucun cas amoindri, c’est sans nul doute dans sa distribution. Si les deux chanteurs alternent avec brio les parties chantées et parlées, les deux autres comédiens, dont la voix est sans doute moins préparée à l’exercice, ne restent pas en retrait. François-Michel Van Der Rest est éclatant dans un running gag sans fin, toujours plus dépité – et plus drôle – à chaque entrée en scène.

Et quel immense bonheur de retrouver Jean-Paul Muel dans le rôle de la grand-mère ! Le comédien ne boude pas son plaisir à incarner à nouveau ce genre de personnage et y est succulent. Chacun de ses gestes, chacune de ses mimiques, chacune de ses fins de phrase à l’accent si particulier est un véritable délice. Son discours à la fin du spectacle est dans la tonalité de la pièce : piquant, saugrenu, et drôle. Bravo.

Un spectacle… à se trouer le cul ! ♥ ♥ ♥

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© Fabienne Rappeneau

Le gros, la vache, et le mainate, Théâtre du Rond-Point

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Critique de Le gros, la vache, et le mainate, vu le 1er Mars au théâtre du Rond-Point
Avec Pierre Guillois, Olivier Martin-Salvan, Jean-Paul Muel, Luca Oldani, Pierre Vial, dans une mise en scène de Bernard Menez 

On m’avait prévenue. On m’avait prévenue que c’était spécial. Que c’était limite choquant. Qu’il fallait être très ouvert d’esprit. Que l’humour était un peu noir. Que les blagues étaient de mauvais goût. Mais on ne m’avait pas dit que ce serait aussi génial !

Une histoire abracadabrante, sans queue ni tête, un renouveau constant, une surprise tout de long ! Voilà un merveilleux spectacle. Et pourtant, question « théâtre dans le théâtre », le genre de mise en scène qu’habituellement je déteste, on est servi … C’est-à-dire que d’un bout à l’autre, pas à un moment on ne sort de ce « jeu » là. Et comme je vous ai dit, malgré tout, c’est extraordinaire.

Ce spectacle hallucinant raconte donc l’histoire d’un homme qui doit bientôt accoucher. Il est enceint et vit avec son conjoint, mais deux tantes, ne pouvant pas se supporter, arrivent pour assister à l’accouchement. Enfin bref, une histoire étrange et qui ne tient pas debout. Mais qu’importe.

C’est vrai, dit comme ça ça ne fait pas envie. N’empêche. Si j’ai été hésitante au début, en raison du mauvais goût apparent de la pièce, ce malaise a été bien vite dissipé. Dès le premier coup de théâtre, on ne doute plus à un moment de l’excellente soirée qu’on va passer. Et pourtant, le spectacle aborde des thèmes sombres, tels que la mort ou encore la vieillesse, mais avec un tel détachement qu’on ne sort ni choqué ni déprimé. C’est extrêmement bien fait, parfaitement dosé, et les rires sont au rendez-vous.

De plus, il faut tout de même avouer que la troupe est là, et amène aisément cette pièce à ses sommets. Il est clair que Bernard Menez réalise ici une prouesse considérable en tant que metteur en scène, en nous étonnant continuement. Les acteurs qu’il dirige sont tout aussi bons ; l’auteur de la pièce, qui joue également, du nom de Pierre Guillois, est aussi excellent que son partenaire, Olivier Martin-Salvan : ils forment tous deux un excellent duo, tant pour leurs chorégraphies que pour nous faire rire ! Un autre excellent duo est présent, il s’agit bien sûr de Jean-Paul Muel accompagné de Pierre Vial : ces deux grands acteurs incarnent en travesti les tantes, complètement délurées, qui sont probablement à l’origine du mot de « vache » dans le titre … Malgré certains passages que certains peuvent trouver choquant, ils sont à mourir de rire : Pierre Vial, que j’avais vu dans un rôle beaucoup plus sérieux dans un Musset, ne se ressemble pas, et on se demande quelle folie l’a poussé à incarner ce rôle. Peu importe, grâce à son immense talent et à son plaisir de la scène, il est parfait.

On passe une soirée excellente et inoubliable ! Spectacle à ne pas manquer ! ♥ ♥ ♥

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