Monna Karina

Critique de La Joconde parle enfin, de Laurent Ruquier, vue le 22 février 2024 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Karina Marimon, mise en scène par Rodolphe Sand

Quand je découvre l’affiche du spectacle il y a quelques semaines, je ressens tout de suite cette espèce d’excitation intérieure du corps qui a compris avant le cerveau. Cette comédienne sur l’affiche, je la connais, je l’ai découverte dans Big Mother il y a un an de ça et elle m’avait complètement bluffée. Là se pose une question. Entre l’affiche, le résumé du spectacle, son auteur, tout semble indiquer que ce n’est pas un spectacle pour moi. Mais cette fille m’a tellement marquée que je choisis de ne pas écouter les signaux. J’ai trop envie de la revoir. Alors j’y vais.

En attendant le début du spectacle, je n’en mène pas large. Je me demande un peu ce que je fais ici, en snob légendaire que je suis. J’ai invité ma mère, qui n’a pas vu Big Mother et qui se demande peut-être encore plus que moi ce qu’elle fait ici. Le rideau s’ouvre. Karina Marimon dit deux mots. C’est bon, je sais parfaitement pourquoi je suis ici. Karina Marimon ne m’avait pas marquée parce qu’elle était particulièrement bien dirigée dans Big Mother. Elle m’avait marquée parce qu’elle est marquante.

Deux mots ont suffi. Pour captiver la salle. Pour conquérir le public. Pour savoir qu’on allait passer une bonne soirée. Elle a l’aura d’une stand-uppeuse, la classe d’une chanteuse lyrique et la maîtrise d’une grande comédienne. C’est une artiste totale qui ajoute à tous ses talents celui d’un rapport au public complètement dingue. Qui doit plus qu’à juste un sens du rythme inné ou à une punchline bien affutée. Qui va plutôt chercher du côté d’une grande humanité. Une artiste totale, on a dit.

Bon, et Laurent Ruquier dans tout ça ? On lui doit peut-être quelques excuses. Parce que son texte tient bien la route, et même peut-être un peu plus que ça. Sa Joconde est suffisamment bien documentée pour nous apprendre des choses, suffisamment mordante aussi pour ne pas nous ennuyer. Le texte est incisif, les phrases sont courtes, le rythme est rapide, le tout est porté par une mise en scène très efficace, parvenant même à créer la surprise. L’équilibre entre les parties historiques et les anecdotes insolites voire les punchlines un peu plus gratuites se fait plutôt bien. J’avoue un petit faible pour les parties plus libres, certaines parties historiques flirtant un peu trop à mon goût avec le didactisme, heureusement toujours rattrapé par la verve inimitable de Karina Marimon. Oui, je sais, je me répète, mais que voulez-vous : elle déchire tout.

Voilà. C’était un peu l’heure du mea culpa. J’aurais pu vous faire croire qu’il me coûte. Mais je crois que ce genre de soirées, où j’arrive pleine de doutes, et qui les emporte tous avec elle, et moi avec, sont celles que je préfère. Donc mea culpa, vraiment, mais surtout merci pour cette chouette soirée.

La Joconde parle enfin – Théâtre de l’Oeuvre
75 rue de Clichy, 75009 Paris
A partir de 22 €
Réservez sur BAM Ticket !

Black Miroir

Critique de L’Effet Miroir, de Léonore Confino, vu le 18 octobre 2023 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec François Vincentelli, Caroline Anglade, Éric Laugérias et Jeanne Arènes, mis en scène par Julien Boisselier

Quand j’ai vu l’affiche, j’ai d’abord eu un petit effet de recul – je ne me suis pas encore faite à la nouvelle charte graphique de l’Oeuvre, non, même si ça fait 7 ans, que voulez-vous. Mais difficile de passer à côté d’une distribution pareille : François Vincentelli, Éric Laugérias et Jeanne Arènes, mis en scène par Julien Boisselier de surcroît ? On fonce !

On ne va pas en dire trop, car ce serait bête de gâcher la surprise. On va dire qu’il y a un dîner de couples, un romancier en mal d’inspiration, un miroir qui fait des misères à qui se regarde dedans, une raie à cuisiner pour le dîner, quelques petits secrets qui vont pointer le bout de leur nez, un personnage tout droit sorti de la Famille Adams, et pour le reste, on vous laissera savourer…

De ce que j’en connais, je ne suis pas une grande fan du théâtre de Léonore Confino. Mais après tout je ne suis pas spécialiste et devant une telle affiche, je suis prête à donner une nouvelle chance. Et heureusement ! Dès les premières minutes du spectacle, je suis happée par cette ambiance étrange qui, tout de suite, s’installe sur scène. On est dans une comédie – ou on veut nous faire croire qu’on y est – et, pourtant, quelques chose d’inhabituel plane. Moi qui me croyais partie pour une histoire somme toute très banale de dîner de couples, me voilà dans un univers qui joue avec le surréalisme. Et j’y plonge complètement.

Pour moi, c’est la grande réussite de ce spectacle. La mise en scène de Julien Boisselier a tout misé sur cette atmosphère ambivalente qui oscille de la comédie à la fantaisie macabre, et qui m’a complètement emballée. Même une fois qu’on a pénétré cette ambiance inattendue, elle sait nous surprendre encore. La pièce ne joue pas la demi-mesure, fait confiance à sa situation, et ça fonctionne, portée évidemment par d’excellents comédiens. Elle parvient à maintenir l’étonnement, l’originalité, le décalage. Elle donne l’impression d’une atmosphère orageuse qui ne pète pas vraiment. C’est comme si le mystère qui rodait autour du conte écrit par Théophile avait pris possession du plateau. Et cela provoque un rire dans la même veine que tout ce qui se passe ici, un rire étrange et décalé, un rire qui s’impose sans qu’on l’ai senti venir et qui s’exprime librement avec quelques secondes d’écart. Il est étonnant, ce rire, et suffisamment rare au théâtre pour m’avoir marquée ce soir-là.

Bon, il faut aussi le dire : tout ne fonctionne pas. Il y a des longueurs. Je n’ai pas vraiment su analyser d’où venaient ces moments « sans » : lorsqu’on s’éloigne trop du mystère pour toucher au concret, ou lorsqu’on tente de mesurer un peu le propos, peut-être, et encore. Pas sûr. De toute façon, pour être tout à fait honnête, j’étais tellement emballée par ce climat si particulier sur le plateau que ça ne m’a pas vraiment dérangée. C’est étrange, car des longueurs devraient habituellement peser dans un spectacle aussi court. Mais elles sont comme tout le reste. Étonnantes. Comme si, parce que le le spectacle étaient très dense, les zones d’essoufflement ne parvenaient pas vraiment à entamer le rythme mis en place. Oui, je suis à deux doigts de dire que mêmes ces longueurs, je les ai bien aimées. Étrange.

L’Effet Miroir – Théâtre de l’Oeuvre
55 Rue de Clichy, 75009 Paris
A partir de 22€
Réservez sur BAM Ticket !

© Fabienne Rappeneau

Un prince à l’Oeuvre

Critique d’Un Prince, d’Emilie Frèche, vu le 1 septembre 2023 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Sami Bouajila, mis en scène par Marie-Christine Ory

Écoutez, hein, voilà, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Oui, la raison qui me pousse à aller voir ce spectacle c’est Sami Bouajila et oui le fait qu’il soit incroyablement beau pèse aussi dans la balance. Ok je suis une groupie mais pas seulement : je suis aussi complètement dégoûtée d’avoir manqué Disgrâce, dans lequel il devait incarner le premier rôle, programmé puis annulé au Théâtre du Rond-Point la saison dernière. On se rattrape comme on peut !

Sur la scène, une butte de terre. On ne sait pas trop où on est, on changera d’ailleurs de lieu au fil de l’histoire et de ses temporalités. Car Sami Bouajila incarnera successivement un père et son fils : un ouvrier, peut-être algérien, immigré en France, et sa descendance, devenue SDF, errant dans un quartier qu’on imagine difficile et qu’il imagine, lui, tout autre.

Le seul en scène, ça ne pardonne pas. Sur le plateau, ça se sent tout de suite. On l’occupe, ou on ne l’occupe pas. Pour un comédien comme Sami Bouajila, rare sur les planches, on peut avoir un doute. Se demander comment il va s’en sortir. Et pourtant. Quand il entre en scène, c’est l’évidence. Les planches sont son territoire. Il se passe quelque chose. L’instant d’avant, il n’y avait qu’une motte de terre, et, lorsqu’il se met à jouer, c’est tout un univers qui se dessine autour de lui.

Impossible de ne pas penser à Beckett quand on le voit parcourir ce plateau quasi-nu de sa démarche précise, maladroite et saccadée mais qui, déjà, raconte quelque chose alors qu’il ne fait encore que marmonner. C’est pour lui qu’on est venu, c’est lui qu’on retiendra. Il n’a pas choisi le texte le plus passionnant qu’on ait connu – Beckett rôde surtout dans la forme. Mais il en tire le maximum. Il le tient. Il l’incarne. Il le possède. Le personnage s’invente un tout qui semble prendre vie sous nos yeux. Pour exister. Pour survivre. Il y a une forme d’urgence. Sami Bouajila est un boxeur du verbe. Le texte se perd parfois dans un certain pathos, mais il arrive à nous maintenir alerte. Et, sans prévenir, au détour d’une phrase, sans hausser le ton, sans y mettre d’effet, il balance une phrase qui a l’effet d’un uppercut. Et lorsqu’il salue, il ne permet aucun doute : il a gagné.

Florian Zeller et Robert Hirsch : le ver de terre amoureux d’une étoile

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Critique de Avant de s’envoler de Florian Zeller, vu le 28 octobre 2016 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Robert Hirsch, Isabelle Sadoyan, Claire Nadeau, Anne Loiret, François Feroleto, et Léna Bréban, dans une mise en scène de Ladislas Chollat

Première fois au Théâtre de l’Oeuvre depuis que Frédéric Franck en a quitté la direction. Robert Hirsch dans une pièce de Zeller, quelle originalité pour ouvrir la nouvelle saison de François-Xavier Demaison et Benoît Lavigne. Mélange de sentiment à l’arrivée dans ce théâtre que j’adore : je vouais un culte aux propositions de Frédéric Franck, qui manquera cruellement à la direction de l’Oeuvre, mais j’ai hâte de revoir Robert Hirsch, et je laisserai une chance à Florian Zeller sur cette nouvelle pièce qu’il n’a apparemment pas écrite pour lui. Objectivité.

C’est une pièce qu’il décrit comme différente du Père qu’il avait monté il y a quelques années à la Madeleine ! Je veux bien, mais comme dans Père, le personnage central, s’appelle André. Comme lui, il est nonagénaire. Comme lui, il confond les moments passés, présents. Comme lui, Alzheimer l’habite peu à peu. Comme lui, son entourage parle de le mettre en maison spécialisée. Comme lui, il s’y refuse. Avant de s’envoler, c’est Le Père avec Anne Loiret qui remplace Isabelle Gélinas. Comment s’enthousiasmer pour un auteur qui ne sait écrire qu’une pièce, qui n’est même pas bonne ?

Pourtant, j’y ai cru. Durant le premier acte, j’ai pensé que ça prenait : la mise en scène permettait de suivre à peu près l’histoire malgré les fantômes présents sur scène qui parlaient à certaines scènes, marquant ainsi leur présence, et restaient absents à d’autres. Mais très vite, tout devient très flou, mais pas un flou artistique comme l’auteur aimerait nous faire croire. On assiste à un véritablement encombrement par désir de dissimuler qu’il y a du vide, un manque d’idée, de renouveau.

Pis encore, la pièce essaie de soulever des mystères dont on n’a cure. Elle soulève des histoires de famille qui n’ajoutent rien et ne font qu’ajouter des noeuds au noeud central déjà bien emmêlé, ajoute des relations extraconjugales inutiles, qui ne font pas avancer l’histoire, mais bien plus, font reculer encore notre compréhension et notre intérêt pour la pièce.

Néanmoins, je le savais, ce n’était pas pour Zeller que je me rendais à l’Oeuvre ce soir-là. Je suis étonnée qu’il arrive encore à baisser dans mon estime, alors que son acteur principal ne peut atteindre plus haut niveau. Voir Robert Hirsch jouer, c’est une leçon de théâtre, une leçon d’interprétation, un leçon d' »être André ». Le frisson qui nous tient lorsqu’on voit ce monstre sacré entrer en scène est créé par notre connaissance. Celui qui s’instaure en nous devant une telle interprétation est entièrement due au talent d’un acteur qui n’a rien perdu avec les années. Rien. A ses côtés, Isabelle Sadoyan n’est pas en reste : lumineuse, elle forme un beau duo avec André. Elle est aussi juste que son partenaire,  et est pour lui un contrepoids : lorsqu’il est perdu, elle est est le chemin le plus sûr pour qu’il se retrouve.

Je continue de me demander pourquoi de si grands comédiens jouent un si petit auteur. 

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Nevermore

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Critique de La dernière bande, de Samuel Beckett, vu le 6 mai 2016 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Jacques Weber, dans une mise en scène de Peter Stein

Article particulier s’il en est, car témoin d’une fin prématurée, triste et injuste. Avec La dernière bande, Frédéric Franck signe le dernier spectacle de sa programmation, laissant les clés à Benoît Lavigne et François-Xavier Demaison qui reprendront le théâtre dès la rentrée prochaine. Premier texte de sa programmation lors de son arrivée dans le théâtre, il a fait le choix de clore son mandat par ce geste symbolique  : la boucle est bouclée.

Jacques Weber est Krapp, un vieux clown qui semble malade, tombé dans l’alcool et dans la mélancolie. Affalé sur son bureau, il repasse en boucle sur un magnéto les moments de sa jeunesse qu’il dit ridicules mais qu’on devine essentiels à ses yeux. Il restera là durant tout le spectacle, à écouter, à commenter, à ressasser ce passé perdu, enfui, mais jamais oublié.

Jacques Weber est magistral. Dans son habit de clown, il passe une bonne partie du spectacle à jouer au mime, et tous les regrets, la tristesse, la nostalgie et la colère qu’il semble contenir s’échappent par des grognements et reniflements audibles. Le texte de Beckett, court et dont la partition est finalement peu fournie, laisse pourtant à l’acteur de nombreuses possibilités théâtrales, et l’amertume se fait plus intense à chaque geste, chaque bougonnement.

Je vois ce spectacle à la lumière des événements qui agitent le théâtre de l’Oeuvre et mon coeur se serre. Une fois encore, Frédérick Franck n’a pas cédé à la tentation de programmer un spectacle facile et commercial. Une fois encore, ce que je vois est unique en son genre, et il n’y a qu’ici, dans ce beau théâtre du 9e arrondissement de Paris, que ma confiance est absolue. De tous les spectacles vus au Théâtre de l’Oeuvre depuis que Franck est à sa direction, un seul m’a déçue, et encore : sur le plateau, le talent était là, et seul le texte n’atteignait pas cette barre très haut placée par les comédiens.

J’aimerais pouvoir écrire la tristesse que provoque en moi le départ de Frédérick Franck. Avec lui disparaissent des soirées de perfection absolues, des découvertes théâtrales uniques, une exigence et un respect des oeuvres rares, une programmation éclectique et propre à ce théâtre ; une passion pure mise au service des – parfois trop rares – spectateurs. Un grand merci pour ces années de direction magistrale. Si j’avais pu me lever et vous applaudir ce soir, ç’aurait été les larmes aux yeux, et un pincement dans le coeur.

Un spectacle comparable au mandat de Frédérick Franck : intelligent, exigeant, parfait. ♥  

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Homygod

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Critique de Home, de David Storey, vu le 24 octobre au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Carole Bouquet, Pierre Palmade, Gérard Desarthe, Valérie Karsenti, et Vincent Deniard, dans une mise en scène de Gérard Desarthe

Si je suis une habituée du théâtre de l’Oeuvre, si j’aime les programmations de Frédérick Franc, si j’admire le travail de Gérard Desarthe, je n’en reste pas moins totalement déconcertée par le spectacle actuellement présenté au Théâtre de l’Oeuvre. Gérard Desarthe avait pourtant réuni une si belle équipe… autour d’un texte qui sonne si creux. Quelle erreur.

Je me retrouve bien embêtée à l’idée de devoir résumer cette pièce. Comprenant assez vite qu’elle ne partait de rien et n’allait nulle part, qu’elle ne disait rien de profond, qu’elle n’était que succession de phrases sans rapport et sans intérêt, de situation inintéressantes, de propos inutiles, mon cerveau s’est assez vite mis en mode off. Je déteste perdre mon temps, et particulièrement au théâtre, là où le diable, c’est l’ennui. Coincée. J’étais coincée en ce milieu du premier rang du théâtre de l’Oeuvre, place que j’aime tant d’habitude, et qui ce soir là me semblait bien inconfortable. J’étais coincée devant des comédiens formidables qui ne parvenaient pas à porter un texte bien trop faible.

C’est donc l’histoire de 5 fous qui se rencontrent et qui se parlent. Mais ils n’ont pas grand chose de fou, ces fous-là. En tout cas, ils ne nous entraînent pas dans une atmosphère sombre, inquiétante, ou étonnante. Ils ne donnent pas l’impression d’être chez les fous. Ils ne nous amènent nulle part, en réalité. Ils enchaînent des phrases sans intérêt, des phrases creuses, molles, vides. On comprend vaguement la raison de leur présence dans cet asile, mais on ne s’y intéresse pas suffisamment pour chercher plus loin. Quel gâchis.

Le plus dommage, dans tout ça, c’est quand même le fait que les acteurs réunis par Gérard Desarthe ne sont pas des moins bons. Moi qui n’avais jamais vu Pierre Palmade sur scène, je ne peux ressortir qu’impressionnée. En effet, il signe sans doute la meilleure composition du spectacle, et c’est le seul à confier à son personnage une réelle âme, un je-ne-sais-quoi d’un peu touchant. C’est un travail très précis et fin, un travail tel qu’on pourrait en attendre chez Beckett, où il aurait parfaitement trouvé sa place et son public… A ses côtés, Gérard Desarthe campe un fou d’un autre genre, un peu moins mystérieux, plus terre à terre. C’est du côté des femmes que j’ai été un peu déçue, notamment par Carole Bouquet qui ne parvient pas à donner une réelle contenance à son personnage. Peut-être parce que c’est le moins intéressant. Et qu’il n’y a pas contenance à donner.

Alors, qui accuser ? Le metteur en scène, pour avoir choisi un tel texte ? Ou est-ce dû à une pression particulière, pour monter cet auteur ? On ne saura jamais. J’ai l’impression d’avoir dit ça une dizaine de fois ces derniers temps, mais c’est fou le nombre de distributions attirantes qui finissent en véritable fiasco. Pourquoi choisir un texte pareil ? N’est pas Beckett qui veut. On ne crée pas facilement un tout à partir de rien. Et là, c’est juste cela : il n’y a rien.

On est mieux chez soi. pouce-en-bas

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L’amour Fau

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Critique d’Un amour qui ne finit pas, d’André Roussin, vu le 16 mai 2015 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Léa Drucker, Pascale Arbillot, Pierre Cassignard, Michel Fau, Audrey Langle et Philippe Etesse, dans une mise en scène de Michel Fau

Cela fait un petit moment maintenant que je suis Michel Fau ; qu’il prenne l’habit de metteur en scène ou d’acteur, ou les deux à la fois, c’est toujours un plaisir de retrouver ses spectacles. J’avoue que j’avais un peu peur avant d’aller voir celui-ci, car je craignais qu’il ne reproduise l’erreur que beaucoup d’autres acteurs commettent : essayer de dépoussiérer un texte justement oublié. Mais l’oeuvre d’André Roussin qu’il nous propose s’est avérée un véritable petit bijou, et ce spectacle, une réussite.

Un amour qui ne finit pas est, en quelque sorte, un Dom Juan nouvelle génération. Un Dom Juan qui aurait compris et intégré le fait que seule la séduction compte, et qui ne chercherait même plus à aller au bout de ses avances. C’est le souhait de Jean lorsque, au début de la pièce, il accoste Juliette pour lui expliquer son projet : lui vouer un amour infini, lui écrire et penser à elle tous les jours, mais sans jamais désirer de retour. Habitué aux maîtresses et à la lassitude qu’elles engendrent, il espère trouver dans ce procédé un amour qui ne finisse pas. Juliette, mariée, ne semble voir dans cette situation aucun fait dérangeant et qui pourrait engendrer un quelconque problème chez l’un ou l’autre couple ; elle accepte donc. Mais c’était sans compter la bombe à retardement que ce simple désir représente dans chaque couple : lequel éclatera le premier ?

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Il y a quelque chose d’essentiel à dire, je crois : merci Michel Fau. Merci de m’avoir fait découvrir ce texte intelligent et fin, très bien ficelé, aux allures de boulevard et aux contours dramatiques. Un texte qui donne à réfléchir tout en laissant une atmosphère légère et même drôle ; un texte qui parle d’amour avec perspicacité et délicatesse. Loin d’étaler les lieux communs d’un boulevard commun, Roussin travaille autour de son idée initiale avec profondeur et subtilité. Vraiment, cela fait longtemps que je n’avais pas été aussi emballée par un auteur que je ne connaissais pas.

Mais remercions également Michel Fau pour la qualité du spectacle qu’il nous livre : le retrouver en tant que metteur en scène est un réel plaisir. Il nous plonge littéralement dans les années 60 grâce à sa maîtrise du détail : du décor aux costumes, en passant par la musique et les accessoires, tout est d’époque et rien n’est laissé au hasard. Pour preuve son décor complémentaire de part et d’autre de la scène, mêlant ingénieusement noir et blanc et laissant apparaître au fil de la pièce des détails jusqu’alors invisibles pour nos yeux.

Enfin, remercions Michel Fau pour ses talents d’acteur et de directeur d’acteurs. L’équipe qu’il a réunie porte ce spectacle à son sommet en donnant vie à cette situation étonnante avec brio : Léa Drucker en tête : elle compose une femme patiente et habituée aux rêveries de son époux, dont les traits tirent parfois sur la folie ou la simple bizarrerie. Ses intonations aigües et sa coiffure bourgeoise ne peuvent que parfaire sa composition qui en ressort désopilante. Michel Fau, qui incarne son mari, transmet sa rêverie, son imagination, et son amour inconditionnel Juliette avec simplicité et vraisemblance. L’autre couple, peut-être plus modéré que le premier, est celui qui amène une légère tension dans la pièce ; les deux personnages se transforment totalement au cours du spectacle : Pascale Arbillot sombre dans une certaine forme de folie, celle de la passion, tandis que Pierre Cassignard dégage une fureur toujours croissante, agité de mouvements compulsifs et parfois complètement hors de lui-même.

Certaines pièces sont à voir pour leur mise en scène. D’autres pour leurs acteurs. Enfin, certains textes sont à découvrir. Lorsqu’un spectacle mêle ces trois éléments, on ne peut que s’incliner. Voici un spectacle que je reverrai avec plaisir. ♥ ♥ 

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Concentration

dispersion-affiche470Critique de Dispersion, d’Harold Pinter, vu le 28 octobre 2014 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Carole Bouquet de Gérard Desarthe, dans une mise en scène de Gérard Desarthe

Ma première expérience avec ce texte est tout à fait particulière : d’abord, parce que c’était mon premier Pinter, ensuite car c’était une lecture, une mise en espace, et non une véritable mise en scène. Car c’est au Festival Nava que j’ai découvert cette pièce, incarnée par Anne Loiret et Jacques Allaire. J’avais été totalement déroutée, décontenancée, face à ce texte tout à fait imbitable à première lecture, complètement décousu, où les personnages se parlent mais ne se répondent pas, où tout reste mystère. Mais cela m’avait marquée, et j’en garde finalement un assez grand souvenir. Pour ma deuxième rencontre avec le texte, je pense que je n’aurais pas pu mieux tomber.

Du peu de Pinter que je connais, cette pièce est clairement la plus déconcertante. On y découvre un homme et sa femme, Devlin et Rebecca, qui discutent. Ils discuteront durant toute la pièce mais on ne sait pas exactement quand cela se passe, et sur quelle durée. Il semble l’interroger sur un amant qu’elle aurait eu, il essaie de comprendre plus précisément la relation qu’ils auraient entretenu. Mais elle répond à côté. Elle parle d’un homme qui la brutalisait, puis d’un bourreau qui arrachait les enfants des mains des femmes, un homme qui aurait eu un lien avec les camps de concentration. Est-ce le même homme ? On ne sait pas. Parfois même, on se demande si elle entend ses questions. Tout se passe comme si tout se mélangeait en elle : son histoire, et l’Histoire. A-t-elle tout imaginé ? Ne raconte-t-elle pas tout simplement un cauchemar ?

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J’ai d’abord détesté ce texte, bêtement, parce que je ne le comprenais pas. Il ne m’atteignait pas et, trop vite, j’ai décrété que je ne l’aimais pas. Mais en découvrant d’autres textes de l’auteur, en apprenant à connaître sa plume, ce sentiment premier s’est transformé en curiosité. Et redécouvrir cette pièce montée par Gérard Desarthe s’est finalement avéré un réel plaisir. Car si Pinter laisse de grandes questions derrières son texte, Desarthe en comble certaines mais laisse, à la manière de l’auteur, d’autres énigmes dans son travail. Ainsi ces phrases entières tirées du texte et qui font partie du décor amènent à penser Rebecca comme prise au piège d’une Histoire dont elle fait partie malgré elle et dont elle ne peut s’échapper. Elle perd le spectateur dans des dires qui ne concordent pas, mais semble pourtant toujours suivre son idée. Pour elle, tout est fluide. Pour son mari qui l’écoute, tout n’est qu’énigme sans réponse, casse-tête à moitié terminé.

La mise en scène de Gérard Desarthe met en avant toutes les folies Pinteriennes : après un noir en début de spectacle, les lumières deviennent très intenses et le blanc du décor éblouit le spectateur. Avant même que le spectacle ne commence, quand nos yeux peinent à s’accoutumer à l’éclairement, on semble, à l’instar de Rebecca, sortir du sommeil. Et l’interrogatoire peut commencer. La sobriété de la pièce, le blanc aveuglant des murs, le fait qu’il soit souvent debout et elle assise, tout laisse à croire que l’interrogatoire est fait dans les règles de l’art : serions-nous dans une cour de justice ? Doit-elle avouer quelque chose ? Tout semble opposer nos deux personnages : lui se déplacera beaucoup, agité par des questions qu’il ne peut plus retenir, alors qu’elle se tiendra là, assise, les sourcils froncés, remuant nerveusement ses mains. Gérard Desarthe est grand, et sa présence sur le plateau est lourde et imposante. Elle semble une minuscule souris à côté de lui. Mais si il parvient à toujours étonner le spectateur, en l’impressionnant sans cesse, c’est moins le cas pour Carole Bouquet. On regrette un peu sa voix toujours sur le même ton, et son visage trop figé. Cependant, cette monotonie semble  due à la direction d’acteur plus qu’au mode de jeu de l’actrice, qui ainsi met en opposition totale les deux personnages, et accentue la végétativité de Rebecca.

On frissonne et on aimerait que Desarthe sème encore quelques indices pour nous éclairer toujours plus sur la signification de cette énigmatique mais grandiose pièce de Pinter. ♥ ♥ ♥ 

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Ah ! Quelles belles miches-elle a, cette cantatrice !

Critique du Récital emphatique de Michel Fau, vu le 4 juillet 2014 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Michel Fau, dans une mise en scène de Michel Fau

Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’acteurs en France capables d’executer une telle performance : prendre le corps d’une femme, chanteuse de surcroît, le temps d’un spectacle, ce n’est pas un talent donné à tous. J’ai bien sûr pensé à Olivier Py et sa si géniale Miss Knife : mais là, si l’art se ressemble, la manière est différente : c’est quelque chose de bien plus grotesque que nous présente Michel Fau. Grotesque, mais jamais vulgaire, jamais honteux : juste ce qu’il faut pour soulever la salle d’un rire commun et long d’1h30.

Lorsqu’il entre, il est transformé. Une robe flashy, une perruque adéquate, un port et un maintien de diva, et la métamorphose complétée par une gestuelle et une voix transformées par l’acteur. C’est d’abord une longue danse qui commence, dans laquelle Michel Fau, déjà complètement dans le personnage, se donne corps et âme dans une chorégraphie farfelue et annonçant le ton du spectacle : du second degré total ; Michel Fau assumera totalement son travestissement et jouera de sa féminité sans honte. La précision des gestes, du rythme – toujours en accord avec le piano -, des expressions de son visage – jamais les mêmes -, sont impressionnantes. Après cette danse effrenée et déjà de beaux moments de rigolade, Fau entame Samson et Dalila : qui d’autre interpréter que Dalila elle-même ? Avec ce même talent qu’il dévoilait lors des danses, il soulève des rires dans la salle lors de ses différentes parties chantées.

Et l’artiste a plus d’une corde à son arc : après cette entrée en matière plus que réjouissante, il enchaîne avec Phèdre. « Mon mal vient de plus loin » est certes une tirade bien connue, mais livrée par Fau, elle n’est plus la même. Successivement déclamée à la Sarah Bernhardt, puis comme dans un mauvais boulevard, ensuite à la manière dont on parlait au XVIIe siècle, et enfin style mauvaise actrice, jeune et débutante (hilarante). La salle est conquise : personnellement, j’avais déjà un sourire vissé sur mon visage depuis une bonne dizaine de minutes : sourire qui ne disparaîtra pas avant la fin du spectacle.

Fort de son succès, après plusieurs fous rires généraux dans la salle, après une parodie de Duras intitulée Mékon B4, et un air bien reconnaissable du Carmen de Bizet, voilà que Michel Fau se met à la « variétoche ». Tout d’abord, il nous offre ce numéro que certains connaissaient déjà après un passage chez Ruquier : cette chanson de Zaz, extrêmement engagée politiquement, qui nous parle de la fracture sociale. Hilarant. Et comme les rappels ne cessent pas, il repart de plus belle : de Starsky et Hutch à Comme un ouragan, Michel Fau semble prendre autant de plaisir à s’approprier les chansons que le spectateur à l’écouter.

Un spectacle déjanté et délirant : Michel Fau a su emporter toute la salle avec lui. Bravo. ♥ ♥ ♥

Vous êtes, monsieur Fau, un grand extravagant

Critique du Misanthrope, de Molière, vu le 18 février 2014 au théâtre de l’Oeuvre
Avec Julie Depardieu, Michel Fau, Édith Scob, Jean-Pierre Lorit, Jean-Paul Muel, Laure-Lucile Simon, Roland Menou, Frédéric le Sacripan, et Fabrice Cals.

Le Misanthrope tel qu’on le joue aujourd’hui est un homme qui certes, ne peut pas vivre en société en raison de son aversion de ses congénères, mais que l’on a quand même fini par comprendre, et on va jusqu’à le considérer comme réfléchi car conscient des hommes mauvais qui l’entourent. Ce Misanthrope-là n’est probablement pas celui qu’a créé Molière, qui était bien plus un homme fou et délirant constamment, qui ne méritait pas notre considération mais bien plus provoquait notre rire. Voilà donc le parti pris de Michel Fau en montant ce Misanthrope : le faire à l’idée de celui de Molière. Une réussite !

Rappelons brièvement l’intrigue, pour celles ou ceux qui auraient un brusque trou de mémoire. Alceste ne peut pas vivre dans cette société qui l’entoure et qu’il hait, composée d’hypocrites et misant tout sur l’apparence. Dès le début de la pièce, son caractère si particulier se fait sentir, et il se détache du reste des personnages. Cependant, c’est un homme qui se contredit sans cesse, et le paradoxe le plus important qu’il renferme est son amour pour la plus coquette et la plus mondaine des femmes, Célimène, qu’il tentera d’ailleurs de convaincre de s’exiler avec lui, loin des hommes.

Michel Fau est Le Misanthrope. Il compose un Misanthrope grotesque et ridicule, et pourtant touchant, car touché, blessé profondément par la nature humaine. On entend Molière comme rarement, et les mots qui sortent de sa bouche sont empreints d’amertume et de sincérité. Jamais je n’avais remarqué à quel point sa folie était poussée, et lorsqu’il déclame que Plus on aime quelqu’un, moins il faut qu’on le flatte, ça n’apparaît plus seulement comme des paroles intelligentes, comme une vérité finalement naturelle, mais bien comme de la pure démence, comme s’il se plaisait à ne pas trouver ce qu’il y a de bon en chacun.

Et Michel Fau a su s’entourer des meilleurs comédiens, à commencer par celui qui interprète Philinte, son ami le plus proche : Jean-Pierre Lorit incarne… juste le meilleur Philinte qu’on puisse imaginer, au bas mot. Ce personnage est ingrat car il fait toujours face au fort caractère d’Alceste, et peut donc paraître bien simple à côté. Mais ici, quelle sagesse, quelle raison dans son discours, et quelle émotion il transmet. On l’écoute avec un plaisir qui ne s’estompe à aucun moment. Jamais ce vers : Ah ! cet honneur madame, est toute mon envie, et j’y sacrifirais et mon sang et ma vie ne m’a autant touché. Un Philinte d’exception. On pense également à Jean-Paul Muel, qui sait si bien faire la folle comme il nous l’a déjà prouvé, et à qui le rôle de l’hystérique Oronte va comme un gant.

Du côté des femmes, on est un peu moins convaincu. Mais comment réussir à soutenir la comparaison en Arsinoé, lorsque je voyais Catherine Griffoni briller dans le rôle il y a quelques mois ? Edith Scob semble trop âgée pour le rôle et la scène entre les deux femmes, qui devrait faire l’effet d’une bombe à retardement, peine à éclater. Là est le seul point négatif du spectacle. Julie Depardieu, en revanche, semble une Célimène-née : son côté légèrement excité, electrisé, qu’on lui connaît sied parfaitement au personnage et à sa mondanité, à ce désir qu’elle a de vivre et de plaire. Elle ne semble pas comprendre le mal que ressent Alceste et se plaît à lui tenir tête. Le duo fonctionne à merveille.

Par ce Misanthrope, Michel Fau nous montre non seulement son talent de comédien, mais également celui de metteur en scène. Quelle différence il y a entre un spectacle où l’on sent la main de fer du metteur en scène, et celui où les acteurs sont surtout guidés à l’instinct ! Là, on assiste à un l’accomplissement d’un travail réfléchi et intelligent : un tableau des Enfers fait office de décor durant certaines scènes, et place ainsi directement la pièce sous une dimension tragique, féroce, telle que peut l’entendre Michel Fau, qui avouait que dans le monde du théâtre, [il] se sent très seul, très à part, et que les hypocrisies, les malentendus, les malhonnêtetés [le] choquent. Cet aspect de vérité et de modernité du texte est brillamment retransmis, et c’est également grâce à l’insistance sur la folie et l’extravagance du Misanthrope qu’il parvient à faire rire. Le jeu de contraste des couleurs et de la luminosité fait également son effet : lumière comme costumes sont de couleurs qui jurent parfois, et le doré de la robe d’Arsinoé appuie son ridicule et sa fausse pureté, de même qu’Alceste, qui tente toujours de se démarquer, et grotesque dans ce costume vert, aux côté de Philinte et d’Éliante, bien plus sobres, et finalement seuls personnages qui tentent de construire véritablement quelque chose.

Michel Fau a dit : « Je redoute de devenir comme Alceste ». Pari perdu monsieur Fau, car tous les soirs, le temps d’un spectacle, vous en prenez le corps. ♥ ♥ ♥