Un spectacle mi-figue mi-melone

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Critique de Melone Blu, de Samuel Valensi, vu le 4 septembre 2019 au Théâtre 13
Avec Brice Borg, Michel Derville, Paul-Eloi Forget, Valérie Moinet, Alexandre Molitor, Maxime Vervonck

 et Emmanuel Lemire en alternance avec François-Xavier Phan, dans une mise en scène de Samuel Valensi

Son Inversion de la courbe avait fait pas mal de bruit durant son exploitation au Théâtre de Belleville mais j’étais passée à côté, et c’est finalement lors d’une reprise one-shot au Théâtre Lepic que j’ai pu découvrir le travail de Samuel Valensi en tant qu’auteur et metteur en scène. J’étais un peu restée sur ma faim devant l’histoire de ce jeune commercial à qui tout réussissait et qui connaissait un effondrement brutal de son univers. Dans Melone Blu, j’ai retrouvé quelques-uns des travers que je reprochais alors au jeune dramaturge, mais j’ai aussi redécouvert une troupe plus solide et une scénographie plus travaillée.

Samuel Valensi est un homme engagé. On le sentait déjà sur sa précédente production, son théâtre sera politique, ou ne sera pas. Après avoir déconstruit le monde de l’entreprise, c’est au monde dans sa globalité qu’il s’intéresse puisque son spectacle tourne autour de la question écologique. Comment la descendance de Felice Verduro, l’homme qui a découvert l’île de Melone Blu, sur laquelle poussent des melons bleus au goût extraordinaire, bouleverse tout ce que l’aïeul avait construit. Comment évolution rime avec production. Surproduction. Hyperproduction. Et finalement destruction.

Tout commençait pourtant très bien. Durant les premières minutes du spectacles, je n’ai pu m’empêcher de sourire : cette manière de mener ses scènes bon train, de raconter ainsi son histoire, de faire prendre successivement plusieurs identités à ses comédiens au moyen d’un accessoire ou d’un détail sur le costume, de faire les changements à vue, de faire s’entremêler les voix des personnages sur une même phrase me rappellent quelqu’un. Impossible de ne pas y penser. Cette entrée en matière, c’est du Michalik tout craché. Et c’est plutôt réussi. Mais lorsque le propos se densifie, le message prend peu à peu la place qu’occupait l’histoire sur le plateau, et alourdit progressivement les scènes.

Comme dans sa précédente pièce, je reprocherais au texte de n’être pas assez dramatique : même si le tout est englobé dans une histoire, on sent trop les notions d’écologie et d’économie qu’on essaie de nous inculquer. J’entends trop ce qu’on me dit mais je préfère comprendre par moi-même. Le texte est trop didactique, le message trop souligné, les comparaisons trop visibles pour me faire oublier que je suis au théâtre ; lorsque j’entends « C’est le moment où on consommera plus de liqueur de melon bleu que ce que la nature pourra nous offrir », j’ai l’impression de lire les articles-alerte des journaux d’actualité. Après l’agriculture raisonnée, voilà le théâtre qui raisonne. Ce n’est pas ce que je viens chercher. Je suis là pour l’oubli, l’histoire qui m’emporte. Elle peut être engagée sans donner l’impression de suivre un cours de géopolitique. Ici, on serait presque dans la conférence théâtralisée. Le résultat, c’est un texte qui abrite quelques longueurs et ne parvient pas à m’accrocher véritablement.

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Cependant il y a tout le reste, ce qui entoure le texte et parvient, malgré tout, à le faire vivre. Sans être happée par ce que je voyais, je n’ai pas décroché non plus. D’abord, car je suis très emballée par le geste, et, symboliquement, je ne pouvais réprouver ce spectacle. La démarche ne peut qu’être encouragée. Comme le dit très bien Samuel Valensi dans un entretien,  » On demande l’exemplarité à nos hommes politiques, à nos sportifs, pourquoi ne pas la demander autant aux artistes qui sont aussi des sources d’inspiration ?« . Le projet s’est donc avéré exemplaire sur tous les aspects : ne pas utiliser de plastique, privilégier la récupération, n’utiliser que des matières bio sourcés, manger bio et local, communiquer de manière renouvelable (les flyers se plantent pour donner des coquelicots) mais voir aussi au-delà de la scène, et amener les spectateurs à adopter la même démarche, en leur proposant d’utiliser leurs billets pour bénéficiers d’avantages dans un réseau de partenaires revendeurs de produits locaux, biologiques et solidaires. Tout un programme !

Par ailleurs, pour faire bien avec peu, on peut être amené à développer des idées trop souvent laissées de côté : ici, je tiens à reconnaître la qualité de l’accompagnement sonore de la pièce. Contraint par des matériaux précis et le principe de récupération, cela permettait de compléter l’ambiance déjà insinuée par les décors, et je dois dire que cela les enrichit beaucoup : la création sonore, que l’on doit à Léo Elso & Julien Lafosse, m’a aidée à rentrer dans la pièce et je lui dois un beau moment de chair de poule, lorsqu’elle évoque le changement progressif d’état d’esprit de Felice et la transformation de l’île. Elle parvient, à l’aide des lumières et d’un scénographie tout aussi travaillées, à créer de véritables atmosphères pour nous emmener loin, sur Melone Blu.

Car eux, ils y sont clairement, sur cette fameuse île. J’ai pris un certain plaisir à retrouver des comédiens que j’avais découverts dans L’inversion de la courbe : Michel Derville d’abord, qui a ce grand talent d’irradier le plateau lorsqu’il incarne un des personnages principaux et de se fondre dans la masse lors des parties chorales – quelque part, on dirait qu’il maîtrise sa présence. C’est assez impressionnant. Mais c’est Paul-Eloi Forget qui m’a particulièrement surprise : il est un véritable caméléon et ses transformations successives sont un régal. Les deux comédiens sont par ailleurs fort bien entourés, avec à nouveau une petite pointe de déception pour le jeu de Maxime Vervonck qui reste un peu trop en surface.

Je reste quand même un peu sur ma faim – ceci dit, c’est écolo.

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Au 13, la guerre c’est pas plus marrant, ni moins désespérant, en chantant

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Critique de La Victoire en chantant, de Raymond Acquaviva, vue le 9 mai 2019 au Théâtre 13
Avec Pierre Boulben, Louise Corcelette, Benoit Facerias, Philippine Martinot, Quentin Morant, Fabio Riche, Lani Sogoyou, Josephine Thoby, dans une mise en scène de Raymond Acquaviva

Je n’ai pas attendu bien longtemps pour aller découvrir cette Victoire en chantant. Il faut dire que tout les éléments semblaient réunis pour passer une très bonne soirée : les spectacles de Raymond Acquaviva ne m’avaient encore jamais déçue, le Théâtre 13 est généralement le terreau de propositions jeunes, dynamiques et plutôt plaisantes, d’autant plus lorsqu’elles sont musicales – le projet rappelait d’ailleurs à mon oreille l’excellente Bande du Tabou vue il y a plus de 5 ans maintenant mais qui résonne toujours quelque part. Bref, une belle soirée en perspective.

Mais on se rend vite compte que quelque chose manque à cette bande de huit comédiens-chanteurs qui nous content les deux guerres mondiales à travers écrits et chansons. Ce n’est pas une question d’énergie : elle est bien présente, et c’est même sans doute grâce à elle qu’on parvient à ne pas trop décrocher jusqu’à la fin. Pas non plus un problème de distribution : personne ne se démarque particulièrement, ni en bien ni en mal, mais tous rentrent dans le rang. Il est peut-être là, le bémol. Dans ce spectacle, on rentre un peu trop facilement dans le rang.

Il est trop lisse, ce spectacle, il manque cruellement d’âme. C’est un véritable sentiment de manque qui se fait connaître à la fin de la pièce. Un sentiment de : « ok, et ensuite ? ». On a enchaîné les textes et les chansons qui parlent de la guerre. Moi qui ai eu ce sujet au programme de mes concours il y a quelques années, je n’ai pu m’empêcher de penser que ça m’aurait été utile. Car le spectacle emprunte plus à l’anthologie qu’au café-concert. Les textes se suivent et se ressemblent par leur caractère un peu morne. Où est l’incarnation, la personnalité, la vie ou le désespoir derrière ces mots qui, probablement, ne parlent pas à tout le monde ?

Il y a quelque chose d’un peu surfait dans la solennité trop affichée, presque fabriquée, pour certains textes. Il y a quelque chose d’un peu scolaire dans l’enchaînement de ces textes qui évitent de prendre parti, qui soulignent un peu trop qu’il faut aussi avoir une pensée pour l’autre camp, qui affichent un patriotisme un peu froid. Difficile de comprendre la ligne de conduite : on se souvient, on regrette, on blâme, on fête ?

Le résultat, c’est qu’on se perd un peu dans ce spectacle qui annonce 1h40 mais en dure quasiment deux. Certains textes gagneraient à être supprimés – Péguy et Valéry n’étaient peut-être pas nécessaires ici – permettant ainsi de jouer entièrement d’autres qui trouvent mieux leur place, comme la Madelon à laquelle on se demande pourquoi on a tronqué un couplet. On ne laisse pas au spectateur le temps de se prendre à une chanson, tout est déroulé si vite, et ce jusqu’à la chanson finale, qui devrait nous emballer et nous enjoindre à accompagner l’air de nos rappels, mais qui nous file entre les doigts. Un peu comme nos applaudissements.

Un spectacle qui gagnerait à supprimer un bon tiers des textes et à prendre davantage son temps sur les autres.

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Tigran Mekhitarian nous fourbe

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Critique des Fourberies de Scapin, de Molière, vues le 2 avril 2019 au Théâtre 13
Avec Isabelle Andrzejewski, Théo Askolovitch / Axel Giudicelli / Damien Sobieraff, Sébastien Gorski / Tigran Mekhitarian, Charlotte Levy / Pauline Huriet, Tigran Mekhitarian / Théo Askolovitch, Louka Meliava, Théo Navarro-Mussy, Etienne Paliniewicz, Blanche Sottou et Samuel Yagoubi dans une mise en scène de Tigran Mekhitarian

J’avoue m’être un peu laissée porter vers cette création : c’est parce qu’on m’a proposé d’y aller que je me suis retrouvée dans la salle ce soir-là. Rien lu, rien vu, rien entendu. Avant d’entrer, on me prévient quand même : c’est une version rap des Fourberies de Scapin. Après tout, pourquoi pas. J’ai vu des Fourberies de toutes les couleurs ces dernières années, alors le rap ne me fait pas vraiment peur. Il rappelle même le côté « Scapin des rues » de Laurent Brethome, sans doute la version qui m’a le plus marquée. Ceci étant, lorsque j’entre dans la salle, PNL à fond, drap tendu en fond de scène où je déchiffre le nom d’Adama Traoré, je m’attends à une expérience vraiment spéciale, à un nouveau point de vue, à une intéressante surprise. Mais on sera plutôt sur une déception.

Scapin, c’est le valet de Léandre, le fils de Géronte. Alors que son père était parti, Léandre s’est entiché de Zerbinette, qu’il souhaite racheter aux gitans qui la possèdent. Un problème similaire se pose du côté d’Octave, le fils d’Argante, qui lui s’est marié à Hyacinthe en l’absence de son père. Lorsque les deux pères reviennent et apprennent les nouvelles, ils entrent dans des fureurs folles et les deux fils fautifs se voient dans l’obligation de faire appel aux services de Scapin dont les fourberies pourraient les sortir d’affaire.

Une version rap, jeune, gangsta de Scapin n’a en soi rien d’incohérent. Scapin peut tout à faire faire partie de la street, être vu comme une racaille, n’être qu’un chien de la casse. Le pari de Tigran Mekhitarian n’avait donc rien de transgressif, au départ. C’est un point de vue même plutôt intéressant, dont Jérémy Lopez avait incarné toute la complexité et la noirceur dans la version de Laurent Brethome. Difficile de jouer la comparaison. Mais plus difficile encore lorsque le point de vue semble en réalité émaner d’une idée décorrélée du texte-même.

Je m’explique. La pièce s’ouvre sur un rap de Scapin. Pourquoi pas. Mais il ne s’agit pas de raper Molière, il s’agit d’ajouts sur le point de vue de Scapin, sur sa vie. Soit. A plusieurs reprises, des parties rapées viendront s’ajouter au texte, mais sans rien lui apporter. Elles alourdissent plus qu’elles ne servent. Elles cassent un rythme qui ne parviendra jamais à véritablement s’installer. Elles ennuient, comme lors d’un échange entre Léandre et Zerbinette, où le premier prétend que Scapin rap mal et que sa bien-aimée lui répond qu’il est jaloux. L’échange se poursuit ainsi : – T’es jaloux – Non – T’es jaloux – Non – T’es jaloux – Non – T’es jaloux – Non. Molière avait certainement besoin d’une telle verve…

Alors oui, à plusieurs reprises, on rit. Mais jamais pour Molière lui-même. On rit d’un petit wallah ou d’un miskine rajouté à la fin d’une phrase. On rit parce que c’est un peu inhabituel et décalé, pas parce que c’est fondamentalement cohérent avec ce qu’on est en train de voir. Ça aurait pu l’être : faire jouer Scapin dans une cité, faire des personnages des véritables voyous, pourquoi pas. Mais là on dirait simplement qu’il y a d’un côté l’idée du rap et des petits ajouts, et, de l’autre, le texte. Entre les deux, le vide.

Résultat ? Pas mal d’incohérences qui viennent presque gêner la compréhension du texte originel. Que vient faire cette banderole réclamant justice pour Adama Traoré en fond de scène ? Elle n’a absolument rien à voir avec le propos et la seule tirade qui aurait pu, peut-être, éventuellement, justifier ce décor, à savoir la tirade de Scapin sur la justice est, comme souvent, crachée d’une traite sans en concevoir la juste valeur. On s’en débarrasse rapidement sans savoir qu’en faire. Et on laisse le spectateur perplexe.

Et pourquoi Géronte se met-il à chanter du Richard Cocciante ? Est-il amoureux ? Où est passée la fermeté des pères ? C’est déjà délicat de les faire jouer par des comédiens du même âge que leurs fils, mais alors là, on efface toute autorité de ces figures, et donc presque tous les enjeux du texte. D’autant que les comédiens ne semblent pas bien dirigés : l’énergie qu’ils mettent pour incarner les différents personnages rend leur jeu efficace, mais ils n’ont aucune nuance, hurlent leur texte, et n’y font pas passer grand chose. Ils font le pari que les changements de rythme ou d’intonation sur un petit « miskine » rajouté à la volée suffira à convaincre…

Pas moi, en tout cas. pouce-en-bas

Bobatomique

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Critique de La Dama Boba, de Felix Lope de Vega, vu le 10 février 2019 au Théâtre 13 / Jardin
Avec Sol Espeche, Stephan Godin, Corentin Hot, Rémy Laquittant, Pascal Neyron, Lisa Perrio, Roxanne Roux, Antoine Sarrazin, dans une mise en scène de Justine Heynemann

Je ne pouvais pas manquer La Dama Boba, encensée par la critique, alors qu’elle se jouait à quelques minutes de chez moi seulement ! Heureuse de constater que le spectacle jouait quasiment à guichet fermés, un peu impatiente lorsqu’il ne commençait pas alors que l’heure était déjà passée de 15 minutes, de plus en plus partagée en constatant le nombre de scolaires entrant bruyamment, alors qu’ils étaient en retard, dans la salle. Et puis on oublie ces premiers grognements parce que l’ambiance, parce que le spectacle, parce que la folie…

La Dama Boba, qui signifie littéralement la femme sotte, c’est le surnom de la jeune Finea, soeur cadette de Nise, beaucoup plus lettrée et intéressée par la connaissance ; les deux jeunes femmes sont en âge de se marier et la pièce s’ouvre sur la legs que fait un oncle à Finea de 100 000 ducas. Le père se retrouve donc avec une fille bête mais riche et une fille intelligente mais pauvrement dotée, et il veut conclure pour elles le meilleur arrangement possible. Les prétendants vont se succéder et surtout jongler d’une fille à l’autre au fil de la pièce qui verra Finea tomber amoureuse et, dans le même temps, acquérir une certaine forme de clairvoyance.

C’est mon deuxième Lope de Vega : j’avais découvert l’auteur espagnol déjà au Théâtre 13 jardin quand seul celui-ci existant – ce devait être en 2010. Je garde un souvenir assez vague de l’intrigue mais un ravissement certain sur l’ambiance générale du spectacle. C’est probablement la trace que me laissera également la Dama Boba : j’aurais probablement rapidement oublié cette histoire aux rebondissements infinis, mais de l’atmosphère survoltée, énergique, et euphorisante, pour sûr, je m’en souviendrai ! La Dama Boba est de ces spectacles qui vous redonne du punch alors même que vous entriez fatigué dans la salle, et vous laisse sur une note ultra positive pour le reste de la soirée !

Il faut dire que la mise en scène porte avec brio ce texte finalement assez particulier. La plume de Lope de Vega a quelque chose de poétique et toujours décalé, avec un ton très différent de ce à quoi ont pu nous habituer les comédies françaises. Le rythme est particulièrement enlevé, jamais rompu même par les intermèdes musicaux qui ajoutent une touche espagnole bienvenue (chaleur !) à l’ensemble. Le décor est ingénieux et permet d’accentuer l’effet de folie collective par des entrées et sorties multipliées de toutes parts.

Ce spectacle est mené de main de maître par une troupe de comédiens plus qu’enthousiastes – peut-être parfois trop. A commencer par Corentin Hot, qui incarne un Turin digne de Comedia dell’Arte par son jeu acrobatique, incroyablement rythmé et précis, tant dans le geste que dans la réplique. J’ai été ravie de découvrir Roxanne Roux, qui a trouvé pour sa Dama Boba une moue absolument parfaite et irrésistible et qui jongle physiquement de l’intelligence à l’idiotie avec beaucoup de talent. J’ai également retrouvé avec plaisir Rémy Laquittant, découvert dans Logiquimperturbabledufou et qui joue toujours, pour notre plus grand plaisir, de son imposante carrure et de sa belle chevelure ! Comment ne pas mentionner également Antoine Sarrazin, comédien longiligne au potentiel comique indéniable ; en amant successif de Nise puis de Finea, il est tout simplement divin.

Un spectacle qui saura ravir petits et grands ! ♥ ♥ ♥

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Dans la face

0x1200x17683-or.jpgCritique de Face à face, d’après Bergman, vu le 16 décembre 2018 au Théâtre 13

Avec Emmanuelle BercotNathalie Kousnetzoff, Évelyne Istria, Philippe Dormoy, David Arribe, Thomas Gendronneau, et Lola Le Lann dans une mise en scène de Léonard Matton

Cela fait longtemps que j’entends parler de ce spectacle. Face à face aurait dû d’abord être monté à l’Atelier sous la précédente direction mais, suite aux affaires qu’on connaît bien, la production a été retardée et c’est finalement au Théâtre 13 que s’ouvre ce Face à Face d’après Ingmar Bergman en cette fin 2018, juste à temps pour rentrer encore dans le cadre de cette année-hommage. Je suis contente de voir ce projet enfin abouti car, ayant découvert Léonard Matton comme créateur du Secret, ce lieu de théâtre immersif au coeur du 5e arrondissement, j’avais hâte de le revoir dans un travail plus classique. Et je ne fus pas déçue.

La scène s’ouvre sur une consultation de Jenny et d’une de ses patientes : on comprendra rapidement que Jenny est psychiatre, mais qu’elle n’est finalement pas si éloignée que ça de ses malades. Prenant quelques jours de vacances seule, sans son mari ni sa fille, elle sera confrontée à plusieurs événements qui feront remonter rêves et autres cauchemars venant se mêler à sa réalité. Commencera alors un face à face entre elle et elle, une auto-analyse pour aller puiser au plus loin les causes d’un mal être qui s’avère bien plus profond que prévu.

C’est étrange de se dire que, pour l’instant, je ne connais Ingmar Bergman qu’à partir des adaptations théâtrales que j’ai vues. Je pense forcément à Sonate d’Automne vue à l’Oeuvre il y a quelques années, qui m’avait déjà donné la température de ce qu’était Bergman. J’ai retrouvé ce ton sombre, cette culpabilité omniprésente et pesante, ce manque d’air dans la mise en scène de Léonard Matton, dont la scène psychédélique est le point d’orgue. Une atmosphère qui m’a d’ailleurs déroutée en premier lieu, mais dans laquelle je suis finalement rentrée pour n’en plus ressortir.

J’en suis rentrée par une porte bien spécifique : celle d’Emmanuelle Bercot. Elle est à la fois la fondation, les murs, et le toit de ce spectacle. Peut-être est-ce dû à sa présence tout le long du spectacle mais elle y amène un souffle particulier. La composition de son personnage contribue grandement à définir l’ambiance de cette histoire, et ses cris, toujours surprenant, son rire, presque démoniaque, ses pleurs, jamais forcés, viennent souvent dérouter un public qui ne s’y attendait pas. Elle mêle une force apparente à une fragilité plus intérieure avec beaucoup de subtilité et j’ai été captivée par cet ouragan complexe qu’elle avait réussi à créer. Sur scène pendant plus de deux heures, elle livre une performance impressionnante et vient confirmer ce que j’avais déjà senti lors du Dîner en ville : Emmanuelle Bercot est de ces grandes artistes dont je suivrai dorénavant la carrière.

Ne me faites pas dire ce qui n’est pas : le reste de la distribution est excellente. Léonard Matton a composé avec des profils étranges, ce qui transparaît surtout lors des saluts. Des physiques, des voix, des gestuelles différents, presque antagoniques, et qui forment un tout très hétérogène rendent à merveille le manque de communication, le décalage entre les personnages qui ne parviennent à s’entendre malgré une partition constante. J’ai retrouvé avec plaisir Évelyne Istria qui incarne avec brio la grand-mère de Jenny et qui fait passer beaucoup de sentiments mais jamais de tendresse sur son visage pourtant très souriant. Une belle composition !

J’espère que ce Face à face saura faire les beaux jours du Théâtre de l’Atelier où il s’installe à partir de janvier ! ♥ ♥ ♥

Le potentiel burlesque de Foenkinos

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Critique du Potentiel érotique de ma femme, de David Foenkinos, vu le 7 septembre 2018 au Théâtre 13 Jardin
Avec Sophie Accard, Léonard Prain, Léonard Boissier, Jacques Dupont, Anaïs Merienne, et Benjamin Lhommas, dans une mise en scène de Sophie Accard

J’ai découvert le travail de David Foenkinos à travers Jalouse, son dernier film sorti en novembre dernier et dont Karin Viard était l’une des têtes d’affiche. C’est sur ce principal critère – ainsi que l’éternelle proximité du Théâtre 13 et de mon appartement – que je me suis intéressée à l’adaptation de son roman sur scène. Et, évidemment, comme beaucoup d’entre nous, ce titre quelque peu aguicheur m’a également interpelée.

On pouvait s’en douter : on entre dans un univers délirant avec Le potentiel érotique de ma femme. On y suit le parcours d’Hector, depuis ses jeunes années de collectionneurs à ses jeunes années de père. Sur sa route, on croisera ses parents, tout aussi étriqués, ses amis, un peu étranges également, sa femme, peut-être la plus normale du lot, et son beau-frère, carrément flippant. Et pour nous conduire à travers cette histoire, nous serons accompagnés par un narrateur bienveillant.

Un bon spectacle de vendredi soir, c’est ce qui me vient en quittant, le coeur léger, la salle Jardin du Théâtre 13. J’ai du mal à imaginer cette histoire posée sur du papier, mais sur un plateau cela fonctionne très bien. On sent l’influence de l’écriture romanesque dans la trame de la pièce, où chaque scène se découpe comme des chapitres totalement renouvelés, presque décorrélés. A chaque scène suffit sa peine ! aimerait-on dire à notre protagoniste qui se retrouve toujours dans d’extravagantes situations.

Si le spectacle prend, c’est aussi et surtout grâce à une distribution exemplaire. Chaque comédien a su composer un personnage haut en couleurs, posant souvent un doigt de pieds sur la limite de la caricature mais parvenant toujours à nous décrocher un sourire. Ils sont attachants, légèrement décalés, parfois naïfs, toujours honnêtes. Et c’est leur honnêteté, leur énergie, leur esprit de troupe que j’ai été ravie de cueillir ce soir là, et qui m’a embarquée dans cette histoire rocambolesque.

Une proposition décalée menée de main de maître par une troupe qui l’est tout autant ! ♥ 

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A Troie, partez !

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Critique de La guerre de Troie (en moins de deux !), de Eude Labrusse, vu le 15 mai 2018 au Théâtre Treize (Jardin)
Avec Catherine Bayle, Audrey Le Bihan, Hoa-Lan Scremin, Laurent Joly, Nicolas Postillon, Loïc Puichevrier, Philipp Weissert et au piano Christian Roux, dans une mise en scène de Eude Labrusse et Jérôme Imard

Ha, cette chère Guerre de Troie ! Après la version prétentieuse de Pauline Bayle, après la version étonnante de Christiane Jatahy, c’est encore une nouvelle proposition autour de cette guerre mythique qui est donnée au Théâtre 13 – Jardin, par la compagnie du Théâtre du Mantois. Je n’en attendais pas grand chose, peut-être un peu lassée par ces projets renouvelés autour de cette guerre mythique. Quelle ne fut pas ma surprise de me retrouver devant un spectacle à la fois ludique et entraînant, et de redécouvrir avec un vrai plaisir le déroulé de la guerre qui opposa les grecs aux troyens, depuis la naissance d’Hélène jusqu’à la prise de Troie.

Je dois avouer que jusqu’ici, ma référence en matière de Guerre de Troie était le film de Wolfgang Petersen rassemblant entre autres Brad Pitt (Achille), Eric Bana (Hector), et Orlando Bloom (Pâris). Certes, ce n’est pas un grand film d’auteur, n’empêche que pour la jeune groupie que j’étais, voir plusieurs fois ce film – et ce fut mon cas – permettait de se faire une idée globale des différents épisodes de la guerre de Troie. Cependant quelques lacunes subsistaient, et je remercie beaucoup cette compagnie de les combler avec autant d’ardeur. C’est donc tout naturellement que La guerre de Troie (en moins de deux !) prend la place de Troie sur mon podium (et me permets toujours d’éviter de lire L’Iliade, héhéhé).

Ils sont sept comédiens pour incarner les différents acteurs de cette guerre : Agamemnon, Ménélas, Achille, Ulysse, Ajax, Hermès, Zeus, Héra, Athéna, Aphrodite, Éris, Priam, Hector, Pâris, Oenone, Hélène, et j’en passe. Aucun risque de confusion, le spectacle est parfaitement construit : un détail sur le costume, une attitude un peu différente, une intonation particulière de la voix, et chaque comédien donne vie au personnage devant nos yeux. L’inventivité est le maître-mot de ce spectacle et se retrouve évidemment dans la mise en scène, qui fait naître de véritables décors et accompagne au mieux l’histoire à partir d’objets très simples – des tables, des chaises, des tissus.

Cette créativité sans cesse renouvelée, mêlée à une troupe qui se donne corps et âme sur scène, donne un mélange réellement enthousiasmant. J’ai été saisie dès le début du spectacle pour ne plus jamais voir mon attention se relâcher. J’ai retrouvé ce que j’apprécie tellement chez Alexis Michalik : l’art de savoir raconter une histoire. C’est bien de cela qu’il est question ici, et j’ai suivi la pièce avec mon regard d’enfant, sans cesse désireuse de connaître la suite, prenant parti pour l’un puis l’autre des personnages, m’identifiant à chacun.

Le spectacle est donc mené tambour battant – ou, devrais-je dire, piano battant. En effet, le petit plus de ce spectacle, c’est la musique. Tout au long de la pièce, le pianiste accompagne les différentes péripéties et permet de maintenir un rythme toujours haletant. Les airs viennent aussi soutenir l’orientalité des faits, ce qui n’est pas pour déplaire. Le seul bémol, c’est que parfois les comédiens accompagnent le piano en chantant – ce n’était à mon sens pas toujours nécessaire. J’aurais gardé les chants de groupe, mais les parties solo n’apportent rien – au contraire, les partitions deviennent subitement répétitives alors même qu’elles étaient captivantes jusqu’alors. Un petit ajustement à trouver peut-être, mais rien de bien méchant.

Un gros gros coup de coeur. Un spectacle pour petits et grands ! ♥ ♥ ♥

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Flaubert chez les bobos

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Critique de Nos éducations sentimentales, librement inspiré de Flaubert et Truffaut, vues le 24 janvier 2018 au Théâtre 13
Avec Stéphane Brel, Anne Cressent / Valérie Blanchon, Xavier Clion, Vanessa Koutseff, Solveig Maupu, Julien Saada et la voix de Frédéric Cherboeuf, dans une mise en scène de Sophie Lecarpentier

Enfin ! Je trouve une occasion de venir redécouvrir le Théâtre 13 Jardin, tout beau tout neuf après les travaux de sa salle « historique ». C’est un théâtre que j’aime beaucoup, et pas seulement parce que j’habite à deux pas : j’y ai vu quelques pépites, dont des spectacles de Sophie Lecarpentier il y a dix ans déjà. Si j’ai pu suivre un peu son travail récemment, notamment Du bouc à l’espace vide cet été au Off avec deux acteurs en commun avec Nos éducations sentimentales, cela reste une petite Madeleine que de retrouver cette équipe dans ce théâtre, qui a quand même accompagné mes premiers pas de spectatrice.

Sur scène, on retrouve le Frédéric de Flaubert dans une transposition moderne. Il est toujours nébuleux, vivant à un rythme tantôt ralenti tantôt accéléré, mais il ce n’est plus uniquement autour de sa vie que va s’articuler l’histoire. Dans cette adaptation, qui tire également son inspiration du Jules et Jim de Truffaut, Frédéric a toute une bande d’ami dont on va suivre l’évolution avec lui. Tous sont des enfants de leur siècle à leur manière, cherchant à y laisser une trace, mais se contentant souvent d’en faire seulement partie.

Avec un titre pareil, impossible de ne pas comprendre la référence à Flaubert. J’ai lu L’éducation sentimentale sous la contrainte, passage obligé lors du bac de français il y a 6 ans maintenant. J’étais quand même contente de retrouver certains des passages travaillés, comme la première fois que Frédéric rencontre Mme Arnoux. La transposition actuelle a des bons comme des mauvais côtés : à la manière du roman, je trouve que l’insertion dans le siècle est primordiale et se fait sentir. La thématique de l’appartenance à un temps donné est très présente, tant dans le texte que dans l’atmosphère créée par Sophie Lecarpentier.

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Cependant, on retrouve les incontournables du 21e siècle, j’ai nommé les bisexuels vegans. Ça me titille toujours un peu de voir à quel point notre siècle ne semble pas représentable sans allusion à ces tendances-là. D’autant que le personnage qui incarne ces deux « lubies » à la fois a été dirigé de manière un peu excentrique, si bien que cela accentue encore mon énervement face à cette transposition. Cependant, j’ai adoré retrouver Solveig Maupu, son regard malin et plein de vie, et qui rend malgré tout son personnage attachant.

La mise en scène de Sophie Lecarpentier ne déçoit pas : rythme enlevé, dynamisme, tableaux évocateurs, je retrouve son entrain avec plaisir. La seule chose qui manque, c’est peut-être un propos un peu moins éparpillé, une partition plus riche, un regard plus guidé sur l’histoire qu’elle nous raconte. Et, évidemment, un comédien plus Flaubertien… J’avais beaucoup aimé Julien Saada dans Du bouc à l’espace vide cet été, mais le spectacle appelait ce constant empressement qui résonne dans sa diction. Pour incarner Frédéric, c’est plus gênant : il semble cracher les mots là où on attendrait un rêveur, calme, se laissant porter. Personnage omniprésent, je dois reconnaître que cette erreur de casting m’a un peu gâché le plaisir.

Le reste de la distribution, en revanche, est tout à fait cohérent. Incarnant le meilleur ami de Frédéric, Xavier Clion est le pendant apaisé, calme et réfléchi du personnage principal. Son regard doux et sa voix posée sont bienvenus dans un monde où tout semble évoluer en accéléré. Valérie Blanchon a su trouver ce truc qui provoque l’admiration chez Mme Arnoux et son personnage a quelque chose d’aérien qui jure avec les autres personnages beaucoup plus prosaïques. Enfin, Stéphane Brel est un Jacques Arnoux complètement contemporain, startuper pressé, dont le comportement initialement bouillonnant semble évoluer au fil de la pièce. Un personnage qu’il aurait pu être intéressant de creuser davantage.

Un spectacle plaisant, mais qui peut encore s’améliorer. ♥ ♥

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Maryée au malheur

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Critique de Yerma, de Lorca, vu le 29 août 2014 au Théâtre 13 
Avec Aymerline Alix, Audrey Bonnet, Christine Brücher, Yaël Elhadad, Stéphane Facco, Juliette Léger, Daniel San Pedro et Claire Wauthion, dans une mise en scène de Daniel San Pedro

Lorca n’est clairement pas l’auteur qui vous redonnera le sourire ; on ne sort pas de ce spectacle enthousiasmé, mais bien plus la mine défaite, le coeur lourd d’un poids nouveau, lâché par les acteurs de ce beau spectacle. Ce poids, c’est un mélange d’amertume, de tristesse, un reste des sentiments confus de Yerma et de l’âpreté de Jean, son mari. L’histoire est sombre, dure, abordant des sujets douloureux et la mise en scène, sobre, parvient à accentuer encore cette rigidité qui règne sur scène : ainsi, dès le début de la pièce, on sent que tout est voué à l’échec, et qu’une évolution est impossible.

L’histoire n’est donc pas enthousiasmante, et elle prend une tournure de plus en plus pessimiste au fil de la pièce. On y découvre Yerma et Jean, mariés depuis tout juste 2 ans au début du spectacle, et qui ne parviennent alors pas à avoir d’enfant. Cette impossibilité touche Yerma bien plus que son mari, et elle l’atteint en plein coeur, si bien qu’elle se change rapidement en une véritable aliénation : Yerma ne vit plus alors que pour cet enfant qu’elle n’a pas, incapable d’aller chercher un autre homme que son mari, dont on comprend implicitement la probable stérilité.

Au centre de la scène, un largue mur trône. C’est l’entrée de la grange, là où Yerma passe la majeure partie de son temps. Ce mur, seul décor du spectacle, imposant, rend la détresse de Yerma encore plus misérable : il symbolise l’obstacle infranchissable qui la sépare du bonheur, qui serait accompli par la seule naissance de son enfant. Mais insurmontable, comme la ténacité de son mari, dur et froid, comme le caractère de ce dernier. Yerma, petite chose fragile contre cet imposant obstacle, ne fait pas le poids.

Et la vulnérabilité du personnage, Audrey Bonnet l’incarne à la perfection. Grande et mince, frêle, le teint blême, les longs cheveux noirs retombant sans forme le long de son corps, elle ne semble attachée à la vie que par le mince fil de l’espoir. Audrey Bonnet a tout à fait un physique à incarner les folles, les possédées : et elle en joue à merveille sur ce plateau, se déplaçant telle un fantôme qui frôle à peine le sol, le regard fou et fuyant, s’arrêtant tout d’un coup, comme captivée, pour observer des détails de décor invisibles à nos yeux, poussant des cris soudains contrastant avec son habituelle froideur, se trainant tel un corps sans âme. Où qu’elle soit, elle apporte avec elle misère et angoisse. Il faut dire qu’avec l’homme qui incarne son mari, il ne fait pas bon respirer le bonheur.

Daniel San Pedro, qui incarne Jean, est l’opposition physique d’Audrey Bonnet. Plus carré, la voix forte et rêche, il affiche sa rugosité sur son visage, et jamais ne sourit. Jusqu’à sa démarche, droite et presque mécanique, il contraste avec la légèreté de son épouse. Et, il faut bien l’avouer, ce duo principal a tellement accaparé mon attention, que je ne saurais décrire le reste de la troupe, si ce n’est en leur reconnaissant un travail sérieux et dont on n’a rien à redire. Ils complètent le couple en amenant sur scène d’autres sentiments et de nouvelles humeur, de la jalousie comme de la joie, des bonnes comme des mauvaises intentions.

La mise en scène de Daniel San Pedro fonctionne parfaitement. Durant tout le spectacle, une boule dans la gorge, un poids sur le coeur, on assiste à l’aliénation progressive de Yerma, et cette décadence mentale finit par nous atteindre, si bien qu’on en sort véritablement accablé. L’atmosphère sombre et l’espoir vain sont omniprésents, ne laissant place qu’au malheur, à la mélancolie, et à la douleur.

Délicieusement bouleversant. A voir♥ ♥ ♥

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Lorsque Shakespeare retrouve son intensité

Critique de Macbeth, de Shakespeare, vu le 23 novembre 2013 au Théâtre 13 (Seine)
Avec Clément Bernot, Arny Berry, Benjamin Bur, Alexandre Cornillon, Jean-Damien Détouillon, Simon Fraud, Elodie Hatton, Elias Khadraoui, Victor Le Lorier, Audrey Sourdive, Laure Valles, et Victor Veyron, dans une mise en scène de Arny Berry

Le dernière pièce de ce cher William que nous avions vue ne nous avait pas convaincu du tout. Mais ce n’est pas à cause d’une mise en scène qu’il faut tout jeter : c’est pourquoi c’est pleine d’espoir que je suis allée voir la pièce présentée au Théâtre 13 Seine jusqu’au 15 décembre : Shakespeare raccourci, certes, mais le spectacle n’en reste pas moins intéressant…

Soyons honnêtes. Je ne connais pas Macbeth. Pourtant, il s’agit peut-être de la pièce la plus connue de Shakespeare. J’en connaissais un résumé, j’en avais une vague idée… Mais dans le détail, je m’y perdais un peu. Et même les répliques les plus répétées ne disaient que peu de choses à mon oreille. L’histoire, la voici : Macbeth s’illustre dans une bataille où s’affrontent la Norvège et l’Écosse. Lors de son retour chez lui, il fait la rencontre de trois femmes mystérieuses – sorcières ou démons – qui lui prédisent son accession au trône. Il n’est alors pas seul, et son ami Banquo entend également les dires étranges de ces femmes. Son avenir n’est pas oublié : il sera père de futurs rois. Si lui estime qu’il faut se méfier de telles prédictions, pour Macbeth, elle font leur chemin, et ça l’obsède. D’autant plus qu’il a mis Lady Macbeth au courant, et qu’elle le pousse aussi à devenir roi …

Je ne sais pas si j’ai réellement vu le Macbeth de William Shakespeare. Le spectacle qui m’était présenté était peut-être trop coupé et ne pouvait donc que donner une représentation quelque peu atténuée de l’oeuvre de l’anglais. Mais une fois ce détail mis à part, on assistait à quelque chose de vraiment étonnant, où l’inquiétant et le fantastique se mêlaient avec brio. La mise en scène y est sûrement pour beaucoup : j’ai rarement vu, il me semble, une telle présence de la mise en scène dans un spectacle. Mais rien de trop.

La scène des sorcières est particulièrement réussie. Le fantastique dans toute sa grandeur. Les trois actrices paraissent possédées, elle se tortillent sans cesse sur la scène, portant simplement un pagne. Le noir est quasi-total, seules quelques lampes torches agitées éclairent la scène. Cela ajoute une atmosphère de mystère qui n’est pas pour déplaire. Mais on pense également à la représentation des âmes, particulièrement parlante, comme évidente : un simple drap, et des acteurs se mouvant au-dessous, et les âmes sont présentes sur scènes. On pourrait revenir ainsi sur chaque scène, sur chaque bonne idée de ce metteur en scène qui ne nous ont pas laissé de marbre. 

Un Macbeth dreadé, après tout pourquoi pas. Mais surtout un Macbeth dont l’âme torturée, coupée en deux, se ressent sur son physique : la part noire qui l’occupe, elle est là, elle brille au fond de ses yeux. Macbeth a un oeil étrange, un oeil angoissant, plus clair – belle utilisation de la lentille. Mais un seul oeil, cela frappe le spectateur : l’acteur fait peur. Et lorsque lui même prend peur devant ce qu’il fait, ce qu’il lui reste à faire, il en devient terrifiant. L’acteur, Arny Berry, a parfaitement les épaules pour porter le rôle : il est imposant en guerrier au début de la pièce, et se transforme peu à peu, en fou, en paranoïaque. La transformation est progressive et il la manie minutieusement. Chaque détail compte.

Les acteurs qu’il guide, puisqu’il est également metteur en scène, le suivent de près sur la performance. On retient, entre autres, Alexandre Cornillon en Banquo, qui jure auprès de Macbeth par son comportement raisonnable. La raison, on la lit sur ses yeux. Il entend qu’on lui promet un fils roi, et pourtant il ne veut pas y songer. Un certain combat se joue en lui, mais la part du bien gagne. Le combat intérieur, l’acteur le fait ressentir ; par des gestes, par des mimiques, ou des silences. On pense également aux trois sorcières, tout simplement géniales, ou encore à Clément Bernot, qui tire de son rôle de portier tout le comique qu’il peut, et qui permet donc quelques moments de détente entre les scènes sombres auxquelles on assiste.

Malheureusement, les coupes ont du bon comme du mauvais. Certains détails nous échappent, comme des liens de parentés, des causes de meurtre… On aurait peut-être aimé plus de présence de Lady Macbeth : le rôle a peut-être été trop coupé… Mais on ne perçoit pas assez l’influence de la femme sur le meurtrier, sur cet homme dangereux que devient Macbeth. Dans la mise en scène, c’est comme si cette folie était en lui. Mais non, il est manipulé, ne l’oublions pas …

Un spectacle parfaitement abouti à la mise en scène recherchée. Conseillé. ♥ ♥