Peter Noster

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Critique du Tartuffe de Molière, vu le 21 septembre 2018 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Pierre Arditi, Jacques Weber, Isabelle Gelinas, Manon Combes, Catherine Ferran, Bernard Gabay, Félicien Juttner, Jean-Baptiste Malartre, Marion Malenfant, Loïc Mobihan, Luc Tremblais, dans une mise en scène de Peter Stein

J’ai découvert Peter Stein avec Le Prix Martin. Étonnant mélange que la rigueur allemande et la folie labichienne ; de curieuse, je devins conquise. Le résultat était parfait. J’ai compris depuis que tout ce que touchait Peter Stein se transformait en or. Il doit lui-même avoir conscience de ce pouvoir et ne l’utilise qu’à bon escient, attendant ses 80 ans passés pour monter son premier Molière et s’attaquer à ce monument du théâtre français. Et pourtant, devant un tel spectacle, il est difficile de croire à une première fois.

Rigoureux, drôle, réaliste, classique, moderne, stylisé, mais surtout incroyablement Moliérien, Peter Stein est de ces metteurs en scène qui partent du verbe pour monter leur spectacle. Étonnamment, je n’avais jamais entendu l’alexandrin pareillement dit : cassant le rythme habituel – le rythme français ? -, son oreille allemande nous le fait percevoir d’une manière différente. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : j’ai rarement aussi bien entendu le texte de Molière. La déclamation a une allure nouvelle, efface presque les rimes, lisse la versification et lui donne un naturel nouveau.

Ça surprend dans un premier temps… pour finalement convaincre très rapidement, emportés par une langue qu’on redécouvre, à la fois quotidienne et classique. D’ailleurs, pour la rendre la plus accessible possible, Peter Stein a coupé dans le texte tout ce qui pouvait ancrer l’histoire dans un temps passé : les références datées, les tirades évoquants des portraits de Cour ou les longues descriptions du futur marital qui attend Marianne. Étonnante également, cette façon de traiter le Tartuffe aussi comme un drame bourgeois, avec des costumes très disparates : Madame Pernelle et Valère endossent des costumes qui évoquent le XVIIème, Marianne et Dorine ont respectivement une robe et un costume de bonne du début XXème, Damis est plutôt dans un esprit dandy du même siècle, et Orgon et Elmire s’accordent avec des habits des années 30. Tartuffe, quant à lui, porte une soutane intemporelle qui semble traverser les siècles et impacter à sa manière chacun des personnages qui gravitent autour de lui.

Peter Stein est, quelque part, le grand couturier de la mise en scène – mais Yves Saint-Laurent, pas John Galliano. Les coutures sont invisibles, et le tissu semble parfait. Là où une robe s’adapte avec élégance, finesse, et surtout simplicité à la silhouette qui lui est destinée, son travail s’efface derrière la scène qui prend vie de la manière la plus évidente qui soit. Il est de ces travaux qui ne s’analysent pas : quand, soudain, un comédien se trouve en haut de l’escalier, son déplacement nous a semblé si naturel, si nécessaire, si authentique, que nous l’avons suivi sans arrière pensée avec une sorte de béatitude revendiquée.

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Remercions aussi une direction d’acteur d’une qualité rare. Devant l’annonce de ce spectacle, j’ai fait la moue : je connais les failles de Pierre Arditi pour l’avoir vu souvent au théâtre ces dernières années. Il n’en est pas question ici. C’est l’Arditi des sommets, celui des Fausses Confidences de Didier Bezace. Peter Stein ne l’a pas dénaturé : par instants, on reconnaîtrait presque Pierre Arditi, à travers à un sourire, un geste, une intonation. Mais le reste du temps il n’est que Tartufferie, et forme avec Jacques Weber un duo des plus grands. Lui aussi s’est transformé. Il propose une succession de Et Tartuffe ? d’anthologie, l’adoration et la bienveillance envers son protégé se lisant dans son regard enfantin. Et soudain les deux personnages côte à côte, la tête reposant sur l’épaule de l’autre, se détachent du reste du spectacle pour ne former plus qu’un. Enfin, lorsqu’Orgon apprend la trahison de celui qu’il croyait son ami, Jacques Weber semble prendre 10 ans d’un coup. Un vrai coup de poignard, pour lui comme pour nous.

Cette potion de transformation qu’il impose à ces comédiens a touché également Isabelle Gélinas, méconnaissable Elmire. Pour Stein, elle reste l’un des supports comiques de la pièce, puisqu’il la fait surjouer dans la scène Elmire-Tartuffe où Orgon est caché sous la table. C’est d’ailleurs avec une grande finesse qu’on s’aperçoit au fil de la pièce qu’elle porte des bas noirs, acmé de sa scène avec Tartuffe, et qui seront dévoilés progressivement, par des gestes toujours subtils. Et sa palette ne s’arrête pas là car, le reste du temps, elle joue une Elmire grande bourgeoise, très classe, solide, comme le pilier principal d’une maison où tout part à vau l’eau. Avec cette force qui lui est propre, elle donne à entendre, sans l’appuyer et avec beaucoup de dignité, cette réplique sur la libre-décision de la femme, comme une réponse de Molière au mouvement MeToo – et que je ne résiste pas à copier ici :

Est-ce qu’au simple aveu d’un amoureux transport,
Il faut que notre honneur se gendarme si fort ?
Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche
Que le feu dans les yeux, et l’injure à la bouche ?
Pour moi, de tels propos je me ris simplement ;
Et l’éclat, là-dessus, ne me plaît nullement.

Si j’avais un bémol – il en faut bien un ! – ce serait dans l’interprétation de Marianne par Marion Malenfant. C’est le seul personnage que Peter Stein fait jouer de manière caricaturale et, si je ne doute pas de son intention première, je pense que ce qu’il a en tête est si précis et si fin à jouer que Marion Malenfant peine à trouver le bon équilibre : elle passe de longues scènes à chouiner bruyamment et ne parvient pas encore à convaincre par sa composition. Mais je ne m’inquiète pas : quand je retournerai voir ce Tartuffe, elle aura trouvé.

On s’incline. ♥  

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Le crash Sneijder

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Critique du Cas Sneijder, d’après Jean-Paul Dubois, vu le 18 mars 2017 au Théâtre de l’Atelier
Avec Pierre Arditi, Didier Bezace, Sylvie Debrun, Morgane Fourcault, Thierry Gibault, et Fox, dans une mise en scène de Didier Bezace

Le Cas Sneijder faisait partie des trois pièces sélectionnées par la Fondation Jacques Toja, aux côté d’Abigail’s Party et de Piège Mortel. Le jury, chargé de décider lequel des trois spectacles se verrait attribuer 20 000€, était constitué des spectateurs à travers une campagne de mécénat participatif qui a vu Le Cas Sneijder remporter la mise. Étonnant. En effet, lorsqu’on voit l’absence de trame dramaturgique, lorsqu’on prend conscience du néant qui compose la pièce, on en vient à se demander pourquoi Didier Bezace souhaitait monter un tel spectacle.

Paul Sneijder a du mal à se remettre de son accident d’ascenseur dans lequel il a perdu sa fille, Marie. Depuis ce jour, il tente de résoudre le mystère qui a conduit l’ascenseur à descendre en chute libre. A travers des articles spécialisés et de la mécanique du fonctionnement, il tente d’élucider le pourquoi du comment. Parallèlement à ses recherches, il commence un travail de promeneur de chien et s’attache à Charlie, un border collie. L’histoire est donc assez absurde, mais cela me plaisait au départ. Je me disais que, derrière de telles étrangetés se cachaient forcément une pensée, un mystère à résoudre, une idée nouvelle et passionnante. Haha ! Que nenni. N’attendez rien d’autre de ce spectacle que sa description première. Pas de profondeur, pas d’émotion, pas de pensée.

Pourtant, tout commençait si bien. La première scène est très belle, et la voix off de Pierre Arditi, qui parle alors de la mémoire, annonce un beau spectacle. Mais tout se gâte si vite : cette histoire de promeneur de chien qui surgit de nulle part, sans queue ni tête, entraîne des scènes longues et sans intérêt. Les scènes de dialogue entre Paul et sa femme, dont les relations ne sont pas au beau fixe, se voudraient drôles et cyniques mais restent bien plates. La pièce s’étire et se complaît dans une espèce de fausse philosophie qui voudrait montrer les ascenseurs comme une métaphore de la vie. C’est prévisible, c’est inutile, et c’est raté.

Pour ajouter à tout cela, Arditi est assez mal entouré. D’ailleurs, lui-même n’a pas grand chose à jouer. C’est vrai que sur les premières scènes, je me suis dit « Ça fait du bien de le voir dans autre chose qu’un gros boulevard bien gras ». La voix off qui l’accompagne est belle, posée, atteinte. Mais on s’aperçoit vite qu’il n’a rien à jouer. Son ton mélancolique ne parvient pas à toucher à travers cette pièce sans intérêt. A ses côtés, Sylvie Debrun campe une Anna tout aussi fade. Détestable, par ailleurs, comme la plupart des personnages de la pièce. Didier Bezace n’a rien à jouer : son personnage comme ses scènes restent un mystère complet pour moi car il semble parachuté dans un environnement qui n’a nullement besoin de lui, et ses apparitions n’ont pas de conséquence sur le personnage central. Thierry Gibault, qui donne son travail de promeneur de chien à Sneijder, surjoue un personnage déjà sans intérêt. La cata.

Cela fait déjà plusieurs saisons que l’Atelier ne fait que me décevoir. Et ce n’est pas ce Sneijder qui nous réconciliera. A éviter. pouce-en-bas

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Moi je crois pas !, Théâtre du Rond-Point

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Critique de Moi je crois pas ! de Jean-Claude Grumberg, vu le 21 février 2012 au théâtre du Rond-Point
Avec Pierre Arditi et Catherine Hiegel, dans une mise en scène de Charles Tordjman

Je n’étais jamais allée au Rond-Point. Quelle belle salle ! Splendide ! Et vaste … Nous étions plutôt bien placées, 4e rang, un peu trop sur le coté peut-être. Mais les acteurs sont talentueux, devraient avoir une certaine présence sur scène, leurs voix portent sûrement, le spectacle peut donner quelque chose de bien.

Le rideau s’ouvre. La scène est à la hauteur de la salle : longue et imposante. Le décor est blanc, assez simple : des murs, un canapé au centre. De belles lumières entourent Catherine Hiegel et Pierre Arditi. Les deux acteurs sont assis sur le canapé. Elle lit le journal Télé. Il semble réfléchir. Et le spectacle commence : « Moi j’crois pas que les fayots font péter ». Le public rit. Je m’insurge intérieurement mais ne dis rien. Le dialogue continue. Les répétitions sont au rendez-vous. « Moi j’crois. – Tu crois quoi ? – Je crois que les fayots font péter. – Tu crois que les fayots font péter ? – Oui. » On pourrait espérer une amélioration. Mais non. Les erreurs de dialogue sont énormes. C’est inintéressant, bas, lourd, redondant … vulgaire. En effet, quel besoin de ponctuer les phrases d’un « t’es conne » ou d’un « t’en as rien à branler » ? Franchement aucun. Même quand on sent une idée, un brin d’inspiration derrière leurs paroles, ce manque de vocabulaire fait tout retomber.

Le principe est simple : un vieux couple est assis sur le canapé, et va s’affronter sur 11 idées, formant 11 sketchs, l’un « croyant » et l’autre « ne croyant pas ». Chaque sketch commence par l’habituel « Moi j’crois pas … » du mari, sa femme répond, ils dialoguent, finissent par se questionner sur le repas et le programme télé, puis allument cette dernière, et le sketch se finit. Déjà, rien que l’idée de base, j’ai du mal… c’est en effet assez étrange de commencer toujours par cette phrase, qui en général est plutôt l’aboutissement d’une pensée, que nous, spectateurs, ne connaissons pas … On se prend donc un sujet en pleine face, plus ou moins intéressant (vous savez, moi, les fayots …), mais qui sera traité de manière telle qu’il deviendra, de toute façon, ennuyeux, répétitif, lent : en un mot, ce n’est pas du tout ce qu’on attendait d’un tel spectacle.

Car les acteurs en scène sont des Noms du théâtre : qui n’a jamais entendu parler de Pierre Arditi ou de Catherine Hiegel ? Il suffit que le menton de l’un apparaisse sur l’affiche de La Vérité la saison dernière pour attirer les foules, quand l’autre met magnifiquement en scène Le Bourgeois Gentilhomme à la Porte Saint-Martin. Leur talent est incontestable… ou du moins, l’était …

Ce n’est effectivement pas la première fois que Pierre Arditi me déçoit. Déjà dans la pièce de Florian Zeller, j’avais trouvé cela étrange qu’il choisisse un tel texte … Mais à côté du texte de Grumberg, celui de Zeller s’approchait d’un Feydeau. Ici, Arditi « fait du Arditi », tout comme dans le Zeller. Si il arrive à redresser un peu le texte à l’aide de sa partenaire, son jeu reste un peu « fade » et on en attendait plus de sa part. Quant à Catherine Hiegel, que je voyais jouer pour la seconde fois (quelle désastreux souvenir que celui des Oiseaux à la Comédie-Française …), elle est dans le ton, évidemment, mais ça paraît si facile … Elle n’a qu’à approuver ou contrer son mari, il n’y a pas de véritable performance d’acteur, quelle déception …

Rien que de me dire que je n’ai pas ri une fois … C’est à peine si j’ai esquissé un sourire. Le seul moment qui m’a fait tirer la bouche en un vague sourire, c’est lors de leur apparent fou rire : peut-être se rendaient-ils compte du niveau de la pièce qu’ils nous présentaient ?
Décevant et déconseillé.  
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La Vérité, Théâtre Montparnasse

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Critique de La Vérité de Florian Zeller, vu le 19 février 2011 au Montparnasse
Avec Pierre Arditi, Fanny Cottençon, Patrice Kerbrat, et Christiane Millet ; mis en scène par Patrice Kerbrat ]

« Oui, c’est vrai, il y a Arditi … »

Pour tout dire, Arditi, lorsqu’on l’a vu une fois (comme dans Faisons un rêve, qui était absolument génial), on connaît : c’est un excellent acteur, mais il joue toujours le même jeu, alors, évidemment, si le texte ne suit pas … et bien … on s’ennuie.

Et, évidemment, c’est facile à deviner, ici … Le texte est fade. Vide. Pour être gentille … « mignon ».

Il y a de l’idée, ça, je ne le rejette pas. Mais elle est très mal traitée …

Pour me justifier, voilà deux passages de la pièce (jugez-en par vous-même !) :

 » Tout ce que tu veux, mais pas la culpabilité. Je déteste ce sentiment.
– Tu détestes tous les sentiments.
– Moi ? Moi, je déteste tous les sentiments ?
– Oui.
– Je déteste tous les sentiments ?
– Oui. « 

Ou, encore … :

 » Et ça ne te manque pas ?
– Hein ?
– Ça ne te manque pas ?
– Si … Mais on ne peut pas faire autrement, Alice.
– Je ne vois pas pourquoi.
– Tu ne vois pas pourquoi ?
– Non.
– Tu ne vois pas pourquoi on ne peut pas faire autrement ?
– Non. « 

Trop répétitif.

Beaucoup, beaucoup trop répétitif.

Un peu trop répétitif à mon goût.

(Moi aussi, je pourrais remplir mes critiques à me répéter …)

Heureusement, tous les acteurs sont bons, et « sauvent », autant qu’ils le peuvent, le texte.

En fin de compte, ce n’est pas du grand Art … diti.