Rameau d’or

Critique du Neveu de Rameau, de Diderot, vu le 9 septembre 2023 au Théâtre du Ranelagh
Avec Nicolas Vaude et Gabriel Le Doze, accompagnés au clavecin par Olivier Baumont

Je ne connaissais pas du tout ce texte (ça arrive même aux meilleurs). Tout ce que j’en sais, c’est que Nicolas Vaude la reprend régulièrement depuis près de 20 ans. J’avais manqué jusqu’ici ces petits événements. J’étais sans doute trop jeune. Diderot, même aujourd’hui, je dois le reconnaître, ça fait peur. Mais j’adore Nicolas Vaude. J’ai confiance en lui. Et la perspective de découvrir ce texte à travers son personnage m’enchante absolument.

J’aurais bien du mal à résumer cette pièce et, surtout, j’aurais peur de ne pas donner envie. C’est un échange, comme un débat, entre Diderot et le neveu de Rameau, sorte de gueux magnifique, d’anti-Cyrano, qui prône l’immoralité quand le philosophe défend une certaine forme de vertu. C’est un texte étrange, comme une sorte de débat d’idées mêlé d’anecdotes, qui pour moi a trouvé tout son intérêt dans ce qu’en font les comédiens : une sorte de jaillissement étonnant, captivant, d’une clarté absolue, qui vous tient en haleine tout du long.

J’adore Nicolas Vaude. C’est un comédien très particulier, unique, comme venu d’ailleurs, peut-être clivant, je n’en sais rien, le fait est que j’adore son étrangeté. Ses bizarreries. Et que lorsque la pièce débute et que le comédien qui incarne Diderot décrit le neveu de Rameau, personnage incarné par Nicolas Vaude, j’ai l’impression d’entendre sa description en tant qu’acteur – dans la forme, en tout cas. Et je ne me suis pas trompée. Avec le neveu de Rameau, Nicolas Vaude trouve assurément le rôle de sa vie. Comme un accord parfait avec cette nature si particulière qui est la sienne. Et qui lui permet de déployer tout son génie d’acteur.

Je l’ai vu souvent sur scène, mais jamais aucun rôle ne lui a conféré une telle liberté. Il est libre d’être lui, dans tout son histrionisme, dans toute sa nervosité, dans tout son art, sans jamais que le personnage ne brime cette palette unique. C’est une performance rare. C’est un maître. C’est un clown. C’est un comédien possédé. C’est un personnage de dessin animé. C’est une âme brisée. C’est un homme monté sur ressorts. Et je ne parle ici que de forme mais il dessine son personnage jusqu’au fond, nous faisant ressentir la douleur d’être le neveu du génie, ou encore le poids et la conscience de cette abjection qu’il prône. Je manque plein de choses car ce personnage est d’une densité folle. Je ne m’essaie même pas aux superlatifs car ils ne pourront rendre compte de ce mélange si étonnant entre une espèce de frénésie qui semble parfois au bord de l’incontrôlable et qui fait pourtant preuve d’une précision telle que là, je crois, on touche au génie.

Le Neveu de Rameau – Théâtre du Ranelagh
5 Rue des Vignes, 75016 Paris
A partir de 32€
Réservez sur BAM Ticket !

© Ben Dumas

Un Alceste qui vaude le déplacement !

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Critique du Misanthrope, de Molière, vu le 6 février 2020 au Théâtre du Ranelagh
Avec Nicolas Vaude, Chloé Lambert, Laurent Natrella, Pierre Val, Nathalie Boutefeu, Arthur Sonhador, Hélène Barillé, Raphaël Duléry, Clara Artur Vaude, dans une mise en scène de Nicolas Vuade et Chloé Lambert

J’étais absolument ravie à l’annonce de ce spectacle. J’ai un grand faible pour Nicolas Vaude. Alors certes, mes derniers retours pouvaient laisser penser le contraire, mais c’est parce que j’adore ce comédien que je suis très exigeante avec ce qu’il peut présenter. Et j’avais l’intuition que ce spectacle-là ferait partie de ceux que je suis absolument ravie de soutenir et de recommander. Pari réussi.

Alceste ne peut pas vivre dans cette société qui l’entoure et qu’il hait, composée d’hypocrites et misant tout sur l’apparence. Dès le début de la pièce, son caractère si particulier se fait sentir, et il se détache du reste des personnages. Cependant, c’est un homme qui se contredit sans cesse, et le paradoxe le plus important qu’il renferme est son amour pour la plus coquette et la plus mondaine des femmes, Célimène, qu’il tentera d’ailleurs de convaincre de s’exiler avec lui, loin des hommes.

Je sais ce que vous vous dites : « encore un Misanthrope ! ». On pourrait se dire qu’on a tout vu. On pourrait se demander à quoi bon. Même si je suis de ceux qui ne se lassent pas de ce texte je vous demande de me faire confiance. Il y a eu d’autres versions récentes, avec davantage de grands noms, qui ont fait salle comble. Mais ce Misanthrope-là est meilleur que celui d’Alain Françon puisqu’il nous fait rire. Mais ce Misanthrope-là est meilleur que celui de Peter Stein puisqu’il fait la part belle à l’ensemble des personnages.

Il faut saluer la mise en scène de Nicolas Vaude et Chloé Lambert qui, sans chercher à se démarquer par tous les points – ici pas de vidéo ni de nudité, pas d’inversion des genres ni d’ajouts au texte – servent la pièce de Molière avec brio. La scène d’ouverture est des plus réussies, donnant immédiatement au spectacle un rythme qu’il ne perdra plus. La mise en scène très fluide s’appuie sur de nombreux détails simples mais qui rendent la lecture très claire en ne laissant rien de côté : on entend notamment tout ce qui a trait au procès d’Alceste et qui est habituellement traité sans attention particulière.

Cela permet également de mettre en valeur les différentes histoires dans l’histoire, en dessinant de manière toujours très fine les relations des personnages, comme ce lien qui se crée de manière ingénieuse et poétique entre Eliante et Philinte lors de la tirade d’Eliante. La musique, les accessoires, les lumières sont utilisés très efficacement pour diriger notre regard ou souligner certaines scènes pour en faire des moments très soignés qui forment un tout sans accroc.

Et puis, évidemment, il y a cette distribution. Il n’y avait aucun doute possible : Vaude est fait pour ce rôle. En réalité, c’est l’image-même de mon Alceste depuis toujours. Ses changements de tonalité brutaux, cette bizarrerie dont parle Philinte, ses grimaces et le ton bougon qu’il peut adopter soudainement, tout ce qui compose l’animal sauvage qu’est Nicolas Vaude sur scène correspond à notre misanthrope. Il y est donc évidemment délicieux.

C’est également un grand plaisir de retrouver Laurent Natrella à ses côtés. Pour sa première apparition hors de la Comédie-Française, il faut dire qu’elle est très réussie : sa composition inattendue prend le contrepoint de la figure bienveillante et sage du Philinte habituel pour le rendre un brin libertin et lui laisser une grande possibilité d’évolution au cours de la pièce. Mais c’est Chloé Lambert qui crée la surprise avec sa Célimène séduisante et un poil autoritaire, sorte de femme fatale qui se joue de ses amants et ne laisse à aucun moment apparaître de faille : c’est une vision du personnage qui se tient et qu’elle incarne à merveille !

Un chouette Misanthrope. ♥ ♥ ♥

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Calme plat Salle Réjane

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Critique de Localement agité, de Arnaud Bedouët, vu le 13 février 2019 à la Salle Réjane du Théâtre de Paris
Avec Anne Loiret, Lisa Martino, Thierry Frémont, Nicolas Vaude, Arnaud Bedouët, et Guillaume Pottier, dans une mise en scène d’Hervé Icovic

Je suis généralement plutôt emballée par les créations contemporaines proposées Salle Réjane. J’aurais dû l’être d’autant plus au vu de la distribution que réunissait Localement agité : en rassemblant Thierry Frémont, Anne Loiret et Nicolas Vaude, j’étais déjà sûre d’être convaincue par la moitié du plateau. Mais c’était sans compter le texte calamiteux qui les accompagnait, et qui paradoxalement m’a donné le mal de mer face à tant de platitude. J’ai attendu désespérément que le vent se lève pour donner un peu d’ardeur et de vie à ce voyage, mais il est resté terriblement insipide.

Vous l’aurez compris, Localement agité emprunte son titre à la météo. En effet, nous voilà au fin fond de la Bretagne, où une fratrie ainsi qu’une pièce rapportée, l’ex-femme de l’un des hommes, se retrouvent en ce 29 février pour exaucer les dernières volontés de feu leur père : disperser ses cendres par vent de sud-ouest sur un rocher précis qu’il chérissait. Ils avaient déjà tenté il y a quatre ans – année bissextile oblige – et les voilà de nouveau réunis en attendant la brise, mais c’est plutôt un vent de tension qui souffle sur la maison.

Localement agité, c’est un spectacle que j’ai l’impression d’avoir déjà vu 15 fois. Cela se sent dès la lecture du pitch : il est à la fois complètement farfelu et très banal. Alors c’est vrai, si je n’allais pas tant au théâtre, j’aurais probablement ri à plusieurs reprises en découvrant la pièce. Mais ce texte, je le connais trop bien. Je connais les trucs, je vois les ficelles qui sont tirées, j’ai presque l’impression de pouvoir prévoir certaines répliques à l’avance. C’est comme si j’avais sur moi mon bingo de la comédie/drama familial et que je cochais les cases au fur et à mesure.

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© Céline Nieszawer

Et allez, on y va de nos secrets de famille. Et allez, on y va des couples séparés dont l’attirance est toujours perceptible sur la scène et dont on se doute qu’ils se remettront ensemble après la fin de la pièce. Et allez, on y va du frère à qui tout réussit, qui trompe sa femme qui l’apprend au début de la pièce et qui menace de le quitter – voire, le quitte – par téléphone. Et allez, on y va du petit dernier baba cool qui connaît échec sur échec dans sa vie professionnelle mais qui prend tout du bon côté et s’opposera, évidemment, à celui qui a réussi. Cette opposition donnera d’ailleurs naissance à un quasi-monologue, assez mal écrit, pas du tout dramatique, sur le vide respectif de nos existences, se transformant en leçon de vie de ceux qui se définissent par ce qu’ils sont sur ceux qui se définissent par ce qu’ils font. Un moment de pur cliché.

Il faut dire que les clichés se ramassent à la pelle dans ce spectacle. J’en ai déjà cité quelques uns, auxquels je souhaite quand même ajouter celui de la soeur qui a raté sa vie, laborantine, vieille fille, couchant avec des hommes mariés dont l’un l’a emmené à Djerba, voyage qu’il avait gagné grâce à ses bons résultats en tant que commercial mais duquel sa femme n’a pu profiter en raison de sa peur de l’avion. Et, pour couronner le tout – ATTENTION SPOILER – l’histoire révèlera que le père était à la fois Prix Nobel de Physique, écrivain, adultère couchant avec sa belle-fille et fervent soutien de Staline. Tout ça dans une seule famille.

Alors j’ai pris mon mal en patience. J’ai eu mal de voir ces comédiens que j’aime tant pareillement sous-employés mais j’ai malgré tout savouré autant que possible leur présence sur scène – après tout, ce n’est pas tout les jours qu’on retrouve pareille distribution ! Je ne sais pas s’ils peuvent vraiment croire à ce qu’ils jouent, mais en tout cas je dois reconnaître qu’ils font bien semblant. Thierry Fremont est détestable, reprenant toutes les manières d’un ancien de mes professeurs au profil professionnel semblable, Anne Loiret est poignante dans ses éclats et sa voix reste l’une des merveilles de ce monde, Nicolas Vaude est touchant en ex-mari hésitant et perdu. J’ai vraiment du mal à qualifier le jeu de Guillaume Pottier : sur scène, j’ai vu un jeune comédien arrivant les mains dans les poches, sans formation, estimant qu’on peut faire du théâtre comme on est dans la vie. Sur le papier, je découvre qu’il est formé au Studio Théâtre d’Asnières puis au CNSAD, c’est-à-dire tout simplement la voie royale. Lui a-t-on alors demandé de jouer celui qui ne savait pas jouer la comédien ? Je le saurai le 29 juin prochain, puisqu’il sera des Trois Mousquetaires du Collectif 49 701 dont j’ai entendu tant de bien.

Un naufrage textuel. pouce-en-bas

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© Céline Nieszawer

Une collection de platitudes

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Critique de La Collection d’Harold Pinter, vue le 23 février 2018 au Théâtre de Paris
Avec Sara Martins, Davy Sardou, Nicolas Vaude et Thierry Godard, dans une mise en scène de Thierry Harcourt

En habituée de la salle Réjane que je suis, et ayant déjà vu le spectacle proposé à 21h, ne me restait plus qu’à découvrir celui de première partie de soirée. Un spectacle que j’attendais avec une grande impatience en vérité, puisqu’il mêlait plusieurs éléments sujets à mon enthousiasme : j’ai nommé messieurs Nicolas Vaude et Harold Pinter. Quelle ne fut pas ma déception devant l’absence de tout ce que j’avais espéré : ni trace de l’auteur, ni du talent du comédien.

Pourtant, j’ai senti dans le texte une belle trame dramatique et des dialogues pinteriens comme je les aime. Je suis malgré tout contente d’avoir découvert cette pièce, et j’ai hâte de la voir bien montée. Un individu étrange passe un coup de téléphone en pleine nuit. Il est 4h du matin, et il demande à parler à Bill Loyd. Devant son échec, il se présentera à l’appartement le lendemain matin. Inconnu de Bill et de son colocataire Harry, James leur présentera alors une situation étrange : il accusera Bill d’avoir couché avec sa femme lors d’un séminaire à Leeds. L’accusé niera tout d’abord en bloc, avant de consentir à certains aspects de l’histoire, puis d’en modifier des parties : se joue-t-il complètement de James ou refuse-t-il de reconnaître la vérité ? Comme souvent chez Pinter, tout est possible.

Le problème ? Probablement un manque d’idée du côté du texte. Pas facile de traiter Harold Pinter et tout ce qu’il soulève comme mystères : il faut trouver le bon compromis entre maintenir l’intérêt du spectateur et ne jamais résoudre franchement les secrets de la pièce. C’est comme s’il fallait amener le spectateur à se faire sa propre idée du problème en lui donnant toutes les clés en main pour conclure, sans jamais apporter la solution. Si le metteur en scène n’apporte pas un regard précis sur ce texte et le monte de manière linéaire, laissant de côté incertitudes et énigmes, sans vraiment s’en occuper, on perd toute l’atmosphère propre à Pinter et on tombe dans une espèce de pseudo-thriller sans grand intérêt.

C’est ce qui se passe ici : Thierry Harcourt semble s’être désintéressé du texte et des situations, travaillant plutôt le rendu plus matériel de sa scénographie. On sent un travail peut-être plus soigné sur les lumières, sur les déplacements relatifs des comédiens, sur leurs positions spécifiques à tel endroit de la pièce. Mais le fond est absent, et l’ennui prend sa place. Seule la relation ambigüe entre Bill et Harry a des aspects pinterien. Mais la technique visant à réaliser les dialogues sans que les comédiens ne se regardent dans les yeux lasse rapidement. Thierry Harcourt semble effrayé par les silences – pourtant personnage à part entière chez Pinter – et les comble autant qu’il peut. Le désintérêt vient. Le spectacle ne dure qu’une heure, et pourtant ça paraît long – d’autant plus que le spectacle, qui aurait pu durer 45 minutes, s’étire par tous les moyens possibles.

C’est fou, car l’un des premiers articles sur le blog concernait un spectacle dans lequel jouait Davy Sardou. Je dois dire que c’est extraordinaire de voir à quel point il n’a pas évolué en 7 ans. Il est toujours d’une fadeur extrême, incapable d’exprimer la moindre émotion, la moindre nuance de jeu. Mais c’est bien aussi d’avoir des comédiens pareils : ça nous rappelle qu’il ne suffit pas de poser un homme sur une scène pour pouvoir jouer la comédie. A ses côtés, évidemment, Nicolas Vaude l’écrase. Le comédien, même s’il n’est pas à son meilleur et passe plusieurs fois en force, est le seul qui livre une partition intéressante, donnant un semblant de relief au spectacle. Il faut dire qu’avec ses petits yeux fous et son sourire inquiétant laissant apparaître quelques dents, le personnage de James semblait fait pour lui. Mais on l’a connu en meilleur forme – et mieux dirigé.

Déception et ennui. pouce-en-bas

La collection 113

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Critique d’Amphitryon, de Molière, vu le 30 septembre 2017 au Théâtre de Poche-Montparnasse
Avec Jean-Paul Bordes, Benjamin Boyer, Antony Cochin/Yannis Baraban, Odile Cohen, Mathias Maréchal, Guillaume Marquet/Laurent Collard, Christelle Reboul et Nicolas Vaude, dans une mise en scène de Stéphanie Tesson

On ne le dira jamais trop : le Théâtre de Poche est un lieu incontournable à Paris. Sa programmation, éclectique, toujours exigeante, est à surveiller de près. Pour ouvrir cette saison, c’est simple : les trois spectacles m’attiraient. Comme mon agenda est blindé, et qu’il faut bien arriver à faire un choix, c’est avec Amphitryon, mis en scène par Stéphanie Tesson, que je retrouvais le théâtre ; dans la distribution, Jean-Paul Bordes et Nicolas Vaude, deux comédiens que j’adore. Cela promettait d’être un très bon moment. Malheureusement de bons comédiens ne suffisent pas toujours à proposer une belle production…

Et pourtant, avec une bonne comédie de Molière, on peut passer de très bons moments. Surtout celle-ci, qui joue sur les quiproquo pour notre plus grand plaisir : Jupiter ayant été séduit par Alcmène, fraîchement mariée à Amphitryon, il prend l’apparence du mari le temps d’une soirée alors que celui-ci est au combat – Mercure de son côté prenant l’apparence de Sosie, le valet d’Amphitryon, pour seconder son père. Lorsque son mari revient, évidemment, Alcmène s’étonne de le voir revenir si tôt, alors que lui ne pense pas l’avoir vue depuis un moment… Les Dieux, maîtres de la situation, s’amusent un peu avant de tout ramener dans l’ordre.

Amphitryon est donc un pur divertissement, et supporte mal les mises en scène grandiloquentes. Au contraire, il lui faut du rythme et un grain de folie, et c’est ce qui m’a semblé manquer dans la mise en scène de Stéphanie Tesson. De rythme, d’abord, puisque la direction d’acteurs m’a laissée perplexe : la manière de dire les vers, particulièrement, trop récitée, les réactions des personnages, trop jouées, sont autant de choses qui m’ont laissée sur le côté. De folie, ensuite : on sent qu’il y a quelque chose qui est là, mais qui n’est pas forcément abouti. De belles idées scénographiques mais un ensemble qui retombe un peu à plat, comme un peu mou…

Et puis, il y a Nicolas Vaude. Je pense que je pourrais presque conseiller le spectacle rien que pour voir ce petit génie en action. C’est un concentré de vivacité, de bizarrerie, de gaieté, d’extravagance et de loufoquerie. Il est un Sosie succulent, et nous enchante à chacune de ses apparitions. Étrangement, il est le seul dont la diction des vers est naturelle et agréable à l’oreille. A ses côtés, ses partenaires nous font malheureusement trop sentir que nous sommes au théâtre : diction appuyée, sanglots abusifs, tirades en force, et un peu de cabotinerie… Dommage.

Partagée entre le plaisir de retrouver Nicolas Vaude et la déception face à cette mise en scène un peu scolaire… 

C’est bien… ça !

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Critique de Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute, vu le 18 novembre au Théâtre de Poche-Montparnasse
Avec Nicolas Briançon, Nicolas Vaude, et Roxana Carrara, dans une mise en scène de Léonie Simaga

J’avais manqué la mise en scène de Léonie Simaga il y a quelques années à la Comédie-Française (sisi, c’est vrai…). Après son départ de cette Maison, j’ai guetté son retour, et c’est avec joie et impatience que j’ai attendu sa nouvelle mise en scène de la pièce de Sarraute. Invitée par les Théâtre Parisiens Associés, que je remercie au passage, j’ai passé une excellente soirée au Poche, grâce à l’intelligence, la maîtrise, et la subtilité de l’équipe du spectacle.

Voilà une pièce qui peut laisser perplexe ; à la lecture, pas de personnage défini mais H1 et H2, deux amis qui s’affrontent pour rien, ou ce qui peut nous sembler rien. Un rien qui part d’une phrase, d’une intonation, et qui peu à peu s’élargit pour devenir un tout. Une pièce sur le conformisme, sur la difficulté d’exprimer le rien, le ressenti intérieur. Le non-dit, maître mot du spectacle, est brillamment transmis dans cette mise en scène de Léonie Simaga.

L’une des grandes réussite du metteur en scène, à mon sens, est qu’à aucun moment, on ne prend parti. Léonie Simaga a l’art de faire parler le texte, de lui faire avouer tout ce qu’il a à dire, sans le dénaturer. Certes, on serait tenté d’envier Nicolas Briançon, l’homme qui a réussi : l’air assuré, imperturbable, il domine aisément le conflit. Mais qu’a-t-il vraiment réussi ? N’est-il pas un pion de plus, comme le dénonce l’autre Nicolas ? Ce dernier n’est-il pas dans la vérité, malgré son apparente folie ?

La scène a l’air d’un ring. Progressivement, la tension monte. Les deux Nicolas se regardent et s’affrontent, anciens amis que tout semble opposer aujourd’hui : d’un côté, Briançon apparaît calme, simple et tranquille, bien habillé, coiffé, élégant. Il respire la satisfaction de soi, la fierté plus que l’orgueil. De l’autre, je découvre un Nicolas Vaude impressionnant dans son égarement : le regard fou, le geste brusque, la diction saccadée, la composition est poussée à l’extrême mais jamais caricaturale. Un très beau duo de comédiens.

On le sait, on le sent, le bonheur apparent de l’un ne reflète pas la vérité, tout comme le rejet absolu de l’autre. Au lecteur de gratter sous le texte, de lire entre les lignes les suppositions de Nathalie Sarraute. Au spectateur de se laisser porter par une mise en scène menée de main de maître par Léonie Simaga, qui dirige ces deux grands comédiens pour notre plus grand bonheur : aux amoureux des mots, voilà un spectacle à ne pas manquer.

La vie est là, simple et tranquille, dans toute sa complexité, au Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 19h, et le dimanche à 17h30. ♥ ♥