Fais pas ci, fais pas ça

Critique des Règles du savoir-vivre dans la société moderne, de Jean-Luc Lagarce, vu le 20 octobre 2021 au Théâtre du Petit Saint-Martin
Avec Catherine Hiegel, dans une mise en scène de Marcial di Fonzo Bo

Cette année, j’ai fait simple : je me suis abonnée au Théâtre de la Porte Saint-Martin. La programmation est belle, exigeante, éclectique, et elle s’ouvre pour moi avec ces Règles du savoir-vivre dans la société moderne, texte de Lagarce que je ne connais pas encore et que j’ai hâte de découvrir – et pas par n’importe qui, s’il vous plaît : la queen Catherine Hiegel en personne.

Je ne connaissais pas la pièce, je suis contente de l’avoir découverte mais ce n’est probablement pas la plus grande pièce de Lagarce : elle est intéressante dans cette énonciation des principes qui devraient dicter notre comportement, de la naissance jusqu’à la mort, en passant par le parrainage, le baptême, le mariage, et tout ce qu’on peut imagine d’événements régissant une vie.

Il y a deux versions possibles à cette critique. Je vais vous soumettre les deux puisqu’elles se sont opposées en moi. Elles ont coexisté pendant tout le spectacle et je n’ai pas pu déterminer laquelle était la plus juste.

Il y a d’abord celle de la Mor(d)ue : on ne la lui fait plus, après dix ans de chronique, vous pensez ! Elle repère tout, analyse tout, enregistre tout, et juge tout à l’aune de « ce qu’on pouvait attendre d’un tel spectacle ». Quand on m’annonce un seul en scène avec Hiegel, j’attends l’effet WAOUW. Ce que je vois avec mes yeux de morue, c’est une mise en scène somme tout très simple, une comédienne qui « se contente » de lire son texte, qui peut-être ne donne pas tout ce qu’elle pourrait donner – on a connu Hiegel plus grande que ce soir-là. Elle me donne l’effet de se balader un peu, d’aller à la facilité, de « faire du Hiegel »…

Et puis il y a celle que vous livreraient mes yeux d’enfants. Le coeur qui bat quand je m’assois au premier rang, à l’idée que Catherine Hiegel va être là, si près. L’émotion de voir cette immense actrice jouer juste devant moi. L’intérêt, c’est elle, ce qu’elle fait de ce texte, ce qu’elle invente à côté et qu’elle ne dit pas. Hiegel, on la regarde autant qu’on l’écoute. Ses yeux sont des lasers, ses sourires sont au-delà de l’ironie. Elle invente un nouveau texte, où le premier degré rejoint le second. Il s’en passe des choses, sur cette figure-là. Tous les âges sont sur son visage. Elle reste fascinante, et je suis fascinée.

Ce n’est sans doute pas le spectacle de l’année, mais c’est quand même Catherine Hiegel, et Catherine Hiegel c’est déjà beaucoup. ♥ ♥

© Jean-Louis Fernandez

Le dernier Maître, Ô !

Critique de Avant la Retraite, de Thomas Bernhard, vu le 15 octobre 2020 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Catherine Hiegel, André Marcon, Noémie Lvovsky, et Helena Eden, dans une mise en scène d’Alain Françon

Alain Françon. Le premier metteur en scène qui m’a bouleversée : je sors quasiment toujours de ses pièces en ayant la sensation d’avoir touché au parfait. Et l’artiste ayant signé le dernier spectacle que j’ai vu avant le confinement. Avant la retraite était sans doute l’un des spectacles que j’attendais le plus en cette rentrée 2020. Réunissant un trio d’acteurs très prometteur autour d’une pièce au sujet fort, j’étais plus qu’impatiente. Trop impatiente. Et je sais comme l’impatience peut conduire à la déception. Mais rarement avec Françon.

On est le 7 octobre et, comme chaque année, dans cette fratrie, on célèbre l’anniversaire d’Himmler. La soirée commence seulement et Vera s’affaire partout dans le salon : il s’agit de préparer cette réunion particulière. Sa soeur Clara la regarde avec un dégoût non dissimulé : c’est que le duo incestueux représente tout ce qu’elle exècre. Mais, paralysée des jambes, elle ne peut intervenir dans le manège des préparatifs de Vera. Tout doit être parfait pour que son frère Rudolf soit satisfait. Car si on fait tout ça, c’est parce que c’est important pour lui : ancien officier nazi, c’est le moment où l’on se souvient avec tendresse des grandes années du Troisième Reich. D’autant que cette année est une année particulière : c’est la dernière année avant qu’il ne prenne sa retraite en tant que juge.

Je ne suis pas une grande fan de Thomas Bernhard, et je comprends de mieux en mieux pourquoi. Moi qui aime bien avoir le contrôle sur tout, son théâtre qui parfois frôle l’absurde me dérange. La banalité effrayante qui ressort des dialogues de sa pièce est scandaleuse. Ce que je vois est totalement décorrélé de ce que j’entends. D’un côté la tendresse, de l’autre l’abjection. Françon est fait pour ce genre de texte dont il peut révéler toute la profondeur. Je pensais pouvoir résumer la pièce en deux lignes, je dois me restreindre pour ne pas écrire un pavé sur tout ce qu’on y trouve, ce qu’on y puise ou ce qu’on y vomit. Par un travail plus que fin sur le texte, grâce à une direction d’acteurs au cordeau, au travers d’une scénographie amèrement réaliste, ce spectacle permet à la pièce d’entrer dans une autre dimension. J’ai été happée, transportée dans cette maison sinistre, comme un quatrième couvert ajouté à la table de la fratrie. Ce soir-là, je l’ai passé dans ce salon avec eux.

Je connais évidemment le talent des trois comédiens que dirige Françon. Mais connaître n’est pas voir, et c’est toujours un choc de se retrouver face à Catherine Hiegel sur scène. Je ne connaissais pas la pièce et n’avais donc aucune idée de la répartition des rôles. Spoiler : Catherine Hiegel porte tout. Elle est en scène d’un bout à l’autre du spectacle, parfois sur des monologues interminables – mais constamment captivants – oscillant entre banalité et horreurs au gré de la conversation, elle parle, elle parle, elle parle, et nous on regarde, on tremble, on rit. Sous ses tirades aux apparences banales, elle sème avec finesse des indices scéniques ou verbaux d’une domination qui se met progressivement en place au fil du spectacle. Celle qui pouvait apparaître comme une simple maîtresse de maison au service de son frère au début de la pièce se transforme peu à peu en oppresseur en insinuant délicatement le doute sur l’origine réelle de cette situation. Elle est terrifiante. Elle est banale. Elle est immense.

Qu’elle porte tout n’enlève rien au talent de ses partenaires. Si leur partition est moins étonnante, ils n’en restent pas moins très impressionnants. André Marcon fonctionne pratiquement en duo avec Catherine Hiegel. Elle nous prépare longtemps à sa venue et le voilà entrant en scène aussi brillant qu’elle nous l’a décrit. Mais sa palette est large, et le voici bientôt abject et pitoyable. La relation qui se joue entre les deux personnages a quelque chose de nauséabond – mais théâtralement parlant, c’est fascinant. J’ai d’abord eu plus de réserves sur le jeu de Noémie Lvovsky, que je découvrais au théâtre. Elle a peu de texte, et lorsqu’elle prend la parole, c’est avec moins d’autorité que ses partenaires. Ça questionne un peu, surtout quand on connaît la rigueur de Françon. Alors on peut aussi remarquer comme elle excelle dans son mutisme bouillonnant de colère : et là elle est la reine. Cette opposition dans le jeu des comédiens dérange autant qu’il interroge. Comme tout le spectacle : tout est pensé, tout a sa place, tout est génie.

Et toutes les couleurs de Thomas Bernhard font partie du tableau, le traumatisme des bourreaux en tête. On est vraiment face à un texte très inconfortable, et Françon ne nous fait pas de cadeau. Il sait parfaitement faire monter la tension, tout en restant toujours en retenue. Rien n’explose jamais : ce serait une facilité. Tout s’accentue progressivement, très subtilement, vers une fin qui ne nous sera pas proposée mais qui nous prend à la gorge. Le décor de Jacques Gabel et les lumières de Joël Hourbeigt accentuent encore ce sentiment d’étouffement progressif. Je pense n’avoir jamais vu un titre de pièce aussi bien servi : on sent vraiment qu’on est avant quelque chose, que la retraite va entraîner un changement, que tout va basculer. Rudolf va-t-il tuer tout le monde chez lui ? Va-t-il sortir en costume de SS ? La réponse n’est pas apportée mais le doute est impossible.

C’est grinçant, c’est glaçant, c’est gênant. C’est parfait. ♥ ♥ ♥

Trois stars

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Critique de Trois Femmes, de Catherine Anne, vu le 18 décembre 2019 au Lucernaire
Avec Catherine Hiegel, Clotilde Mollet, et Milena Csergo, mises en scène par Catherine Anne

C’est sur le nom de Catherine Hiegel que je me suis rendue au Lucernaire. C’est étrange, mais la comédienne a une place toute particulière dans mon sanctuaire théâtral alors même que quand je regarde mes anciens articles marqués de son nom, je me rends compte que j’ai souvent été déçue ces dernières années. C’est peut-être pour ça que, inconsciemment, je n’attendais aucune fulgurance de ces Trois Femmes. Je n’en ai été que plus transportée.

Trois femmes, trois générations. Catherine Hiegel est Madame Chevallier, une vieille dame riche, épouse d’un Monsieur Chevallier qui a fait fortune par son usine et lui a laissé sa richesse, mère d’une Geneviève qui ne donne que peu de nouvelles et grand-mère d’une petite Amélie qu’elle n’a pas vue depuis près de vingt ans. Clotilde Mollet est Joëlle Muhler : elle a été engagée par Geneviève pour veiller sur sa mère la nuit et se satisfait de cette nouvelle situation : elle a retrouvé un mari et une situation après un accident sur lequel on n’aura pas de détail et touche régulièrement du bois pour que sa vie continue ainsi. Milena Csergo est Joëlle, la fille de Joëlle, elle est jeune et elle a encore l’espoir que sa mère semble avoir délaissé. Elle a des rêves, des grands rêves, et la rencontre de Madame Chevallier lui donne des idées : c’est du côté de cette dame que se trouve l’argent, le pouvoir, et donc la promesse d’un avenir. Pourquoi alors ne pas se faire passer pour sa petite-fille Amélie ?

J’ai peut-être perdu l’habitude de voir des petites formes et d’en être pareillement impressionnée. J’ai été totalement happée par cette histoire, ces histoires, leurs histoires. La pièce est vraiment très bien ficelée, on la suit comme une véritable enquête avec un désir ardent de connaître le dénouement. Et à plusieurs reprises on pense le deviner : il n’en est rien. La pièce se plaît à faire des détours, à nous amener là où notre imagination n’allait pas. J’avais très peur d’être déçue par la fin, il n’en fut rien : elle est parfaite. Et – je tiens à le souligner car c’est trop rare – le décor est simple, intelligent, et utile. Il est pensé comme un élément de la pièce, comme un personnage, et pas comme un simple meuble. Il habille le propos, il l’accompagne et insinue les évolutions des relations avant même que les dialogues la traduisent pour les spectateurs. C’est bon de voir un décor pensé, alors chère Elodie Quenouillère, vous avez toute mon admiration.

Et parlons d’elles, de ces trois femmes, de ces trois comédiennes. Le rôle de vieille misanthrope délaissée convient à merveille à Catherine Hiegel qui assène ses punchlines avec la gouaille qu’on lui connaît – elle ajoute d’ailleurs à sa palette de légères intonations à la Pierre Arditi qui n’ont pas été pour me déplaire. Mais elle est aussi la femme blessée, lassée, et profondément triste, seule et abandonnée, que l’argent ne suffit pas à combler. C’est légèrement caricatural comme propos – les riches dans leur solitude et les pauvres dans l’amour de leur famille – mais théâtralement ça fonctionne très bien. A ses côtés, la jeune Milena Csergo n’est pas en reste et défend son personnage avec brio. Sa Joëlle a les yeux qui brillent mais derrière l’espoir qui luit dans ses prunelles on aperçoit de sombres jours pas encore cicatrisés. La fougue de la jeunesse, la maturité de ceux qui ont déjà vécu, la naïveté de l’enfance et l’égoïsme de l’injustice se mêlent dans ses mouvements, dans ses intonations, dans les coups d’oeil qu’elle lance parfois à sa vraie mère, parfois à la fausse. Mais c’est Clotilde Mollet qui m’a clouée. A chacune de ses interventions, la boule dans ma gorge grossissait, jusqu’à exploser lorsqu’une dispute éclate avec sa fille. Elle est la dignité faite femme. Je n’avais jamais vu une telle incarnation de l’honneur sur scène. Sa composition est extrêmement fine, ce léger accent vosgien parfaitement maîtrisé parfait la forme quand tout le fond passe par des regards, des silences et des gestes. Du grand art.

Quatre superbes femmes portent ces Trois Femmes haut, très haut. On y court !♥ ♥ ♥

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Dedienne et Calamy mènent le jeu à la Porte Saint-Martin

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Critique du Jeu de l’amour et du hasard, de Marivaux, vu le 17 janvier 2018 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Laure Calamy, Vincent Dedienne, Clotilde Hesme, Nicolas Maury, Alain Pralon, Cyrille Thouvenin, dans une mise en scène de Catherine Hiegel

Plus de doute possible : le Théâtre de la Porte Saint-Martin est devenu un de mes incontournables. Si j’ai manqué Le Tartuffe qui ouvrait sa saison à cause d’un Michel Bouquet devenu inapte à la scène, je serai en revanche du reste de la saison : tant ce Jeu de l’amour et du hasard que L’Oiseau vert, monté par Pelly, sont des spectacles prometteurs. Le matin-même du jour où je me suis rendu au Saint-Martin, j’apprenais que c’était un Tartuffe de Peter Stein qui ouvrirait la prochaine saison. Jean Robert-Charrier fait fi des conventions public/privé et le geste mérite d’être encouragé. Par ailleurs, retrouver un spectacle de Hiegel, qui m’avait tant enchantée avec son Bourgeois Gentilhomme il y a quelques années sur cette même scène était plutôt alléchant : c’est donc en confiance que je me suis rendue au théâtre, ce soir-là. Et la promesse était tenue. En partie.

Le jeu de l’amour et du hasard met en scène deux jeunes couples. Silvia, fille d’Orgon, doit se marier avec Dorante. Mais elle appréhende ce mariage qui pourrait se faire alors qu’elle ne connaît encore mal son mari. Soucieuse de son bonheur, elle propose alors à son père l’arrangement suivant : pour mieux découvrir Dorante, elle veut l’accueillir sous le déguisement de sa coiffeuse, Lisette. Cela lui permettra de pouvoir observer son promis à sa guise sans faux semblants. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que de son côté, Dorante aura eu la même idée, et se présente alors dans la maison sous le nom de Bourguignon, ayant laissant son bel habit à son valet, Arlequin, qui prend sa place.

Voilà une bien jolie pièce de théâtre dans le théâtre que ce Jeu de l’amour et du hasard – d’ailleurs, pour nous le rappeler, la servante est installée sur la scène lorsque les spectateurs arrivent. Cela donne le ton à la mise en scène de Catherine Hiegel : tout du long, un petit aspect pédagogique se fera ressentir. L’intention est louable : en effet, la salle semblait très hétérogène, et nombreux étaient les spectateurs qui découvraient le texte. Ayant anticipé son public, Hiegel propose une mise en scène un peu longue au démarrage, posant son histoire de la manière la plus claire possible, et les rires qui ponctuent les révélations sur le double jeu qui va s’opérer montre qu’elle avait vu juste.

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Cependant, le spectacle va peu à peu prendre ses marques et se laisser porter par le texte de Marivaux. La mise en scène restera sage, s’appuyant fortement sur la partition et les comédiens qui sont réunis sur scène. Et il y a du niveau : quel ravissement infini que de découvrir Vincent Dedienne. Outre son talent comique, dont je me doutais – le nom de l’acteur étant pour moi fortement lié au one-man show – il est un excellent comédien et sa formation classique n’est pas à mettre en doute : son Arlequin est léger et drôle, toujours naturel, jamais cabot. Son entrée amène une belle respiration dans ce début de pièce un peu lourd et la prouesse se renouvellera à chaque fois, si bien qu’on se retrouvera toujours à attendre son retour sur scène.

Il faut dire qu’il trouve en Laure Calamy une partenaire idéale : passionnée, le regard vif, elle a un rire franc et contagieux sans jamais tomber dans l’hystérie. J’ai découvert la comédienne dans la série Dix pour cent et je suis absolument ravie de l’avoir retrouvée sur scène, où elle est tout aussi à l’aise : son port élégant ne jure aucunement avec son air malin et sa Lisette est à la fois piquante et attachante. Le duo formé par les deux valets soulève aisément les rires de la salle, sans jamais forcer le trait. C’est un plaisir également que de retrouver Alain Pralon, dont le regard paternel attendri, fin et malicieux, amène un peu de raison face à ces jeunes gens très impulsifs.

Malheureusement, je ne peux passer à côté d’une erreur de distribution aux lourdes conséquences : pourquoi Catherine Hiegel a-t-elle choisi Nicolas Maury pour incarner Dorante ? La question reste entière. Il ne semble pas du tout heureux d’être sur scène : au contraire, il a l’air mal à l’aise, comme parachuté ici sans son accord. Le comédien, que j’ai également découvert dans Dix pour cent, semble composer ici le même personnage que dans la série : un peu triste, un peu renfrogné, l’air maussade, le visage fermé, on ne croit pas à une minute à ce Dorante mal élevé. Lorsqu’il entre pour la première fois en scène sous le déguisement de son valet, on en vient à se demander si l’on a bien suivi le cours des choses et si le personnage qui entre n’est finalement pas le véritable valet qu’on découvre : finalement, c’est un Arlequin, serviteur d’aucun maître qui nous est proposé, et le manque du personnage de Dorante se fait vraiment sentir tout au long du spectacle. En effet, la lourdeur du personnage en vient à peser sur la pauvre Silvia, dont on ne peut s’imaginer une seule seconde qu’elle tombe amoureuse de cet être peu recommandable. Pour combler le décalage, Clothilde Hesme se voit obliger de légèrement surjouer, ce qui est dommage car on la sent bien plus libre dans les scènes sans son boulet. Il aurait fallu faire l’échange avec Cyrille Thouvenin, coquin Mario qui, lui, semble prendre un vrai plaisir à regarder le jeu se mener…

La proposition a quelque chose de charmant, mais l’erreur de casting handicape fortement le spectacle. Dommage.   

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C’était mieux avant

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Critique de La nostalgie des blattes, de Pierre Notte, vue le 17 septembre 2017 au Théâtre du Rond-Point
Avec Catherine Hiegel et Tania Torrens, dans une mise en scène de Pierre Notte

Je trouve l’idée de départ brillante. N’ayant pas lu la note d’intention de l’auteur, je ne savais pas de quoi il était question. Je ne l’ai pas compris tout de suite d’ailleurs : lorsque Catherine Hiegel répète qu’elles « n’auront personne », je me suis demandée s’il s’agissait des visites dans une maison de retraite. En fait, on comprend vite que les deux femmes sont dans une sorte d’exposition où elles sont présentes en tant qu’éléments rares – elles étaient même le clou de l’exposition passé un temps ! Ce qui provoque la curiosité en elles, c’est l’authenticité : ces deux femmes sont vieilles, ridées, elles n’ont jamais fait appel à la chirurgie esthétique et ont connu le monde lorsqu’il était encore rempli de cafards, de poussière, et de gluten. Elles sont le témoin d’un monde qui semble s’être éteint.

Il y avait vraiment de quoi creuser. Lorsqu’il aborde la vieillesse ou le monde tel qu’il était autrefois, Pierre Notte produit des étincelles. Les répliques sont cinglantes, et dans la bouche de ces deux comédiennes incroyables, elles soulèvent la salle. Malheureusement, il semble s’être perdu dans une série de sketchs sans grand rapport les uns avec les autres. Tout y passe : les problèmes de fuite, la propriété, l’insémination artificielle… Les thèmes sont plus ou moins intéressants, et certains nous décrochent à peine un sourire. Dommage, car le canevas de base gagnait à être épuisé : si il parle de la chirurgie esthétique, la fin du gluten, et la javellisation systématique de l’environnement, d’autres thèmes auraient pu être abordés : l’extrémisation de l’égalitarisme de la société et son écriture inclusive, des avancées médicales telles qu’elles permettent de procréer par simple contact avec un autre humain (oui, je tire ça des Particules Élémentaires), l’omniprésence des réseaux sociaux, les progrès technologiques incroyables, ou que sais-je encore ?

Heureusement, Pierre Notte a fait appel à deux actrices formidables. La joute verbale qui s’instaure entre elles provoque le rire, et ce parfois plus grâce à leur talent qu’au texte qu’elles portent. Pour preuve, dès la 3e seconde du spectacle, les mimiques de Catherine Hiegel entraînent les spectateurs dans leur premier fou rire. C’est bien pour elles qu’on vient voir le spectacle et on n’est pas déçu : ce sont deux grandes actrices qui se balancent des vannes à la figure et qui semblent prendre autant de plaisir que nous à ce petit jeu. De belles voix de théâtre, très élégantes, elles tirent leurs rides et parlent de leurs plissés fortuny pour notre plus grand bonheur. Mais qu’elles sont belles, qu’elles sont drôles, qu’elles sont touchantes, et qu’est-ce qu’on aurait aimé les voir dans un texte encore plus mordant, qui oserait encore plus !

A l’image de la pièce, il faut aller voir ces deux grandes actrices magistrales et authentiques, qui s’en donnent à coeur joie sur la scène du Rond-Point. ♥ ♥

Un air engageant

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Critique d’Un air de famille, de Jaoui-Bacri, vu le 15 février au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Catherine Hiegel, Léa Drucker, Grégory Gadebois, Laurent Capelutto, Nina Meurisse, et Jean-Baptiste Marcenac, dans une mise en scène de Agnès Jaoui

Ah ! Ce cher théâtre de la Porte Saint-Martin. C’est un peu comme la Comédie-Française, pour moi : j’ai beau y voir des choses qui me font m’insurger au plus haut point, je reviens presque toujours à la création suivante. Là, comme je suis un mouton et que l’affiche est très belle – Catherine Hiegel et Grégory Gadebois me manquaient ! – j’ai pris des places – à reculons parce que quand même je gardais un très mauvais souvenir de la précédente collaboration Hiegel-Jaoui. Mais comme je suis quelqu’un de bonne foi et pas rancunière pour un sous, je vous dis sans problème que j’ai passé une très bonne soirée !

Je n’ai pas vu le film – contrairement à toute la salle qui riait avant la plupart des répliques. J’ai vu la bande-annonce – qui m’a fait un peu peur, j’avoue – mais ce n’est pas un spectacle à bande-annonce. Il y en a des comme ça : on ne peut pas en prendre des bouts sans tout gâcher. C’est un tout, ce spectacle : il aborde l’histoire d’une famille qui se retrouve comme tous les vendredi au bar d’Henri pour aller au restaurant. Ce soir-là, un événement particulier s’ajoute à l’habituelle soirée : c’est l’anniversaire de Yolande, la femme de Philippe, le frère d’Henri. Philippe, c’est un peu le fils modèle, celui qui a réussi ; d’ailleurs, on célèbre aussi son passage sur la chaîne régionale dans l’après-midi – bien que tout le monde se demande si il n’a pas un peu bafouillé. Au moment de partir au restaurant, Arlette, la femme d’Henri, se fait attendre. D’histoires de familles en règlements de compte, voilà un spectacle dans lequel tout le monde se retrouve un peu.

Il faut être beau jour, et je vais même reconnaître qu’au début de la pièce je boudais un peu. J’avais un mauvais a priori, je dois le reconnaître. Ce n’est pas la première scène qui m’a tout de suite emballé : on pose le cadre, c’est un peu formel. Mais une fois que Gadebois entre en scène, on est pris dans l’histoire. Il faut dire que cet acteurs a une présence qu’on ne décrit plus et il arrive à faire passer à travers ce texte, somme toute assez banale et quotidien, des émotions très fortes et parfois inattendues. Je pense – mais encore une fois je n’ai pas vu le film – qu’il ajoute une dimension supplémentaire au rôle que tenait Bacri à sa création : on connaît le côté râleur de ce dernier, mais Gadebois a une sensibilité et une mélancolie supplémentaires très touchantes. Et un côté bougon très comique aussi, évidemment !

Catherine Hiegel incarne une mère de famille dure, injuste, frondeuse, presque méchante par instants : on la connaît dans ces rôles où sa voix, son sens du rythme, et ses expressions forment un mélange parfait. Je regrette un peu que Léa Drucker n’ait pas eu plus à jouer car sa composition est – comme d’habitude – d’une finesse et d’une authenticité impeccables. J’ai découvert en Jean-Baptiste Marcenac un Philippe à la limite du prétentieux, avec ce regard de rapace sans émotion caractéristique de ces gens que seule l’ambition fait avancer. Laurent Capelutto incarne quant à lui un Denis, garçon de bar, nonchalant mais touchant et très humain. La seule faiblesse de la troupe serait Nina Meurisse, dont je vais justifier le manque de nuance par sa jeunesse qui se ressent dans sa nature explosive sur scène, mais qui peine un peu dans l’évolution.

Somme toute, on passe une très bonne soirée au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Certes, la mise en scène est très simple, voire sobre, et laisse les acteurs s’exprimer naturellement sur le plateau, mais la pièce ne demande pas beaucoup plus que ça. Je l’ai trouvée bien construite bien que peut-être un peu lente au démarrage, et surtout portée à son plus haut grâce aux acteurs réunis sur le plateau !

Un chouette moment. ♥ ♥ 

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Les femmes navrantes

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Critique des Femmes Savantes, de Molière, vues le 24 septembre 2016 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Evelyne Buyle, Philippe Duquesne, Julie-Marie Parmentier, Catherine Ferran, Benjamin Jungers, Chloé Berthier,René Turquois, Baptiste Roussillon, Chloé Lorphelin, Thomas Harel,Thomas Keller, Olivier Lugo, dans une mise en scène de Catherine Hiegel

Voilà quelque chose que je ne fais jamais, ou si rarement : partir avant la fin d’un spectacle. Je trouve cela irrespectueux envers le travail des comédiens, metteur en scène, techniciens lumières et autres costumiers qui ont passé tant de temps pour nous offrir cela. Mais devant un travail aussi bâclé, sans idée, sans but, je ne peux plus perdre mon temps qui se fait rare cette année. Je suis allée voir les Femmes Savantes de la grande Catherine Hiegel, et j’assiste à une représentation digne d’une fin de collège. Lorsqu’on ne trouve pas une nécessité dans un spectacle, mieux vaut ne pas le monter que d’ennuyer ainsi le public.

Je me souviens des Femmes Savantes d’Arnaud Denis, après lesquelles je m’étais dit qu’il serait difficile de faire mieux. Sa mise en scène, classique et brillante, était limpide et intelligente. Quel contraste avec ce que j’ai vu ce soir ! Avec 10 fois plus de moyen, Catherine Hiegel n’atteint pas le petit orteil de ce spectacle qui me laisse encore aujourd’hui un souvenir incroyable. Quel besoin de mettre tant d’argent dans des costumes – certes magnifiques – et dans un décor – tout aussi beau – si l’âme du spectacle est absente ? En est-on à un tel point qu’on privilégie la forme à la matière ? A quel moment est-on tombés si bas ?

40 secondes à peine que le spectacle a débuté et déjà je sens que quelque chose ne va pas. Les deux jeunes femmes qui s’affrontent sur la scène sonnent faux, mal, dépensent leur énergie en criant alors que le texte reste incompréhensible. On attendait mieux de Julie-Marie Parmentier, qui campe une Henriette bien fade. Mais je suis aussi là pour le duo Bacri et Jaoui, comme les 4/5e de la salle, alors je prends mon mal en patience. Je vois passer un Benjamin Jungers bien terne avant qu’entre enfin en scène Jean-Pierre Bacri. Ah, voilà un Chrysale de qualité, bien que par moments Bacri lui-même ne semble pas y croire. Mais lorsqu’entre face à lui Agnès Jaoui, ce qu’il avait commencé à construire s’effondre : où est la femme forte qu’est Philaminte ? Où est la terreur, l’agressivité, l’intelligence ? Je ne vois qu’insipidité et banalité. La voix mal posée, les répliques tombantes, le corps gênant, on se demande bien ce qu’Agnès Jaoui fait là.

Seule Evelyne Buyle semble dans son élément, en accord avec cette idée de Catherine Hiegel de faire des Femmes Savantes une pièce féministe : l’actrice, bien qu’interprétant Bélise, est d’une grande classe. Mais elle est bien la seule : à croire que Catherine Hiegel est partie d’une idée sans la creuser, sans chercher en profondeur un fil directeur dans cette mise en scène qui n’en ressort que profondément vide et dénuée de sens.

Allez, je reste encore un acte, pour la scène de Trissotin. Quand même, ça, c’est drôle. Mais non ! Catherine Hiegel a réussi l’exploit d’empoussiérer ces Femmes Savantes, de les rendre lentes et ennuyeuses, froides et mornes, inintéressantes, éteintes. Autour de moi, les enfants s’agitent, ne rient pas, s’ennuient. Comme je les comprends ! Mais j’ai la chance, contrairement à eux, de pouvoir prendre la décision de partir, et c’est ce que je fais. En moi la colère gronde : dire que des parents emmènent probablement pour la première fois leurs enfants au théâtre pour voir pareil spectacle, il y a de quoi les dégoûter ! Se jouer ainsi d’un public qui paie sa place plein pot, c’est indigne et je ne me tairai pas. Je ne me cacherai pas derrière « une mise en scène classique » sous prétexte que c’est Catherine Hiegel qui met en scène. Non, disons les choses clairement : Catherine Hiegel a fait une erreur. Elle ne voulait pas monter cette pièce et cela se sent. Il fallait penser au public avant de répondre au caprice d’acteurs incapable de se rendre compte que le rôle n’est pas pour eux. C’est fou, ça !

Il y a tant de beaux spectacles en cette rentrée théâtrale qu’il ne faut pas perdre son temps avec celui-ci. pouce-en-bas

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Un retour tempéré

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Critique du Retour au désert de Bernard-Marie Koltès, vu le 29 janvier 2016 au Théâtre de la Ville
Avec Catherine Hiegel, Didier Bezace, René Turquois, Nathalie Matter, Cédric Veschambre, Elisabeth Doll, Isabelle Sadoyan, Kheireddine Lardjam, Adama Diop, Riad Gahmi, Louis Bonnet, Stéphane Piveteau, et Philippe Durand, dans une mise en scène d’Arnaud Meunier

Je connaissais très mal l’oeuvre de Bernard-Marie Koltès lorsque je me suis rendue au Théâtre de la Ville, vendredi dernier. Quelques extraits du Retour au désert dans lesquels apparaissait Jacqueline Maillan, une lecture d’un passage de l’oeuvre par Laurent Stocker, voilà tout mon bagage sur Koltès. Je n’ai pas été transcendée par ce texte qui me paraissait un peu lointain, et me touchait finalement peu. Retour sur un spectacle dont je suis sortie partagée.

A la fin de la guerre d’Algérie, Mathilde rentre chez elle, dans une maison de la province française. Elle débarque ainsi chez son frère sans prévenir, avec ses deux enfants, Édouard et Fatima. Immédiatement, on comprend les relations difficiles qui la lient à son frère, Adrien, qui vit dans cette maison avec sa nouvelle femme, soeur de sa première femme morte, et alcoolique. La pièce évoque la guerre d’Algérie – c’est plus une atmosphère qu’une histoire en elle-même.

Et c’est d’ailleurs parce que l’histoire à proprement parlé n’est pas suffisante qu’il faut réussir à recréer cette atmosphère, tendue, d’après-guerre, à laquelle se mêlent également des conflits familiaux et des non-dits. La tension qui pourrait émaner d’un tel spectacle n’est pas là, et ce principalement à cause de la mise en scène d’Arnaud Meunier qui ne pousse pas assez loin les personnages, comme celui de Haziz. Même Mathilde pourrait être plus âpre, plus agressive, plus active encore : Mathilde est une femme de certitudes, tournée vers l’action, et son opposition avec son frère Adrien aurait gagnée à être encore plus soulignée.

Cependant, il y a quelques beaux moments dans ce spectacle : je me souviendrais notamment de l’arrivée de Mathilde, mais également du monologue de son fils, qui est également l’un des plus beaux passages de la pièce, et qui est dit avec brio par Cédric Veschambre.

Pas essentiel, et même plutôt décevant pour mon premier Arnaud Meunier

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Le Père La Mère

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Critique de La Mère, de Florian Zeller, vue le 30 décembre 2014 au Théâtre Hebertot
Avec Catherine Hiegel, Jean-Yves Chatelais, Eric Caravaca, et Olivia Bonamy, dans une mise en scène de Marcial di Fonzo Bo

Je n’aime pas les pièces de Florian Zeller. J’ai compris que je n’aimais pas son écriture le jour où j’ai vu La Vérité ; qu’il ne parvenait pas à me montrer où il voulait en venir lorsque j’ai vu Le Père ; et qu’il ne changerait pas ce style indécis et brouillon le soir où j’ai vu La Mère. Croyez-le ou non, la prochaine pièce de Zeller montée s’appelle Le Mensonge… Alors, à quand le renouvellement ? Pourtant, j’ai fait preuve de bonne volonté, puisque je ne suis pas restée sur mon premier avis : j’ai essayé de comprendre pourquoi il était joué. Mais rien à faire, ça reste pour moi du théâtre facile et sans but. Heureusement, et allez savoir pourquoi, ses pièces sont toujours jouées par des grands acteurs. Ici, sans Catherine Hiegel, il n’y aurait vraiment rien à sauver.

J’ai eu l’impression de réassister à la représentation du Père. Ici, pas question d’Alzheimer (quoi que…), mais d’une mère qui aime trop son fils. Elle en est folle, si bien que ça l’obsède. Mais ce que je n’ai pas compris, c’est pourquoi les scènes sont jouées deux fois. Chaque scène terminée est reprise du début et se déroule différemment : la mère adopte alors un comportement totalement opposé à celui qu’elle avait pu montrer précédemment. Quelle est la « vraie » scène ? Et surtout pourquoi ces deux versions ? Florian Zeller n’a-t-il pas su laquelle était la meilleure, et c’est à nous de faire un choix ? Une telle proposition est bien trop proche de celle du Père, où cette fois ce n’était pas les scènes mais les personnages qui étaient échangés… Si bien qu’on ne distinguait pas non plus le vrai du faux. Mais si au moins on comprenait le but d’un tel échange, ici, ça ne fait pas sens.

Je ne vais pas déblatérer sur un spectacle qui me laisse finalement que peu de souvenirs, mis à part quelques scènes où Catherine Hiegel, femme impuissante face à des sentiments bien trop intenses, semblait porter le texte plus haut que lors du reste de la pièce. Impressionnante lors de ses accès de fureur, émouvante lorsqu’elle parle de ses ressentis, poignante lorsqu’elle est face à son fils, l’actrice parvient à tirer les quelques qualités insoupçonnables de ce texte. J’en retiendrai tout particulièrement un regard puissant, à la fois torturé et déterminé, parfois déchirant, comme appelant au secours. Que Catherine Hiegel soit une grande actrice, on le savait déjà. Mais on l’attend maintenant dans des rôles où non seulement son personnage, mais le reste de la pièce vaut le détour.

Pour la grande Catherine Hiegel, je peux dire oui. Mais on aimerait la voir dans un rôle de monstre un peu plus effrayant, puisque telle semble être l’ambition. ♥ 

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Le Poche en Magruscule

Critique des Dramuscules de Thomas Bernhard, vu le 7 décembre 2013 au Théâtre de Poche-Montparnasse
Avec Catherine Salviat et Judith Magre, dans une mise en scène de Catherine Hiegel

C’est uniquement sur des noms que le spectacle m’a attirée : Catherine Hiegel, sociétaire honoraire du Français, ex-doyenne de la Maison de Molière, et remerciée pour des raisons peu valables, est une immense actrice, et une grande metteur en scène. Ici, elle s’entoure des plus grandes, à savoir Judith Magre et Catherine Salviat, deux actrices d’expérience et de renom. Le seul nom qui m’attirait moins, dans ce spectacle, c’est celui de Thomas Bernarhd : j’avoue que je ne le connaissais que de nom, et son oeuvre ne m’attirait pas particulièrement.

Les Dramuscules qui nous sont présentés ne m’ont pas vraiment parlé, ne m’ont pas touchée. Il y est question, entres autre, de racisme.. Un premier tableau dans lequel deux femmes découvrent un corps mort dans la rue en sortant de l’Église, qui s’avère finalement être des affiches nazis, ce qui a pour conséquence de les rassurer – inquiétant ! -, un deuxième se déroulant au cimetière, deux femmes déblatérant autour d’un homme qui vient de mourir, écrasé par un Turc, source de haine chez les deux commères, et un dernier dans la maison d’un vieux couple, où la femme repasse les habits troués de son mari, policier, et qui s’est une nouvelle fois battu lors d’une manifestation qui a mal tourné. Soit, mais après ? Le racisme est omniprésent, les scènes apparemment quotidiennes, familières, regorgent de propos déplacés, dérangeant… mais la langue n’est pas convaincante. Elle ne touche pas comme elle devrait le faire. Les propos ne m’ont pas assez atteinte ; j’ai eu plutôt du mal mal à rentrer dans ces Dramuscules.

Mais j’ai tout de même pu admirer une performance d’acteur … impressionnante. A quelques pas de moi seulement, Judith Magre, 87 ans, en paraît 15 de moins. Elle a conservé sa voix, si belle, profonde et grave, et bien qu’un peu enrhumée ce soir-là, elle était pleine de vie et interprétait avec simplicité mais exactitude cette femme aux propos, cruels pour nous, naturels à ses yeux. A ses côtés, Catherine Salviat campe une femme toujours bien d’accord avec son amie, et, si elle semble passive, ce n’est qu’une intériorisation de ses pensées les plus sombres… Qui finiront par déborder, et la faire exploser à la fin de la 2e saynète, et hurle le fond de ses pensées avec une telle vigueur qu’on sursaute de surprise. On aurait peut-être aimé plus découvrir leur complice, Antony Cochin, surtout présent lors des courtes transitions entre les scènes, comme une espèce de métalleux fou, qui finira assis devant sa télé à maugréer des « quel con ! » dans son coin. 

J’aimerais dire que je n’ai rien à reprocher à la mise en scène de Catherine Hiegel. Mais je ne peux pas : un détail me turlupine. Le voici : entre la 2e et la 3e saynète, Judith Magre sort de scène pour aller changer de costume. Catherine Salviat reste donc seule, sort ses lunettes, son calepin, et commence un « quizz interactif » : elle lit des citations d’hommes politiques, écrivains… en tous les cas, de personnalités célèbres, ayant toute comme point commun un caractère raciste évident, et nous, spectateurs, devons deviner qui a dit quoi. Je n’ai vu en ce quizz, je dois l’avouer, qu’une tentative de remplissage… C’est vrai qu’on passe un bon moment, que Catherine Salviat s’amuse avec nous et se plaît à entendre des réponses farfelues : mais quel besoin d’interrompre pareillement le spectacle ? Ce n’était pas nécessaire. De plus, une des citations me semble mal choisie : elle est extraite de De l’esclavage des nègres, de Montesquieu et, effectivement, sortie de son contexte, elle paraît raciste : mais c’est à prendre au second degré. Et ça, tous les spectateurs ne le savent pas forcément – peut-être serait-il bon de le préciser, non ?

Mis à part ce détail, il faut reconnaître que la mise en scène est à la hauteur de nos espérance. L’ambiance, le cadre, sont définis dès notre entrée dans la salle du Poche-Montparnasse : en effet, c’est par une musique militaire que nous sommes accueillis. Par la suite, je pense que sa réussite réside dans la simplicité : un unique décor, mobile, pour les 3 scènes, un texte, et des acteurs, on ne cherche pas la complication ou les rires par des gestes appuyés ou des sous-entendus dans un regard. Rien que des acteurs de haut talent, faisant de leur mieux avec ce texte, pas toujours brillant.

Malgré quelques réticences devant l’oeuvre de Thomas Bernhard, c’est pour cette performance d’acteur indéniable qu’on vous conseille ces Dramuscules. ♥ ♥