Un Malade au pouls bien faible

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Critique du Malade Imaginaire, de Molière, vu le 6 février 2019 au Théâtre de Paris
Avec Daniel Auteuil, Alain Doutey, Aurore Auteuil, Victoire Bélézy, Pierre-Yves Bon, Natalia Dontcheva, Jean-Marie Galey, Gaël Cottat, Loïc Legendre, Cédric Zimmerlin, et Laurent Bozzi, dans une mise en scène de Daniel Auteuil

J’ai une relation toute particulière au Malade Imaginaire. C’est l’un des premiers Molière que j’ai vus quand j’étais petite – je devais avoir quelque chose comme 5 ou 6 ans. Mes parents avaient réservé à la Comédie-Française et j’avais vraiment très envie d’y aller. Seulement voilà : j’étais malade. On m’a donc mise face au chantage suivant : pour aller au Français, je devais mettre un suppositoire – chose que je refusais jusque-là. Et bien, devinez quoi ? Je suis allée au théâtre, j’ai vu la pièce, et je ne saurai jamais qui, du maudit suppositoire ou du génial spectacle, m’aura guérie le temps de la représentation. Depuis, à chaque Malade que je vois, je ne peux m’empêcher de penser à cette anecdote et d’espérer que je retrouverai le même enthousiasme qu’enfant devant cette pièce. Mais ce soir, devant ma profonde indifférence à ce qui était joué, je me suis sentie cruellement adulte.

Argan est hypocondriaque. Il redouble de médecines, de clystères et autres lavements pour vaincre cette maladie qu’il s’imagine prête à le tuer. Autour de lui, personne ne s’inquiète véritablement : sa femme attend qu’il passe l’arme à gauche pour lui soutirer tout son argent, sa fille Angélique s’éprend de Cléante et aimerait en faire son époux, sa servante Toinette ne s’apitoie pas sur son sort et sert les intérêts de sa jeune maîtresse, intriguant pour favoriser ce mariage. Mais Argan ne l’entend pas de cette oreille et aimerait lui faire épouser Thomas Diafoirus, un futur médecin, lui permettant de faire entrer quelqu’un de la Faculté dans sa famille…

On l’attendait tellement, le Malade de Daniel Auteuil. Il ne faisait aucun doute que le rôle était fait pour lui. Mais il a été trop paresseux, et sur la mise en scène, et sur la distribution, faisant passer à la trappe la quasi-totalité du texte de Molière. L’auteur résiste comme il peut mais on entend finalement très mal ce qu’il a à nous dire, et, chose que je pensais impossible devant cette pièce : on s’ennuie. Sa mise en scène ne témoigne d’aucune idée, sa direction d’acteurs est quasi-nulle, et on en vient presque à se demander pourquoi il voulait monter un tel texte et non pas un one-man show. Pire encore : il ne se contente pas seulement de gâcher presque volontairement des effets comiques intrinsèques au texte, il nous prive en plus de la scène finale de l’assemblée des médecins, censée être chantée sur des airs de Marc-Antoine Charpentier…

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C’est un mauvais pari, car on approche d’une rentabilité nulle pour une partition qui contient des moments que je pensais inratables. Et pourtant ! La scène de Thomas Diafoirus, dont le souvenir de ma première rencontre est gravé dans ma mémoire – et dans mes zygomatiques – est lente, longue, profondément ennuyeuse. Il a choisi Gaël Cottat pour incarner le futur époux censé être absolument repoussant pour Angélique ; or Gaël Cottat est un bel homme, bien fait de sa personne à l’air plutôt sympathique. La seule idée de la scène consiste d’abord à lui mettre une écharpe que son père lui enlèvera, ensuite à le faire parler très près des autres personnages. Et hop, envolé, tout le potentiel comique de cette illustre scène. D’ailleurs, personne n’a ri.

La plupart des scènes suit malheureusement ce modèle. On en sauvera une ou deux, notamment la scène entre les deux amants, Angélique et Cléante, qui est touchante même si on la sent encore un peu fragile. On reconnaîtra aussi que Daniel Auteuil a quelques fulgurances et qu’il lui suffit parfois de lever un sourcil pour créer le rire dans la salle. Mais je n’ai ri que trois fois, et toujours sur des cabrioles, jamais sur le texte – qu’il ne semble pas totalement maîtriser, d’ailleurs. Il cabotine un peu pour notre plus grand plaisir, mais on n’entend véritablement ni Argan, ni Cléante, ni Angélique, ni Diafoirus, ni Béralde…

Ni Toinette. Aurore Auteuil est peut-être la plus grosse erreur de casting de ce spectacle. Un coup d’oeil à sa fiche Wikipedia me permet de vérifier que ce Malade Imaginaire signe sa quatrième apparition au théâtre seulement. On en vient presque à croire que si son père ne la met pas en scène, personne ne le fera. Et on le comprend. Je ne pensais pas qu’on pouvait autant rater la scène du poumon, les lançant les uns après les autres sans aucune variation comme s’il s’agissait de faire passer la scène le plus rapidement possible. Objectivement, cela a quelque chose de touchant de se dire que le père privilégiera sa fille au bon déroulement de son spectacle. Mais subjectivement, quand on est spectateur, on s’enquiert plutôt de sa qualité. Surtout quand les places montent jusqu’à 73€.

Comme un sentiment de tromperie sur la marchandise. Déçue.

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