Arestruping

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Critique d’Acting, de Xavier Durringer, vu le 30 septembre 2016 aux Bouffes Parisiens
Avec Kad Merad, Niels Arestrup, et Patrick Bosso, dans une mise en scène de Xavier Durringer

La vie d’un spectateur peut être séparée en deux périodes : avant d’avoir vu Niels Arestrup sur scène, et après. L’envie de revoir cet acteur, ce monstre sacré de la scène, ne m’a pas quitté depuis l’extraordinaire Diplomatie de Cyril Gély, montée à la Madeleine il y a quelques saisons. Lorsqu’il monte sur scène, une autre dimension s’ouvre, quel que soit le spectacle dans lequel il joue. Il le prouve à nouveau ce soir : même avec ce texte non abouti, Arestrup reste un monstre.

On devine le sujet de la pièce grâce au titre : l’acteur sera au centre de tous les regards. Tout commence quand un nouvel homme débarque dans la cellule de Horace et Gepetto : Robert vient de prendre 18 ans fermes. Il est comédien et metteur en scène, méprise les séries télés auxquelles sont accros ses deux compagnons de cellule, ne jure que par Shakespeare, Racine, Corneille, Molière, Marivaux… « des gens morts » comme dirait Gepetto. Ce dernier, impressionné par les histoires de Robert, lui demande de lui apprendre le métier : il y voit les paillettes et la gloire. Devant le vide qui s’étale sur son avenir, Robert accepte et tente de lui apprendre ce qu’il sait, malgré les difficultés visibles de son élève.

C’est une histoire un peu invraisemblable, et c’est la principale explication de l’échec de ce spectacle. En effet, on sent que l’auteur voulait écrire autour du métier d’acteur, de sa difficulté, de son errance, de son enfermement, et de sa solitude. On sent parfois poindre une idée plus poussée, un sentiment amer. Mais, probablement par peur d’ennuyer le grand public venu découvrir Kad Merad sur scène, il n’a pu s’empêcher d’ajouter des scènes grotesques, où l’acteur est uniquement là pour faire rire : on commence alors à enchaîner les sketchs, et le spectacle n’avance pas… Impossible de comprendre où l’auteur veut nous mener. Il y a deux spectacles en un : un essai sur l’acteur, et des clowneries.

Or bien vite, les clowneries de Kad Merad usent : certes, il sait nous faire rire. Néanmoins, il est en face du monstre Arestrup, qui saurait nous convaincre quel que soit son rôle. Et ici, malgré cette partition timide, il réussit à faire passer une certaine âpreté. Finalement, une fois cette écriture décevante acceptée, on se retrouve face à une Masterclass dirigée par Niels Arestrup, lors de laquelle il fait travailler Kad Merad. Le maître est brutal, sanguin, sensible, incroyable ; l’élève, dissipé, simple, ne semblant pas capable de progresser. Bien vite, on aimerait simplement un numéro Arestrup. Un numéro comme celui des 40 dernières secondes du spectacle, où nous sommes juste suspendus aux lèvres d’Arestrup. Dommage que les 1h40 qui les précède soient si brouillonnes.

Revoir Arestrup reste un grand bonheur, mais on aimerait tellement le voir dans une grande pièce… Quelque part, on gâche un peu son immense talent. 

Diplomatie, Madeleine

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Critique de Diplomatie, de Cyril Gely, vu le samedi 3 avril au théâtre de la Madeleine
Avec Niels Arestrup, André Dussolier, et 3 autres jeunes acteurs dont les noms sont introuvables ; mis en scène par Stephan Meldegg

Extraordinaire, fabuleux, magnifique, génial … Voilà ce que m’inspire ce spectacle. « Parfait ». Est-ce possible, enfin ?

L’histoire, pourtant, n’est pas si « théâtrale » … Un dialogue, entre Raoul Nordling, un consul suédois, joué par André Dussolier, et Dietrich von Choltitz, un général allemand, incarné par Niels Arestrup. Ce dernier s’apprête, par ordre d’Hitler, à faire sauter Paris. Le consul va donc tout faire pour qu’il change d’avis.

Niels Arestrup est tout simplement parfait en officier nazi ; il EST son personnage, c’est-à-dire que, à aucun moment, on n’a l’impression d’être au théâtre. Il est dans un état de nervosité impressionnant, son personnage n’ayant pas dormi de la nuit, et devant se résoudre à prendre une grande décision… Cet acteur, nommé aux Molières 2010 (meilleur comédien), est époustouflant, et dégage une telle énergie qu’on a l’impression qu’il risque de s’écrouler d’un moment à un autre …

Dussolier, quant à lui, excelle également ; son rôle est plus « détendu » que celui d’Arestrup, c’est lui qui parvient à faire sourire le public quand son interlocuteur le fait pleurer.  Il est également nommé dans la catégorie « Meilleur comédien », et je pense que, plus « restreint » qu’Arestrup, dans le sens où ce dernier « donne tout ce qu’il a », et semble, pendant presque 2 heures, s’être réincarné en officier allemand, il mériterait ce Molière ; en effet, son personnage doit argumenter, et cherche à plusieurs reprises ce qu’il va pouvoir dire pour que Paris reste sur pied : et Dussolier semble réellement réfléchir … Il y a des moments de silence, très profonds … où nos deux personnages réfléchissent chacun de leurs côté, ou encore se regardent, les yeux dans les yeux, laissant planer un silence inquiétant …

Enfin, 3 jeunes militaires, de jeunes comédiens, sont là également, et je ne trouve rien à redire ; ils  semblent effrayés par les renforts des Alliés qui entrent dans la ville, et renforcent l’atmosphère de tension qui règne déjà.

Notons également le décor (voir photo) ; austère, gris. Le jour se lève sur Paris, que l’on peut admirer en fond de scène.. Tout d’abord le noir, puis l’aube, et, à plusieurs reprises, quelques coups de fusils. Les drapeaux nazis sont également là pour nous rappeler le contexte.

Cela nous remet en mémoire également cette guerre mondiale, qui n’a été déclenchée que sous l’action d’un seul homme, un fou, comme nous le rappelle Dietrich von Choltitz avec rage et anxiété.

 En un mot comme en cent ; je crois que c’est le meilleur spectacle du moment ; il dépasse, il me semble, tous ceux que j’ai vus jusque là : il faut que tout Paris le voie, que tout Paris comprenne que, rien qu’avec le commandement d’un homme, « la plus belle ville du monde » aurait pu disparaître, emportant avec elle tous ses monuments, toute son histoire, et tous ses Hommes.

Placement : 1er rang, sans hésiter (à voir le samedi à 21h ; les personnages sont « échauffés » car ils jouent déjà à 18h…)