Un prince à l’Oeuvre

Critique d’Un Prince, d’Emilie Frèche, vu le 1 septembre 2023 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Sami Bouajila, mis en scène par Marie-Christine Ory

Écoutez, hein, voilà, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Oui, la raison qui me pousse à aller voir ce spectacle c’est Sami Bouajila et oui le fait qu’il soit incroyablement beau pèse aussi dans la balance. Ok je suis une groupie mais pas seulement : je suis aussi complètement dégoûtée d’avoir manqué Disgrâce, dans lequel il devait incarner le premier rôle, programmé puis annulé au Théâtre du Rond-Point la saison dernière. On se rattrape comme on peut !

Sur la scène, une butte de terre. On ne sait pas trop où on est, on changera d’ailleurs de lieu au fil de l’histoire et de ses temporalités. Car Sami Bouajila incarnera successivement un père et son fils : un ouvrier, peut-être algérien, immigré en France, et sa descendance, devenue SDF, errant dans un quartier qu’on imagine difficile et qu’il imagine, lui, tout autre.

Le seul en scène, ça ne pardonne pas. Sur le plateau, ça se sent tout de suite. On l’occupe, ou on ne l’occupe pas. Pour un comédien comme Sami Bouajila, rare sur les planches, on peut avoir un doute. Se demander comment il va s’en sortir. Et pourtant. Quand il entre en scène, c’est l’évidence. Les planches sont son territoire. Il se passe quelque chose. L’instant d’avant, il n’y avait qu’une motte de terre, et, lorsqu’il se met à jouer, c’est tout un univers qui se dessine autour de lui.

Impossible de ne pas penser à Beckett quand on le voit parcourir ce plateau quasi-nu de sa démarche précise, maladroite et saccadée mais qui, déjà, raconte quelque chose alors qu’il ne fait encore que marmonner. C’est pour lui qu’on est venu, c’est lui qu’on retiendra. Il n’a pas choisi le texte le plus passionnant qu’on ait connu – Beckett rôde surtout dans la forme. Mais il en tire le maximum. Il le tient. Il l’incarne. Il le possède. Le personnage s’invente un tout qui semble prendre vie sous nos yeux. Pour exister. Pour survivre. Il y a une forme d’urgence. Sami Bouajila est un boxeur du verbe. Le texte se perd parfois dans un certain pathos, mais il arrive à nous maintenir alerte. Et, sans prévenir, au détour d’une phrase, sans hausser le ton, sans y mettre d’effet, il balance une phrase qui a l’effet d’un uppercut. Et lorsqu’il salue, il ne permet aucun doute : il a gagné.

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