Etienne A., une vie en carton

Critique de Etienne A., de Florian Pâque, vu le 20 mars 2022 à la Piccola Scala
Avec Nicolas Schmitt, mis en scène par Florian Pâque

L’image de cet homme assis sur un carton avec ce drôle d’objet dans les mains, qui lui fait des yeux d’extraterrestre et évoque ce jouet pour enfants, entre appareil photo et kaléidoscope, qui permet à celui qui l’utilise de visualiser des images, m’a d’abord intriguée. Dans ce décor de cartons Amazon qui tirent la gueule, posés à l’envers tout autour de lui, quelque chose se passe. Suffisamment en tout cas pour me donner envie de retourner à la Piccola Scala, un an et demi après avoir découvert la salle avec la jolie Perte.

Etienne A. s’est retrouvé assigné au local des objets retournées non distribués, ce soir de Noël, dans l’entrepôt Amazon où il travaille. Est-ce que c’est ça qui l’a décidé à tout raconter à Sandrine, la collègue dont il est amoureux ? Peut-être. C’était peut-être la goutte d’eau qui fait déborder le vase de cette vie de solitude qu’il nous raconte à travers les personnages de son ex-femme, Lucie, son nouveau compagnon, Lionel, son manager, Franck, son père malade et son fils qu’il ne voit pas si souvent.

On a d’abord un léger doute lorsque Nicolas Schmitt entre en scène. Son accroche prononcée avec force de cette belle voix grave et distincte sonne un peu étrangement au milieu de ces cartons Amazon qui jonchent la scène. Le doute ne dure qu’un instant. Tout de suite, Etienne A. apparaît. Cette énergie devient violence – plus intégrée qu’extériorisée – besoin d’expression, besoin d’exister le temps du spectacle. Il y aura quelque chose de l’ordre de la nécessité absolue mêlée à une légère excuse d’être là qui balancera pendant tout le spectacle, créant vraiment un moment d’entre-deux seyant parfaitement à la situation : pas encore abandonnée la vie d’avant, pas encore commencée celle à venir.

Car c’est bien de ça dont il est question à travers ce que nous raconte Etienne A : comprendre comment il en est arrivé là où il est aujourd’hui, au bord de ce précipice qu’il s’apprête à franchir. Le ton employé est bien moins vindicatif que ce qu’on pourrait imaginer ; au contraire, les personnages sont dessinés avec objectivité, sans caricaturer. Le manager d’Amazon, qu’on diaboliserait volontiers, est plutôt humanisé. Le problème ne vient pas des autres en eux-mêmes, mais de l’écosystème global dans lequel Etienne A. peine à être lui-même, à évoluer.

En fait, Amazon est rapidement relégué au second plan. C’est ce qui fait la force, mais aussi, quelque part, la faiblesse de ce spectacle. Le regard d’Etienne A., mélange de violence et de douceur sur cette situation qui s’enlise, fait de cette pièce une sorte de chronique poétique des invisibles. On suit son histoire avec intérêt, admirant l’habileté de Nicolas Schmitt à incarner ces différentes humanités avec beaucoup de justesse, laissant la place à l’humour mais rarement au cynisme, se laissant porter au gré des anecdotes. Mais on n’aurait pas boudé davantage de revendication, un rôle plus important donné à cet entrepôt qui vient avec la misère, une agressivité qui pourraient relancer la théâtralité parfois à la limite de l’evanescence dans ce conte trop tendre peut-être.

Un joli seul en scène qui nous donne envie de revenir plus souvent découvrir les propositions de La Piccola Scala. ♥ ♥

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