Amoureuse de l’atrabilaire

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Critique du Misanthrope, de Molière, vu le 20 février 2019 au Théâtre Libre
Avec Lambert Wilson, Jean-Pierre Malo, Hervé Briaux, Brigitte Catillon, Manon Combes, Pauline Cheviller, Paul Minthe, Léo Dussollier, Patrice Dozier, Jean-François Lapalus, Dimitri Viau, dans une mise en scène de Peter Stein

C’est sans doute le spectacle que j’attendais le plus de la saison : Le Misanthrope, soit ma pièce préférée de Molière, mis en scène par Peter Stein, soit un metteur en scène qui ne m’avait encore jamais déçue, avec pour incarner Alceste Monsieur Lambert Wilson, soit un acteur qui se fait rare sur les planches qui les irradie à chacun de ses passages. Un trio gagnant, en somme. Perdu au milieu de la programmation de ce théâtre qui semble se chercher encore, succédant à un humoriste, précédant un spectacle de cirque, ce Misanthrope aurait dû étinceler de mille feux. On lui en concèdera la moitié.

Peter Stein m’a habituée à la perfection. Certains qualifieront de classiques des mises en scène toujours respectueuses du texte, s’effaçant presque derrière lui pour en tirer l’essence même, les mêmes lui reprocheront un manque d’audace ou d’idée car il ne s’encombre jamais de vidéo ou de trucs de scénographie suremployés aujourd’hui. Je n’ai jamais approuvé ces dires injustes et trop vite prononcés. Mais aujourd’hui je reconnais que je suis déçue : sa mise en scène du Misanthrope ne retrouve pas l’harmonie parfaite qu’il avait su diffuser dans son Tartuffe.

Les idées sont pourtant bien là, mais disséminées au fil des scènes sans former de réelle unité. Ainsi ces miroirs qui forment l’essentiel du décor et qui tantôt renvoient Alceste à sa solitude face au monde qui le regarde, tantôt lui offrent un échappatoire à ses propres conversations en lui permettant de regarder autre chose que les yeux de son interlocuteur. L’idée était simple mais elle est filée pendant tout le spectacle avec beaucoup de subtilité et permet d’accentuer encore dans l’inconscient du spectateur – ou le conscient, si on est bon observateur ! – le parti pris par Peter Stein pour ce Misanthrope.

Car, encore une fois, on ne peut reprocher à Peter Stein de ne pas donner de véritable contenance au texte qu’il monte. Et sa représentation du Misanthrope est des plus sombres que j’ai vues – pourtant, c’est sans doute la pièce de Molière que j’ai le plus fréquentée au théâtre. Il fait de son Misanthrope un homme profondément et désespérément seul, autour de qui les hommes sont des créatures mi-monstre mi-pantin, tous relevant d’une certaine forme de médiocrité – des marquis abjects à un Philinte incroyablement mou. Ce Misanthrope-là est une tragédie. Peter Stein a pris le parti de ne pas du tout utiliser le potentiel comique du texte, l’étouffant presque par sa vision détestable de l’ensemble du monde, les marquis en tête.

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© Svend Anderson

Et, en réalité, si la vision est parfaitement recevable et présente dans le texte, elle est aussi, pour moi, le principal défaut de ce spectacle. Je m’explique : Peter Stein a choisi un comédien plus que marquant pour interpréter son Alceste et, dans le même temps, il a pris le parti de détacher Alceste des autres personnages pour souligner le décalage entre eux, donnant ainsi quasiment raison au misanthrope de déconsidérer pareillement le reste du monde. Seulement voilà : en accentuant cette rupture, il permet à Lambert Wilson de se dissocier de la distribution et le pousse même à défaire tous les liens qui pourraient exister avec ses partenaires. Il l’autorise, en quelque sorte, à jouer seul. Le problème, c’est qu’en cautionnant cela, il omet un petit détail : se retrouvant ainsi hors de la distribution, le voilà maintenant au-dessus, écrasant parfois ses camarades par une présence, un charisme, et une évidence d’incarnation incroyables.

Je me rends bien compte que je critique le jeu parfait d’un comédien. Mais il faut comprendre que cela dessert le spectacle dans son ensemble bien qu’il ravisse mes yeux et mes oreilles la majeure partie du temps. Car du personnage d’Alceste que je vénère, Lambert Wilson a tout, incarnant ce Misanthrope jusqu’au bout des ongles. Il en a d’abord la diction, peut-être un peu vieille France mais cela constitue aussi un point de différenciation d’avec ses partenaires. Il en a assurément la voix, de cette voix profonde et caressante qui résonne admirablement dans cette grande salle dont les murs semblent faits pour réfléchir ses ondes vocales directement vers nos oreilles envoûtées. Il en a le corps, la posture, le port de tête, incroyablement nobles mais aussi témoins permanents de la violence qui l’habite. Il est magnifique, et son Alceste restera comme l’un des plus déchirants qu’il m’ait été donné de voir.

Mais, probablement sans le vouloir, il éclipse parfois ses partenaires, rendant alors le texte moins audible. A commencer par Célimène qui ne trouve pas en Pauline Cheviller la force nécessaire pour affronter Alceste. Si sa gestuelle est toujours impeccable, son texte a du mal à s’imposer à travers des alexandrins trop chantés, et l’on a du mal à comprendre la vision de Stein derrière cette Célimène. Étonnant problèmes de voix et de diction aussi du côté de Paul Minthe qui interprète un petit marquis dont le « je suis jeune » n’est pas très digeste. De manière plus générale, les rares absence d’Alceste sur scène pèsent sur ce spectacle dont on pourrait dire qu’il prend son temps et qui devient alors objectivement lent. Des problèmes de direction d’acteurs étonnant et incompréhensibles chez Peter Stein.

Le reste de la distribution, cependant, trouve plus facilement sa place, donnant lieu à de très belles scènes : ainsi, on se retrouve quasiment en apnée lors de l’échange entre Alceste et Arsinoé, admirable Brigitte Catillon. Manon Combes, qui campait une excellente Dorine dans le Tartuffe de début de saison, endosse ici avec une certaine passivité le rôle d’Eliante dont la partition prend des accents d’indifférence inaccoutumés. Même traitement pour Philinte, qui de la présence toujours rassurante et positive devient un personnage vil et sans teinte. J’imputais cela au jeu d’acteur tout d’abord avant de mieux comprendre l’ensemble créé par Stein qui m’obligeait – et ce fut difficile – à renier aussi Philinte. Il devient ici un homme comme les autres, c’est-à-dire bas et suiveur, et Hervé Briaux me semble d’ailleurs avoir été choisi pour son physique somme toute assez banal, jurant là aussi avec la grandeur émanant de Lambert Wilson.

C’est donc un Misanthrope en quasi demi-teinte que nous offre Peter Stein, dont la vision pâtit d’une distribution déséquilibrée. On a connu le metteur en scène en meilleure forme, et surtout plus sûr de lui : pour la première fois, me voilà critique sur sa manière de conclure la pièce. L’idée, que je ne dévoilerai pas, était belle, même magnifique, mais elle ne m’a pas parue entièrement assumée et présente un petit côté artificiel inhabituel chez Stein. Bref, un spectacle un peu décevant quand on connaît le travail du metteur en scène, mais qui porte en lui d’indéniables qualités, à commencer par un Alceste d’anthologie. Pas si mal, quand même, non ?

On en attendait plus de Peter Stein. Mais en comparaison, si toutes les mises en scène étaient de ce niveau, Molière se porterait très bien sur les scènes françaises. ♥ ♥

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© Svend Anderson

Peter Noster

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Critique du Tartuffe de Molière, vu le 21 septembre 2018 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Pierre Arditi, Jacques Weber, Isabelle Gelinas, Manon Combes, Catherine Ferran, Bernard Gabay, Félicien Juttner, Jean-Baptiste Malartre, Marion Malenfant, Loïc Mobihan, Luc Tremblais, dans une mise en scène de Peter Stein

J’ai découvert Peter Stein avec Le Prix Martin. Étonnant mélange que la rigueur allemande et la folie labichienne ; de curieuse, je devins conquise. Le résultat était parfait. J’ai compris depuis que tout ce que touchait Peter Stein se transformait en or. Il doit lui-même avoir conscience de ce pouvoir et ne l’utilise qu’à bon escient, attendant ses 80 ans passés pour monter son premier Molière et s’attaquer à ce monument du théâtre français. Et pourtant, devant un tel spectacle, il est difficile de croire à une première fois.

Rigoureux, drôle, réaliste, classique, moderne, stylisé, mais surtout incroyablement Moliérien, Peter Stein est de ces metteurs en scène qui partent du verbe pour monter leur spectacle. Étonnamment, je n’avais jamais entendu l’alexandrin pareillement dit : cassant le rythme habituel – le rythme français ? -, son oreille allemande nous le fait percevoir d’une manière différente. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : j’ai rarement aussi bien entendu le texte de Molière. La déclamation a une allure nouvelle, efface presque les rimes, lisse la versification et lui donne un naturel nouveau.

Ça surprend dans un premier temps… pour finalement convaincre très rapidement, emportés par une langue qu’on redécouvre, à la fois quotidienne et classique. D’ailleurs, pour la rendre la plus accessible possible, Peter Stein a coupé dans le texte tout ce qui pouvait ancrer l’histoire dans un temps passé : les références datées, les tirades évoquants des portraits de Cour ou les longues descriptions du futur marital qui attend Marianne. Étonnante également, cette façon de traiter le Tartuffe aussi comme un drame bourgeois, avec des costumes très disparates : Madame Pernelle et Valère endossent des costumes qui évoquent le XVIIème, Marianne et Dorine ont respectivement une robe et un costume de bonne du début XXème, Damis est plutôt dans un esprit dandy du même siècle, et Orgon et Elmire s’accordent avec des habits des années 30. Tartuffe, quant à lui, porte une soutane intemporelle qui semble traverser les siècles et impacter à sa manière chacun des personnages qui gravitent autour de lui.

Peter Stein est, quelque part, le grand couturier de la mise en scène – mais Yves Saint-Laurent, pas John Galliano. Les coutures sont invisibles, et le tissu semble parfait. Là où une robe s’adapte avec élégance, finesse, et surtout simplicité à la silhouette qui lui est destinée, son travail s’efface derrière la scène qui prend vie de la manière la plus évidente qui soit. Il est de ces travaux qui ne s’analysent pas : quand, soudain, un comédien se trouve en haut de l’escalier, son déplacement nous a semblé si naturel, si nécessaire, si authentique, que nous l’avons suivi sans arrière pensée avec une sorte de béatitude revendiquée.

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Remercions aussi une direction d’acteur d’une qualité rare. Devant l’annonce de ce spectacle, j’ai fait la moue : je connais les failles de Pierre Arditi pour l’avoir vu souvent au théâtre ces dernières années. Il n’en est pas question ici. C’est l’Arditi des sommets, celui des Fausses Confidences de Didier Bezace. Peter Stein ne l’a pas dénaturé : par instants, on reconnaîtrait presque Pierre Arditi, à travers à un sourire, un geste, une intonation. Mais le reste du temps il n’est que Tartufferie, et forme avec Jacques Weber un duo des plus grands. Lui aussi s’est transformé. Il propose une succession de Et Tartuffe ? d’anthologie, l’adoration et la bienveillance envers son protégé se lisant dans son regard enfantin. Et soudain les deux personnages côte à côte, la tête reposant sur l’épaule de l’autre, se détachent du reste du spectacle pour ne former plus qu’un. Enfin, lorsqu’Orgon apprend la trahison de celui qu’il croyait son ami, Jacques Weber semble prendre 10 ans d’un coup. Un vrai coup de poignard, pour lui comme pour nous.

Cette potion de transformation qu’il impose à ces comédiens a touché également Isabelle Gélinas, méconnaissable Elmire. Pour Stein, elle reste l’un des supports comiques de la pièce, puisqu’il la fait surjouer dans la scène Elmire-Tartuffe où Orgon est caché sous la table. C’est d’ailleurs avec une grande finesse qu’on s’aperçoit au fil de la pièce qu’elle porte des bas noirs, acmé de sa scène avec Tartuffe, et qui seront dévoilés progressivement, par des gestes toujours subtils. Et sa palette ne s’arrête pas là car, le reste du temps, elle joue une Elmire grande bourgeoise, très classe, solide, comme le pilier principal d’une maison où tout part à vau l’eau. Avec cette force qui lui est propre, elle donne à entendre, sans l’appuyer et avec beaucoup de dignité, cette réplique sur la libre-décision de la femme, comme une réponse de Molière au mouvement MeToo – et que je ne résiste pas à copier ici :

Est-ce qu’au simple aveu d’un amoureux transport,
Il faut que notre honneur se gendarme si fort ?
Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche
Que le feu dans les yeux, et l’injure à la bouche ?
Pour moi, de tels propos je me ris simplement ;
Et l’éclat, là-dessus, ne me plaît nullement.

Si j’avais un bémol – il en faut bien un ! – ce serait dans l’interprétation de Marianne par Marion Malenfant. C’est le seul personnage que Peter Stein fait jouer de manière caricaturale et, si je ne doute pas de son intention première, je pense que ce qu’il a en tête est si précis et si fin à jouer que Marion Malenfant peine à trouver le bon équilibre : elle passe de longues scènes à chouiner bruyamment et ne parvient pas encore à convaincre par sa composition. Mais je ne m’inquiète pas : quand je retournerai voir ce Tartuffe, elle aura trouvé.

On s’incline. ♥  

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Nevermore

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Critique de La dernière bande, de Samuel Beckett, vu le 6 mai 2016 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Jacques Weber, dans une mise en scène de Peter Stein

Article particulier s’il en est, car témoin d’une fin prématurée, triste et injuste. Avec La dernière bande, Frédéric Franck signe le dernier spectacle de sa programmation, laissant les clés à Benoît Lavigne et François-Xavier Demaison qui reprendront le théâtre dès la rentrée prochaine. Premier texte de sa programmation lors de son arrivée dans le théâtre, il a fait le choix de clore son mandat par ce geste symbolique  : la boucle est bouclée.

Jacques Weber est Krapp, un vieux clown qui semble malade, tombé dans l’alcool et dans la mélancolie. Affalé sur son bureau, il repasse en boucle sur un magnéto les moments de sa jeunesse qu’il dit ridicules mais qu’on devine essentiels à ses yeux. Il restera là durant tout le spectacle, à écouter, à commenter, à ressasser ce passé perdu, enfui, mais jamais oublié.

Jacques Weber est magistral. Dans son habit de clown, il passe une bonne partie du spectacle à jouer au mime, et tous les regrets, la tristesse, la nostalgie et la colère qu’il semble contenir s’échappent par des grognements et reniflements audibles. Le texte de Beckett, court et dont la partition est finalement peu fournie, laisse pourtant à l’acteur de nombreuses possibilités théâtrales, et l’amertume se fait plus intense à chaque geste, chaque bougonnement.

Je vois ce spectacle à la lumière des événements qui agitent le théâtre de l’Oeuvre et mon coeur se serre. Une fois encore, Frédérick Franck n’a pas cédé à la tentation de programmer un spectacle facile et commercial. Une fois encore, ce que je vois est unique en son genre, et il n’y a qu’ici, dans ce beau théâtre du 9e arrondissement de Paris, que ma confiance est absolue. De tous les spectacles vus au Théâtre de l’Oeuvre depuis que Franck est à sa direction, un seul m’a déçue, et encore : sur le plateau, le talent était là, et seul le texte n’atteignait pas cette barre très haut placée par les comédiens.

J’aimerais pouvoir écrire la tristesse que provoque en moi le départ de Frédérick Franck. Avec lui disparaissent des soirées de perfection absolues, des découvertes théâtrales uniques, une exigence et un respect des oeuvres rares, une programmation éclectique et propre à ce théâtre ; une passion pure mise au service des – parfois trop rares – spectateurs. Un grand merci pour ces années de direction magistrale. Si j’avais pu me lever et vous applaudir ce soir, ç’aurait été les larmes aux yeux, et un pincement dans le coeur.

Un spectacle comparable au mandat de Frédérick Franck : intelligent, exigeant, parfait. ♥  

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Un Prix Martin au sommet du Podium !

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Critique du Prix Martin, d’Eugène Labiche, vu le 20 avril 2013 à l’Odéon – Théâtre de l’Europe
Avec Jean-Damien Barbin, Rosa Bursztein, Julien Campani, Pedro Casablanc, Christine Citti, Manon Combes, Dimitri Radochevitch, Laurent Stocker, et Jacques Weber, dans une mise en scène de Peter Stein

J’avoue que j’ai failli écrire Perfection et m’arrêter là. Car lorsqu’elle est atteinte, n’est-ce pas inutile d’essayer de la décrire ? Mais c’est mon modeste devoir, et c’est pourquoi j’essaierai, humblement, de mettre des mots sur ce que j’ai pu voir ce soir.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu de Labiche. J’avais presque oublié quel auteur de génie il était. Une plume sans défaut : il faut dire que le Prix Martin fait partie de ses dernières pièces. Il s’écarte un peu du vaudeville, tendant vers quelque chose de plus sérieux, de plus proche de la réalité : il nous donne à voir une certaine image de la vie. Il met en scène Agénor Montgommier et Ferdinand Martin, deux amis de longue date, habitués à jouer au bésigue, qui voient leur quotidien chamboulé lorsque Ferdinand apprend que sa femme le trompe avec Agénor. S’ensuivent de nombreuses péripéties, qui pourraient sembler burlesques et qui, pourtant, sont d’une crédibilité étonnante.

Il y a tout d’abord Peter Stein. Ce metteur en scène, pour qui le respect de la pièce et de l’auteur est primordial, porte la pièce à son paroxysme. Je pense que son secret réside dans la simplicité : la pièce parle d’elle-même, rien n’est ajouté, rien n’est en trop, rien ne « cherche à faire tel effet ». Tout est justifié. Le rythme est parfait : ni trop rapide, ni trop lent, tout est dosé à merveille. Le décor choisi ? Un canapé, une table, des chaises : un intérieur bourge simple. En fond, quelques lieux connus de Paris, puis un paysage de Suisse, simple. Tout ce qui aurait pu être exagéré : l’accent du cousin d’Amérique, les caractères des deux amis, l’enthousiasme des femmes, … tout cela reste sobre, et cette sobriété est une perfection. Peter Stein a également vu juste en choisissant, pour jouer les vieux amis, deux acteurs qu’une bonne vingtaine de centimètres sépare : sans chercher le rire par des gestes ou des mimiques, rien que de les voir côte à côte, cela suffit.

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Et puis, on se retrouve avec de Grands acteurs devant nous. Laurent Stocker, par exemple, qui lorsqu’il entre pour la première fois, semble être un autre : le maquillage qui le vieillit y est pour quelque chose, bien sûr, mais quelque chose a réellement changé sur son visage : il s’est littéralement transformé, tirant sa bouche, les yeux fatigués, le déplacement bien plus lent et contrastant avec sa vigueur habituelle. Et lorsqu’il doit jouer un malade … je ne saurais décrire la précision et la perfection de son jeu, et je me contenterai de dire qu’il est sans faute. Et il forme avec Jacques Weber un duo remarquable : je ne pense pas, sincèrement, qu’il puisse y avoir meilleur duo pour jouer cette pièce. Weber, malgré sa puissance évidente, est plus qu’à l’aise dans tous les registres, jouant la tristesse sans tomber dans le pathos, rendant tous les éléments de la pièce évidents : l’habitude, le sexe, l’amitié, le sens de l’honneur, mais pas la jalousie, la tristesse, la culpabilité … Autour de ce duo brillant, les autres acteurs ne font pas pâle figure, bien au contraire ! Jean-Damien Barbin, frère de lait de Ferdinand, à la voix si puissante, si claire, et si précise, contrastant avec le duo précédent, génial dans son habit trop grand pour lui, contribue à la perfection de la pièce. Le couple de jeunes mariés, Julien Campani et Rosa Bursztein, liés par une complicité évidente, ont totalement saisi et incarnent à merveille leurs personnages. Manon Combes, en Suissesse venue compléter les couples, défend avec ardeur les clichés sur les Suisses. Pedro Casablanc, cousin venu droit des Amériques, donne à voir une performance rare : dans ce genre de rôle où tout est souvent accentué, il ne fait pourtant rien de trop : sans accent, juste grâce à une voix forte et un poncho, il semble le meilleur « étranger » que j’ai jamais vu. La sobriété fait parfois des merveilles !

Mais, oh ! Je suis indignée de ces spectateurs si … insupportables. Derrière moi comme à ma gauche, deux personnes comme devant leur télé. Derrière moi, un homme qui se croyait capable de finir les phrases de Labiche : mais non, monsieur, tout comme dans Doit-on le dire ? où certains avaient été pris au piège de : « et je voudrais vous dire adieu, dans une rencontre suprême … ou nous pleurerions … «  en complétant par « tous les deux » et non « tant et mieux », là, vous vous rendez compte de la subtilité de Labiche, que vous ne possédez absolument pas : en effet, compléter « Il m’a fait … » par « cocu » et non « une raie dans le dos ! » montre que vous n’avez rien compris. Quant à ma chère voisine de droite, qui se croyait devant sa télé avec ses « Oh lalaa ! » et ses « Tu as vu ??? » … Enfin. Il faut de tout pour faire un monde.

Avec une mise en scène digne d'(Ein)Stein, des acteurs plus qu’excellents, une troupe jouant réellement ensemble, et une pièce sans faille, c’est une soirée parfaite assurée ! ♥ ♥ ♥

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