Un spectacle à la coule

14352481465078_photo_hd_23724

Critique de Irma la douce, d’Alexandre Breffort, vue le 25 septembre 2015 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Lorant Deutsch, Marie-Julie Baup, Nicole Croisille, Andy Cocq, Olivier Claverie, Fabrice de la Villehervé, Jacques Fontanel, Valentin Fruitier,Laurent Paolini, Claire Perot, Bryan Polach, Pierre Reggiani, Loris Verrecchia,Philippe Vieux.

Qui lit régulièrement mon site ne peut manquer mon engouement certain pour les spectacles de Nicolas Briançon. Rarement décevants, ils sont toujours synonymes d’une soirée électrique, brillante, mémorable. Ce metteur en scène a le don de nous en mettre plein les yeux avec doigté ; il y a toujours quelque chose d’un peu clinquant, des dorures, des musiques, des costumes colorés, mais avouons-le : on l’aime pour ça ! En montant Irma la Douce, il signe à nouveau une belle soirée haute en couleurs, menée par une Nicole Croisille au sommet.

Irma la douce, c’est avant tout une histoire rocambolesque, qui n’en finit pas de rebondissements invraisemblables. Irma, c’est une prostituée qui tombe amoureuse de Nestor, titi parisien qu’elle croise souvent au bar des inquiets. Mais ils vivent dans un amour loin d’être parfait : en effet, Nestor est jaloux des hommes qu’Irma rencontre chaque jour. Ils en viennent à la conclusion qu’il ne faudrait qu’un seul contributeur pour atténuer la jalousie de Nestor. Pour pallier ce sentiment, il se transforme en Oscar, et rend visite à Irma durant ses heures de travail. Déguisé, elle ne le reconnaît pas, et il peut lui annoncer qu’il reviendra tous les jours pour lui donner 10 000 euros. Bien sûr, ce sont toujours les mêmes billets, mais elle ne s’en rend pas compte, et retourne tout heureuse l’annoncer à Nestor. Après quelques temps de ce tour, Nestor se lasse et met fin à sa double vie. Accusé injustement de sa mort, il est envoyé au bagne. S’ensuivent de nombreuses péripéties jusqu’aux retrouvailles finales entre Nestor et Irma, qui marquent également la naissance de leurs enfants.

Nicolas Briançon a le don pour monter ce genre de pièce un peu folle. Je me souviens encore de l’excellent voyage avec ma tante, ou la folie était également de mise. On se retrouve presque dans le même contexte ici, si ce n’est que le spectacle se compose de bien plus de comédiens, accompagnés par de véritables musiciens sur scène. Assurément, ces derniers confèrent un réel plus au spectacle : la musique live est toujours bienvenue au théâtre ! En effet, même si le livret est un peu faible parfois, les intermèdes musicaux permettent d’oublier cette faiblesse et de redémarrer sur de meilleures bases. Les airs toujours entraînants sont chantés avec brio par les différents comédiens, qui ont plus d’une corde à leur arc, et ajoutent à leurs parties chantées ce que certains chanteurs de profession ne possèdent pas : une âme, un geste, une intention.

1935511-exclusif-nicole-croisille-premiere-950x0-1

Nicole Croisille est tout simplement éblouissante. Ne connaissant que la chanteuse, j’avais peur qu’elle soit plus un nom pour attirer qu’une réelle actrice. Mais je ne connaissais pas l’artiste entière, cette comédienne de talent qui incarne à la perfection la gérante du bar, la Maman de toute la troupe. Dès qu’elle entre sur scène, on ne voit plus qu’elle ; et même lorsqu’elle est entourée d’autres comédiens et que tous chantent ou dansent en cœur, impossible de détacher ses yeux de la doyenne de la troupe. Une telle prestation ne peut qu’être saluée bien bas, et rien que pour Nicole Croisille, je vous crie : allez-y !

Lorànt Deutsch et Marie-Julie Baup, dont la complicité se ressent sur scène, forment un très beau duo. Lui, que je suis rarement la première à encenser, campe un Nestor dont je n’ai rien à redire, et que j’applaudirai plutôt deux fois qu’une. Perdant quelques habitudes de cabotinerie, il réussit à me toucher, particulièrement dans les parties chantées. Quant à sa femme, elle est une Irma douce et touchante, peut-être un peu pudique pour une prostituée : plus de sensualité, voire un côté un peu plus racoleur, permettraient de parfaire son Irma.

On ne peut que saluer les performances du reste de la troupe, et souligner le sous-emploi de l’excellente Claire Perot. Ses rares apparitions sur le devant de la scène ne font que mettre en valeur son talent, sa composition parfaite. Heureusement, j’ai lu sur le programme qu’elle remplacerait Nicole Croisille dans son rôle de Maman de temps en temps, ce qui est rassurant pour une comédienne de cet acabit. Un autre sous-emploi est étonnant, celui d’Andy Cocq. Présenté comme une vraie star dans la bande-annonce, on le voit finalement assez peu dans le spectacle et il n’a qu’une grande scène, pourtant très professionnelle. Étrange.

Nicolas Briançon nous entraîne une nouvelle fois dans son monde : lumineux, enthousiaste, enchanté. Comme nous, au sortir de la pièce. ♥  

vlcsnap-2015-09-12-13h10m04s109

Le Bourgeois Gentilhomme, Théâtre de la Porte St-Martin

francois morel le bourgeois gentilhomme

 Critique du Bourgeois Gentilhomme, de Molière, vu au Théâtre de la Porte Saint-Martin le 27 janvier 2012

Je pense qu’on peut mesurer la qualité d’une comédie de Molière au nombre de rires dans la salle .. et tout particulièrement le rire des enfants. Ça devait faire plusieurs années que je n’ai pas entendu ces rires-là … Mais dans la salle, ils étaient nombreux : quel souvenir agréable ! quelle beauté, des rires francs, enthousiastes, clairs, qui accentuent l’ambiance joyeuse et presque enfantine du spectacle !

Et pourtant, Le Bourgeois Gentilhomme n’est pas une pièce que je porte spécialement dans mon coeur … On sent que Molière l’a écrite un peu à la va-vite, avec la contrainte de la musique, comme c’est une comédie-ballet, et cela ressemble plus à un assemblage de sketchs plutôt qu’une histoire continue. L’histoire, je pense que tout le monde la connaît, mais ça ne coûte rien de la répéter une fois encore : Monsieur Jourdain est un bourgeois, riche, qui cherche à tout pris à vivre comme un noble.

On peut envisager ce personnage de plusieurs façons. Ici, Catherine Hiegel choisit de nous montrer un bourgeois naïf et presque enfantin, qui attire à lui la sympathie de chaque spectateur, et qui finalement conquiert aisément toute la salle ! Il faut dire que l’acteur y est pour quelque chose : en effet, François Morel a vraiment un quelque chose qui empêche quiconque de le châtier … un air d’innocence dans le regard … des mimiques bien à lui, soulignant son inexpertise en la matière, sa découverte de tous les instants … rien n’est trop exagéré, tout est dosé de manière à attirer le rire du spectateur à tous moments … Par exemple, les scènes avec le maître de philosophie, excellent Alain Pralon, touchant, semblant être retombé en enfance, sont absolument hilarantes !

Mais ils sont tous excellents dans leur jeu, que ce soit celui de Nicole, lors de la célèbre scène du rire, qui parvient à rendre tout à fait euphoriques les specateurs, Cléonte et Covielle, le duo « maître-valet » dont le premier cherche à séduire la fille de Monsieur Jourdain, ou encore Mme Jourdain, représentée dans une attitude complètement hystérique. On regrette peut-être l’interprétation de Dorimène, femme que Mr Jourdain cherche à séduire par son célèbre « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour », rendue ici totalement cruche, on ne sait trop pourquoi … mais son personnage étant secondaire, cela ne choque pas non plus.

Puisqu’on en est au aspects négatifs, je poursuivrais par un certain contraste entre la première partie du spectacle et celle qui se déroule après l’entracte. En effet, on a un peu de mal (mais je suis vraiment pointilleuse) à totalement « entrer dans » la pièce, et la scène entre le Maître à danser et le Maître de musique, une des premières scènes pouvant être hilarante grâce à leur comportement ridicule, n’est pas tordante … Peut-être à cause de trop d’exagération … En revanche, directement après l’entracte, on est pris dans cette histoire absurde de Turcs, de grand Mamamouchis, et on rit d’un bout à l’autre !  

Enfin, pour ce qui est du décor : personnellement je l’ai trouvé assez laid, mais il est plutôt représentatif de la mode de l’époque, dans les couleurs et les motifs. Il est également conçu de manière à mettre en valeur la richesse du Mr Jourdain, avec de part et d’autre de la scène des fausses fontaines … et quant aux musiques, et bien elles sont magnifiques ! Lully, c’est quelque chose ! Et la chanteuse a une voix absolument merveilleuse …

Un excellent Bourgeois, comme on en voit de plus en plus rarement … à ne pas rater !

03-Le-Bourgeois-Gentilhomme-©-Cosimo-Mirca-Magglioca-ATA

Le songe d’une nuit d’été, Théâtre de la Porte Saint-Martin

Le-Songe-d-une-nuit-d-ete-au-Theatre-de-la-Porte-Saint-Mart.jpg

Critique du Songe d’une Nuit d’Été, de Shakespeare, vu le 21 septembre 2011 au théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Lorànt Deutsch, Mélanie Doutey, Yves Pignot, Marie-Julie Baup, Davy Sardou, Nicolas Briançon, Laurent Benoît, Ofélie Crispin, Dominique Daguier, Armelle Gerbaault, Thibault Lacour, Léon Lesacq, Maxime Lombard, Thierry Lopez, Jacques Marchand, Elsa Mollien, Carole Mollienn, Carole Mongin, Maurine Nicot, Jessy Ugolin, et Anouk Viale, mise en scène de Nicolas Briançon ]

C’est dans une ambiance « années 70 » que se déroule la célèbre comédie de Shakespeare. Une comédie ? Non, c’est plus que ça. Un songe, oui … une féérie. Car après tout, l’histoire de la Reine des Fées, d’un lutin qui s’amuse de tout, de plusieurs couples, et d’homme qui se transforme en âne, ne révèle-t-il pas ce côté de Shakespeare qu’on peut avoir tendance à oublier : une imagination débordante et une écriture d’une légèreté impressionnante ?

Mais, si Mélanie Doutey et Lorànt Deutsch sont tête d’affiche, c’est plus, il me semble, pour « attirer les foules » que pour l’importance de leurs rôles ; c’est Yves Pignot, Marie-Julie Baup, Davy Sardou, Elsa Mollien, et Thibaut Lacour qui mènent la danse. Ils sont tous excellents ; et en particulier, on a un Yves Pignot digne de plus Grands : il a un véritable talent comique, si bien qu’il lui suffit presque d’entrer en scène pour que le public rie. Une mention spéciale également à Marie-Julie Baup, que j’avais déjà vu dansLes Femmes Savantes et qui ici s’est créé un véritable personnage qu’elle dirige à merveille. Davy Sardou fait un peu « tâche » dans ce quatuor ; meilleur que dans Léocadia, il ne brille pas non plus et reste le « maillon faible » de l’équipe.

A présent, il faut parler de ceux qui devraient être les « stars de la soirée », à savoir Lorànt Deutsch et Mélanie Doutey. Ce sont tous deux de très bons acteurs, c’est indéniable, mais je continue à trouver cela de la publicité mensongère que de voir leurs visages dans tout Paris, que de placarder leurs noms en énorme devant le théâtre, alors que leurs rôles sont secondaires. J’avais déjà vu Mélanie Doutey dans un téléfilm, mais je ne connaissais pas Lorànt Deutsch (ou seulement de nom ; c’est l’auteur de Métronome, un livre sur l’histoire de Paris – génial, paraît-il). C’est surtout ce dernier que j’ai été très heureuse de découvrir : il a un réel talent, que n’importe qui peut remarquer malgré son rôle peu important (pas non plus inutile, mais j’ai quand même été déçue de ne pas le voir plus longuement). 

Mais quelque chose gène. Ce n’est pas une question d’acteur, mais clairement de mise en scène : il y en a trop. Trop de décor flashy, trop d’agitation. Je suis très contente que la compagnie aie les moyens de s’offrir des accessoires pareils, mais vraiment, trop c’est trop, et cela gâche un peu le songe.

Enfin dernière chose insupportable : la pièce attire beaucoup de monde. Tant mieux pour eux. C’est vraiment plein. Mais bien sûr, parmi tous les spectateurs, il y a des connaisseurs, et d’autres pas. Qu’ils découvrent le théâtre ainsi, bonne idée. Mais à ceux qui viennent tousser pendant 2h20, je dis non. Car oui, un homme m’a gâchée le spectacle en se raclant la gorge pendant tout le spectacle, toutes les 1 minute 30 environ. Et ça, durant un Shakespeare, et surtout une pièce telle que Le Songe, ça vous donne des envies de meurtre. Vraiment.

Verdict : on passe un très bon moment, si tant est qu’on échappe à la zone de tousseurs.