Critique de La Tête des Autres, de Marcel Aymé, vu le 27 mars 2013 au Vieux Colombier
Avec Véronique Vella, Alain Lenglet, Florence Viala, Serge Bagdassarian, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Félicien Juttner, et Laurent Laffite, dans une mise en scène de Lilo Baur
Ce n’était peut-être pas à la Salle Richelieu qu’il fallait aller cette saison, mais plutôt au Vieux Colombier : loin des déceptions auxquelles il semblait nous avoir habitués, le spectacle que nous présente ici le Français est un régal de bout en bout. Servie par une troupe au meilleur de sa forme et de son talent, et dans une mise en scène d’une justesse impeccable, la pièce dévoile ses recoins les plus sombres avec une pure ironie, passant sans difficulté du comique au sérieux.
Revenons rapidement sur l’histoire, critique assez violente du monde de la justice : la pièce débute sur le dernier succès de Maillard (N. Lormeau), procureur affirmé, qui vient de condamner à mort un accusé du nom de Valorin (L. Laffite). Cette victoire se fête chez le procureur, avec sa femme (Véronique Vella) et des amis, les Bertolier. Mais bien vite, une autre fête s’organise et Maillard se retrouve seul avec son amante (Florence Viala), épouse de Bertolier. Alors arrive Valorin, surprenant les amants, fraîchement évadé de prison, et tenant à tout pris à faire éclater la vérité : il n’est pas coupable. Intrigue peu complexe, mais l’histoire passe par plusieurs péripéties plus ou moins attendues (mais tout reste très clair !).
Le choix de mise en scène reflète bien le style de la pièce : Lilo Baur a opté pour un style « film noir » : que ce soit les lumières, qui en fin de scène, tendent à ne laisser qu’un cercle éclairé sur les personnages présents, plongeant le reste de la scène dans le noir, ou encore les musiques, qui reviennent à plusieurs reprises mais sans jamais gâcher le texte ou couvrir les voix des acteurs, ces deux éléments semblent différer de leur utilisation habituelle et tendent vraiment à un autre genre que le théâtre pur : après tout pourquoi pas ? Puisque le texte lui-même tent vers cette option : je ne l’ai en effet pas trouvé extrêmement théâtral, en ce sens qu’à la fois l’intrigue, le thème, ou même les dialogues semblent désorientés sur une scène, et y sont inhabituels : le rideau rouge en fond de scène ne signifie-t-il pas que tout cela n’est qu’une comédie ?
Mais si, pour moi, ce n’est pas un chef-d’oeuvre, elle m’a pourtant été présentée avec talent et j’ai su m’y intéresser sans peine, ne m’ennuyant à aucun moment : la pièce y est pour quelque chose, bien sûr, et avec elle le talent des comédiens, qui la portent avec brio. Ne sont présents sur scène que des valeurs sûres : Laurent Laffite, que l’on a trop peu vu jusqu’à présent, accompli sa mission de justice avec un naturel étonnant, faisant une entrée avec fracas tout à fait réussie. Véronique Vella excelle dans ce rôle de femme partagée entre le devoir et l’amour, finissant par pencher du côté le moins stable : touchante, sincère, poignante, elle compose ici une Juliette Maillard tendre mais affirmée, et transmet ses émotions à la salle avec une facilité qui ne m’étonne plus. Nicolas Lormeau, incarnant son mari, ne perd à aucun moment son sérieux, et parvient à imposer un respect évident, du moins lorsque son rôle le demande. Le plus impressionnant reste les rires qu’il provoque tout en restant extrêmement sérieux, rien qu’avec une intonation de voix, un mot, un mouvement. J’essaie de me reproduire les rires d’Alain Lenglet dans ma tête, mais il faut les voir pour en rire réellement. Florence Viala compose une Roberthe piquante, parfaitement dans le ton du personnage. Clément Hervieu-Léger et Félicien Juttner provoquent les rires par leurs disputes incessantes, en contradiction totale avec le rôle qu’ils devraient tenir. Enfin, Serge Bagassarian. Il n’apparaît que dans une scène : et quelle scène ! Loin de la bâcler, on peut profiter pleinement de son talent comique, qu’il ne retient pas.
Somme toute, une version sans faute de cet Aymé que je ne connaissais pas : malgré un texte qui pourrait s’avérer déroutant, ou sembler long parfois, on ne ressent ni ennui ni impatience, et on se laisse porter par ces comédiens qui tiennent leurs rôles avec brio, portant la pièce bien plus haut que ce Phèdreque l’on essaie d’oublier. Loin de moi l’idée que Aymé écrase Racine en matière de théâtre, mais il semblerait juste qu’une mise en scène et des acteurs bien dirigés peuvent tout changer : j’ai vu et entendu le texte d’Aymé aujourd’hui, alors que je n’ai pas entendu Racine l’autre jour …
Cette Tête-là vaut vraiment le détour ! A voir ! ♥ ♥ ♥