Tyrannicus

Britannicus

Critique de Britannicus, de Racine, vu le 27 mai 2016 à la Comédie-Française
Avec Clotilde de Bayser, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Benjamin Lavernhe, et Dominique Blanc, dans une mise en scène de Stéphane Brauschweig

Enfin ! Enfin, la Comédie-Française remonte un Racine ! Le dernier vu en date, Bérénice, monté par Muriel Mayette, ne m’a laissé qu’un vague souvenir. Ici, Eric Ruf a fait appel à son rival Braunschweig pour la mise en scène, contre lequel il avait disputé la place d’Administrateur de la Comédie-Française. D’abord réticente à sa transposition dans ces hauts lieux de pouvoir, avec des acteurs en costumes cravate – Comment ? Ne pas monter Racine en toges ? – j’ai finalement laissé sa chance au spectacle. Brillante résolution.

Si Britannicus prend pour titre celui d’un personnage de la pièce, il n’est pas toujours au premier plan. Certes, Britannicus aime Junie et est aimé d’elle. Bien sûr, son demi-frère Néron va l’enlever car il s’éprend d’elle à son tour. Mais tout cela n’est qu’une excuse pour appuyer l’intrigue : c’est d’abord une histoire de pouvoir, de passage de pouvoir, de désir de pouvoir, de trahisons pour le pouvoir… C’est une véritable pièce politique. Si une intrigue amoureuse est présente, elle n’est pas l’essentiel : on ne voit que Néron, empereur romain, tendre lentement vers une folie sûre, et rejeter peu à peu toute sa famille : son frère, Britannicus, et sa mère, Agrippine. Ce goût du pouvoir qu’il acquiert pendant la pièce, nulle doute qu’il le tient d’elle : redoutable, immorale, sans scrupule, elle écarte de son passage tout ce qui ne va pas dans son sens.

C’est dans le rôle d’Agrippine que Dominique Blanc fait son entrée comme pensionnaire à la Comédie-Française. Entrée très attendue… et très réussie. Elle est sur la scène de la Salle Richelieu comme une reine : imposante, belliqueuse, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Mais tout ne glisse pas sur elle sans l’atteindre, et l’on sent que malgré tout, ce pouvoir qui l’échappe ne la laisse pas indifférente et la rage de le conserver fait parfois place à la peur de le perdre. A ses côtés, le reste de la distribution excelle tout autant : Georgia Scalliet est une Junie sensible et attachante, brûlant d’un amour pour l’excellent Stéphane Varupenne qui incarne un Britannicus qui monte en assurance au fil de la pièce. Hervé Pierre est un Burrhus attachant, raisonné et troublé, dont la souffrance face à l’évolution de César a su me troubler. Benjamin Lavernhe continue de monter en puissance : il est ici un Narcisse angoissant, redoutable et sans scrupule ; et sa voix, notamment dans la scène où il semble contrôler Néron, prend une tournure sombre et menaçante qu’on ne lui connaissait pas.

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Il y a longtemps que je ne doute plus du talent de Laurent Stocker. A l’annonce de sa future interprétation de Néron, contre-emploi pour l’acteur qu’on voit peu dans ce registre, je me suis vue le défendre à plusieurs reprises, arguant qu’il avait plus d’une corde à son arc et qu’il pouvait continuer à nous surprendre. J’étais encore loin de la vérité. Quelle transformation ! La composition de Stocker en Néron est d’une perfection absolue. Réglé au millimètre, son regard de faucon le précède partout où il entre, sa moue trahissant une amertume profonde. En un quart de seconde, son visage passe d’un plein éclairage, révélant l’amertume et la rage de ses prunelles, à la pénombre plus inquiétante encore qui le rend presque démoniaque. Le geste est mesuré et l’effet angoissant. Tyran aux éclats d’enfant gâté, il compose un Néron effrayant, impulsif, basculant peu à peu dans la folie.

La mise en scène de Braunschweig est d’une extrême rigueur : sous cette apparente simplicité, tous les détails sont pensés, minutés, parfaitement effectués. Les lumières créent une ambiance inquiétante en éclairant habilement chaque visage, les scènes d’affrontement sont réglées à la seconde, les placements anticipent les paroles, comme cet alignement total entre Néron et Narcisse lors de l’acte V, qui vient compléter le dialogue sans équivoque. Belle idée également de transposer la pièce dans ces grandes pièces qui évoquent des lieux de pouvoir à la House of Cards : l’alexandrin naturel des acteurs s’y adapte parfaitement, et même l’histoire romaine ne choque pas dans ce décor pourtant inhabituel chez Racine. Mais la pièce, plus actuelle que jamais, épouse parfaitement les contours amenés par Braunschweig, qui la porte ainsi à son sommet.

Indispensable. ♥  

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Marguerites ou narcisses ?

MARGUERITES Affiche

Critique de L’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites, de Paul Zindel, vu le 18 décembre 2015 au Théâtre de l’Atelier
Avec Isabelle Carré, Alice Isaaz, et Lily Taïeb/Armande Boulanger, dans une mise en scène d’Isabelle Carré

Le bilan de mes dernières venues au théâtre de l’Atelier s’assombrit encore un peu : cela fait bien 3 spectacles que le sentiment majeur à la sortie du théâtre est la déception. Et cette impression, malheureusement, ne fait que s’accroître. Dans De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites, outre le titre , tout semble excessivement long. Et ennuyeux.

On se retrouve en Amérique, chez Béatrice, qui élève seule ses deux filles et vit avec Nanny, une vieille dame qu’elle aide au quotidien. On comprend vite la relation malsaine que Béatrice entretient avec ses filles, interdisant à sa cadette, Matilda, d’aller à l’école sous prétexte qu’elle a déjà assez à faire à la maison. Son autre fille, Ruth, semble prendre le même chemin que sa mère, chaotique et délirant. Elle commence même à manipuler l’art du chantage. Le spectacle suit cette petite famille au quotidien, jusqu’à la bonne nouvelle d’un prix décerné à Matilda, jeune surdouée, pour son expérience sur les marguerites…

J’ai du mal à comprendre comment un directeur peut accepter de monter cela. Le texte n’est pas (ou plus) adapté à notre France actuelle : il est bien trop américain pour me convaincre, en tout cas. Et même dans son écriture, on trouve des failles : quelle logique dans une fille qui prône son amour pour les sciences, et qui finalement remercie Dieu d’avoir créé les atomes ? Si le film de Paul Newman a connu un succès, je doute que ce soit le cas pour ce spectacle. Il respire l’ego d’une actrice qui a vu dans Béatrice un rôle taillé pour elle. Et qui ne l’est finalement pas : Isabelle Carré n’a pas les épaules pour incarner Béatrice. Elle manque de folie, de rage, de naïveté. Elle joue cela bien trop « classiquement » pour être crédible, son personnage est si lisse qu’à chaque parole prononcée, un décalage supplémentaire s’instaure entre Béatrice et l’actrice.

Les deux jeunes actrices qui l’accompagnent ne relèvent pas ce niveau, et on en vient à souhaiter vivement que Alice Isaaz cesse de crier ainsi ses répliques et apprenne à poser sa voix. J’ai vivement regretté ma place proche de la scène, tant mes oreilles souffraient de tant de cris. Pour faire passer la colère, la folie, il y a d’autres choses. Malheureusement, aucune des actrices ne semble correctement dirigée : c’était à prévoir, Isabelle Carré n’étant pas un metteur en scène de formation.

Un gros ratage. pouce-en-bas

COMPORTEMENT DES MARGUERITES Photo Armande Alice Isabelle (Libre de droit (c)Christophe Vootz)

Les fRustrants

Rustres

Critique des Rustres de Carlo Goldoni, vu le 12 décembre 2015 au Vieux-Colombier
Avec Gérard Giroudon, Bruno Raffaelli, Coraly Zahonero, Céline Samie, Clotilde de Bayser, Laurent Natrella, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Christophe Montenez, et Rebecca Marder, dans une mise en scène de Jean-Louis Benoît

Les Rustres, c’est une pièce féministe qui a une certaine résonance tout particulièrement aujourd’hui. La récente montée des extrêmes en France, les attentats, tous ces événements nous amènent à nous renseigner sur ces hommes français et qui nous sont pourtant totalement étrangers, sur leurs pays, leurs modes de vie. Et on se rappelle que les femmes n’ont pas le droit (entre autres) de conduire en Arabie Saoudite.

Dans la pièce, les femmes sont interdites de sortie et leurs maris exigent d’elles une soumission totale à leurs bons vouloirs. Seulement voilà, si la plupart des femmes acceptent cette condition de vie, tout en se plaignant régulièrement, l’une d’entre elles ne l’entend pas de cette oreille et gère elle-même son couple. Elle est l’espoir, le modèle, en quelque sorte.

C’est bien de monter cette pièce en des temps si troublés. C’est un joli clin d’oeil, c’est politiquement correct. Mais au-delà de l’allusion aux récents événements, au-delà du rappel que de tels hommes existent encore et toujours, que ce texte semble daté ! Que de longueurs ! Quel manque de finesse ! On ne rit jamais de bon coeur grâce au texte ; on sourit toujours grâce à la maîtrise de Christian Hecq ou de ses camarades. Je ne reconnais pas dans ces Rustres l’auteur de La Trilogie de la Villégiature.

Peut-être que je ne parviens à apprécier Goldoni que lorsqu’il est monté de façon plus tchekhovienne, à la manière de Françon dans cette Trilogie. Seulement ici, ce choix semble plus délicat à mettre en oeuvre. Néanmoins, ces cris perpétuels sur scène, ces mouvements incessants, ces personnages sans âme ne parviennent pas à m’intéresser. Ils sont dessinés si grossièrement, comme des marionnettes qui s’agitent devant nous. Je n’aime pas voir de simples pantins, lorsque je vais au théâtre. J’y recherche l’âme, l’être plus que le jeu.

Heureusement, les acteurs sont là pour éviter de faire de ce spectacle un échec. Christian Hecq est fabuleux, au top de sa forme : il compose un Lunardo psychorigide, lunatique, égoïste, et surtout hilarant ; je lui dois mes principaux rires tant ses facéties sont rythmées ! Et bien qu’elles soient nombreuses, il ne semble jamais tirer la couverture à lui, bien au contraire ; c’est presque sa manière de donner la réplique à ses camarades ! Cette pièce fut également l’occasion de découvrir Rebecca Marder, jeune première fraîchement engagée au Français : elle tient ici un rôle principal et s’en tire très bien pour sa première apparition au Vieux-Colombier !

On connaît le talent du reste de la troupe, et chacun sert son rôle très convenablement sans non plus délivrer une prestation inoubliable. Mention spéciale à Clotilde de Bayser, qui a sûrement le rôle le plus intéressant et qui délivre son message avec brio. Grosse déception cependant du côté de Laurent Natrella, qui est pourtant un acteur que j’admire généralement : ici, son Comte est grotesque, lourd, ridicule sans être drôle. Bien dommage. Enfin, cette pièce souligne l’éternel rôle de Céline Samie, qui joue constamment de la même manière, quelle que soit la pièce dans laquelle je la vois. Juste, certes. Mais du Français, on attend plus que de la justesse…

Pour les amoureux de Goldoni, vous serez servis. Pour ceux qui doutent, vous pouvez passer votre chemin…  

Rustres2

 

Flaubert intime

GUSTAVE - Affiche

Critique de Gustave, de Arnaud Bédouet, vue le 16 juine 2015 au Théâtre de l’Atelier
Avec Jacques Weber et Philippe Dupont, dans une mise en scène de Christine Weber

Il est de ces acteurs que l’on voit une fois et qui nous marquent réellement. À tel point qu’on se dit : s’il joue dans cette pièce, ça ne peut être mauvais. J’ai vu Jacques Weber dirigé par Peter Stein dans l’inoubliable Prix Martin monté à l’Odéon il y a quelques années. Et lorsque je revois ce même acteurs aujourd’hui, j’avoue avoir un choc : ce n’est plus le même. Est-ce une question de direction, de pièce, ou simplement n’était-il pas en forme ce soir là ? Allez savoir. Tout ce que je retiens de ce spectacle, c’est de l’ennui et, malheureusement, de l’incompréhension.

Il faut savoir que la pièce est écrite à partir des correspondances de Flaubert… Et que je ne connais pas grand chose à la vie de Flaubert. En tout cas, pas suffisamment pour suivre avec passion ce spectacle. Je parviens à saisir le sujet à plusieurs reprises, mais par moment je ne comprends pas ce qu’il se passe. Dommage, car cela restreint quand même le public à qui s’adresse le spectacle.

L’autre problème de ce spectacle réside dans le jeu de Jacques Weber. J’imagine toujours qu’un texte moyen, ou ennuyeux, peut être sublimé par un grand acteur. Ici, ce n’est malheureusement pas le cas. Certes, il y a quelques envolées, quelques beaux moments. Mais durant la majeure partie du spectacle, Jacques Weber cabotine et cela a du mal à fonctionner sur moi, d’autant plus que le texte ne me passionne pas : je vois alors trop le jeu de l’acteur, jeu forcé et si peu naturel, jeu qui en devient inintéressant.

Aux passionnés de Flaubert, je dis peut-être. Aux autres, je déconseille.

Gustave Jacques Weber

Quand Reza nous raconte la partie

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Critique de Comment vous racontez la partie, de Yasmina Reza, vu le 27 novembre 2014 au Théâtre du Rond-Point Avec Zabou Breitman, Romain Cottard, André Marcon / Michel Bompoil, et Dominique Reymond, dans une mise en scène de Yasmina Reza

De Yasmina Reza, je ne connais qu’Art, mais ça m’a suffit pour me convaincre de prendre des places pour Comment vous racontez la partie. Art est une des pièces les plus parfaites que je connaisse, et incarnée par Arditi, Luchini et Vaneck, c’est une pure merveille. Je n’aurais peut-être pas reconnu la plume de Reza, et tant mieux : je pense que ce qui fait aussi un bon auteur, c’est sa capacité à se renouveler. Ici, le texte est très bon, et la mise en scène ainsi que les acteurs suivent cette excellence : en somme, on passe une très bonne soirée.

Nous nous retrouvons dans la salle polyvalente de Vilan-en-Volène pour une rencontre avec l’écrivain Nathalie Oppenheim, venue présenter son dernier roman : Le pays des lassitudes. Accueillie par un Roland impressionné par l’écrivain, mais également très impatient et heureux de sa venue, elle sera ensuite interrogée par une célèbre journaliste, Rosana Ertel-Keval. Celle-ci ne lui laissera pas une minute de repos, et débutera alors un affrontement puissant, une lutte de tous les instants de la part de l’écrivain pour ne pas s’énerver, de la part de la journaliste pour soutirer des réponses, et enfin de celle de Roland pour calmer le jeu.

Je connaissais tous les acteurs présents sur ce plateau, et pourtant je n’en ai reconnu aucun. Romain Cottard assume pleinement son rôle de responsable culturel qui prend en charge l’invitation de Nathalie Oppenheim. Sa démarche dégingandée, son style intello et sa grande timidité lui donnent un air de grand dadais très touchant. A ses côtés, Zabou Breitman est lumineuse. Ses moments d’emportement jurent avec la sobriété qu’elle semble s’être imposée, et ses envolées sont très réussies. André Marcon campe un maire à la limite de la beauferie, qui apparaît tout d’abord plutôt lourd mais amène finalement une touche de légèreté bienvenue à la fin de la pièce. Mais c’est la sublime Dominique Reymond que je retiendrai le plus, je pense : sa Rosana est piquante et lumineuse. Elle compose un personnage énervant à souhait, un sourire toujours narquois sur le visage et des airs hypocrites, qu’elle troquera lors de la scène finale pour un tout autre visage : sincère. De sa démarche à ses regards, sa composition ne comporte aucune faille. Elle est éblouissante.

Finalement, c’est une jolie pièce portée par d’excellents acteurs. Reza est un véritable auteur de théâtre, et les situations pourtant simples parviennent à nous saisir entièrement. A travers cet écrivain qu’elle met en scène, la critique des médias est abrupte. Ils ne semblent plus avoir de limites, autant dans l’intrusion dans la vie privée que dans les moyens qu’ils sont prêts à mettre en oeuvre pour avoir des informations. Face à cette insistance, l’artiste semble solitaire et à court de moyens. Seuls un sourire forcé et quelques instants d’emportements constituent sa défense. Mais fondamentalement, la solitude est là ; et elle apparaît dans toute sa fragilité lors d’une scène où Zabou Breitman est seule, au sens propre comme au figuré. Puissamment seule.

A voir… en tournée ! ♥ ♥ ♥ 

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La guerre de Troie n’a pas eu lieu

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Critique de Troyennes, vues le 15 novembre 2014 au Théâtre 13
Avec Blade, Mounya Boudiaf, Kevin Keiss, Adrien Michaux, Pierre Mignard, Marie Payen, Valentine Vittoz et Lou Wenzel, dans une mise en scène de Laetitia Guédon

Puisque le thème de La Guerre est à l’honneur cette année en prépa scientifique, je ne pouvais pas rater cette représentation des Troyennes d’Euripide, qui se donnent actuellement au théâtre 13. Malheureusement, le texte, bien que grandiose, ne résonne que faiblement dans cette mise en scène de Laetitia Guédon.

La guerre de Troie est finie. Seules les femmes restent, tous les troyens ayant été tués pendant les affrontements. Que va-t-il advenir d’Hécube, d’Andromaque, de Cassandre, et d’Hélène ? Chez quel Grec devront-elles partir en esclaves ? Quel avenir leur réserve-t-on ? La pièce est un déchirement, d’un bout à l’autre. On devrait pleurer avec Hécube, dont la souffrance irradie la pièce. Seulement ici, l’émotion ne passe pas. A se demander si les acteurs eux-mêmes ressentent quelque chose lorsqu’ils jouent.

Pas l’ombre d’un sentiment. Malgré un texte fort, on reste de marbre face au désarroi de ces femmes. On accuse la mise en scène, qui manque d’idée : Hécube crie bien trop, mais le cri n’est pas forcément le meilleur moyen de transmettre le désespoir. L’actrice, trop jeune pour le rôle, ne semble pas percevoir tous ses aspects. Le reste de la distribution suit ce jeu sans flamme. Seule Lou Wenzel parvient à nous faire croire à sa Cassandre et à sa folie. Kevin Keiss enfin, qui incarne le choeur, est peut-être le symbole même de l’échec de la pièce : qu’un homme incarne le choeur de femmes dans une pièce telle que Les Troyennes n’a aucun sens ; mais qu’en plus il massacre son texte par une diction presque vulgaire : la portée dramatique tombe à l’eau.

Si la direction d’acteurs laisse à désirer, il en est de même pour la mise en scène : pourtant le décor semblait une bonne idée : à jardin, on reconnaît des camps dans lesquelles étaient enfermées les femmes, attendant leur peine future. Mais si il est présent sur scène, il n’est jamais utilisé, et seul le plateau nu reste pour les comédiens : des lumières très restrictives, mettant l’accent sur un jeu à la fois, comme en gros plan, limite les déplacements, ce qui donne un tout très statique. Sans grande signification. On abrège sur les paillettes qui tombent à plusieurs reprises sur les spectateurs, ainsi que sur les messages bien pensant des élèves d’un collège d’Aubervilliers. Le ton de la pièce n’est pas là. Nous non plus.

On préférera relire la pièce, plutôt que conseiller le spectacle. A éviter. pouce-en-bas

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Un duo de choc

Critique de Bash, de Neil LaBute, texte français de Pierre Laville et mise en scène de Gilbert Pascal
Avec Sarah Biasini et Benoît Solès, vu au Théâtre 14 le 5 mars 2014, à 19h.

Ce spectacle se compose de trois scènes sans lien entre elles. Les deux premières sont des monologues ; dans la dernière, les deux acteurs sont réunis. Dans les trois cas, il s’agit d’évoquer des meurtres, commis dans un cadre absolument banal, par des personnages ordinaires que rien ne destinait  a priori à une telle violence. La « banalité du mal » en quelque sorte. Je préfère laisser le spectateur découvrir l’histoire qui sous-tend chacun de ces passages à l’acte, car une bonne partie de l’intérêt de ces textes repose sur la recomposition de l’histoire que doit faire le spectateur, à partir d’éléments qui lui sont fournis de manière non-chronologique –mais sans « prise de tête » pour autant. Le spectateur doit surtout interpréter ces actes : les personnages qui les avouent ne donnent pas toutes les clés, parce que, vu la pauvreté de leur univers moral, ils ne les possèdent pas, ou parce qu’ils ne veulent pas s’avouer à eux-mêmes les ressorts qui les ont fait agir.

Je ne peux pas dire que j’aie beaucoup aimé ces textes, pour deux raisons. L’une tient justement à la pauvreté morale et intellectuelle des personnages, qui limite l’empathie que l’on pourrait avoir à leur égard : il paraît absolument impossible de s’imaginer à leur place, ils nous glacent ou nous dégoûtent. Mais je suppose que c’est l’effet qu’a voulu produire Neil LaBute. La seconde tient à l’altérité de l’univers dans lequel ils gravitent : la société américaine la plus puritaine, la plus éloignée de nos moeurs : deux scènes se situent explicitement chez les Mormons. À mes yeux, quand l’univers de référence est trop spécifique, l’universalité du propos trouve ses limites, et il faudrait un auteur d’exception pour la faire ressortir. Comment atteindre l’universel par le particulier ? c’est l’éternel problème. Ici, malgré l’adaptation habile de Pierre Laville, je ne me suis pas sentie concernée. Gilbert Pascal, le metteur en scène, veut que l’on se pose la question « Et, moi, qu’aurais-je fait ? » : cette question ne se pose pas, tant ces actes paraissent incompréhensibles et gratuits.

La mise en scène est très dépouillée, dans une dramatugie de la confession. Gilbert Pascal a voulu, explique-t-il, que toute l’attention se porte « sur Sarah et Benoît ». De ce point de vue, le spectacle est réussi. Les acteurs, qui portent tout, sont très investis et à la hauteur. Dans la dernière scène, la plus vivante et animée des trois, ils jouent dans un accord parfait, même s’ils sont encore un peu tendus (j’ai assisté à la deuxième représentation). C’était la première fois que je voyais Sarah Biasini. Je suppose que le fait qu’elle soit la fille de Romy Schneider va attirer le public, mais elle n’a pas besoin de cela : c’est une très bonne comédienne, lumineuse, avec un visage extrêmement mobile et expressif, qui peut passer de la beauté à la laideur en un clin d’œil. Benoît Solès est encore plus impressionnant, composant deux personnages veules et terrifiants, et en même temps pathétiques. Dans la dernière scène, il nous tient réellement en haleine, et arrive à faire passer ce poids de la « pression sociale » qui peut pousser aux pires atrocités tout en suggérant des pulsions plus sourdes, des sentiments plus diffus.

Le spectacle vaut donc le déplacement pour ce duo d’acteurs. 

Elle court, elle court, la Maladie de la mort

Critique de La Maladie de la mort, de Marguerite Duras, vu le 18 janvier 2014 au Vieux-Colombier
Avec Alexandre Pavloff et Suliane Brahim, dans une mise en scène de Muriel Mayette-Holtz et Matthias Langhoff

Le décor est impressionnant. Il monte très haut et s’incline en descendant vers le plateau, de sorte qu’il ne laisse qu’un petit espace scénique disponible. Sur les murs qui composent ce décor, des écritures. Parfois, je ne comprends pas à quoi elles correspondent : on dirait presque des indications de mise en scène, des didascalies, et pourtant ce n’en est pas. Mais sur le mur central, une lettre, qui commence par « Chère Madeleine », que l’on suppose extraite d’une correspondance entre Marguerite Duras et Madeleine Renaud. Sur ce mur là sera projeté, durant toute la pièce, un film (qui d’ailleurs avait déjà été utilisé pour une mise en scène ancienne de Langhoff). Film sans sens évident, plutôt comme des images à la suite qui n’ont pas forcément de rapport. Je m’interroge : pourquoi ? Pourquoi ces écritures sur les murs, pourquoi ces images d’éléphant, de singe, d’ouvrier, de banquise ? Et peu à peu, des réponses. Comme cet homme qui tourne autour de cet iceberg en avion, Lui cherche à comprendre l’être qu’il a en face, Elle. Lui cherche à briser la glace, mais n’y parviendra pas. Il y aura toujours quelque chose qui les sépare, ne serait-ce qu’un sentiment, un mode de pensée, un mode de vivre. Juste la vie. Comme ces ouvriers qui, peut-être, sont en train de construire un barrage, elle est innateignable pour Lui, qui a, en lui, cette Maladie de la mort.

On ne saura pas tout. Elle entre, avec la grâce qu’on lui connaît, la spontanéité et la légèreté qui est la sienne. Qui mieux que Suliane Brahim pour incarner La Femme ? Elle se sèche les cheveux, elle se déshabille puis se met au lit. Lui entre. Chemise blanche, pantalon noir, mains dans les poches, l’air triste, un peu anxieux, Alexandre Pavloff se place sur le devant de la scène côté cour, et commence son monologue. On comprend qu’il a payé cette femme pour voir, pour essayer d’aimer cet être si différent de lui, pour essayer de faire comme cela doit être. Elle a compris, assez vite, que Lui était différent. Que Lui était porteur de La Maladie de la mort, c’est-à-dire qu’il ne peut éprouver de sentiments pour cette femme et donc qu’il ne peut, en fait, pas vivre. Est-ce une difficulté à aimer une femme, ou à aimer tout court ?

C’est autour de ce thème que porteront les interrogations de Lui. L’abandon total de soi lors de l’acte d’amour semble ne pouvoir être atteint que par les femmes, et cela est sources de nombreux questionnements de la part de Lui. L’amour, le sexe, le désir, les sentiments, l’expression de ces sentiments sont autant de points qui troublent notre inconnu. Il ne semble pas comprendre ce qu’il a de différent, il tourne en rond, cela l’angoisse, de plus en plus, il craque, il pleure, mais Elle ne s’en inquiète pas. Elle dort. Elle dormira pendant toute la pièce, puis elle partira. Le texte de Duras est sublime. Je ne connaissais pas l’auteur et je suis tombée sous le charme de ses mots, de ses phrases chocs et pourtant simples, de sa vision du monde. 

Alexandre Pavloff a tout à fait la carrure pour porter ce texte. Il est captivant, sans faire aucun geste, tout est dans le ton, la manière de dire, d’exprimer ce qu’il ressent. Il semble déchiré en entrant, et puis s’effondrer encore plus, tombé dans un gouffre à la mention de cette Maladie de la mort qui lui colle à la peau, qui est en lui, qui est Lui. Pourtant à plusieurs reprises il fera de nouvelles tentatives d’aimer, de désirer, de comprendre le corps qui est là, sur le lit près de lui. Mais un certain dégoût semble le gagner devant la jouissance de ce corps. Le corps, qu’il sépare même presque de l’âme. Je ne saurais parler assez bien du texte, l’ayant entendu pour la seule fois hier. Je laisse le soin à Alexandre Pavloff de vous convaincre, et il saura le faire.

On en ressort bouleversé et bourdonnant de questions. Le texte est profond et donne à réfléchir, porté au plus haut par ces acteurs, dont la seule voix permet de transmettre toute émotion. Une association Pavloff-Duras mortellement parfaite. Un beau moment de théâtre. ♥ ♥ ♥

 

Les Journées du Conservatoire

Critique de la Classe de Daniel Mesguich, vue le 23 juin 2011 au Théâtre du Conservatoire National d’Art Dramatique

Les Journées du Conservatoire sont des journées qui consistent, on peut le deviner aisément, à présenter le travail des élèves de plusieurs classes, où les professionnels peuvent dénicher la perle rare (car nous savons que « Aux âmes bien nées / La valeur n’attend point le nombre des années »), et où, plus simplement, les amateurs peuvent envier les jeunes gens présents sur scène. Car apparemment, ils prennent plaisir à jouer, et cela se sent ; ils semblent donner le meilleur d’eux-mêmes et rien que cela les fait briller.

J’ai assisté, en ce jeudi 23 juin 2011, au spectacle de la classe de Daniel Mesguich, donc on pouvait entendre la voix entre chaque petite scène : car oui, le choix ici était plusieurs extraits de pièces très différentes, allant de Molière à Durang en passant par Tchekhov, Feydeau, et Saint-Exupéry, sans oublier Beckett ou Strindberg (et j’en passe …). C’est un choix plutôt assez judicieux, car je pense que cela permet à chacun d’avoir un « rôle-vedette » (même si certains brillaient dans tous), plutôt que de privilégier un ou deux acteurs sur une pièce unique. Mais j’avoue que je ne m’attendais pas du tout à ce que j’ai vu … je sous-estimais leurs capacités ! Car oui, beaucoup d’entre eux m’ont étonnée : je pense particulièrement à Moustafa Benaïbout, qui excellait en Peer Gynt (Henrik Ibsen) : sa gestuelle et son ton de voix (transformée) étaient parfaits, et on descelle en lui un véritable talent comique … qui ressurgit lors d’un autre extrait : La Tour de la Défense de Copi. Mais il semble également à son aise dans quelque chose de, peut-être, plus sérieux, tel que Stella, de Johann Wolfgang von Goethe, où il incarne Fernando, jeune homme qui doit annoncer à sa belle … qu’il la quitte. Bref, voici un jeune talent à ne pas perdre de vue ! Toujours dans les acteurs, j’ai beaucoup beaucoup beaucoup aimé Ulysse Barbry, qui avait composé lui même un petit sketch, Ulysse chez les Ham-Ham, où il était presque seul en scène, et qui était en fait un mélange de « classiques » : Baker, Shakespeare, Prévert, Müller. Il était également très bon en Petit Prince, car ce côté « garçon naïf, étonné de tout, mais courageux » lui allait comme un gant. Enfin, n’oublions pas Loïc Renard, qui, dans un style un peu « enfantin », nous surprenait à chacune de ses apparitions. En effet, voilà quelqu’un qui s’adapte parfaitement au genre de la pièce : il apparaissait dansLe Jeu de l’Amour  et du Hasard (Marivaux), Platonov (Tchekhov), La Tour de la Défense (Copi), Pâques(Strindberg), et Noémie sur le Sofa (Durang)

Quant aux actrices, et bien j’en ai retenu deux ou trois … Tout d’abord, Juliette Séjourné, qui, elle aussi, est peut-être une future Grande : nous l’avons vu dans Un Tramway nommé Désir (Williams), Le Jeu de l’Amour et du Hasard (Marivaux), Oncle Vania (Tchekhov) ; et, pareil aux autres acteurs, elle se semblait toujours faite pour le genre de la pièce dans laquelle elle jouait… alors que, entre nous, Tchekhov et Marivaux, ce n’est pas vraiment la même chose … Notons aussi Olivia Palacci, élève étrangère, qui, malheureusement, n’apparaissait qu’une seule fois … mais quelle fois ! Elle jouait Noémie dans Noémie sur le Sofa (Durang) : un rôle absolument terrifiant (mais comique). Elle faisait des merveilles ! Toute la salle riait, car elle était absolument Gé-niale ! Cette actrice possède, elle aussi, un véritable talent comique.

Enfin, j’ai vraiment trouvé que tous étaient très bons : certains se détachaient peut-être, mais les autres n’étaient vraiment « pas très loin derrière » … On leur souhaite une très bonne continuation, en espérant en voir certains sur les planches dans quelques années !