De grands acteurs pour des gens de peu

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Critique des Gens Bien de David Lindsay-Abaire, vu le 17 février 2014 au Théâtre Hebertot
Avec Miou-miou, Patrick Catalifo, Brigitte Catillon, Isabelle de Botton, Aïssa Maïga, et Julien Personnaz, dans une mise en scène de Anne Bourgeois

Un coup. Un choc. Ce spectacle fait mal au moral et au coeur. Aux miens, en tout cas. Peut-être parce que l’époque et mon état d’esprit s’y prêtent : le doute, la peur, les regrets, l’incertitude. Pas ceux d’une femme pauvre des bas quartiers de Boston, mais ceux que l’on rencontre tous, un jour, soudainement. Ils arrivent, ils sont là, ils prennent place, et même lorsqu’on les croit vaincus, un spectacle comme celui-ci les fait revenir de plein fouet. Joli travail, pour un texte qui ne paie pas de mine.

On comprend dès le début de la pièce que c’est mal parti : Margareth, incarnée par Miou-Miou, tente bien d’échapper à la conversation avec son supérieur par tous les moyens ; elle lui coupe la parole, tente de le faire rire, reste évasive sur les raisons de leur discussion. Mais il parvient à s’imposer et le verdict tombe : Margareth est licenciée. Comment réussir à payer le loyer qui arrive si vite ? Comment réussir à vivre et à faire vivre sa fille, handicapée ? Où retrouver un travail par les temps qui courent, et à son âge ? Le cas de Margareth semble désespéré. Et c’est grâce à de telles conditions, extrêmes, qu’on peut découvrir le vrai visage de son entourage : que vaut l’amitié qu’on croyait solide, face à l’égoïsme et à la peur ? Est-ce que la bonté pure et simple existe-t-elle réellement ? Peut-on penser à l’autre avant de penser à soi ? Margareth, qui touche le fond, tente tant bien que mal de s’en sortir : elle pense à un ancien ami, Mike, qui vient du même cadre qu’elle et qui a réussi. Si lui ne peut pas l’aider, peut-être qu’elle peut lui faire comprendre la misère dans laquelle elle est en brisant sa vie…

Je ne crois pas avoir déjà vu une pièce américaine contemporaine qui ne fonctionnait pas sous forme de tableau. Ou plus généralement c’est vers cette forme que tendent la plupart des pièces modernes, toute nationalité confondue. Je trouve ça dommage qu’on ne soit plus capable d’écrire une histoire d’un seul trait. Ici, les tableaux sont nécessaires aux changements de décor. Cependant, comme toujours, ils brisent quelque peu le rythme qui s’installe. Ajoutons à cela quelques longueurs dans le texte, et j’aurais pu passer une mauvaise soirée. Cependant, il n’en est rien. La trame dramatique est là, et par dessus tout, l’incarnation semble ici une évidence. On a plus l’impression que jamais que les acteurs se battent pour la cause de leurs personnages, qu’ils défendent becs et ongles. Impressionnant.

Miou-Miou compose un personnage complexe et déchirant. Encore une fois, je ne pense pas que le texte soit pour grand chose dans mon ressenti : il y a des longueurs, et un manque d’originalité : on s’attend beaucoup à ce qu’il va se passer. Et pourtant, la tension dramatique est là. Dans son regard, on sent une femme perdue et perturbée : elle hésite entre poursuivre son chemin à la recherche d’un travail, ou continuer ce combat immoral qu’elle a entamé, et dans lequel apparaît une forme de rancoeur, de jalousie vis-à-vis de cet autre qui a réussi. Sentiments inexplicables puisque soudain : jusqu’alors, rien ne dit que Margareth avait pensé à cet homme. Mais on sent qu’une force, inexplicable, la pousse à s’entêter dans cette voie, si bien qu’elle réussit sa tâche mais qu’elle se perd dans ce jeu malsain. Le désarroi, la honte, l’introspection, sont autant de sentiments que l’on peut lire à travers le personnage de Margareth. Touchante dans sa détresse et sa confusion, détestable dans ses actes, elle soulève un problème épineux : peut-on en vouloir à cette femme, à qui la vie a tout pris, et qui tente simplement de se battre contre son sort ? Miou-Miou défend ardemment son personnage, si bien que je n’ai toujours pas la réponse à cette question. Bravo.

Personnage central, elle laisse cependant briller certains de ses camarades sans complexe ; à commencer par Patrick Catalifo, ce fameux « ancien » que Margaret cherche à contacter, et qui se voudrait blanc comme neige, lui qui a été souvent noir dans son passé… Cherche-t-il à cacher ce qu’il a été, ou juste à l’embellir aux yeux de sa femme ? Est-ce vraiment par pitié qu’il accepte de recevoir Margareth ? Est-il vraiment quelqu’un de bien, comme il se plaît à la dire ? Encore un personnage complexe, par ses actes qui semblent plein d’empathie, mais qui pourraient simplement cacher des regrets amers et difficilement avouables. On lit la peur dans ses yeux, même lorsqu’il tente de rester calme. Il n’est pas serein, le Mike. Et décidément, il semble aussi noir que blanc. Une jolie composition. Le reste de la distribution suit ce niveau : Aïssa Maïga est une femme empreinte des moeurs de sa classe sociale, mais qui sait agir en conséquence en présence de qui ne les suit pas. Réfléchie et déterminée, elle est peut-être celle dont on peut le plus dire : « c’est une belle personne ». Brigitte Catillon a assurément la gueule de l’emploi de son personnage : ses remarques acerbes sont toujours placées avec un rythme parfait et son air blasé s’accorde tout à fait avec son personnage que la vie semble avoir usé. Je pense enfin à Isabelle de Botton, dont je n’ai rien à redire du jeu, mais dont le personnage m’a tellement énervée par son égoïsme que j’ai d’abord cru que je n’avais pas aimé son interprétation. Pour confondre pareillement personnage et acteur, c’est une belle maîtrise de son art : bravo, donc !

A travers des personnages simples et presque banals, des questions fondamentales sont soulevées, si bien que nous, spectateurs, nous retrouvons mal à l’aise face à la multitude de choix possibles. On n’en ressort pas indemne. ♥ ♥ ♥ 

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Le Père La Mère

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Critique de La Mère, de Florian Zeller, vue le 30 décembre 2014 au Théâtre Hebertot
Avec Catherine Hiegel, Jean-Yves Chatelais, Eric Caravaca, et Olivia Bonamy, dans une mise en scène de Marcial di Fonzo Bo

Je n’aime pas les pièces de Florian Zeller. J’ai compris que je n’aimais pas son écriture le jour où j’ai vu La Vérité ; qu’il ne parvenait pas à me montrer où il voulait en venir lorsque j’ai vu Le Père ; et qu’il ne changerait pas ce style indécis et brouillon le soir où j’ai vu La Mère. Croyez-le ou non, la prochaine pièce de Zeller montée s’appelle Le Mensonge… Alors, à quand le renouvellement ? Pourtant, j’ai fait preuve de bonne volonté, puisque je ne suis pas restée sur mon premier avis : j’ai essayé de comprendre pourquoi il était joué. Mais rien à faire, ça reste pour moi du théâtre facile et sans but. Heureusement, et allez savoir pourquoi, ses pièces sont toujours jouées par des grands acteurs. Ici, sans Catherine Hiegel, il n’y aurait vraiment rien à sauver.

J’ai eu l’impression de réassister à la représentation du Père. Ici, pas question d’Alzheimer (quoi que…), mais d’une mère qui aime trop son fils. Elle en est folle, si bien que ça l’obsède. Mais ce que je n’ai pas compris, c’est pourquoi les scènes sont jouées deux fois. Chaque scène terminée est reprise du début et se déroule différemment : la mère adopte alors un comportement totalement opposé à celui qu’elle avait pu montrer précédemment. Quelle est la « vraie » scène ? Et surtout pourquoi ces deux versions ? Florian Zeller n’a-t-il pas su laquelle était la meilleure, et c’est à nous de faire un choix ? Une telle proposition est bien trop proche de celle du Père, où cette fois ce n’était pas les scènes mais les personnages qui étaient échangés… Si bien qu’on ne distinguait pas non plus le vrai du faux. Mais si au moins on comprenait le but d’un tel échange, ici, ça ne fait pas sens.

Je ne vais pas déblatérer sur un spectacle qui me laisse finalement que peu de souvenirs, mis à part quelques scènes où Catherine Hiegel, femme impuissante face à des sentiments bien trop intenses, semblait porter le texte plus haut que lors du reste de la pièce. Impressionnante lors de ses accès de fureur, émouvante lorsqu’elle parle de ses ressentis, poignante lorsqu’elle est face à son fils, l’actrice parvient à tirer les quelques qualités insoupçonnables de ce texte. J’en retiendrai tout particulièrement un regard puissant, à la fois torturé et déterminé, parfois déchirant, comme appelant au secours. Que Catherine Hiegel soit une grande actrice, on le savait déjà. Mais on l’attend maintenant dans des rôles où non seulement son personnage, mais le reste de la pièce vaut le détour.

Pour la grande Catherine Hiegel, je peux dire oui. Mais on aimerait la voir dans un rôle de monstre un peu plus effrayant, puisque telle semble être l’ambition. ♥ 

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Game of cards

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Critique des Cartes du pouvoir, de Beau Willimon, vu le 28 août 2014 au Théâtre Hebertot
Avec Raphaël Personnaz, Thierry Frémont, Elodie Navarre, Roxane Duran, Francis Lombrail, Julien Personnaz, Adel Djemai, et Jeoffrey Bourdenet, dans une mise en scène de Ladislas Chollat

Quelques jours seulement après les unes déplacées concernant le départ d’Aurélie Filippetti et des coups bas qu’elle aurait faits à sa remplaçante, Fleur Pellerin, rabaissant les conflits des ministres à ceux de simples adolescents, Les Cartes du pouvoir semblent tomber à pic pour équilibrer la balance : si, en effet, les vilenies sont de mise dans le milieu, il n’en reste pas moins que les hommes politiques sont présentés comme des personnalités hors du commun par une capacité de travail, de concentration, de prévision… de choix cruciaux à faire. A travers les journées de Stephen Bellamy, on découvre ce monde hostile ; comme disait une de mes connaissances : « La politique est un monde qui m’attire mais un milieu qui me révulse » : et ce clivage entre ces deux aspects est un des thèmes primordiaux de ce spectacle : la pression, le stress, le challenge, la fatigue, l’hésitation, la trahison sont autant de ressentis qui émanent de la pièce, et on est immédiatement pris dans cette histoire parfaitement construite, et menée de main de maître par une troupe remarquable.

Durant 1h50, on suit les journées de Stephen Bellamy (Raphaël Personnaz), jeune prodige de 25 ans qui prépare les primaires de la présidence américaine et qui, accompagné de Paul Zara (Thierry Frémont), son mentor, défend ardemment et intelligemment les valeurs de son candidat, le démocrate Morris. Stephen est jeune, ambitieux, talentueux, et on devine qu’un poste à La Maison Blanche ne lui déplairait pas. En politique, son avenir semble tout tracé, mais il tente de ne pas oublier son autre vie, sociale, et séduit même quelques jeunes femmes qu’il rencontre en chemin, de la jeune stagiaire faussement timide (Roxane Duran) à la correspondante politique du New York Times, Ida Horowicz (Élodie Navarre). Mais, dans le premier domaine, tout va toujours très vite, et les choix auxquels Stephen est confronté seront cruciaux : que préférer entre son désir d’ascension politique, sa vie sociale, et les liens amicaux que son métier lui a permis de créer ? Une seule seconde d’hésitation peut tout faire basculer, du côté de la gloire comme celui de l’échec. Quelle décision prendre alors ?

Je compare rarement les pièces que je vais voir à des oeuvres cinématographiques. D’abord, parce que le cinéma n’est pas un plus bel art que le théâtre à mon sens, ensuite, car la comparaison n’est pas forcément judicieuse : les techniques, le jeu, et les émotions éprouvées sont souvent bien différentes. Mais ici, le rapprochement s’impose : car jamais, au théâtre, je n’ai eu une telle sensation de suspense, une telle envie de découvrir la suite, de savoir à tout prix la fin de l’histoire. Et pour moi, ce désir de révéler un mystère, d’amener au plus vite la clé de l’action, est associé au monde du cinéma. Si je n’avais jamais vu ça comme un atout auparavant, il en devient indiscutablement un ici : car on reste scotché à son siège, le coeur battant, le souffle coupé, devant ce que je reconnais être un de mes meilleurs souvenirs théâtraux.

Crédit Photo : Photographies Laurencine Lot

Ladislas Chollat signe une mise en scène intelligente et moderne, au service de ce texte de qualité. Les personnages qui apparaissent en ombre chinoise derrière un mur blanc lorsqu’ils téléphonent ajoutent à l’ambiance à la fois oppressante et imprévisible de l’histoire une part de mystère, car on se retrouve à la place même du personnage qui ne peut que deviner l’intention de son interlocuteur, et sans voir son visage, il est parfois délicat de lire dans les pensées de l’autre uniquement grâce à une voix… Mais on se prête au jeu avec délice, essayant à notre tour de deviner qui, pourquoi, où et comment, et bien sûr, on reste malgré tout constamment étonné de la tournure que prend l’action. Mais le metteur en scène a également reconstitué par le décor, impressionnant et réaliste,l’environnement des personnages : ainsi le café où l’on s’abrite de la neige, éclairé de temps à autres par une voiture qui passe, nous semble un endroit sûr et confortable, tandis que l’aéroport est plutôt froid et moins accueillant, le parking désert soulignant les heures tardives des voyages des personnages.

Et pour sublimer le tout, Ladislas Chollat a réuni sur scène une troupe impressionnante. Certes, Elodie Navarre, qui a la lourde charge d’ouvrir la pièce, est encore un peu légère : la journaliste du Times qu’elle incarne devrait pouvoir tenir tête aux hommes qui l’entourent, et elle est trop vite éclipsée pour être totalement convaincante. Mis à part cela, tous servent au mieux ce spectacle fabuleux. A commencer par Raphaël Personnaz. Le jeune acteur, que j’avais découvert dans le Marius récent d’Auteuil, est tout simplement bluffant : sa lente chute passe par des points culminants de stress, d’espoir et d’accablement, et on le voit parfois se décomposer littéralement sur scène, entièrement habité par son personnage. Sa composition est sans faille, et il se donne tellement durant les 2h de spectacle qu’on craindrait presque qu’il ne tienne pas jusqu’au bout des représentations : mais si son énergie est à la hauteur de son talent, nos inquiétudes sont inutiles ! Il incarne corps et âme les journées toujours plus mouvementées de ce jeune prodige de la politique avec un talent digne des plus grands : jeune, charismatique, capable d’une intensité rare, on irait même jusqu’à le comparer à un nouveau Gérard Philipe. Dans ce rôle en tout cas, il donne l’impression d’un acteur à large palette, énergie abondante, et talent monstrueux. Bravo.

Mais le jeune homme n’est pas la seule perle de ce spectacle. Il est magnifiquement encadré par Thierry Frémont, au rôle tout de même plus ingrat de Paul Zara, qui lui a déjà sa place en politique, et d’autant plus de responsabilités. Ainsi le personnage est-il, de ce point de vue, moins intéressant que Bellamy, puisque moins excité par la primaire, déjà ancré dans le milieu : c’est déjà sa vie, et il a donc moins de possibilités d’évolution psychologique et émotionnelle au cours de la pièce. Et pourtant, Frémont parvient à capter l’attention : le regard fou, il impressionne autant Bellamy par sa foi en Morris que nous, par sa qualité de jeu. Ses montées en puissance lors des coups de stress sont dosées et impressionnantes, renvoyant scène et parterre au fond de leur siège, et la pensée, la prévision constante de ce qui est à venir, se lisent dans son regard à tout moment. Il forme avec Personnaz un duo de choc, très équilibré, parfaitement rythmé, impeccable. En vieux loup de mer qui n’a plus peur de rien et qui connaît son métier mieux que personne, on découvre également l’excellent Francis Lombrail, qui sait charmer et intriguer son interlocuteur autant que les spectateurs, et qui joue de son attitude quelque peu inquiétante avec facilité et nonchalance.

Et même pour des partitions de moindre ampleur, chaque détail de jeu a su nous convaincre. Adel Djemai incarne à lui seul le peuple entier qui attend, qui n’a pas la chance comme nous d’assister au déroulement de la campagne, à ses secrets et ses non-dits. Il incarne l’espoir peut-être trop naïf des électeurs qui attendent des jours meilleurs, et l’innocence qu’on lit sur son visage contraste avec la ruse et le métier clairement affichés chez les autres personnages. Cette innocence, on la retrouve chez Roxane Duran, qui incarne une jeune stagiaire que Bellamy séduit. La douceur est peut-être ce qui la caractérise le mieux ; elle permet des temps d’arrêt à Bellamy en le coupant de la politique quelques instants, et ce retour à la vie réelle, au présent, ne se passe pas toujours au mieux. Si leur duo fonctionne plutôt bien, je mets quand même un bémol quant à la longueur d’une de leurs dernières scènes, qui à mon sens gagnerait à être resserrée. Mais ce défaut est vite rattrapé par la fin de la pièce, brillamment assurée par Julien Personnaz, qui incarne à merveille un autre « Stephen Bellamy », peut-être moins prodige mais plus travailleur, et prêt à montrer de quoi il est capable. Enfin soulignons l’efficacité du « plus petit rôle » de la pièce – qui montre bien qu’il n’y a pas de petit rôle au théâtre ! – en la personne de Jeoffrey Boudenet, un journaliste qui a une confrontation avec Bellamy, qui reflète à elle seule toute la tension de la primaire au sein d’un même parti, et la balance extrêmement fragile entre soutien et trahison, qui peut pencher d’un côté ou de l’autre à tout moment.

Entre une mise en scène d’une efficacité absolue, une atmosphère rendue avec brio, une direction d’acteur impeccable, et des comédiens incarnant leurs personnages avec une telle maestria, Ladislas Chollat et son équipe font un grand chelem avec ces Cartes du Pouvoir à voir impérativement au Théâtre Hebertot. ♥ ♥ ♥

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Crédit Photo : Photographies Laurencine Lot

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Critique du Roi se Meurt de Ionesco, vu le 23 avril 2014 au Théâtre Hébertot
Avec Michel Bouquet, Juliette Carré, Nathalie Bigarre, Pierre Forest, Lisa Martino, et Sébastien Rognoni dans une mise en scène de Georges Werler

Ne nous mentons pas : c’est autant pour Michel Bouquet que pour Ionesco que je me suis rendue au théâtre Hébertot mercredi dernier. On parle de cet acteur comme d’un monstre sacré, d’une pointure, d’un grand comédien. Mais, si c’est vrai que sur scène on sent qu’il a été quelqu’un, qu’il a cette présence, et cette voix si marquantes, en revanche, on sent qu’il n’est plus : c’est comme s’il était déjà ailleurs.

Sur scène, ils sont 6 : le roi, sa première femme (incarnée par Juliette Carré, la femme à la ville de Michel Bouquet), sa seconde femme, Juliette (femme de ménage et femme de chambre, infirmière, cuisinière et jardinière), le médecin (chirurgien, bactériologue, bourreau et astrologue), et un garde. Ils sont 5 autour du roi, malade, qui devrait mourrir à la fin de la pièce. Il a 1h30 pour résigner à cette mort, à cette fin inéluctable, mais il n’est pas encore prêt, et la pièce montrera son chemin vers l’acceptation de cette mort. La pièce est belle et émouvante, elle doit montrer le passage progressif d’une conscience à la résignation de la mort. Je n’ai rien vu de tout cela.

Il faut préciser que Michel Bouquet reprend la pièce depuis plusieurs années sans interruption. A force de jouer la mort, elle devient une banalité, et il n’a plus alors à s’habituer à l’idée le temps de la pièce, puisqu’il est déjà coutumier de ce sentiment. Je pense que là est la principe explication au manque cruel d’émotion du spectacle. De plus, il me semble que de belles tirades de la pièce ont été supprimées, pour un soucis de temps (ou de mémoire du texte ?) je suppose. 

A cela s’ajoute une mise en scène étrange, empêchant tout brin de sentiment profond d’exister : la pièce est dite à toute allure, particulièrement lorsque c’est Juliette Carré qui parle. L’actrice campe une reine effrayante et sans pitié aucune (assez mal jouée d’ailleurs), constrastant avec la seconde épouse du roi, interprétée par Lisa Martino, toujours dans les larmes et les lamentations. On ne comprend pas où veulent en venir les personnages : les deux reines ne sont-elles que des caricatures ? Une pleurnicheuse et une sans coeur ? J’ai eu de la peine à entrer dans leur jeu, à saisir la relation qui les unissait au roi.

Quant à Michel Bouquet, il a une présence indéniable et il pourrait parfaitement convenir au rôle si seulement il n’était pas aussi habitué à le jouer. Je n’ai pas ressenti d’évolution du personnage, pas de peur face à la mort, pas de résignation. C’est comme si lui-même attendait que cela finisse. Il ne donne plus l’impression de jouer, juste d’être là, d’être Michel Bouquet et non le Roi Bérenger Ier, et d’attendre. Dommage.

Le public se lève et applaudit à tout rompre, saluant plus la longue carrière de Michel Bouquet que sa prestation dans la pièce, à mon avis. Les bravos fusent, l’acteur est tout sourire. Sans doute le moment le plus émouvent du spectacle. Mais au moins je pourrais dire : « j’ai vu Michel Bouquet ». Pour ce monument : .

Le Père, Théâtre Hébertot

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Critique du Père, de Florian Zeller, vu le 7 novembre 2012 au Théâtre Hebertot.
Avec Robert Hirsch, Isabelle Gelinas, Patrick Catalifo, Eric Boucher, Sophie Bouilloux, et Elise Diamant, dans une mise en scène de Ladislas Chollat

Le Père, c’est l’histoire d’un homme, André, incarné par Robert Hirsch, qui est atteint d’Alzheimer. Sa famille, en la personne de sa fille aînée, essaie de trouver le meilleur moyen pour combattre un peu la maladie. Qu’Anne, sa fille, passe le voir souvent chez lui. Puis qu’il emménage chez elle. Puis qu’on emploie une infirmière spécialisée dans l’aide aux personnes atteintes de la maladie. Tout est essayé. Et si l’histoire peut paraître banale, elle est traitée d’un point de vue assez particulier, et assez intéressant : celui d’André lui-même. Bonne idée, très bonne idée même, pourrait-on dire. Tout nous est confus, puisqu’à l’instar du malade, nous confondons les personnages de la pièces, les moments, les époques.

Oui mais voilà : tout semble flou, rien ne s’explique. Je pose un bémol. C’est là que Florian Zeller échoue, pour moi. Tout comme dans La Vérité, il a une bonne idée mais ne l’utilise pas à bon escient. C’est-à-dire que lui-même ne semble pas comprendre sa propre pièce. Tout part dans tous les sens, certaines scènes se répètent équivalentes aux précédentes, sans qu’on comprenne pourquoi. Si le metteur en scène justifie cette incompréhension par la position d’André qu’adopte le spectateur, alors il faut m’expliquer pourquoi certaines scènes, où le personnage d’André n’apparaît pas, sont répétées ? Vraiment dommage que l’on ne comprenne pas plus que ça l’histoire, les périodes, les faits, mais faisons abstraction de tout cela. Après tout, ce n’est pas pour Zeller que je venais voir le spectacle. Oh que non.

Il y a un acteur, dans ce spectacle, un acteur qui dépasse tous les autres. Il y a un monstre sacré. Il y a un très très Grand. Un immense homme. Robert Hirsch, 87 ans, incarne André. Je ne trouverais de toute façon pas les mots justes pour décrire la perfection de son jeu, de sa voix, de ses réactions, de ses mouvements. Comment décrire une telle présence ? J’étais malade ce jour-là. Des éternuements qui ne cessent pas. Croyez-le ou non, dès qu’il est entré en scène, tout a cessé. J’étais scotchée. J’étais admirative. Il est entré, il a attiré tous les regards, et les a conservés jusqu’à la fin de la pièce. Lorsqu’il parlait, avec tant d’expréience dans la voix, de cette voix puissante mais pas du tout forcée, la salle faisait preuve d’un silence religieux. Tous ses mouvements étaient si naturels, comme s’ils n’étaient pas prévus, pas calculés. Lorsqu’il le désirait, il était drôle, il paraissait jeune, il faisait des claquettes et se mouvait si rapidement, si facilement. Parfois il était très attendrissant. Déchirant, lorsqu’il appelait et demandait sa « maman ». Parfois infernal et impatient, comme un enfant. Mais globalement, le personnage était très émouvant, de par sa solitude. La maladie implique la solitude. Cette solitude, implicite, ressortait à merveille, grâce au talent de Robert Hirsch. 

Il était néanmoins bien entouré. Isabelle Gélinas, cette actrice qui possède tant de charmes, incarnait sa fille. Deuxième rôle, et même si sa voix sanglotante semblait parfois un peu forcée, elle excelle aussi. Mais qu’est-ce qu’exceller, à côté de Robert Hirsch ? C’est difficile, puisque lui est déjà si loin, si haut, si grand. Les deux hommes, que je confonds, étaient, tout comme Isabelle Gélinas, très bon, mais restaient aussi derrière André. Les scènes sans lui semblaient lentes, inutiles, monotones. Élise Diamant riait un peu faux. J’ai beaucoup apprécié Sophie Bouilloux : dans la dernière scène, elle s’éclipse en douceur derrière lui, et lui laisse son jeu, elle ne cherche pas à s’imposer, et la scène en ressort d’autant plus émouvante, d’autant plus brillante. 

Vraiment, cette mise en scène … C’est tellement dommage, qu’un acteur pareil joue dans une pièce qui aurait pu être si complète et si réussie … Mais ni le texte, ni la mise en scène ne nous éclaire … 

Ne nous mentons pas. En allant voir ce spectacle, on va voir Hirsch. On va voir un Hirsch grandiose, remarquable, un Hirsch inoubliable. Ce n’est pas qu’à l’acteur de saluer le public. C’est au public de s’incliner bien bas devant Lui. C’est au public de se lever pour acclamer, pour souligner son talent de comédien. Il faut le voir. Vous ne le regretterez pas. ♥ ♥ ♥  

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