Critique d’On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, vu le 22 juin 2011 au Théâtre du Vieux Colombier
Devinez qui était présent dans la salle, ce soir là … Vous ne trouvez pas ? Je vous le donne en mille : Thierry Hancisse, sans doute venu pour assister à la performance de ses camarades… Mais fermons cette parenthèse et entrons dans l’histoire.
Perdican et Camille sont cousins, et amis d’enfance. Ils ont étudié loin l’un de l’autre ; Perdican est à présent Docteur. Camille, quant à elle, a passé sa jeunesse dans le meilleur couvent de France. Alors, quand ils reviennent au château du père du jeune homme, le Baron, qui a prévu de les marier, leur relation a bien changé ; d’un côté Perdican, heureux de revoir sa cousine qu’il aime, heureux de se marier, heureux de vivre ; de l’autre Camille, orgueilleuse, croyant le couvent qui la pousse presque à avoir peur des hommes.
Comme à l’habitude, au Français, nous n’avons ici que des acteurs de talent ; Loïc Corbery particulièrement, brille en jeune premier : c’est un Perdican plutôt noir et agressif, vœux du metteur en scène. Ce jeune acteur est très vif, et la scène où il bloque Camille et l’empêche de sortir montre la justesse de ses mouvements. Sa partenaire, Julie-Marie Parmentier, lorsqu’on fait abstraction de son timbre de voix toujours égal (et d’une légère particularité de diction sur ses [k]), joue bien l’orgueilleuse. Elle a, de plus, le physique que j’aurais imaginé en lisant la pièce : elle est petite et rousse (on aurait également pu l’imaginer blonde), et fait très « enfant sage » ; ainsi, elle paraît très sincère dans son rôle de fille qui veut devenir religieuse. Mais un troisième élément vient troubler ce couple : c’est Rosette, sœur de lait de Camille : c’est elle qui subit l’amour des deux jeunes gens, car c’est vers elle que se dirige Perdican après le refus de Camille. C’est Suliane Brahim, cette actrice très touchante, qui l’incarne. Je dis touchante, car elle possède un je-ne-sais-quoi dans sa voix et ses mimiques qui nous la fait aimer, qui nous pousse à vouloir son bien, alors qu’elle ne fait que souffrir durant la pièce. Elle a une voix très particulière, qui d’abord peut paraître désagréable, mais finalement, on s’y habitue et on ne peut plus s’en lasser. Voilà pour ce qui est du trio des jeunes ; mais un autre groupe, quatuor cette fois, est également présent ; il est en contraste avec le sérieux des jeunes gens, car il s’agit ici des personnes plus âgées, qui ont déjà fait leur vie, et cela créé donc des personnages plus légers : c’est d’ici que vient le comique de la pièce ; tout d’abord le Baron (Roland Bertin), père de Perdican, qui accueille chez lui Maître Bridaine, le curé (Pierre Vial) et Maître Blazius, le gouverneur de Perdican (Christian Blanc) : tous deux semblent avoir un problème avec l’alcool, et chacun accuse l’autre auprès du Baron. Ces trois acteurs, malgré leur grand âge, sont parfaitement dans leur rôles, il nous font rire et permettent à la pièce de « s’aérer » un peu entre deux scènes plus graves. Enfin, la gouvernante de Camille, Dame Pluche, incarnée par Danièle Lebrun, petite mais forte femme : elle aussi semble parfaitement en accord avec ce que demande le rôle (qualité et justesse, d’accord, mais aussi beaucoup de vivacité).
Enfin, parlons de ce qui m’a le plus gênée dans la pièce : tout d’abord, je m’attendais tellement à quelque chose d’extraordinaire, car tout le monde le présentait comme le Badine du siècle, que j’ai été presque déçue. Je précise d’ores et déjà que le metteur en scène a choisi de situer la pièce dans les années 1950 : les costumes et les accessoires rappellent l’époque (mange-disque …). Mais ce qui m’a assez déroutée, c’est la mise en scène ; n’ayant pas lu la pièce (c’est un choix : j’aurais eu largement le temps de la lire entre le moment où on a pris les places et le 22 juin), il y a quelques scènes que je n’ai pas entièrement saisies : les petites disputes entre Blazius et Bridaine ne m’ont pas paru toutes claires, et plusieurs scènes ne sont pas conformes au texte, ce qui nous embrouille un peu : normalement, il doit y avoir un chœur de paysans, mais le metteur en scène a distribué son texte entre Rosette et Blazius, et en a même supprimé une partie … Par exemple, dans la scène du début, Rosette assiste à l’arrivée de Perdican, elle le voit mais lui ne la voit (étrange, elle est dans la même salle que lui) jusqu’à leur scène de rencontre ; voilà un changement qui ne paraissait donc pas essentiel. Autre chose : je n’aime pas beaucoup le « double-plateau » qu’il a créé : il sépare la scène en deux à l’aide d’un drap, et permet ainsi à tous les personnages d’être présents même s’ils n’ont pas à l’être : cette nouvelle mode de faire apparaître tous les acteurs en même temps me paraît totalement inutile. Cela crée même des confusions car, lors d’une scène entre Perdican et Camille, le Baron et père de Perdican est présent, sur une chaise, il dort. Où est l’utilité ? J’ai vérifié dans le texte, il ne doit pas être présent … ou même, il y a un instant où Perdican est censé être « sur la place, suivi par tous les polissons du village », et où on le voit, assis, adossé au billard. Pourquoi ?
Enfin, je trouve que la scène est trop souvent baignée dans l’ombre … Il me semble pourtant que, bien que grave par instants, ce n’est pas une pièce excessivement sombre … Mais ceci est un « truc » du metteur en scène ; il a mis en scène le Partage de Midi, où tout était déjà très sombre …
Tout ceci mêlé reflète un des plus grands défauts de la Comédie-Française : la complexité des mises en scène … Ils recherchent trop, et le résultat ne donne pas vraiment quelque chose au service du texte.
Dans l’ensemble, j’ai donc été presque déçue, et j’estime qu’ici, le jeu des acteurs est bien au-dessus de la mise en scène … Toujours faire attention à ne pas trop rechercher non plus…