Critique de Rituel pour une métamorphose de Saadallah Wannous, vu le 22 mai à la Comédie-Française
Avec Thierry Hancisse, Sylvia Bergé, Denis Podalydès, Laurent Natrella, Julie Sicard, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Marion Malenfant et Louis Arène, dans une mise en scène de Sulayman Al-Bassam
C’est l’évènement de la saison à la Comédie-Française : pour la première fois, une pièce arabe (syrienne) entre au répertoire. De plus, cette pièce est mise en scène par un Koweïtien. Et l’orientalisme se fait sentir : c’est comme un changement de genre littéraire. Ce n’est pas le théâtre que nous connaissons, et ce par plusieurs aspects, mais j’y reviendrai. Pour vous situer, reprenons d’abord rapidement l’histoire : le mufti de Damas tend un piège au prévôt Abdallah et le fait surprendre en flagrant délit avec une courtisane de la ville. Dans le même temps, il fait remplacer en prison la courtisane par la femme d’Abdallah, de sorte que le chef de la police soit à son tour confondu. La métamorphose dont parle le titre est présente à plusieurs échelles : autant celle de Mou’mina devenue Almassa, répudiée à sa demande par son mari et passant du statut de femme de prévôt à celui de courtisane, que celle d’Abdallah, mari en question, qui après avoir commis une faute décide de se consacrer à Dieu. Mais c’est aussi la ville tout entière qui change et se transforme au fil de la pièce.
En réalité, je peine à la résumer convenablement. Elle fourmille de partout, à chaque instant il se passe quelque chose, parfois sur scène notre regard doit suivre plusieurs actions, et si cela provoque l’absence de tout ennui, un inconvénient subsiste : on ne peut pas tout suivre. Lorsque presque une dizaine d’acteurs sont sur scène, difficile de fixer notre attention. A l’intérieur d’une action globale, c’est plusieurs histoires qui nous sont contées. De plus, il s’agit de littérature engagée, et cela se sent, parfois un peu trop, tout au long de la pièce. C’est très explicatif, les personnages sont assez prévisibles, on sait où ils vont et n’en démordent pas, sans non plus être caricaturaux. Si cela m’a tout d’abord deconcertée, on finit par s’y faire, et ce grâce à une mise en scène intelligente et poétisant au maximum ce texte parfois trop dénonciateur.
Mise en scène très réussie, et ce tout d’abord grâce aux décors. La Comédie-Française a de gros moyens, et ce spectacle le souligne bien : les décors, orientaux, se désagrègent au cours de la pièce, jusqu’à laisser un plateau parfaitement nu. Les lumières sont aussi très présentes et utilisées à bon escient, accentuant certaines scènes, plongeant d’autres dans une ombre, bien sûr fictive. Mais tout le reste est parfaitement pensé aussi : mettre Abdallah (Denis Podalydès) nu, c’est-à-dire montrer réellement son nouvel état d’esprit devant Dieu est pour moi une superbe idée : l’acteur reste d’un naturel impressionnant, et incarne un prévôt touchant, se détachant progressivement de l’histoire qu’il avait créée pour finir sa vie à l’écart des hommes. Thierry Hancisse campe un Mufti ambitieux et rusé, mais imposant crainte et respect lorsqu’il est devant le reste des hommes. L’acteur nous montre à nouveau la puissance de son jeu, qui faiblit néanmoins au fil de la pièce : perdant son autorité à cause d’Almassa, devenue une sorte de symbole paradoxal de la liberté. Almassa, incarnée par Julie Sicard, est le personnage décisif de la pièce : c’est elle qui lui donne son sens. Confier ce lourd poids sur les petites épaules de l’actrice … était une très bonne idée. On est surpris de la voir danser sur des musiques orientales, tout comme, dans la pièce, on est surpris de voir cette femme de haut rang souhaiter devenir courtisane. Elle compose un personnage presque abstrait, puisqu’elle ne possède pas les atouts d’une courtisane mais bien plus l’élégance de son premier état : le contraste est visible et l’actrice excellente.
Cette pièce a également été l’occasion d’une belle découverte : Louis Arène, qui jusqu’ici ne m’avait pas spécialement marquée, nous montre son talent : il joue Soumsom, un eunuque qu’on retrouve dans plusieurs scènes, et qui n’est pas là que pour notre divertissement : il sert également à dresser un panorama de toutes les conditions de vie du contexte. Et ce, il faut le dire, pour notre plus grand plaisir, il se déhanche avec grâce sur scène, très effeminé, et apporte une dose de comique importante pour l’équilibre de la pièce. Pour rester de ce côté, il y a également Laurent Natrella, policier déchu, qui comme à son habitude, grâce à un excellent sens du rythme et à une tonalité particulière, quelque peu agressive, dans sa voix, permet à certains passages qui auraient pu paraître trop longs de s’écouler sans ennui. Choix inhabituel que celui d’Elliot Jenicot, à qui l’on confiait souvent des roles comiques, et qui ici interprète un garde avec un sérieux imperturbable. Son histoire est complémentaire de celle d’un autre homme, homosexuel, et qui dénonce le côté innavouable de l’amour d’un être du même sexe. Le personnage avouant cet amour et rejeté par Elliot Jenicot est joué par Nâzim Boudjenah. L’acteur est parfait, émouvant et empli de tristesse, comme brisé. De plus, il incarne également le frère d’Almassa, et passe d’une scène à l’autre dans des registres opposés : sérieux, droit et ayant le sens du devoir, faisant presque père.
J’aimerais tous les citer, mais ce ne serait que des avalanches de compliment. Ils sont tous excellents. Pour revenir sur la mise en scène, j’ai trouvé que la prise de distance brutale qui s’opérait à la fin était une très bonne idée : cela nous rappelle aussi que s’ils nous présentent cette pièce, c’était un univers différent qui a demandé un travail. En effet, c’est comme si, soudainement, l’incarnation de leur personnages n’avait pas été totale. Plutôt bien pensé.
Finalement, cette pièce est une nouvelle occasion de confirmer tous les talents que l’on trouve au Français. Mais y trouve-t-on un réel intérêt ? Nous parle-t-elle vraiment ? J’aime les découvertes, mais celle-ci était-elle réellement indispensable ? Je me le demande encore. ♥ ♥